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Serendipity.

Domestic space as a social total fact. Thinking by using photography.

© Roberto Manuelli

Entre 2013 et 2015, nous, c’est-Ă -dire une sociologue et un photographe qui par ailleurs ont tous deux une formation en architecture, avons conduit une recherche pour voir comment les grands phĂ©nomĂšnes socioculturels en cours, tels que la fragmentation des biographies affectives et de travail, la mobilitĂ© accrue, l’élargissement considĂ©rable de l’éventail des choix et l’éthique de la performance individuelle (Ehrenberg 1995, 1998 ; Lahire 1998, 2004), peuvent ĂȘtre lus dans les dĂ©tails les plus anodins de la vie quotidienne [1]. Tout au long de ce texte, nous montrerons, en mettant Ă  nu notre processus de rĂ©flexion, comment la photographie, de simple support Ă  la remĂ©moration comme nous l’avions envisagĂ©e au dĂ©part, s’est rapidement transformĂ©e en un outil fondamental de pensĂ©e et de communication. Ce changement a eu lieu quand nous nous sommes appropriĂ© l’idĂ©e d’une approche mĂ©tonymique de la rĂ©alitĂ© sociale en considĂ©rant les Ă©lĂ©ments de culture matĂ©rielle comme des faits sociaux totaux (Mauss 1925). Nous avons notamment tissĂ© des liens entre les aspects les plus concrets de la rĂ©alitĂ© et les questions les plus abstraites, en montrant les rĂ©sonances profondes entre ces derniĂšres et des dĂ©tails matĂ©riels en apparence insignifiants. Sans nier notre culture architecturale, qui voit aussi dans les images une esthĂ©tique, nous montrons comment nous sommes parvenus Ă  crĂ©er un objet visuel qui a Ă©galement de la valeur scientifique. A ce propos, nous mettons notre propre dĂ©marche en dialogue constant avec les travaux qui l’ont inspirĂ©e. Nous avons constatĂ© alors que les modes scientifique et artistique de connaissance du rĂ©el portent chacun une contribution spĂ©cifique, mais que, au regard du rĂ©sultat obtenu, ils apparaissent indissociables.

Une approche métonymique à la réalité.

© Roberto Manuelli

« L’Ɠil, d’abord, glisserait sur la moquette grise d’un long corridor, haut et Ă©troit. Les murs seraient des placards de bois clair, dont les ferrures de cuivre luiraient. Trois gravures, reprĂ©sentant l’une Thunderbird, vainqueur Ă  Epsom, l’autre un navire Ă  aubes, le Ville-de-Montereau, la troisiĂšme une locomotive de Stephenson, mĂšneraient Ă  une tenture de cuir, retenue par de gros anneaux de bois noir veinĂ©, et qu’un simple geste suffirait Ă  faire glisser. La moquette, alors, laisserait place Ă  un parquet presque jaune, que trois tapis aux couleurs Ă©teintes recouvriraient partiellement. Ce serait une salle de sĂ©jour, longue de sept mĂštres environ, large de trois. » Georges Perec, Les Choses, 1965, p.9.

Comme le rappelle Howard Becker (2007, pp. 263-265), Les Choses de Georges Perec est une vĂ©ritable ethnographie sous forme de roman. Le procĂ©dĂ© que l’auteur choisit pour nous prĂ©senter la biographie-type d’un couple, reprĂ©sentatif d’une nouvelle classe moyenne en ascension au milieu des annĂ©es 1960 en France, se fonde sur de longues listes d’objets. À travers ces listes, dont la capacitĂ© de reprĂ©sentation est trĂšs puissante, la vie sociale est dĂ©crite dans ses aspects les plus visibles et en mĂȘme temps les plus anodins. Tout ce qui serait fastidieux Ă  faire entrer dans les analyses sociologiques classiques et qui en constitue la toile de fond pĂ©riphĂ©rique, devient, dans le roman de Perec, l’élĂ©ment central. Dans la foule de dĂ©tails reportĂ©e par Perec de maniĂšre brute, sans aucune motion, on retrouve la description prĂ©cise d’une sociĂ©tĂ© oĂč la consommation est en train de devenir un aspect dominant de la vie des individus.

Cette approche nous semblait particuliĂšrement adaptĂ©e Ă  la recherche que nous Ă©tions en train de mettre en place. Nous voulions Ă©tudier la maniĂšre dont les grandes transformations contemporaines, notamment la dĂ©structuration du marchĂ© du travail et des structures familiales traditionnelles, les possibilitĂ©s accrues de mobilitĂ© et la pluralitĂ© marquĂ©e des instances de socialisation en lien avec la relative montĂ©e en puissance de l’individu affectaient Ă  la fois l’idĂ©e de chez-soi et le paysage domestique. Nous voulions donc rechercher des liens entre ce qu’il y a de plus intime dans la vie d’une personne et ce qu’il y a de plus public dans la sociĂ©tĂ©, selon la maxime « le privĂ© est public ». Au lieu de considĂ©rer les intĂ©rieurs domestiques et ses objets comme un dĂ©cor du vĂ©cu, nous souhaitions en faire l’objet mĂȘme de notre recherche. L’idĂ©e Ă©tait de considĂ©rer la forme et la disposition des piĂšces, l’ameublement et les objets d’usage quotidien comme un fait social total, c’est-Ă -dire comme un condensateur de la rĂ©alitĂ© sociale, dans ses composantes Ă  la fois politiques, Ă©conomiques, technologiques et culturelles, sans pourtant ĂȘtre rĂ©ductible Ă  aucune d’entre elles en particulier.

Intérieur et intériorité.

Une source d’inspiration pour notre travail a Ă©tĂ©, au-delĂ  des Choses de Perec, la tradition romanesque depuis le xixe siĂšcle. C’est Ă  partir de ce moment que, dans la peinture et dans la littĂ©rature, on assiste Ă  une vĂ©ritable dĂ©couverte de l’intĂ©rieur (Forino 2001; Pagliara 2007, pp. v-vii). Dans le roman, la description minutieuse d’objets, d’ameublements et de situations quotidiennes devient pour la premiĂšre fois une partie essentielle du dĂ©roulement de l’intrigue. Dans la peinture, la reprĂ©sentation du logement devient une mĂ©taphore de l’intĂ©rioritĂ© humaine et de la relation de l’individu au monde (Teyssot 2013). Dans l’univers des arts, cette attention Ă  la vie domestique et Ă  ses objets se dĂ©veloppe en relation avec la formation, d’abord dans les milieux bourgeois, puis, par extension, dans les autres catĂ©gories sociales, d’un nouveau type de subjectivitĂ©, dont l’univers domestique devient l’expression la plus puissante (Lukacs, 1970). Cette subjectivitĂ© se fonde sur la gĂ©nĂ©ralisation d’un sentiment de conscience intĂ©rieure individuelle, non plus religieuse mais laĂŻque (Taylor, 1989). Ce type de conscience intĂ©rieure s’exprime dans des espaces et des objets consacrĂ©s Ă  l’intimitĂ© avec soi-mĂȘme, Ă  des nouvelles pratiques de sociabilitĂ© Ă©lective liĂ©es au temps libre et Ă  la famille au sens moderne du terme. Le logement devient expression, dans l’art, non seulement du statut de ses occupants, comme il l’a toujours Ă©tĂ©, mais aussi de leur identitĂ© subjective, de leur personnalitĂ© la plus intime. De la maniĂšre dont les arts, surtout le roman, traitent l’univers domestique nous avons repris cette Ă©quation entre intĂ©rieur et intĂ©rioritĂ©, qui est devenue le cƓur mĂȘme de notre travail.

L’hypothĂšse que partir des images d’intĂ©rieurs pour arriver Ă  des questions concernant la subjectivitĂ© pouvait ĂȘtre une bonne idĂ©e a Ă©tĂ© renforcĂ©e par le fait que ces derniĂšres annĂ©es se sont multipliĂ©es les recherches en sciences sociales Ă  caractĂšre historique qui analysent les transformations de la subjectivitĂ© au fil des siĂšcles Ă  partir des transformations de la maniĂšre dont les logements sont reprĂ©sentĂ©s dans les arts, notamment la peinture et la littĂ©rature. L’anthropologue de l’espace Marion Segaud a Ă©crit, Ă  ce propos, que l’histoire de la reprĂ©sentation artistique des intĂ©rieurs domestiques de ces derniers siĂšcles en Occident peut ĂȘtre lue comme l’histoire mĂȘme d’un long processus d’individualisation de la sociĂ©tĂ© (Segaud 2007). Tous ces travaux ont le mĂ©rite non seulement d’avoir historicisĂ© la dimension psychologique, mais aussi d’avoir montrĂ© comment, Ă  travers les intĂ©rieurs, selon un procĂ©dĂ© que l’on pourrait dĂ©finir mĂ©tonymique, il est possible de lire la sociĂ©tĂ© dans sa totalitĂ© et dans ses aspects les plus subtils, comme celui de la subjectivitĂ©. Ce qui, dans les recherches en sciences sociales centrĂ©es sur la sociĂ©tĂ© actuelle, reste le plus souvent en arriĂšre-plan, peut devenir l’enjeu de la production de nouvelles connaissances.

Walter Benjamin et l’analyse « micro-logique ».

L’idĂ©e n’est pas nouvelle. Walter Benjamin et Siegfried Kracauer utilisaient la mĂ©thode de l’analyse « micro-logique » pour Ă©tudier les phĂ©nomĂšnes globaux de leur Ă©poque (Benjamin 1928). Pour comprendre en profondeur la modernitĂ© du capitalisme, sa genĂšse et sa spĂ©cificitĂ©, Benjamin, de maniĂšre tout Ă  fait novatrice, se focalise sur des situations quotidiennes soit ordinaires soit marginales. Dans son Ɠuvre Paris, capitale du xixe siĂšcle (1919), Benjamin lit le monde moderne Ă  travers le monde domestique, avec ses piĂšces, ses meubles et ses bibelots. En mĂȘme temps qu’il dĂ©crit les commerces et les logements, Benjamin nous livre le portrait d’une sociĂ©tĂ© dont la relation aux objets change. Ce faisant, il relie les aspects visibles du quotidien le plus anodin aux grandes transformations sociales qui affectent en profondeur tous les aspects de la sociĂ©tĂ©, y compris la subjectivitĂ© des individus. La force de la pensĂ©e de Benjamin est de lier ces rĂ©alitĂ©s physiques banales, qu’il prend comme point de dĂ©part de son analyse, Ă  des transformations qui sont Ă  la fois Ă©conomiques, psychologiques, dĂ©mographiques, technologiques et idĂ©ologiques, sans oublier aucune dimension sociale du changement. C’est le fait mĂȘme de s’occuper d’un objet trĂšs spĂ©cifique qui permet Ă  Benjamin de rĂ©flĂ©chir sur plusieurs dimensions sociales Ă  la fois et de dĂ©couvrir les liens secrets qui les connectent. Pour le philosophe allemand, c’est dans la relation entre l’élaboration « micro-logique » et la forme globale que se situe la vĂ©racitĂ© d’une thĂ©orie du social. Par consĂ©quent, il choisit de prendre tout ce qui habituellement passe entre les mailles de la thĂ©orie pour montrer que le petit est grand et pour faire sortir chaque objet de son isolement en le reliant aux grands phĂ©nomĂšnes sociaux. Son objectif est de pĂ©nĂ©trer, Ă  travers cette analyse des objets les plus anodins, dans la substance d’un concept.

C’est avec cette mĂȘme approche mĂ©tonymique que, dans un prĂ©cĂ©dent article issu de notre recherche (Sartoretti 2016), nous avons analysĂ© sociologiquement le succĂšs des meubles Ikea, en montrant, Ă  travers un objet trĂšs courant, comment le rĂŽle de plus en plus central attribuĂ© Ă  la mobilitĂ© gĂ©ographique, Ă  la flexibilitĂ©, au changement, Ă  l’accroissement considĂ©rable des possibilitĂ©s de choix et Ă  la performance individuelle avait aussi des rĂ©percussions sur l’esthĂ©tique et sur les aspects physiques les plus banals de la vie sociale. Au bout du compte, nous avons pu voir comment les meubles Ikea participent de la construction d’un nouveau type d’identitĂ©, Ă  la fois sociale et subjective. Ces objets sont l’expression d’un vĂ©cu dominĂ© par l’idĂ©e, au moins symbolique, d’instabilitĂ©, dĂ©clinĂ©e dans le temps comme dans l’espace. Ils manifestent un style de vie qui valorise les expĂ©riences extra-domestiques et la consommation immĂ©diate plutĂŽt que les logiques de thĂ©saurisation et de cumulation, qui sont intrinsĂšques au mobilier dans sa valeur traditionnelle de longue durĂ©e. En outre, ils sont l’expression d’identitĂ©s sociales en Ă©volution constante centrĂ©es sur la crĂ©ativitĂ© plus que sur le statut Ă©conomique. Dans le cadre de cette recherche, nous nous sommes situĂ©s dans le sillage de travaux comme celui d’Alain Ehrenberg (1998) sur la « fatigue d’ĂȘtre soi » dans une sociĂ©tĂ© axĂ©e sur la performance individuelle et celui de Carmen Leccardi (2009) sur le vĂ©cu temporel des jeunes, menĂ© Ă  partir de la thĂ©orie des temporalitĂ©s de Hartmut Rosa (2010). Ces travaux relient les aspects les plus personnels et intimes aux grandes transformations sociales en cours. Pour notre part, nous avons choisi de traiter ces aspects subjectifs Ă  partir de la culture matĂ©rielle, c’est-Ă -dire en utilisant les aspects les plus immĂ©diatement visibles et en mĂȘme temps les plus banals d’une culture (De Certeau 1980). À travers des objets de consommation courants, nous avons pu analyser la spĂ©cificitĂ© de notre sociĂ©tĂ© dans ses diverses dimensions.

Des images d’objets aux grands questions sociales.

© Roberto Manuelli

Le plus intĂ©ressant dans la dĂ©marche « micro-logique » de Walter Benjamin, ce n’est pas tant l’attention portĂ©e aux dĂ©tails, jusque-lĂ  inĂ©dite de la part d’un philosophe, mais plutĂŽt l’intĂ©rĂȘt pour la dimension spatiale. Pour Benjamin, l’espace est le champ de visibilitĂ© par excellence des transformations sociales. L’auteur, Ă  contre-courant de ses contemporains, consacre une large partie de son discours Ă  la description minutieuse de lieux et d’objets situĂ©s. Ses rĂ©flexions sont presque toujours construites, parfois implicitement, Ă  partir d’images d’espaces. Benjamin nous fournit des instantanĂ©s. Les descriptions de lieux et d’objets sont aussi riches et dĂ©taillĂ©es que celles qu’on trouve dans Les Choses de Perec, comme s’il s’agissait de vĂ©ritables photographies. Dans le petit texte Louis-Philippe ou l’intĂ©rieur (Benjamin 1919), le philosophe allemand dĂ©crit minutieusement le dĂ©cor de l’intĂ©rieur bourgeois Ă  l’époque de Louis-Philippe, en faisant des allĂ©es-retour continuels entre description d’objets et narration du type de subjectivitĂ© dont ces objets correspondent. Ce qui en ressort est l’image d’une subjectivitĂ© scindĂ©e entre privĂ©e et publique, qui conçoit son chez-soi comme un refuge idyllique par rapport au monde extĂ©rieur et qui nourrit une relation affective avec ses objets, en Ă©vacuant ainsi leur valeur de marchandise, c’est-Ă -dire leur pure valeur d’échange et de distinction sociale.

A partir de la simple description d’un intĂ©rieur, Benjamin arrive Ă  Ă©laborer des considĂ©rations gĂ©nĂ©rales sur le mode de fonctionnement de la sociĂ©tĂ© capitaliste. Il montre comment cette sociĂ©tĂ© n’aurait mĂȘme pas d’existence sans le type de subjectivitĂ© qui Ă©merge de la simple description des objets qu’elle possĂšde. Une subjectivitĂ© qui fait des marchandises des objets affectifs, oĂč l’on peut se rĂ©fugier. MĂȘme si cette rĂ©flexion particuliĂšre sur l’espace et ses objets rappelle ce que Appadurai formalisera de maniĂšre prĂ©cise et exhaustive des annĂ©es plus tard (1986), la dĂ©marche gĂ©nĂ©rale de Benjamin reste toutefois singuliĂšre, car elle traite l’intĂ©rieur et chaque espace anodin comme Ă©tant Ă  la fois mĂ©taphore, synecdoque et mĂ©tonymie de la sociĂ©tĂ© dans sa globalitĂ© et de ses dynamiques les plus profondes.  

Kracauer adopte une mĂ©thode semblable Ă  celle de Benjamin. Lui aussi, comme son ami, choisit, dans des textes tels que L’ornement de la masse (1920-30), de parler de modernitĂ© en partant de simples images d’espaces et en rĂ©servant aux dĂ©tails une place surprenante. Il aborde le thĂšme de la rationalisation et de la sĂ©cularisation du temps en partant des images d’espaces les plus banales, comme celle de la danse synchronique. Le type d’attention de Benjamin et Kracauer aux espaces, dĂ©crits dans tous leurs dĂ©tails, nous montre une maniĂšre alternative d’aborder la rĂ©alitĂ© physique en sciences sociales.

Lire les espaces, différemment.

La dĂ©marche des deux auteurs reste en effet singuliĂšre par rapport aux filons de recherche qui dĂ©rivent du tournant spatial des sciences sociales, notamment des rĂ©flexions de Foucault, qui met l’accent sur la dimension coercitive intĂ©riorisĂ©e des espaces, mais aussi des rĂ©flexions de Lefebvre ou d’Harvey. Elle diffĂšre Ă©galement de la dĂ©marche propre aux auteurs qui, Ă  la suite de De Certeau, se sont intĂ©ressĂ©es Ă  la vie quotidienne, aux pratiques de subjectivation et aux tactiques ordinaires. Pour ces auteurs, l’espace est variablement une composante active des inĂ©galitĂ©s ou l’enjeu d’une action transformative situĂ©e ou encore une rĂ©alitĂ© subjectivement rĂ©interprĂ©tĂ©e, mais il n’est jamais l’objet d’analyse en tant que tel. La dĂ©marche de Benjamin et Kracauer, dont nous nous sommes inspirĂ©s pour la partie photographique de notre recherche et pour l’analyse des espaces domestiques, nous rappelle plutĂŽt celle utilisĂ©e par les ethno-archĂ©ologues face Ă  des sociĂ©tĂ©s pour lesquelles on ne dispose pas d’élĂ©ments de comprĂ©hension suffisants. À dĂ©faut d’autres informations, ces derniers considĂšrent chaque espace d’une sociĂ©tĂ© comme la consĂ©quence de rapports sociaux qui lui sont propres. Les ethno-archĂ©ologues Ă©tudient une certaine sociĂ©tĂ© en partant du fait que chaque configuration spatiale spĂ©cifique renvoie Ă  une configuration sociale globale (Binford, 1962).

L’idĂ©e est que lorsqu’on arrive Ă  dĂ©chiffrer le hiĂ©roglyphe d’une quelconque image spatiale, on arrive Ă  pĂ©nĂ©trer le fond de la rĂ©alitĂ© sociale. Des travaux cĂ©lĂšbres comme celui de Erwin Panofsky (1951), qui met en relation l’esthĂ©tique gothique et la pensĂ©e scholastique, celui de Richard Sennett (2000), qui connecte les formes urbaines Ă  l’éthique protestante et Ă  l’esprit du capitalisme ou encore celui sur la mondialisation de Peter Sloterdijk (1998, 1999, 2004), menĂ© Ă  partir d’une riche base iconographique, montrent comment Ă  partir des aspects les plus concrets et les plus visibles d’une culture on peut arriver jusqu’aux questions sociales les plus abstraites.

Images d’intĂ©rieurs comme instantanĂ©e d’un habitus.

Quant Ă  nous, nous avons dĂ©cidĂ© de considĂ©rer l’espace domestique comme la partie visible de dispositions sociales intĂ©riorisĂ©es, c’est-Ă -dire d’un habitus (Bourdieu 1979). Autrement dit, on a considĂ©rĂ© les images des intĂ©rieurs comme expression synthĂ©tique et cristallisĂ©e des styles de vie. Ces derniers, qui sont la partie visible de l’habitus et qui concernent Ă  la fois l’identitĂ© des individus, les modes d’habiter et les pratiques de consommation, nous les avons approchĂ©s, Ă  leur tour, comme les indicateurs de processus culturels profonds qui sont en train d’affecter les diffĂ©rentes sphĂšres de la vie. Nous avons notamment repĂ©rĂ© des liens entre les intĂ©rieurs domestiques et des questions sociales apparemment trĂšs distantes. En dĂ©finitive, nous avons traitĂ© les intĂ©rieurs comme des faits sociaux et personnels totaux.

A partir de ces prĂ©misses Ă©pistĂ©mologiques nous pouvons plus aisĂ©ment rĂ©pondre Ă  la question suivante : quelle est la plus-value des images, notamment les images photographiques, dans notre recherche sociologique ? Ce n’est pas une question anodine, Ă©tant donnĂ© qu’en sociologie les images sont trĂšs peu courantes, Ă  la diffĂ©rence de l’anthropologie oĂč les photographies et les vidĂ©os sont considĂ©rĂ©es comme un aspect valorisant voire nĂ©cessaire de la recherche. Pour Howard Becker, la raison en rĂ©side dans le fait que la sociologie est une filiation des sciences Ă©conomiques, politiques et, ajoutons-nous, de la philosophie, auxquelles les images sont Ă©trangĂšres (2007). Pour rĂ©pondre Ă  la question, nous mettrons en relation notre travail avec d’autres recherches aussi bien que d’autres travaux artistiques semblables. Cela nous permettra de dĂ©gager des Ă©lĂ©ments plus gĂ©nĂ©raux. Nous verrons aussi comment, dans la prise des photographies, une dĂ©marche esthĂ©tique ne s’oppose pas Ă  des propos scientifiques.

Histoires d’intĂ©rieurs : vingt jeunes couples ouvrent la porte de leur maison.

© Roberto Manuelli

Durant l’automne 2013, nous avons interviewĂ© vingt jeunes couples, d’ñge compris entre 30 et 40 ans, rĂ©sidant Ă  Milan, pour voir comment l’instabilitĂ© constitutive des jeunes gĂ©nĂ©rations, due aux incertitudes de la vie affective et du marchĂ© du travail, aux possibilitĂ©s accrues de mobilitĂ© et aux dynamiques d’individualisation contemporaines, affectaient les pratiques les plus intimes et les plus quotidiennes de domestication du temps et de l’espace. Nous voulions analyser comment les objets participaient de la construction identitaire et traiter les intĂ©rieurs domestiques comme fait social total, en empruntant la dĂ©marche propre Ă  Benjamin et Kracauer. Pour ce faire, nous avions conçu l’entretien comme une exploration de leur univers domestique. La consigne de dĂ©part Ă©tait : « Nous aimerions faire avec vous un voyage dans votre maison. Vous seriez notre guide ». Lors du voyage, les jeunes couples Ă©taient sollicitĂ©s Ă  nous raconter le processus de choix du logement et de l’ameublement en le mettant en relation avec leur vĂ©cu quotidien et leurs projets de vie.   

Au dĂ©but de notre recherche, en phase de rĂ©alisation des entretiens exploratoires, les images Ă©taient pour nous un simple support de mĂ©morisation, comme souvent dans des recherches en sciences sociales. Toutefois, nous nous sommes vite aperçus que leur rĂŽle pouvait devenir central. Les images pouvaient assumer plusieurs fonctions : jouer un rĂŽle dĂ©monstratif, constituer un moyen d’analyse et, enfin, contribuer utilement Ă  la restitution de la recherche, Ă  travers la rĂ©alisation d’un essai visuel.

Le langage synthétique des images.

Tout d’abord les images nous permettaient une grande Ă©conomie de moyens. Elles rendaient possible la condensation d’un grand nombre d’informations en peu d’espace. Les minutieuses descriptions de Perec, que nous aurions dĂ» multiplier par 20, pouvaient ĂȘtre concentrĂ©es, au bĂ©nĂ©fice du lecteur, dans des images Ă  la fois synthĂ©tiques et puissantes, un peu comme dans les recherches sur les logements ouvriers menĂ©es par l’architecte et sociologue Daniel Pinson (1992). Ce dernier a redessinĂ© chaque intĂ©rieur domestique analysĂ© pour sa recherche en plan, prospect et perspective, avec une prĂ©cision photographique. Ainsi faisant, la traditionnelle description ethnographique d’espaces et d’objets est rĂ©sumĂ©e dans une fiche conçue de telle sorte que chaque intĂ©rieur peut ĂȘtre aisĂ©ment comparĂ© aux autres. Il Ă©tait donc clair, dĂšs le dĂ©but, qu’à travers les images nous pourrions rendre aisĂ©ment compte d’un environnement sĂ©miotique complexe comme celui de la maison.

Les photographies se sont aussi tout de suite rĂ©vĂ©lĂ©es fondamentales pour une autre raison. Non seulement elles permettaient d’exprimer toute la richesse d’une rĂ©alitĂ© spatiale, mais aussi son atmosphĂšre, qui est difficile Ă  rendre autrement. A ce propos, dans le chapitre dĂ©diĂ© aux langages non verbaux de son Trattato di semiotica generale (1975), Umberto Eco, en se rĂ©fĂ©rant Ă  Ludwig Wittgenstein, conteste l’idĂ©e, rĂ©pandue parmi les sĂ©miologues, que le langage verbal serait un langage capable de tout signifier. Il rĂ©fute l’idĂ©e que chaque contenu exprimable par d’autres systĂšmes sĂ©miotiques non verbaux puisse ĂȘtre traduit en langage verbal. Pour Eco, mĂȘme s’il est vrai que la plupart des contenus non verbaux peuvent ĂȘtre exprimĂ©s par des paroles, de vastes parties d’entre eux ne sont pas traduisibles en langage verbal (1975, pp. 232-235).

Ce que les mots ne disent pas.

Les images permettaient aussi de saisir les Ă©carts entre les discours employĂ©s par les interviewĂ©s et la rĂ©alitĂ©. Ces Ă©carts sont dus en premier lieu aux difficultĂ©s de verbalisation. Comme on l’a pu constater, la dĂ©coration domestique fait partie de l’ordre du taken for granted, comme dirait Erving Goffman. « Cela va de soi », « j’ai toujours voulu faire comme ça » sont les rĂ©ponses des interviewĂ©s dans le cadre d’une enquĂȘte qui sondait les goĂ»ts et les nĂ©gociations des couples face Ă  la dĂ©coration domestique (Eleb, 2004). Dans le cadre de notre Ă©tude, les interviewĂ©s nous ont dit : « L’appartement est un peu comme tu le vois », « c’est un peu comme ça, une chose qui te vient naturellement ». Les stratĂ©gies de dĂ©coration sont souvent inconscientes. Étant intĂ©riorisĂ©es, elles Ă©chappent au registre verbal et sont prĂ©sentĂ©es, dans certains cas, comme le fruit de dispositions naturelles. Si, en effet, il y a une relation de circularitĂ© entre reprĂ©sentation discursive et reprĂ©sentation faite Ă  travers l’ameublement, en utilisant les photographies, il est possible de saisir ce qui, dans la trame du discours, reste elliptique.

A ce propos, une source d’inspiration a Ă©tĂ© le recueil de nouvelles de Raymond Carver What We Talk About When We Talk About Love (1981). Dans ces nouvelles, centrĂ©es sur la vie de couples de la classe moyenne amĂ©ricaine, la description de l’espace domestique et de ses objets n’est pas un simple support Ă  la narration. Elle constitue une composante active de l’histoire. Construit autour de la stratĂ©gie rhĂ©torique de l’ellipse, c’est-Ă -dire de l’omission d’un ou plusieurs Ă©lĂ©ments nĂ©cessaires Ă  la comprĂ©hension de l’histoire, le rĂ©cit reste toujours incomplet. C’est la simple description que Raymond Carver fait des piĂšces et des objets qui permet au lecteur de combler les lacunes laissĂ©es par l’intrigue et de deviner ce qui s’est passĂ©. Comme dans une recherche photographique sur l’espace du sĂ©jour rĂ©cemment publiĂ©e par la photographe et philosophe Hortense Soichet, menĂ©e dans des appartements du quartier de la Goutte d’Or Ă  Paris, les habitants ne sont jamais photographiĂ©s, mais toute leur vie transparaĂźt en filigrane. Tout leur univers Ă©merge « par mĂ©tonymie », comme nous le rappelle bien Paul Ardenne dans la prĂ©face, Ă  travers les objets et les configurations spatiales (Soichet 2011). De maniĂšre analogue, la recherche menĂ©e par une Ă©quipe de sociologues, anthropologues, psychologues et Ă©conomistes de l’UCLA en 2012 sur la vie domestique de trente-deux familles rĂ©sidant Ă  Los Angeles (Arnold, Graesch, Ragazzini, Ochs 2012) aurait Ă©tĂ© beaucoup moins fine et parlante sans la riche collection d’images, de cartes et d’infographies qui l’accompagnent. Ces images, rĂ©parties par thĂ©matiques (tolĂ©rance au dĂ©sordre, interaction entre membres du mĂ©nage, usage des piĂšces, rapport Ă  la nourriture, etc.) ont constituĂ© la base de donnĂ©es, Ă  cĂŽtĂ© d’autres donnĂ©es qualitatives et quantitatives classiques, d’une analyse trĂšs dĂ©taillĂ©e, conduite avec les mĂ©thodes propres Ă  l’ethnoarchĂ©ologie. Avec ce type de dĂ©marche, la culture matĂ©rielle propre Ă  la classe moyenne des États-Unis d’aujourd’hui est exprimĂ©e de maniĂšre immĂ©diate et en mĂȘme temps trĂšs pointue.

Dans notre recherche, les photographies ont Ă©tĂ© Ă©galement utiles comme moyen pour Ă©liminer de possibles ambiguĂŻtĂ©s. Il n’est pas rare, dans les publications de sciences sociales, de lire des descriptions d’espaces riches d’adjectifs qualificatifs à forte composante subjective. Dans son manuel d’anthropologie visuelle, John Collier nous livre l’exemple d’une recherche sur les logements insalubres (1967). Les chercheurs impliquĂ©s se sont rendu compte, durant le dĂ©roulement de la recherche, que leur dĂ©finition d’une habitation en bon ou en mauvais Ă©tat Ă©tait trĂšs variable selon la personne. Faire des photographies des maisons objets de l’enquĂȘte a permis de crĂ©er une grille de critĂšres communes pour s’entendre et pour poursuivre la recherche. « Qu’est-ce que vous entendez par
 ? » Parfois les images sont la maniĂšre la plus efficace pour rĂ©pondre Ă  cette question. Dans notre cas, les photographies permettent au lecteur de dĂ©sambiguĂŻser les mots que nous utilisons ou les apprĂ©ciations que nous faisons, comme lorsque nous parlons d’ordre et de dĂ©sordre, d’esthĂ©tisation du quotidien ou d’ambiance informelle.

Mise en scĂšne discursive et spatiale.

Last but not least, les photographies nous ont permis de saisir et ensuite de montrer les Ă©carts entre la reprĂ©sentation de soi-mĂȘme obtenue par le discours et celle provenant du dĂ©cor domestique. Pour notre recherche, nous avons optĂ© pour une posture goffmanienne. Nous avons abordĂ© la vie quotidienne en tant que reprĂ©sentation thĂ©ĂątralisĂ©e (Goffman 1959). Nous nous sommes donc intĂ©ressĂ©s Ă  la dialectique de la scĂšne et des coulisses. Les entretiens ont Ă©tĂ© analysĂ©s comme s’ils Ă©taient la construction d’un « roman de couple » et les piĂšces comme la « scĂšne spatiale » de ce roman (Eleb 2004). Nous avons pu constater qu’il y a effectivement une circularitĂ© entre les systĂšmes de reprĂ©sentation visuel et verbal, mais il est vrai aussi que les deux systĂšmes de reprĂ©sentation, celui des objets et celui sĂ©mantique, suivent des logiques autonomes, parfois incohĂ©rentes entre eux. Notre but n’était pas de vĂ©rifier, Ă  travers les images, la vĂ©racitĂ© des paroles recueillies, mais de mettre en relation ces diffĂ©rents modes de reprĂ©sentation de soi. À travers la confrontation entre deux systĂšmes sĂ©miotiques, nous avons pu comprendre que le meuble Ikea, trĂšs prĂ©sent dans les intĂ©rieurs, facilitait la restructuration continuelle de l’identitĂ© sociale Ă  travers les objets, en raison de la combinaison singuliĂšre qu’il offre entre prix limitĂ©, esthĂ©tique neutre et valeurs positives associĂ©es Ă  l’Europe du Nord. En mĂȘme temps, ce type de meuble, produit en masse, crĂ©e des problĂšmes dans la narration de soi, Ă©minemment centrĂ©e sur l’expression de sa propre individualitĂ©. Nous avons ainsi compris que les grammaires du goĂ»t se fondaient sur la quĂȘte d’unicitĂ© davantage que sur la valeur Ă©conomique des objets ou sur la maĂźtrise de normes du « bon goĂ»t » (voir plus loin).

Comment faire en sorte que des images soient des images sociologiques ? Comment Ă©viter de faire un usage impressionniste de la photographie ? C’est Ă  partir de ces deux questions que nous avons cherchĂ© des rĂ©ponses en analysant d’autres travaux scientifiques et artistiques. 

Des images esthétiques mais également sociologiques.

© Roberto Manuelli

Sans aucune hĂ©sitation, Howard Becker attribue au cĂ©lĂšbre ouvrage photographique de Walker Evans American Photographs (1938) un caractĂšre sociologique, tant pour l’objectif qu’il se donne (dresser un portrait de la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine) que pour la maniĂšre dont l’objectif est atteint. La photographie de Walker Evans diffĂšre du regard ordinaire. Elle revisite des rĂ©alitĂ©s anodines qui semblent aller de soi. MĂȘme si, par sa polysĂ©mie et ses ambivalences, l’ouvrage de Evans ne rĂ©pond pas aux critĂšres d’explicitation nĂ©cessaires pour qu’une production soit dĂ©finie comme scientifique, « le contenu des images, leur sĂ©quençage, leur caractĂšre rĂ©pĂ©titif, les variations sur un petit nombre de thĂšmes » (Becker 2007, p. 204) font Ă©galement de cette Ɠuvre un essai de sociologie visuelle. L’observateur attentif est amenĂ©, en se contentant de regarder des images qui lui offrent une reprĂ©sentation trĂšs concrĂšte de la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine, vers des questions plus abstraites. On peut par exemple voir une subjectivitĂ© typiquement urbaine se dĂ©gager dans la multitude de portraits d’habitants de grandes villes exprimant de la mĂ©fiance, prĂ©sentĂ©s successivement et mis en relation avec des portraits de gens de la campagne. Les images d’Evans nous conduisent, presque en nous prenant par la main, vers de rĂ©flexions analogues Ă  celles de Simmel sur la vie urbaine et sa subjectivitĂ© spĂ©cifique (1903).

Des images comparables entre elles.

Pour notre recherche sur les intĂ©rieurs, nous nous sommes questionnĂ©s sur les conditions Ă  remplir pour que nos images puissent ĂȘtre sociologiques dans le mĂȘme sens que celles d’Evans. Nous avons pensĂ© que l’une des maniĂšres possibles, particuliĂšrement adaptĂ©e Ă  notre objectif de recherche, consistait Ă  rendre les logements photographiĂ©s comparables entre eux. Pour ce faire, chaque piĂšce de chaque intĂ©rieur a Ă©tĂ© photographiĂ© selon un mĂȘme point de vue : tant frontalement que selon un cadre prospectif structurĂ© par les diagonales principales. Le type de point de vue choisi et l’utilisation d’un grand angle ont rendu possible une vision de chaque piĂšce dans son intĂ©gralitĂ©. Cela permet, au chercheur comme au lecteur, de procĂ©der simultanĂ©ment Ă  de multiples analyses, notamment celle des objets pris singuliĂšrement et celle de la relation que les objets entretiennent entre eux Ă  travers leur disposition. On peut Ă©valuer aisĂ©ment les rapports entre objets, du point de vue de la syntaxe formelle comme de la syntaxe structurelle. La syntaxe formelle a trait aux rĂšgles d’association sur la base du style. La syntaxe structurelle concerne les rĂšgles d’association sur la base de l’usage et de l’organisation spatiale. En croisant les photographies et les entretiens, il est possible de voir comment une configuration spatiale spĂ©cifique et une configuration sociale gĂ©nĂ©rale se relient entre elles. A ce propos nous avons pu remarquer que l’organisation du sĂ©jour Ă©tait dĂ©structurĂ©e en comparaison avec celle de la maison bourgeoise traditionnelle allant jusqu’aux annĂ©es 1970. Nous avons parlĂ© de perte du centre, une perte qui, comme nous le dĂ©montrons, est Ă  la fois existentielle (Rampazi 2014) et esthĂ©tique (Sartoretti 2016). Dans la juxtaposition d’une pluralitĂ© de styles diffĂ©rents ou encore dans le dĂ©cor Ă©phĂ©mĂšre nous avons lu jusqu’à quel point la pluralitĂ© des mondes vĂ©cus des jeunes gĂ©nĂ©rations, mise en Ă©vidence par les sociologues de la famille et du travail, touche Ă  toutes les sphĂšres de l’existence, avec sa volontĂ© de ne pas hypothĂ©quer le futur et de faire coexister toutes les possibilitĂ©s en mĂȘme temps. 

Enfin, on peut Ă©valuer les absences, qui sont aussi Ă©loquentes que les prĂ©sences. Par exemple, en Ă©tudiant le matĂ©riel photographique, nous nous sommes aperçus que la tĂ©lĂ©vision est dans plusieurs cas absente des maisons et donc qu’elle n’est plus l’élĂ©ment structurant du sĂ©jour, dans son double rĂŽle de centre Ă  la fois symbolique et fonctionnel, pour les pratiques de loisirs.

Nous avons mis les photographies les unes Ă  cĂŽtĂ© des autres pour faire ressortir de maniĂšre immĂ©diate les diffĂ©rences mais aussi les similaritĂ©s qui se cachent dans l’apparente hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des intĂ©rieurs. En ce sens, notre travail rappelle le projet Exactitudes (contraction des deux mots exact et attitudes) des photographes Ars Versluis et Elly Uittenbroek, dont la posture, comme celle de Walker Evans, est sociologique. Au lieu de se concentrer sur l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© et le multiculturalisme de la vie urbaine, les deux photographes de Rotterdam ont cherchĂ© les similaritĂ©s entre les personnes rencontrĂ©es dans la rue qu’ils ont successivement photographiĂ© sur fond blanc. Probablement les sujets photographiĂ©s ont-ils choisi leurs vĂȘtements pour exprimer leur individualitĂ©. Cependant, le rĂ©sultat est d’un grand conformisme. Les images sont ainsi agencĂ©es pour permettre au lecteur d’y reconnaitre des subcultures et des « tribus urbaines » trĂšs homogĂšnes. Ce travail peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme la version artistique des rĂ©flexions du sociologue Paul de Beer, selon lequel l’individualisation contemporaine doit ĂȘtre davantage interprĂ©tĂ©e comme un changement dans les inputs plus que dans les outputs du choix de style de vie (Jacobs 2016, pp. 49-51). Dans notre cas, nous avons pu saisir Ă  cet Ă©gard une contradiction que les photographies expriment de maniĂšre immĂ©diate, encore plus que les paroles, Ă  travers leur contenu, leur titre et leur agencement. D’un cĂŽtĂ©, la grande hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© de styles dont les intĂ©rieurs font preuve montre une fragmentation des pratiques de consommation, qui suggĂšre une lecture post-moderne des comportements d’achat. Cependant, d’un autre cĂŽtĂ©, si l’on divise les images en choisissant des thĂ©matiques (prĂ©sence/absence de certains types d’objets ou des motifs esthĂ©tiques, organisation des piĂšces
) on peut lire certaines tendances communes. Ces tendances nous conduisent Ă  penser qu’il y a, au-delĂ  de la grande diversitĂ© apparente et comme l’écrivait Bourdieu (2000), une concentration et une monopolisation de styles de vie considĂ©rĂ©s « lĂ©gitimes » qui a pour contrepartie le discrĂ©dit des modes de vie considĂ©rĂ©s comme « diffĂ©rents ».

Des images goffmaniennes.

Notre maniĂšre de reprĂ©senter les intĂ©rieurs s’est rĂ©vĂ©lĂ©e aussi pertinente pour notre lecture goffmanienne de l’espace domestique, centrĂ©e sur les logiques de mise en scĂšne. Les piĂšces ont Ă©tĂ© photographiĂ©es comme des vĂ©ritables scĂšnes de thĂ©Ăątre Ă  l’italienne. Les couples interviewĂ©s avaient Ă©tĂ© prĂ©alablement prĂ©venus que les photos de leur logement seraient publiĂ©es. Comment ont-ils alors organisĂ© leur mise en scĂšne ? Nous avons pu observer, dans les piĂšces consacrĂ©es Ă  la rĂ©ception des invitĂ©s, une certaine permĂ©abilitĂ© du quotidien domestique au regard extĂ©rieur et un certain degrĂ© d’informalitĂ© qui marque les pratiques de rĂ©ception et influe sur l’idĂ©e de respectabilitĂ©. Nous avons aussi pu avancer l’idĂ©e que cette informalitĂ© est construite et esthĂ©tisante, comme celle montrĂ©e par certaines cĂ©lĂšbres revues de dĂ©coration contemporaines et Ă©missions tĂ©lĂ©visĂ©es.

L’idĂ©e d’utiliser la photographie pour appuyer notre regard goffmanien sur les intĂ©rieurs a Ă©tĂ© reprise d’un travail du sociologue et photographe Charles Suchar, qui pousse cette mĂȘme idĂ©e au-delĂ  de ce que nous avons fait. Dans un quartier de Chicago, Suchar a menĂ© une recherche sur la gentrification en utilisant la mĂ©thode de la photo-elicitation (1992) [en anglais elicit signifie susciter, dĂ©clencher, induire]. Au lieu de se focaliser sur l’espace public, comme le font toujours ce type de recherches, Suchar a dĂ©cidĂ© de lire la gentrification Ă  partir des espaces domestiques. Il a demandĂ© aux interviewĂ©s de choisir une piĂšce dans leur maison oĂč ils voulaient ĂȘtre photographiĂ©s et de choisir des objets significatifs Ă  faire paraĂźtre dans les images. Suchar a donc demandĂ© aux sujets choisis pour sa recherche de se mettre consciemment en scĂšne. Ensuite, il a commentĂ© avec eux leur choix de reprĂ©sentation. Cette mĂ©thode lui a permis de mettre en relation le processus d’appropriation de l’espace domestique et l’assimilation ou la rĂ©interprĂ©tation des modĂšles visuels, qui sont l’expression de styles de vie plus englobants. En dĂ©finitive, Suchar a pu voir les icones qui se cachent derriĂšre la gentrification et le type de culture matĂ©rielle qui l’accompagne.

La valeur scientifique d’une dĂ©marche esthĂ©tique.

 Durant les colloques oĂč nous avons rendu compte de notre recherche, on nous a parfois reprochĂ© d’avoir produit des images esthĂ©tisantes. Pourtant, le traitement des photographies a Ă©tĂ© limitĂ© Ă  la correction des erreurs optiques dues Ă  l’utilisation du grand-angle, et des couleurs, en raison des conditions d’éclairage qui rendaient parfois difficile l’accĂšs aux images. Les photographies rĂ©alisĂ©es sont belles Ă  voir, tout simplement car elles sont prises avec une trĂšs bonne maĂźtrise technique. L’un des grands dĂ©bats en sociologie visuelle est : les images doivent-elles ĂȘtre belles ? À la suite de cette recherche et de l’expĂ©rience accumulĂ©e d’enseignement en mĂ©thodes d’analyse visuelle avec des Ă©tudiants en architecture, notre rĂ©ponse est que les techniques photographiques doivent ĂȘtre maitrisĂ©es si l’on veut rĂ©ussir Ă  saisir la rĂ©alitĂ© et Ă  exprimer ses propres idĂ©es, au mĂȘme titre qu’il y a des techniques qu’il vaut mieux maĂźtriser si l’on veut Ă©crire un texte [2]. Plus gĂ©nĂ©ralement, nous sommes convaincus qu’un travail relevant de l’esthĂ©tique peut ĂȘtre utile dans l’avancement de la connaissance du monde social autant qu’un travail d’ordre scientifique (LĂ©vy, Sartoretti 2018). C’est pour cette raison que, dans notre propre dĂ©marche de rĂ©flexion et dans cet article, nous avons mis en dialogue notre travail photographique avec d’autres travaux, sans se soucier de savoir s’ils seraient Ă©tiquetĂ©s comme artistiques ou au contraire scientifiques.

Ajoutons que fabriquer de bonnes images est un Ă©lĂ©ment nĂ©cessaire mais non suffisant pour faire de la sociologie (Harper 2012). C’est pour cela qu’en utilisant la sensibilitĂ© Ă  l’image qui nous est propre, en tant qu’architectes, nous avons dĂ©cidĂ© de prendre le contrepied de la culture architecturale. Cette culture se fonde sur un usage de la photographie qui rĂ©pond le plus souvent Ă  l’impĂ©ratif de produire des belles images en choisissant des sujets et en suivant des rĂšgles compositionnelles clichĂ©s, sans adopter une posture rĂ©flexive par rapport aux choix. La prise de photographies, dans le domaine architectural, s’accompagne rarement d’une rĂ©flexion prĂ©alable d’ordre Ă©pistĂ©mologique et sĂ©miotique et d’une analyse plus spĂ©cifiquement sociologique, visant Ă  faire Ă©merger les nombreuses taken for granted dans les maniĂšres de voir la rĂ©alitĂ© et de la reprĂ©senter (Rose 2001). C’est cette posture rĂ©flexive qui permet d’opĂ©rer la distinction entre un travail photographique d’ordre sociologique et un travail qui ne l’est pas, mĂȘme quand tous deux rĂ©pondent Ă  des critĂšres propres Ă  la production esthĂ©tique.

Quelques réflexions conclusives.

© Roberto Manuelli

La photographie, encore souvent relĂ©guĂ©e au statut de simple support de la mĂ©moire ou utilisĂ©e de maniĂšre illustrative pour embellir un livre ou un exposĂ©, s’est rĂ©vĂ©lĂ©e dans le cas de notre recherche un vĂ©ritable outil de pensĂ©e. Tout d’abord, grĂące Ă  leur valeur descriptive remarquable, les images photographiques ont offert un moyen d’expression trĂšs puissant, qui a permis de condenser un nombre d’informations trĂšs Ă©levĂ©. Parmi ces informations, on trouve la restitution de l’atmosphĂšre, qui Ă©tait pour nous trĂšs difficile Ă  transmettre par les mots. Ensuite, la photographie nous a aidĂ© Ă  saisir, lors des entretiens, les Ă©carts entre l’univers du visuel et l’univers des mots, qui vĂ©hiculent parfois des messages incohĂ©rents entre eux. À ce propos, nous avons remarquĂ© que, dans la reprĂ©sentation de soi, les systĂšmes sĂ©miotiques verbal et visuel entretiennent entre eux les relations suivantes : renforcement mutuel (le contenu vĂ©hiculĂ© est le mĂȘme), complĂ©mentaritĂ© (l’un des deux systĂšmes ajoute des Ă©lĂ©ments de contenu sans contredire l’autre) ou incohĂ©rence (le contenu vĂ©hiculĂ© par un systĂšme est en contradiction avec celui vĂ©hiculĂ© par l’autre).

En outre, en choisissant bien le contenu, le sĂ©quençage et les titres, nous avons crĂ©Ă©, avec les photographies, un essai sociologique, avec une composante ethnographique mais aussi une ambition conceptuelle. À ce propos nous avons montrĂ© comment, Ă  partir des photographies, nous sommes parvenus Ă  Ă©clairer et Ă  expliciter des concepts, mĂȘme trĂšs abstraits. De plus, la photographie nous a permis de faire Ɠuvre de clarification de mots et de concepts utilisĂ©s dans le texte de recherche. Enfin, nous avons montrĂ© que, grĂące Ă  la forte polysĂ©mie inscrite dans notre travail photographique, il est possible, pour le lecteur, d’aller au-delĂ  des grilles d’analyse imaginĂ©es par le chercheur qui les a rĂ©alisĂ©es. Plus gĂ©nĂ©ralement, nous pensons que, mĂȘme si elle n’est pas acceptĂ©e par les procĂ©dures standard de validation scientifique, l’intersection entre langages verbaux et non verbaux aussi bien qu’entre mĂ©thodes diffĂ©rentes de connaissance du monde social, « artistiques » d’un cĂŽtĂ© et « scientifiques » de l’autre, ne peut qu’ĂȘtre un enrichissement pour la production de connaissances (LĂ©vy, Sartoretti 2018).

Abstract

How to produce a photographic essay with an esthetic, but also scientific, value? This is the starting point of our research on domestic interiors. By using photography as a method of analysis and at the same time communication, we wanted to explore links between furniture and great contemporary social issues, such as fragmentation of biographies, increasing mobilities, expanding possibilities of choice and ethic of individual performance. This article focuses on methodological choices regarding the use of photograph (comparability, neutrality of the point of view
) to create sociological images.

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Notes

[1]   La thĂšse, d’Irene Sartoretti, dont le titre est « La costruzione della domesticitĂ . L’esperienza di giovani coppie metropolitane di classe medio-alta » a Ă©tĂ© soutenue auprĂšs de la Scuola Normale Superiore di Pisa en 2015. La partie photographique a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e par Roberto Manuelli.

[2] Howard Becker montre que les films anthropologiques qui, dans le souci de vérité, évacuent les techniques propres aux travaux cinématographiques sont souvent incompréhensibles (2007).

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