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Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

Les Mobility Biographies Research et les Travel Socialization Studies sous le regard de la sociologie de la socialisation : vers l’examen de la production sociale des choix de mobilité spatiale.

1. Un réexamen de l’articulation entre trajectoire biographique et mobilité spatiale.

Le thème des changements de pratiques de mobilité spatiale au fil des trajectoires biographiques constitue une part importante des recherches menées aujourd’hui dans les domaines de la socio-économie, de la géographie sociale ou, encore, de la psychologie des transports [1]

L’examen de ces transitions et de ce qu’elles peuvent recouvrir dans l’expérience vécue quotidiennement par les individus, au point parfois de les voir renoncer à une pratique dominante telle que l’usage d’une voiture personnelle, constitue l’un des objectifs que nous nous sommes donnés au sein de l’ANR Motifs de démotorisation des ménages urbains (ANR Mode) en suivant les trajectoires biographiques de personnes ayant renoncé, partiellement ou totalement, à l’usage ou à la possession d’une voiture (Cacciari, Belton-Chevallier 2020).

Afin de préparer l’enquête de terrain de ce projet de recherche nous avons réalisé un travail bibliographique qui avait pour objectif d’identifier la manière dont les sciences humaines et sociales ou les transports studies, abordaient et restituaient ces transitions.

L’un des résultats notables de cet état de la littérature est que l’examen des choix de mobilités au fil des trajectoires biographiques a fait l’objet d’un certain renouvellement depuis une vingtaine d’années, après une première période de recherche à la fin des années 1980. Ce renouvellement est surtout visible dans la littérature anglo-saxonne. Il commence néanmoins à gagner le monde francophone des recherches sur les pratiques de mobilité spatiale [2]. Deux approches ou courants présentant une certaine unité ont grandement contribué à ce renouvellement : les Mobility Biographies Research (MBR) et les Travel Socialization Studies (TSS).

  L’objectif de cet article est de présenter les grandes lignes de ces deux courants puis de soumettre leurs méthodes, leurs notions centrales et certains de leurs résultats à la discussion. Il s’agira ensuite d’en tirer matière pour de futures recherches dans le domaine de la mobilité spatiale. Le point de vue qui sera adopté pour cela est celui de la sociologie de la socialisation. Il s’agit d’une approche légitime pour cette discussion tant la place accordée à la notion de socialisation est devenue importante dans la littérature étudiée.

La discussion se déroulera en deux temps. La première partie de l’article discutera les contributions et notions centralement défendues par les travaux se réclamant des Mobility Biographies Research ou des Travel Socialization Studies. On cherchera par-là à mettre en évidence ce que ces contributions disent des choix de mobilités des ménages, leurs apports et limites. La seconde partie de l’article permettra de réexaminer les résultats de ces recherches et le point de vue qu’elles adoptent généralement sur la mobilité spatiale au prisme de la sociologie de la socialisation.

1.1. Méthode et matériaux : une enquête sur des enquêtes.

L’enquête bibliographique dont rend compte cet article s’est principalement concentrée sur une cinquantaine de contributions scientifiques publiées des années 1990 à 2018 par des auteur.es adoptant l’une ou l’autre des orientations mentionnées ci-dessus, croisant parfois les deux. Ces articles ont été sélectionnés à partir de la procédure suivante.

Dans un premier temps, il s’est agi d’opérer une consultation exhaustive d’articles sur des plateformes rassemblant des revues scientifiques anglo-saxonnes et françaises. Les articles retenus l’ont été à partir d’une sélection de mots clés liés aux thèmes des choix de mobilité et à l’examen des biographies : travel behaviour ; mobility ; mobility biography ; mobility or travel socialization ; modal split (pour prendre quelques exemples en langue anglaise). Après un long examen des corpus suggérés avec différentes combinaisons de mots clés, cette opération a permis de repérer par recoupement les articles les plus cités ou les plus discutés ainsi que quelques états de la littérature déjà établis sur le sujet. 

On a identifié dans un deuxième temps les textes qui semblaient faire autorité dans le domaine, au sens où leur présence s’avérait quasi-incontournable dans les bibliographies des autres articles du corpus. Si le nombre de textes retenus est finalement de cinquante, c’est parce que ces publications-là peuvent, après réduction, être considérées comme des références centrales des deux courants de recherches qu’on cherche à analyser ici.

L’examen interne de ce corpus a été réalisé sur le modèle d’un travail de critique des sources, inspiré par la méthode historienne. Il a en effet semblé pertinent de procéder à une critique de provenance et de portée des articles, puis à une lecture interne des matériaux, des méthodes argumentatives et des contextes de publications des textes retenus. L’objectif était alors de circonscrire les périmètres de validité et de discussion des publications afin de ne pas comparer sans nuance des contributions différentes, autour de questions telles que : s’agit-il d’un texte à prétention scientifique, d’aide à la décision publique, de vulgarisation ? À qui semblent parler les auteur.es ? Concernant les arguments des articles retenus, ils ont été examinés au prisme d’un questionnement portant sur les manières dont les événements biographiques et les choix des enquêté.es ont été définis, étudiés, analysés dans les textes retenus. Ce questionnement s’est aussi porté sur la manière dont ces biographies de mobilité spatiale étaient restituées.

  1. De la première à la deuxième vague de recherches sur les biographies de mobilité spatiale ou la « révolution » inachevée.

C’est à travers ce mode de sélection qu’un domaine de la littérature examinée lors de l’enquête bibliographique a été identifié, ayant trait à une tentative d’approfondissement de la compréhension des tournants biographiques et de leurs effets sur les pratiques de mobilité. Par l’expression de tournants biographiques, la littérature sociologique entend généralement des changements non anticipés (par les individus : séparation, licenciement, par exemple Bessin et al. 2010b, p.7-9). Mais l’absence d’anticipation semble également liée à des expériences non encore éprouvées par les enquêté.es : arrivée d’un enfant, relocalisation dans un espace inconnu. 

Ce questionnement sur les tournants biographiques a participé au renouvellement qui se dessine depuis une vingtaine d’années dans les recherches s’intéressant aux conduites de mobilité spatiale à la suite des travaux précurseurs de Ilan Salomon et Moshe Ben-Akiva (1983). Il s’agit de deux auteurs que l’on peut considérer comme ceux ayant réalisé une première rupture dans le domaine de la mobilité principalement parce qu’ils ont opéré un passage d’une analyse centrée sur les capacités d’infrastructure de transports, leur disponibilité ainsi que leur attractivité économique vers un questionnement sur les pratiques de mobilité, de leur apprentissage à l’examen de leur variabilité au cours des trajectoires biographiques.

Ce n’est que récemment que cette perspective est revenue au premier plan dans la littérature liée au transport et à la mobilité, en langue anglaise et allemande principalement. Cette réactualisation a peut-être à voir avec les préoccupations publiques relatives à la transition écologique et, aussi, il s’agit d’une hypothèse à ce stade, à la transformation de la place des transports publics dans les modes de vie sous l’effet du large mouvement mondial d’urbanisation, plus que jamais consacré en ce début du XXIe siècle.

Au cœur de ce mouvement deux approches – ou courants – semblent avoir émergé avec une certaine unité thématique et un corpus partagé de pratiques et d’emprunts scientifiques qui ont prétendu prolonger le geste de Salomon (1983) et Ben-Akiva (Salomon, Ben-Akiva 1983) pour renouveler le regard sur les choix de mobilités des ménages tout au long de leur existence : les Mobility Biographies Research (Jensen 1999 ; Lanzendorf 2003 ; Müggenburg et al. 2015 ; Chatterjee, Scheiner 2015) et les Travel Socialization Studies (par exemple : Baslington 2007 2008). Ce sont ces deux courants qui seront discutés de manière exclusive dans cet article qui ne prétend pas embrasser toute la littérature sur les transports et la mobilité dans un format si court.

On peut séparer schématiquement ces travaux en deux nouvelles vagues, la deuxième et la troisième, donc, après une première vague dont les représentants sont Salomon et Ben-Akiva. Dans les faits, cependant, ces deux vagues récentes se chevauchent. La deuxième vague, celle de la redécouverte de l’intérêt pour la méthode biographique à l’égard des pratiques de mobilité, recouvre essentiellement la période allant du début des années 2000 aux années 2010. Il s’agissait surtout pour les auteur.es s’y inscrivant d’actualiser l’idée de biographies de mobilité dans de nouveaux contextes, notamment ceux des impératifs de transition écologique et énergétique.

La troisième vague de recherches identifiée démarre, elle, à la fin des années 2010 dans le sillage des travaux de Baslington (Ibid.). Elle s’affirme cependant après l’année 2015, avec des articles qui tendent à s’appuyer, de plus en plus fréquemment, même chez les auteur.es issu.es de la deuxième vague, sur la notion de socialisation.

2.1. Un déplacement du regard sur les mobilités spatiales encore parcimonieux. 

Les enquêtes de Mobility Biographies Research et de Travel Socialization Studies partagent l’objectif de vouloir documenter, à différentes échelles d’observation, les dynamiques d’apprentissage et de changement de pratique des individus en matière de mobilités spatiales au fil de leur histoire.

Par exemple, les recherches se réclamant de l’une ou l’autre de ces orientations examinent les effets du cycle de vie, de l’appartenance générationnelle, du genre, de la localisation (Scheiner 2007 ; Scheiner, Holz-Rau 2013 ; Clark, Chatterjee, Melia 2016, Gilow 2019) et de la morphologie des foyers sur les choix de mobilité (Greene, Rau 2016). Un autre de leur objectif est parfois d’accompagner la décision publique en éclairant les possibles effets de telle ou telle décision sur les pratiques de mobilités des ménages.

Concernant spécifiquement l’approche des biographies de mobilité, on peut résumer son intention en disant qu’elle a pour objectif de mettre en exergue l’importance prépondérante de certaines étapes et de certains événements du parcours de vie sur d’autres pour entraîner la recomposition des pratiques de mobilité des ménages (Lanzendorf 2010).

 Lors de son apparition au début des années 2000 (Lanzendorf 2003), cette approche a proposé alors une certaine rupture avec celles organisées autour de l’idée du choix rationnel sous contrainte d’information. Ainsi, avec l’idée de « biographie de la mobilité », les chercheurs de ce courant se réfèrent à l’ensemble de la trajectoire longitudinale dans le domaine de la mobilité d’une personne et supposent que certains événements dans ces trajectoires influencent les choix en la matière (Ibid., p.10)

En 2017, dans une synthèse des recherches passées, Joachim Scheiner a résumé les trois points clés des MBR qui découlent de ces deux idées :

« « (1) les habitudes, qui se reflètent dans le caractère routinier de l’action quotidienne (les déplacements), entraînant une forte stabilité comportementale sur une longue période ; (2) les relations étroites entre les biographies de mobilité individuelle et d’autres domaines du parcours de vie ; (3) les changements significatifs dans la mobilité qui sont motivés par des transitions, des événements et des processus d’apprentissage au cours de la biographie d’un individu, et des ruptures dans les routines. » (2017, p. 388).

       Si l’approche longitudinale est au centre des recherches sur les biographies de mobilité entendues en ce sens dès les premières années d’émergence de ce courant, le format des enquêtes a rapidement conduit à identifier de manière privilégiée le poids différentiel de quelques événements intervenant, de manière probabiliste, dans telle ou telle décision de mobilité. Ces résultats peuvent tendre vers la formulation de prédictions en guise de résultat. Concernant celles-ci, il s’agit pour les auteur.es de ce courant de mettre centralement en avant les interactions ou la covariance constatée dans leurs enquêtes entre les événements clés et des choix de mobilité. Le schéma ci-dessous, tiré d’un article récent retraçant les « avancées » dans le domaine, montre comment, à partir de données chiffrées principalement, les auteur.es de ce courant déduisent de telles interactions.

Figure 1. L’« interaction » entre les Keys Events d’après les MBR (Müggenburg et al 2015 p. 151-163).

Avec ces quelques illustrations, il est possible d’observer que les recherches dans le domaine des biographies de mobilité de la deuxième vague se structurent surtout autour de l’idée que certains événements, au fil de la biographie des ménages, ont plus d’incidence que d’autres sur leur choix de mobilité. Une notion rend raison de ce fait : celle d’événement clé.

 Dans la littérature examinée, un événement de la vie se transforme en événement clé s’il a un sens significatif pour l’individu et participe à une réévaluation de son comportement de mobilité susceptible d’entraîner un changement de pratique (Müggenburg et al. op. cit.).

Les événements clés peuvent non seulement être des événements ordinaires de la vie, en un sens dérivé de la psychologie individuelle, mais aussi des interventions exogènes (comme les politiques de transports) structurant la mobilité à long terme pour la population d’un territoire donné. Ainsi des événements, des reconfigurations sociales ou économiques dans les parcours ou des interventions de l’État peuvent être envisagés comme événements clés, en fonction du point de vue adopté par l’enquêteur (Ibid.).

Dans les enquêtes du courant portant sur les biographies de mobilité, la mise en évidence des événements clés est la plupart du temps appuyée sur des données chiffrées, issues de panels ou pseudo-panels, ainsi que de petites séries d’entretiens (Shoenduwe et al. 2015 ; Müggenburg et al. 2015). Néanmoins, les données chiffrées sont dominantes. Ainsi, un état de l’art recensant les articles « importants » adoptant la notion d’événements clés (Müggenburg et al. 2015) permet de repérer que seul trois articles sur vingt-un parmi les plus citées (en 2015) utilisent des données issues d’entretiens directs avec des ménages et encore pas à titre principal.

Peut-être est-ce la raison pour laquelle les résultats de cette littérature ont tenu essentiellement à mettre en avant une liste de plus en plus conséquente (jusqu’à 90 !) d’événements clés ou d’interactions typiques entre des événements influençant, de près ou de loin, les changements dans les pratiques de mobilité spatiale et, surtout, celles liées aux activités productives et consommatrices. 

Bien que le ton des articles sur les événements clés soit celui d’un consensus apparent, il existe néanmoins un semblant de discussion et de dispute scientifique entre les auteur.es. L’un des débats consiste à déterminer si les conduites de mobilité sont influencées principalement par des éléments objectifs, comme l’environnement socio-économique ou par des critères subjectifs comme le style de vie (Holz-Rau, Scheiner 2007 ; Klinger, Lanzendorf 2016). Cette discussion est encore en cours, comme on le verra plus bas.

Quoi qu’il en soit, l’affirmation de la deuxième vague des études sur les biographies de mobilité est indéniablement un progrès pour qui veut comprendre les choix de mobilité des individus à travers le temps. Cette approche, qui n’est en soi pas nouvelle si l’on se réfère à d’autres domaines d’enquête des sciences humaines et sociales, permet de remettre sur le devant de la scène scientifique s’intéressant aux transports et à la mobilité, dominée largement par l’ingénierie et la socio-économie des transports, l’idée que l’histoire compte et que les individus, s’ils font en partie l’histoire, ne la font pas dans des conditions déterminées — entièrement — par eux. Cette approche a depuis essaimé au-delà des sciences humaines et sociales ou des Transports Studies.

Néanmoins, on voudrait montrer dans ce qui suit comment la littérature portant sur les biographies de mobilité s’est progressivement confrontée à quatre écueils limitant la production de connaissances nouvelles ou réflexives sur la mobilité spatiale, puis comment elle a tenté de sortir de l’impasse à travers la mobilisation de la notion de socialisation, inspirée d’abord de la psychologie sociale, puis, plus récemment, de la sociologie.

Les critiques que l’on formulera ci-après ressortent d’un point de vue sociologique, rattachement disciplinaire de l’auteur de cet article. Des critiques à caractère technique, liées par exemple aux modèles statistiques retenus dans ces recherches, auraient pu également être formulées. Elles n’entraient cependant pas directement en lien avec l’objet de la recherche ayant motivé cet examen des articles rattachés au courant des biographies de mobilités. C’est pourquoi les commentaires s’appuieront essentiellement sur des problèmes d’interprétation des variables. Ils sont présentés ci-dessous à partir d’un raisonnement par étape. 

2.1.1. Une routinisation des variables des enquêtes.

La première critique porte moins sur le concept d’événement clé que sur l’architecture des enquêtes examinées qui s’y référent. Celles-ci présentent une forte routinisation de leurs catégories d’analyse. Ainsi, la signification en contexte des variables socio-économiques (profession, âge, génération, genre, ménage) n’est que rarement interrogée, ce qui ne permet pas d’éclaircir leurs effets réels et certainement inégaux des événements clés sur et dans l’expérience des individus. Les auteur.es du domaine se répondent en fait souvent et semblent chercher à raffiner les outils de mesure des interactions entre les événements clés ou variables plus que la compréhension de ce qui est effectivement mesuré.

Or, les variables sociodémographiques font depuis longtemps l’objet d’un examen critique quant à leur poids réel dans le présent des ménages. Qu’on pense aux enquêtes sur la notion de mobilité sociale qui montrent, en s’inspirant notamment de la sociologie de l’espace social de Pierre Bourdieu, qu’une appartenance catégorielle n’exerce des effets, est agissante, uniquement dans un contexte donné et que ce pouvoir agissant doit également à la trajectoire biographique de l’enquêté.e (Savage 2007 ; Sinthon 2018). Il en va ainsi de la variable de genre qui est souvent posée assez grossièrement par les recherches portant sur les biographies de mobilités, comme dans cet extrait d’un article de Lanzendorf (2010) :

«  Les entretiens ont révélé quatre types de raisonnement de la part des mères qui n’ont pas augmenté leur utilisation de la voiture après l’accouchement : économique, biographique, lié au rôle des sexes et émotionnel lié à certains modes de déplacement, en particulier la bicyclette. » (p. 290)

Dans cette citation et l’article dont elle est tirée, celui qui est l’un des chercheurs phares du domaine des biographies de mobilité ne contextualise pas ce qu’il entend par rôle orienté par le genre ainsi que les dimensions économique ou affective qu’il induit en contexte. On pourrait quand même imaginer qu’être une personne genrée féminine, mais sans capital économique ou culturel n’est pas équivalent au fait d’être une personne genrée féminine exerçant la profession de ministre des Transports.

Cette routinisation des catégories d’analyse entraîne finalement une cécité que l’on peut qualifier de sociologique sur des variables alors cachées [3]. Un autre exemple pour prolonger cette idée. Deux personnes de genre féminin équivalentes du point de vue des variables conventionnelles comme la profession, la taille de leur ménage, leur niveau de revenu, peuvent se distinguer en fonction de caractéristiques telles que la génération de naissance, l’origine sociale, le lieu de résidence et aussi l’effet de leur trajectoire sociale. Cette variabilité intra-catégorielle manque certainement à l’analyse des recherches portant sur les biographies de mobilité de la deuxième vague.

De même, on ne peut exclure qu’une seule et même personne d’un genre donné puisse avoir des pratiques des mobilités spatiales différentes en fonction des contextes dans lesquels elle agit, parce que les paramètres de ces contextes peuvent varier parfois fortement (type de relation sociale ou de rôle sociaux, variation saisonnière, type d’activité, nécessité ou non de coordination avec autrui, etc.), y compris au sein d’une même journée. En résumé de ce dernier constat, il semble manquer aux enquêtes examinées du courant des biographies de mobilité un regard sur la variabilité individuelle des pratiques, au présent et au fil de l’histoire biographique.

2.1.2. L’omission du caractère relationnel des mobilités.

La deuxième critique découle de la précédente. Du fait de l’utilisation routinisée de variables dans le sens défini ci-dessus, la littérature examinée produit des effets d’homologie entre plusieurs phénomènes relevant en réalité de mécanismes ou de domaines sociaux différents.

Par exemple, les modes de déplacement sont assez régulièrement traités sur le même plan avec une opposition se résumant, à gros traits, entre transports en commun et modes appuyés sur la force humaine versus véhicule individuel disposant d’un moteur à explosion (voiture, moto). Quand ce n’est pas le cas, le réductionnisme en variables synthétiques l’emporte toujours finalement pour cloisonner les modes de déplacement. On peut résumer cette idée en affirmant que dans le cadre des enquêtes sur les mobilités biographiques de la deuxième vague, le passage de la motorisation à la démotorisation, le fait de passer du train au métro ou au vélo relève de processus essentiellement mécaniques et liés à la présence d’alternatives au mode privilégié ou à la déstructuration d’habitudes de mobilité antérieurement acquises.

Mais le passage d’un mode à l’autre n’engage pas seulement des habitudes de vie où la présence d’alternatives à un mode jusqu’alors privilégié par l’enquêté.e. Il implique aussi un ensemble de relations sociales voire de modalité d’appartenance sociale.  

C’est ce qu’a par exemple montré David Sayagh dans sa thèse sur la pratique du vélo au sein de la population adolescente (2018). Cette pratique et son apprentissage n’apparaissent pas seulement comme un mode de déplacement. Il s’agit d’une modalité de mobilité dans le sens où elle engage les appartenances et les propriétés sociales effectives et agissantes des enquêté.es. Sayagh explique que c’est ce qui tend à réduire la probabilité d’apprentissage précoce du vélo chez les jeunes femmes de confession musulmane relève d’une logique principalement interactionnelle. Il semble en effet exister pour elles une crainte d’être mal perçues par leurs pairs masculins. Relations de genre, de confession et interactions sociales sont ici au cœur de la pratique.

 Il en va bien entendu de même à l’âge adulte et dans d’autres contextes que ceux examinés par ce sociologue. C’est le cas lorsqu’on considère l’importance de la pratique de l’automobile chez les jeunes hommes vivant dans des espaces peu denses (Coquard 2016). Leur pratique de la voiture est à mettre en relation non seulement avec des nécessités sociales (accéder à un emploi, pouvoir se déplacer pour les loisirs), mais aussi avec la conservation d’un des attributs d’une identité sociale, ici l’identité masculine.

Si l’on s’appuie sur cette conception relationnelle des pratiques et modes de mobilité, c’est l’idée de choix qui peut être revisitée. Une bifurcation ou des événements biographiques ne pourraient produire une recomposition des pratiques quotidiennes que dans la mesure où ils engagent pour l’individu une reconfiguration de l’infrastructure réflexive et des relations sociales durables et régulières sur lesquelles il a, jusqu’alors, fondé la perception de sa pratique.

C’est ensuite l’idée d’homogénéité de la perception de ces modes et alternatives qui serait à développer si l’on suit cette hypothèse. Au fil de l’histoire d’un individu, telle ou telle pratique, telle ou telle habitude de mobilité peut ne pas avoir la même signification au regard des reconfigurations du contexte de l’expérience de celle-ci. Un individu peut très bien être socialisé, avant l’âge adulte, à une relation intense avec la culture automobile et à un rejet des transports commun, des formes de socialisation plus tardives peuvent le conduire à reformuler ses préférences, comme dans les cas de mobilité sociale ascendante forte ou au basculement d’un univers culturel de pratique vers un autre. Suivre ces revirements paraît tout à fait intéressant pour qui cherche à saisir la variabilité individuelle des rapports aux pratiques quotidiennes de mobilité spatiale, l’inertie des choix modaux, et, de proche en proche, dans la définition d’une culture spécifique par rapport à tel ou tel mode de mobilité à l’échelle collective.

2.1.3. Une ontologie de l’événement manquante.

Ces deux premières critiques s’inscrivent aussi dans un contexte où les enquêtes orientées par l’examen des biographies de mobilité semblent peu s’intéresser à l’aspect épistémologique impliqué par l’approche reconstructrice des trajectoires biographiques et de pratiques.

Cette littérature omet alors des réflexions pourtant anciennes, en langue française autant qu’anglaise, issue de disciplines comme la démographie ou la sociologie, qui concernent, précisément, l’examen et la description des trajectoires biographies. Une bonne synthèse internationale de ces réflexions est proposée par une contribution récente de Marc Bessin, Claire Bidart et Michel Grossetti (2010a). Ce silence épistémologique s’explique peut-être simplement par des effets de circonscription des champs de recherche ou de rattachement disciplinaire. On peut néanmoins s’étonner, au regard de l’immense bibliographie disponible tant en anglais qu’en français, comment de telles réflexions ont pu échapper aux auteur.es de ce courant. Cela d’autant plus que certain.es d’entre elles-eux se revendiquent d’une proximité avec la géographie ou la sociologie. C’est le cas de Joachim Scheiner qui affirme que l’approche par les biographies de mobilité entretient une relation de parenté avec ces deux disciplines (2017, p. 387). On est alors en droit de questionner les recherches de la deuxième vague des Mobility Biographies Research à partir du point de vue d’une épistémologie historique et sociologique de l’événement.

On peut ici suivre les considérations d’un sociologue étrangement ignoré par ce courant : Andrew Abbott. Les réflexions d’Abbott concernent en effet au premier plan la définition d’une épistémologie historique attentive à la manière dont se stabilisent ou se cristallisent les trajectoires biographiques, les propriétés sociales et les pratiques associées, tout autant qu’à la manière de les décrire (Abbott 2001 ; 2003 ; 2009).

Dans cette perspective, les événements clés ne le sont plus au sens entendu par les études de biographies de mobilité présentées plus haut (et des études de socialisation au voyage, on y viendra). Si l’on s’appuie sur le travail d’Abbott, alors ce qui est appelé par les études de biographies de mobilité « événement clé » ne déclenche, en fait, rien en soi. Les événements, qui ne le sont toujours que depuis un certain point de vue sur une situation, sont des médiateurs nouant, par le truchement d’une observation réalisée à partir d’une problématique quelconque, une trame sociale et historique faite de différents niveaux temporels, institutionnels et subjectifs. En ce sens il s’agit d’un enchaînement d’événements, expression qui fait lien entre une approche relationnelle et processuelle des dynamiques sociales et de leurs conséquences.

Cette expression d’enchaînement des événements s’oppose au pragmatisme faible de la catégorie d’événement clé qui présuppose le caractère individuel et l’égale distribution du pouvoir de réflexivité. Or, la réflexivité est un pouvoir social inégalement distribué, sur un double plan. D’abord, elle est une compétence distribuée dans le sens où elle s’appuie sur la matérialité de la réalité sociale et des liens avec autrui. Il y a peu de décisions qui se prennent de manière absolument solitaire et extraterritoriale.

Ensuite, la réflexivité n’est souvent possible ou disponible que dans les cas où l’individu dispose de certaines dispositions et ressources (matérielles et sociales) héritées ou acquises au fil de sa trajectoire sociale qui lui permettent soit de modifier le cours de sa situation soit de supporter le coût des changements. Ces dispositions et ressources sont certainement elles-mêmes médiatisées par le domaine de pratiques : savoir lire une carte peut être utile pour la mobilité spatiale, mais peu pour suivre un match de football ; posséder un capital économique important peut aider à exclure toute réflexivité sur les changements de modes de transports et par exemple amener à une simple délégation de l’usage de l’automobile à autrui : chauffeur, taxi, service de chauffeur, cela ne sert à pas grand-chose en soi pour flâner le long d’un rivière.

Cette notion d’enchaînements d’événements remet aussi au premier plan la complexité des trames biographiques sans avoir à les faire reposer sur des relations causales ou de covariance induisant une conception mécaniste du social et reposant sur des événements presque isolés du flux du monde comme le font les études de biographies de mobilité (cf. le tableau ci-dessous).

Tableau 2. Exemple de tableau de covariance « mécaniste » (Schoenduwe et al. 2015).

L’approche des pratiques quotidiennes de mobilité spatiale à partir d’une épistémologie historique du genre de celle d’Andrew Abbott et de la notion d’enchaînement des événements peut permettre de porter au premier rang le thème de la transmission des pratiques, ou, mieux, de la socialisation des individus. C’est-à-dire qu’elle fait sienne l’idée selon laquelle un événement de la vie ne prend sens que dans une trajectoire biographique qui participe à façonner les perceptions de la réalité sociale et de l’espace des pratiques pensables et possibles.

2.1.4. Une approche de la socialisation encore elliptique.

Ces trois premiers éléments de discussion conduisent alors à un dernier, qui les ramasse à peu près tous. Un événement clé n’a jamais de signification pour lui-même. Il intervient toujours au cœur de la base matérielle et symbolique d’un style de vie où les domaines de pratiques ne sont pas isolés les uns des autres. Il est aussi relationnel, c’est-à-dire collectif, à l’échelle d’un ménage mais aussi, et peut-être surtout, à l’échelle des appartenances sociales et des rapports sociaux dans lesquels celui-ci est préalablement engagé. La capacité d’un événement à influencer le cours de vie semble alors, de ce point de vue au moins, étroitement liée aux effets de transmission ou d’acquisition au fil des trajectoires biographiques de norme de conduites, de valeurs, d’habitudes et de ressources permettant, par exemple, d’anticiper des changements ou d’élargir le spectre des dispositions à la réflexivité pratique et de l’autonomie. Cette approche sociale et relationnelle des événements clés déplace le regard vers la production sociale des choix de mobilité.

Étapes clés, bifurcations, épreuves de réflexivité ne seraient ainsi reconnues comme telles et n’agiraient que lorsqu’une personne est susceptible de les percevoir, de les approprier, et bien souvent, il faut le concéder, c’est la reconstruction par l’enquête qui, en jetant la lumière de sa problématique sur les événements du passé, tend à voir dans ces événements, ou à y faire voir à l’enquêté.e, un jalon dans ses décisions, comme l’avait noté Pierre Bourdieu dans un article célèbre — et certes discuté (Bourdieu 1986).

       Si les enquêtes de la deuxième vague du courant des « biographies de mobilité » approchent parfois d’une telle conception à travers la notion d’habitude, comme on l’a montré plus haut avec une citation d’un article de 2016 se référant expressément à l’idée de formation d’habitudes de mobilité spatiale dans le temps, c’est, comme dans ce texte cité, sans définir précisément la notion d’habitude ni ses implications théoriques.

Pour parer à un tel problème, qui n’a bien entendu pas échappé aux auteur.es se rattachant au courant des biographies de mobilité, c’est la notion de socialisation à la mobilité, au déplacement ou au transport telle qu’elle a été développée en psychologie sociale des transports, qui a été mobilisée à la fin des années 2000. On doit à Hazel Baslington (2007 et 2008, notamment) de l’avoir introduite la première dans le domaine de recherche considéré ici.

Ses arguments sur le sujet ont ensuite été repris par la quasi-totalité des études examinées portant sur les biographies de mobilité ou de socialisation aux voyages et déplacements, courant né plus ou moins dans le sillage de son travail (par exemple : Haustein et al. 2009 ; Döringa et al. 2014 ; Scheiner 2017). Comment Baslington définit-elle la socialisation ?  Pour Baslington, la socialisation au voyage et, plus largement, à la mobilité recouvre le fait que nos attitudes et pensées dans ces domaines sont intégrées dans l’enfance et reconduites dans la suite du parcours biographique, les réactions face à des changements semblant toujours tirer parti de la matrice de référence qui s’y est développée (Baslington 2007 et 2008). 

Du point de vue de la théorie de la sociologie de la socialisation, il s’agit indéniablement d’une conception étroite de la manière dont l’intériorisation des manières de penser, d’agir et de sentir est réalisée au fil de leur existence par les individus. On peut également observer qu’il s’agit d’une approche décontextualisée, mécaniste et individualisante de la socialisation et des changements de pratiques de mobilité. Elle tombe ainsi également sous le coup de la critique de pragmatisme faible dressée aux études de biographies de mobilité examinées. Les conclusions de l’un des articles de Baslington sont d’ailleurs éloquentes sur ce point : « une implication théorique de la socialisation au voyage est que notre pensée et nos attitudes envers les modes de transport sont ancrées dans l’enfance. » (2008, p.110)

Mais il n’y a rien d’étonnant, car la prépondérance de la socialisation primaire est en réalité considérable dans l’ensemble de la littérature examinée pour l’enquête dont rend compte cet article. La famille est l’institution qui semble au centre de toutes les transmissions, comme, par exemple, dans un article de 2014 (Döringa et al. 2014) développant une perspective intergénérationnelle de la mobilité spatiale en interrogeant les seuls parents. Or, il y a tout lieu de croire que bien d’autres « institutions » (l’école, l’État, le marché, les groupes de pairs) participent, au fil des trajectoires, aux socialisations en la matière. Reste à savoir comment.

Joachim Scheiner, auteur de référence dans le domaine, au moins sous l’indicateur du nombre de citations relevées lors de l’enquête, a également investi ce champ de la socialisation à la mobilité depuis 2017, afin de résoudre certains problèmes du courant des biographies de mobilité. Il apporte quelques inflexions par rapport au modèle mécaniste de Baslington. Pour Scheiner, la socialisation doit devenir le quatrième point d’entrée de l’étude des biographies de mobilité (2017, p. 388). Il n’en donne cependant aucune définition et ne cite que deux recherches s’y référant explicitement, dont celle de Baslington. C’est précisément sur cette notion de socialisation que la discussion va se poursuivre, dans la mesure où elle permet de rediscuter l’ensemble des difficultés posées par les Mobility Biographies Research et les Travel Socialization Studies.

3. La troisième vague : retourner vers l’examen des pratiques, une solution pour dépasser les écueils des recherches passées ?  

Les quatre critiques formulées dans la partie précédente n’ont pas échappé aux spécialistes de ces domaines, non directement rattaché.es à la sociologie mais qui s’inspirent en partie d’elle pour élaborer leur problématique. On peut d’ailleurs considérer qu’après les recherches de la fin des années 1980 et celle des années 2000, une troisième vague des Mobility Biographies Research et deTravel Socialization Studies a vu le jour autour de ces critiques.

Deux représentant.es important.es de cette nouvelle vague sont Richard Manton et Henrike Rau. Ces auteur.es ont défendu de manière convaincante (2016) deux idées pour approfondir les connaissances scientifiques des choix de mobilité spatiale quotidienne et sortir de l’ornière de la routinisation de la recherche en MBR, en approfondissant principalement l’idée de transmission des pratiques de au fil des trajectoires biographiques.

La première idée consiste à distinguer dans les biographies de mobilité les événements impliquant directement la mobilité – par exemple : obtenir un permis de conduire, posséder ou utiliser une voiture, acheter des tickets de transports, avoir connu un accident de la circulation, etc. – d’événements non directement liés à la mobilité, bien que pouvant l’impliquer, mais plus indirectement : mariage, retraite, déménagement. Cette approche devrait par exemple permettre selon ses promoteurs de réduire la généralité de la notion d’événements clés et de complexifier les liens entre changements biographiques et changements des modes de mobilités.

Richard Manton et Henrike Rau suggèrent en second lieu de ne pas ramener l’ensemble des attitudes en matière de mobilité à la prime enfance pour apprécier plus finement les changements de pratiques qui interviennent tout au long de l’histoire des individus. La réussite de cette entreprise consisterait à retourner vers l’examen des pratiques et des combinaisons de pratiques impliquant de la mobilité (Greene, Rau 2016) tout en tenant compte du renouvellement ou non des contextes d’action auxquels sont confronté.es les enquêté.es (Clark et al. 2016 ; Gerber et al. 2017).

C’est ce que proposent aussi à leur manière, et indépendamment, les sociologues Vincent Kaufmann et Éric Widmer (2007). Reprenant une partie du vocabulaire et de la structure théorique de Pierre Bourdieu, ces sociologues définissent les ressources de la mobilité à disposition des individus sous la forme d’un capital cumulable à travers le temps, par le truchement d’apprentissages successifs, au sein de la famille d’abord, puis tout au long de la trajectoire de la personne. Ce capital est mobilisable pour faire face, par exemple, à des situations nouvelles, comme en cas de déménagement ou pour un voyage de tourisme. Cette approche permet de penser de manière assez fine les inégalités face à la mobilité.

Les travaux de Richard Manton et Henrike Rau autant que ceux de Vincent Kaufmann et Éric Widmer permettent de ne pas ramener l’ensemble des attitudes en matière de mobilité spatiale à la prime enfance ou à des contextes saisis grossièrement, pour apprécier mieux les trajectoires sociales et leurs effets sur les changements de pratiques de mobilité ainsi que la variabilité de celles-ci dans le temps. Ces travaux invitent en fait à replacer les changements en matière de mobilité sur le temps long pour les considérer bien plus comme un aboutissement de changements déjà intervenus dans les modes de vie des ménages que comme un point de départ de ces changements. Cette perspective attentive au renouvellement des normes sociales n’est pas exclusive aux auteur.es cité.es ici et elle a également été en partie adoptée au sein de quelques études de biographie de mobilité et socialisation aux voyages et aux transports (par exemple : Haustein et al. 2009 ; Bou Majhed et al. 2015 ; Kroesen 2015).

3.1. Vers une conception élargie de la socialisation aux pratiques de mobilité spatiale.

Si l’approche par les pratiques de mobilité est heuristique sur bien des aspects, elle peut cependant être considérée comme insuffisante pour comprendre ce qui fait, par exemple, que deux ménages, à profils équivalents, prendront une décision différente en matière de mobilité.

La prudence dont on fait montre ici résulte de l’équivoque même de la notion de pratique. Bien que très courante, elle n’est pas toujours solidement définie ou circonscrite dans le corpus examiné. Cette notion nécessiterait pourtant, elle aussi, une clarification [4], autant que celle d’événements clés ou toutes les autres notions discutées dans les sections précédentes. Elle paraît parfois plus explicative que descriptive, mais reste faiblement contextualisée comme on peut l’illustrer par une reproduction d’une grille d’analyse issue du travail de ces deux auteur.es, reproduite ci-dessous.

Figure 2 et 3. Schéma d’analyse des pratiques par Manton et Rau (2016, p. 13 – 14).

Ces schémas permettent d’observer l’usage de grandes catégories comme « apprendre à conduire » ou « culture automobile ». Or, dans leur commentaire de ce graphique les deux auteur.es. n’en précisent pas les paramètres, ni comment ceux-ci pourraient atteindre ou faire sens pour l’enquêtée, Claire.

3.1.1. Les pratiques expliquent-elles quelque chose ?

La façon d’examiner les pratiques sociales adoptées par Manton et Rau se rattache au courant de la théorie des pratiques, développée notamment par des cherch.euses.eurs des universités de Lancaster et de Manchester. Trois éléments composent le noyau dur et l’apport le plus solide de ces approches : la structuration du temps des pratiques, les carrières de pratiques (une pratique à une carrière) et la construction de la réflexivité des acteurs à travers les pratiques.

Prendre en compte ces dimensions constitue indéniablement une avancée par rapport aux études de biographie de mobilité et de socialisation aux voyages et aux transports d’avant les années 2010. Mais cette approche n’est pas exempte de critiques, comme celle du faible contextualisme ou, encore une fois, d’une approche mécaniste de l’incidence des contextes et des événements (ici l’inadéquation de pratiques régulières avec de nouveaux contextes) sur les manières d’agir et de penser des individus. C’est ce qu’ont montré du reste Sophie Dubuisson-Quellier et Marie Plessz (2013) en France à propos du courant — hétérogène — de la théorie des pratiques à laquelle se rattachent Manton et Rau (2016).

Mais on doit surtout au sociologue Stephen Turner (1994) d’avoir examiné le plus longuement les implications épistémologiques de l’usage presque incontrôlé de la notion de pratique et de son corollaire de contexte de pratique. Stephen Turner a ainsi remis en question le type d’explication sociologique reposant sur la notion médiatrice de pratique telle qu’envisagée par cette « théorie » ou ce « courant ». Il a souligné́ que les pratiques ne sauraient constituer le fondement ultime des explications sociales. Elles ne pourraient pas non plus constituer le socle générateur des conduites humaines. Les pratiques ne seraient pas, enfin, comme le suggère la théorie des pratiques, des possessions susceptibles d’être partagées et transmises directement, comme le serait un capital économique.

Si les pratiques seules ne peuvent être utiles à la compréhension  ou à  l’explication des normes ou choix de mobilité, une autre solution peut consister à les réinscrire dans le temps long des enchaînements d’événements qui font la socialisation et la production sociale des choix en la matière.  

3.1.2. Vers une conception élargie de la socialisation à la mobilité spatiale.

Dans les sciences sociales, et particulièrement en sociologie, la notion de socialisation est généralement définie comme « l’ensemble des processus par lesquels l’individu est construit […] modelé, façonné, fabriqué, conditionné, par la société globale et locale dans laquelle il vit, processus au cours desquels l’individu acquiert, apprend, intériorise, incorpore, intègre, des façons de faire, de penser et d’être qui sont situées socialement » (Darmon 2016, p.6).

Plus concrètement, la socialisation est ce qui conduirait l’individu à acquérir et à intérioriser des dispositions à agir dans le monde social : manières de table, orientation dans l’espace et le temps, hiérarchisation des préférences culturelles, façon de parler, etc. L’intériorisation puis l’actualisation de ces dispositions sont toujours considérées comme référées à des contextes d’action ou des relations avec autrui qui leur donnent sens. Elles se réfèrent aussi à des appartenances sociales qui les déterminent du point de vue de leur contenu et de leur forme : appartenance de classe, de genre, de race, territoriale ou encore professionnelle.

L’incorporation dans le temps long et l’efficacité, au sens de se conformer aux attentes, de ces dispositions tendent à définir, métaphoriquement, la socialisation comme un processus d’acquisition d’une quasi-seconde nature sociale orientant imperceptiblement les raisonnements et les pratiques quotidiennes. Bien entendu, il s’agit seulement d’une métaphore et les recherches dans le domaine de la socialisation ne s’en contentent pas.

       Nombre d’entre elles, menées sur des domaines de pratiques variés (pratiques alimentaires, énergétiques, scolaires, culturelles) ont permis au fil du temps d’identifier cinq dimensions fondatrices de la socialisation, qui vont beaucoup plus loin que l’approche de la socialisation adoptée jusqu’à ce jour par les recherches centrées autour des études de biographie de mobilité et socialisation aux voyages et aux transports, ou que cette seule métaphore.

 Premièrement, et comme l’a depuis longtemps souligné Bernard Lahire (pour une synthèse de sa position, voir : 2013), l’apprentissage des dispositions, savoirs et savoir-faire est constamment indexé ou référé à des contextes (cadre économique ou juridico normatif par exemple, relations sociales, par exemple) et à des propriétés sociales (comme le genre, le niveau d’éducation, l’appartenance sociale) qui peuvent varier, parfois fortement, au cours de l’existence des personnes (on change de métier, de région, de conjoint.e, parfois de genre ou de sexe, de classe sociale) et faire varier avec eux dispositions, normes, pratiques. Ces propriétés sociales et contextes se médiatisent pour produire leurs effets. Pour illustrer ce fait on peut penser à la relativité des titres scolaires sur différentes scènes sociales : un doctorat de sociologie peut avoir peu de valeur en dehors de son domaine de validité particulier, par exemple face à des économistes orthodoxes.

Deuxièmement, la socialisation est considérée par les recherches dans ce domaine comme ayant un rapport direct avec les mondes matériel – y compris l’espace dans son acception sociale (Authier, 2012) – et relationnel de proximité qui, tous deux, déterminent pour partie la socialisation puis les pratiques possibles et pensables des individus. Or, ces caractéristiques matérielles et relationnelles sont, elles aussi, soumises à des changements, quelquefois importants, auxquels doivent, d’une manière ou d’une autre, se conformer, s’adapter ou s’affronter les individus. Si l’on admet ce fait, l’actualisation, la reconduction ou la reformulation des dispositions, savoirs et savoir-faire ne viennent jamais du néant ni en réaction à des événements isolés du cours ou de la structure de la réalité sociale.

Troisièmement, la sociologie de la socialisation fait sienne une interrogation portant sur qui transmet quoi et comment au cours de la socialisation et qui permet de préciser l’action des normes sociales par exemple : quels sont les agents socialisateurs efficients (humains ou non humains), les modes de transmission ainsi que les références pour agir effectives qui jalonnent concrètement l’histoire des socialisations individuelles ? La pluralité des institutions socialisatrices est ici remise au premier plan de l’analyse.

Quatrièmement, la sociologie de la socialisation porte son attention sur l’instabilité des contextes, des propriétés sociales, de la culture matérielle ou de l’identité des agents socialisateurs. En fonction de ces ressources, un individu a plus ou moins fortement de prises sur ces changements ainsi que sur l’emprise qu’ils peuvent avoir sur la reconduction, la reformulation ou la reproduction de ses pratiques.

 Enfin, la sociologie de la socialisation considère le plus souvent qu’il n’y a aucune relation linéaire entre des changements de tel ou tel type (événement biographique ou changement du monde matériel) et une inflexion particulière de la conduite. C’est par des enquêtes attentives aux autres points mentionnés que l’on peut (devrait ?) examiner ce qui médiatise une telle relation.

Dans ce registre, plusieurs recherches ont montré que la reconduction ou la reformulation des normes sociales ou, plus simplement, d’une pratique est le plus souvent référée aux possibilités de coordination avec autrui. Une norme de conduite ou une pratique pourraient ainsi se maintenir dans le temps malgré des tournants biographiques dans la mesure où elles permettraient à un individu de conserver tout ou partie d’un style de vie qui s’actualise, pour l’essentiel, dans des relations sociales. On peut alors envisager que l’arrivée d’un enfant n’est pas mécaniquement une cause de motorisation, quand bien même des relations statistiquement considérées comme bien établies le montreraient. Derrière la relation « arrivée d’enfant/motorisation » se dissimulent nombre de dimensions, accumulées au cours de la trajectoire des individus (des ressources matérielles, des relations sociales, familiales, un rapport au travail, au temps…) mais aussi de la structuration d’une société donnée qui offrent plus ou moins d’opportunités aux parents de faire garder leur enfant avec une certaine souplesse spatio-temporelle. De telles dimensions pourraient au premier chef intéresser les enquêtes sur les pratiques quotidiennes de mobilité spatiale et la production sociale des choix en la matière.

Ces cinq dimensions proposent finalement d’examiner la socialisation en la matière de manière continue et non discontinue et en faisant toute leur place aux rapports sociaux. Il s’agit alors d’observer au plus proche des trajectoires sociales les agents, la base matérielle et les processus à partir desquels sont produits les choix de mobilité ou la reformulation des savoirs, savoir-faire d’un individu lorsque celui-ci se trouve mis au contact de nouveaux foyers normatifs. En ce qui concerne les mobilités spatiales, le regard sociologique se déplace alors  sur ce qui fait événement pour une personne donnée, soit les modalités, les conditions et les paramètres qui peuvent conduire à la reformulation des socialisations antérieure et transformer, par exemple, une séparation conjugale en une situation de production effective de nouveaux choix de mobilité. Il s’agit alors moins de postuler la relation étroite entre un événement biographique et des changements dans les pratiques que d’examiner la production de cette relation au cœur d’enchaînement de faits avec une base matérielle et symbolique préexistante.

Adopter une telle conception élargie de la socialisation à la mobilité par rapport à celle des deux courants examinés dans cet article (études de biographie de mobilité et socialisation aux voyages et aux transports) pourrait s’avérer heuristique sur quatre plans au moins.

Par sa structure logique, d’abord, une telle conception de la socialisation devrait s’avérer utile pour éclairer l’idée de variations intra-catégorielles des pratiques de mobilité, par exemple entre des individus comparables du point de vue de l’appartenance de classe ou de genre, en prenant au sérieux de petites variations dans la base matérielle des choix et des appartenances (effets socio-spatiaux, de génération, de trajectoire sociale, par exemple).

Elle pourrait, ensuite, servir des enquêtes portant sur les renouvellements effectifs des manières d’agir ou de penser en termes de mobilité spatiale en les indexant à des contextes précisément documentés ainsi qu’à différents niveaux d’articulation des pratiques, considérant que la socialisation n’est pas donnée une fois pour toutes et pour chaque domaine de l’existence indépendamment des autres : ici la mobilité, ici la consommation, là le travail, par exemple.

Troisièmement, cette définition élargie de la socialisation à la mobilité spatiale remettrait peut-être au cœur de l’analyse la variété intra – individuelle des pratiques. Il n’est en effet pas exclu qu’il puisse exister des tensions entre savoirs et savoir-faire – héritées par exemple de la socialisation primaire – et des références pour agir acquises au fil de la trajectoire biographique, tension dont on devrait rendre compte pour en examiner les effets dans la vie quotidienne. L’usage du terme de tension plutôt que celui de substitution ou de changement est alors utile pour souligner que les seconds ne chassent jamais totalement les premiers, sauf cas exceptionnel.

Enfin, cette conception de la socialisation à la mobilité permettrait de restituer les pratiques dans des rapports sociaux de genre, de classe, de racialisation et de mettre en exergue la production sociale des styles et des choix de mobilité. 

3.1.3. Une conception élargie de la socialisation dans les recherches sur la mobilité.

Si les courants de recherche examinés dans cet article, études de biographie de mobilité et de socialisation aux voyages et aux transports, n’ont pas adopté massivement cette conception, comme le suggère l’article récent de Scheiner cité plus haut, il en va autrement de tout un ensemble de recherches plus proches de la sociologie.

       Pour revenir aux pratiques de mobilité spatiale, de nombreuses recherches ont d’ores et déjà permis d’élargir le spectre de l’étude des socialisations à la mobilité (par exemple : Rocci 2007 ; Vincent-Geslin 2010 ; Oppenchaim 2016 ; Devaux 2014 ; Sayagh 2018). Certains travaux ont aussi examiné les pratiques qui y sont associées comme des modalités de positionnement social (Depeau, Ramadier 2011 ; Dias, Ramadier 2015, 2018), notamment chez les élites (Wagner 2007 ; 2010) [5], en les liants à des pratiques spécifiques comme l’amour du football (Lestrelin et al. 2013) ou, encore, comme modalité d’assignation à un genre (Gilow 2019 ; Démoli, Gillow 2019). Dans le prolongement ou à côté de ces recherches, certaines enquêtes ont même d’ores et déjà élaboré une problématique liant la base matérielle des styles de vie, les héritages culturels et les socialisations aux pratiques de mobilité spatiale au fil des trajectoires sociales.

       Ils ont étudié pour cela certains mécanismes d’apprentissages relatifs aux pratiques de mobilité. Néanmoins, comme l’ont montré de récents états de la littérature scientifique (Vincent-Geslin, Authier 2015 ; Scheiner 2017) l’analyse des rapports sociaux et des modalités, acteurs et conditions des socialisations continue façonnant et reconfigurant au fil de l’existence les choix et pratiques de mobilités reste encore en partie absente des recherches. Ce pourrait être le programme d’une sociologie de la socialisation à la mobilité spatiale attentive à la pluralité des institutions, espaces et contraintes pesant sur les apprentissages en la matière [6].

4. Pour une compréhension dynamique de la production sociale de la mobilité spatiale

Dans cet article, l’examen des principales publications de deux courants de recherche – études de biographie de mobilité et socialisation aux voyages et aux transports – a d’abord conduit à identifier trois périodes de conceptualisation dans le domaine de l’étude des choix de mobilité au fil des trajectoires biographiques. La discussion a ensuite permis de formuler une critique principale à l’adresse de ces deux courants. Les recherches examinées restent encore largement prisonnières d’une vision mécaniste de la réflexivité et de la transmission, de la reconduction puis de la reformulation des pratiques de mobilité au fil des trajectoires biographiques et des normes sociales qui y sont associées. C’est le cas même lorsque cette littérature mobilise la notion de socialisation en l’empruntant de manière parcimonieuse à la sociologie, dans une troisième vague de recherches démarré au tournant des années 2010. Si il en va ainsi, c’est, enfin, parce qu’il apparaît que cette littérature reste encore en grande partie prisonnière du langage de variables faiblement contextualisées, même lorsqu’elle mobilise un matériau plus qualitatif.

À des résultats probants autant que des limites des contributions examinées ici, on a proposé dans un deuxième temps de la discussion un pas de côté visant à engager l’étude des socialisations aux pratiques quotidiennes de mobilité spatiale dans une autre perspective. Celle-ci entend tirer profit des acquis récents de la sociologie de la socialisation ainsi que de méthodes d’analyse du social ne se contentant plus d’invoquer des « contextes » jamais définis dans leurs paramètres mais qui tend à scruter précisément la base matérielle et symbolique qui font les styles de vie et les normes sociales, y compris dans leur dimension spatiale.

Au centre de la perspective proposée se situe la notion d’enchaînement des événements qui désigne la configuration plus ou moins stabilisée et complexe que prend au cours du temps (d’une biographie singulière ou d’une société donnée) la production sociale des choix de mobilité. Pour les recherches sur la socialisation à la mobilité spatiale, suivre de tels enchaînements devrait permettre de considérer plus finement les médiations faisant s’entrecroiser des lignes de temporalités et des niveaux de réalité sociale variés pour produire, parfois, du changement dans les normes sociales de la mobilité. Ici, dès lors, les événements de la vie ne sont plus considérés par avance comme des déclencheurs de quoi que ce soit et le regard se déplace de la situation, par exemple un déménagement, au travail pratique de reformulation des savoirs et savoir-faire antérieurs que les individus peuvent ou non mener au cœur des événements de la vie.

En procédant ainsi il sera peut-être possible de contourner le réductionnisme de la notion d’événements clés qui est la clé de voûte des courants Mobility Biographies Research et Travel Socialization Studies discutés dans cet article, tout en conservant une ambition forte de compréhension du caractère dynamique de la production sociale des choix de mobilité spatiale.

Résumé

Que nous apprennent les approches en termes de « Mobility Biographies Research » et les « Travel Socialization Studies » des choix de mobilités au fil des trajectoires biographiques ? Particulièrement diffusées ces dernières années, les recherches se réclamant de l’une ou de l’autre approche s’intéressent de près aux choix quotidiens de mobilité spatiale des individus. Ces deux orientations partagent l’objectif de vouloir documenter finement les mécanismes d’apprentissage et de changements dans les conduites en la matière tout au long des trajectoires biographiques. Les recherches se revendiquant de l’une ou l’autre de ces orientations s’attachent par exemple à examiner les effets du cycle de vie, de génération de socialisation, du genre, de la localisation et de la morphologie des foyers sur les choix de mobilité. L’article propose une enquête bibliographique autour de cette littérature traitant de manière approfondie d’un corpus raisonné d’une cinquantaine d’articles publiés depuis les années 1990 et se rattachant de près ou de loin à ces courants. On considérera cette littérature sous un triple aspect. Premièrement, on en proposera une présentation actualisée. On soulignera ensuite les limites auxquelles ces recherches font actuellement face. Enfin, la discussion portera sur une tentative de reformulation du problème de la socialisation aux choix de mobilité spatiale soulevé par cette littérature.

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Notes

[1] Je remercie chaleureusement Vincent Kaufmann, Laurent Cailly, Leslie Belton-Chevallier et Nicolas Oppenchaim pour leurs (re)lectures et leurs commentaires sur les versions successives de ce texte. Les échanges avec les deux dernières.ers cité.es depuis la première présentation de celui-ci lors du colloque Mobilités spatiales et fluidité sociale à Tours en 2018, ont largement contribué à le faire progresser. Les propos n’engagent que l’auteur.

[2] Plusieurs communications des dernières éditions des colloques spécialisés « Mobilité spatiale et fluidité sociale » (Tours, 2018) et « Rencontres francophones transport mobilité » (Montréal, 2019) s’appuyaient sur cette littérature.

[3] Elles sont en réalité plus « oubliées » par le chercheur que « cachées ».

[4] C’est à cette clarification conceptuelle qu’a travaillé Régis Catinaud dans sa thèse de philosophie, Qu’est-ce qu’une pratique ? Théories et théorisations des pratiques, Université de Genève, 2016. Cette section doit beaucoup à son travail.

[5] On peut ajouter à cet inventaire des travaux d’historiens analysant pour les périodes précédents le XXe siècle à la tradition du Grand Tour chez les élites ou les modalités de contrôle des circulations populaires (carnet de circulation, par exemple).

[6] Ce programme s’écarte alors de l’acception « cumulative » de la socialisation développée, par exemple, par Michael Flamm (2003) qui est l’un des premiers auteurs à évoquer explicitement et de manière détaillée cet objet sociologique. Par « socialisation cumulative » j’entends une conception du processus focalisée sur les cadres et la succession cumulative des expériences, avec pour incidence logique que toutes nouvelles données expérientielles peut a priori participer à l’acquisition d’un nouveau savoir ou savoir-faire ou améliorer les savoirs antérieurs. C’est ce qui fait que Flamm entend en grande partie la socialisation à la mobilité essentiellement comme une succession d’adaptations à des cadres d’action renouvelés. Cette conception est très claire dans la définition qu’il en donne en note 23 de la page 234 de son manuscrit de thèse. On peut d’abord y lire la prédominance de la prime enfance « l’importance du cadre de socialisation durant la jeunesse des individus, puisque l’initiation aux moyens de transport débute très tôt dans le parcours de vie. ». Puis, vient son explication d’une socialisation « cumulative » au fil des trajectoires, qui n’apparaît d’ailleurs que secondaire : « Nous n’excluons donc pas qu’il accumule un bagage d’expériences supplémentaire après sa jeunesse, mais nous considérons que ces apports demeurent en général plutôt secondaires. Il est à noter que nous faisons ici abstraction d’éventuelles limitations introduites par l’apparition d’incapacités physiologiques dans le courant du parcours de vie – des limitations qui engendrent souvent une phase de ré-apprentissage d’aptitudes personnelles à la mobilité (par ex., apprendre à se déplacer en chaise roulante, etc.). » 

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