Quand les mobilités influencent la perception des changements territoriaux.

Le cas des résidents secondaires en Charente-Maritime.

Didier VyeCaroline BlondyCaroline BontetStéphane DonnatChristine Plumejeaud-Perreau et Luc Vacher

Les résidents secondaires représentent une population caractérisée par un rapport particulier à la mobilité spatiale. En effet, ils appartiennent à la catégorie des multirésidents (McIntyre, Williams et McHugh 2006), c’est-à-dire qu’ils partagent leur vie entre plusieurs lieux de résidence. De ce fait, leur mode d’habiter est qualifié de « poly-topique » (Stock, 2006) ou de « multilocal », correspondant à « l’ensemble des pratiques habituelles formelles et informelles d’habitation en plusieurs lieux distincts » (Duchêne-Lacroix, Hilti et Schad 2013, p. 97). La mobilité spatiale, en tant que lien entre ces différents lieux de vie, permet alors la structuration d’un système résidentiel (Pinson 1988) (Dureau 2002), c’est-à-dire un « mode d’habitat articulant plusieurs aires de résidence séparées dans l’espace et occupées différentiellement dans le temps » (Pinson 1988, cité par Bonvalet 2004).

Les résidents secondaires se distinguent cependant des autres catégories de multirésidents par des mobilités essentiellement liées au temps libre et aux loisirs, alors qu’elles sont majoritairement liées au travail ou à la famille pour les autres catégories (Hesse et Scheiner, 2007) (Duchêne-Lacroix 2013). Principalement localisés dans les espaces touristiques, les logements secondaires seraient des lieux de relâchement des contraintes et de rupture avec le quotidien, leur permettant en quelque sorte de « changer d’air ». Toutefois, à la différence des mobilités touristiques couramment fondées sur la recherche du dépaysement et de l’altérité, le déplacement entre résidence principale et résidence secondaire est généralement un va-et-vient habituel entre deux espaces familiers, une « installation toujours temporaire, mais sans cesse recommencée » (Urbain 2002, p. 515). La mobilité exprime donc la recherche de la continuité d’un espace familier, d’extension du domaine des habitudes, la résidence secondaire étant alors l’expression d’un dédoublement résidentiel (Sanson et al. 1978) (Bachimon, Dérioz et Vlès 2015).

Ainsi, la hiérarchisation entre résidence principale et résidence secondaire n’est pas si évidente : en effet, le résident secondaire « habite, réside, est ancré dans un lieu » (Dubost 1998, p. 12), et les différents logements du multirésident sont autant d’« ancres pour être mobile » (Ortar 2011, p. 245-256). Pour une catégorie d’individus mobiles tels que les résidents secondaires, l’ancrage peut être synonyme d’un attachement au lieu de résidence secondaire, pouvant se traduire par une attention et une sensibilité aux changements qui s’y déroulent.

La notion de changement est très large, polysémique et pluridisciplinaire. En géographie, s’il n’existe pas de théorie du changement proprement dite (Pumain 2003), il peut toutefois être défini comme tout « processus de transformation de l’état d’une réalité sociétale (…) qui requiert une action, une situation et des acteurs » (Ruby 2003, p. 149). Dans le cadre de cet article, nous souhaitons insister sur les changements affectant le territoire communal ou intercommunal où est localisée la résidence secondaire (définie ici comme le lieu de villégiature). Les changements territoriaux peuvent prendre plusieurs formes, qu’ils s’agissent de transformations paysagères, administratives, urbanistiques, économiques, socio-démographiques, etc. Ces mutations peuvent s’inscrire dans des temporalités relativement variables : longues (comme dans le cas d’extensions urbaines) ou courtes et répétées (du fait d’activités saisonnières, par exemple). Nous avons privilégié l’analyse des changements endogènes et « choisis », c’est-à-dire en lien avec des politiques locales d’aménagement plutôt que ceux exogènes et « subis », tels que le changement climatique par exemple. Ce choix permet d’envisager la place particulière qu’occupe le résident secondaire au sein de la vie locale.

En effet, les résidents secondaires constituent une catégorie de population « hybride », ni vraiment touriste, ni vraiment résidente. Contribuables, mais très rarement électeurs, ils sont propriétaires d’un logement où ils ne résident pas toute l’année. Ce sont des « passants qui restent et des habitants qui passent » (Urbain 2002, p. 516). De ce fait se pose la question de leur légitimité à s’exprimer sur les changements d’un territoire. Bien sûr, les résidents secondaires participent eux-mêmes à ces changements. Cependant, les conséquences territoriales de l’augmentation du nombre de résidences secondaires ont été très largement étudiées et débattues depuis l’ouvrage fondateur Second Homes, Curse or Blessing (Coppock 1977), jusqu’aux controverses sur la votation suisse de 2013 destinée à limiter leur construction (Debarbieux 2013).

Aussi, il nous apparaît intéressant de décentrer le regard en analysant la perception des changements territoriaux par les résidents secondaires eux-mêmes. Il s’agit de partir de l’hypothèse suivante : la dimension multi-locale de leur système résidentiel, et les mobilités spatiales qui en découlent, influenceraient la perception des changements territoriaux de leur lieu de villégiature. D’une part, les modalités de fréquentation de leur résidence secondaire joueraient sur l’attention portée aux changements territoriaux. D’autre part, les valeurs attribuées à la résidence secondaire influenceraient les attentes vis-à-vis des transformations du lieu de villégiature.

Notre analyse s’appuie sur les résultats d’une étude d’envergure menée dans un département du littoral atlantique français, la Charente-Maritime, et dont nous présenterons la méthodologie (1). Il s’agira ensuite de traiter du lien entre les modalités de fréquentation de la résidence secondaire et le développement d’une certaine sensibilité aux changements de la part des propriétaires (2). Cette sensibilité aux changements peut se doubler d’une volonté d’exercer un droit de regard sur ces changements. Dès lors, leurs perceptions et leurs attentes peuvent être éclairées par la place accordée à la résidence secondaire au sein de leur système résidentiel (3).

Comment étudier le rapport aux changements territoriaux des résidents secondaires : présentation de l’étude menée en Charente-Maritime.

L’analyse de la perception des changements par les résidents secondaires implique de recueillir des données fiables sur les profils, les usages et les représentations d’une population se situant très souvent en dehors des radars de la statistique publique. De plus, les enquêtes ou entretiens sont difficiles à réaliser du fait des particularités de cette population, présente de manière intermittente sur le territoire, ce qui limite souvent la taille de l’échantillon (Brida, Osti et Santifaller 2011). Partageant le constat d’un décalage entre ces difficultés méthodologiques et l’ampleur du phénomène en Charente-Maritime, un laboratoire de recherche (UMR LIENSs – CNRS/Université de La Rochelle), un acteur du développement touristique (CMT : Charente-Maritime Tourisme) et les deux Chambres de Commerce et d’Industrie du département se sont associés pour lancer en 2012 une étude de grande envergure dont nous présentons ici la méthodologie.

La Charente-Maritime, un terrain d’étude pertinent pour étudier le rapport au changement des résidents secondaires.

Bien qu’il existe au moins deux définitions statistiques et administratives de la résidence secondaire (RS) en France (Blondy, Vacher et Vye 2016), il est possible d’estimer leur nombre à environ 3 200 000 (Crusson et Arnault 2014). Les RS sont localisées préférentiellement au sein des espaces touristiques, et plus particulièrement sur le littoral qui regroupe le tiers des RS, soit environ un million de logements (Atout France 2010). La croissance récente de ce parc concerne plus particulièrement la façade atlantique française (Vye 2011). Avec une croissance record de plus de 57% entre 1990 et 2008, la Charente-Maritime et ses 79 405 résidences secondaires sont donc au cœur de cette dynamique, d’autant plus que le nombre de RS a continué de croître de 6% entre 2009 et 2013, selon les données de la DREAL Poitou-Charentes, alors qu’il stagnait à l’échelle nationale.

Figure 1 : Répartition spatiale des résidences secondaires en Charente-Maritime. Source : FILOCOM 2013, Cartographie : C. Bontet, Charente-Maritime Tourisme ; P. Brunello, Univ. de La Rochelle.

De plus, les RS représentent les deux tiers de l’hébergement touristique d’une des principales destinations du tourisme domestique en France. Elles regroupent 19,4% du parc total de logements, une proportion deux fois plus importante qu’au niveau national. Dans les stations balnéaires (Royan) et les îles (Ré, Oléron), la part des RS avoisine la moitié du parc résidentiel total (figure 1). La Charente-Maritime représente donc un terrain d’étude pertinent, présentant une double attractivité, résidentielle et touristique, dont la RS constitue en quelque sorte une interface (Sacareau, Vacher et Vye 2013). Ce département connaît ainsi d’importantes mutations territoriales depuis 1990, avec notamment une forte urbanisation littorale et rétro-littorale en partie régulée par des politiques de protection environnementale, notamment dans l’île de Ré. Cela renforce l’intérêt d’une analyse de la perception de ces changements par une catégorie de population qui a elle-même participé à ces transformations.

Cependant, la Charente-Maritime présente une diversité des situations territoriales qui ne se résume pas dans l’opposition entre un littoral concentrant l’essentiel du parc résidentiel et l’intérieur des terres, plus rural. Nous avons donc travaillé à l’échelle de dix territoires intercommunaux (huit EPCI-FP[1] et deux Pays) : cet échelon permet d’individualiser et de comparer différents types de territoires de l’île touristique (Ré, Oléron) aux campagnes de l’intérieur (Vals de Saintonge, Haute-Saintonge) en passant par une agglomération littorale très attractive (La Rochelle) ou un territoire balnéaire et saisonnier (le Royannais). Enfin, plusieurs communes littorales ont été enquêtées afin de permettre une lecture à échelle locale.

Donner la parole aux résidents secondaires : un défi méthodologique à relever.

Le choix d’interroger les propriétaires présente l’avantage de s’adresser à la personne qui a la meilleure connaissance de l’usage de son bien, soit parce qu’il l’utilise lui-même, soit parce qu’il le prête ou le loue. Néanmoins, comment contacter cette population « flottante » et s’assurer d’un taux de retour suffisant pour produire des résultats à des échelles fines ? Le choix de contacter les propriétaires à leur domicile principal paraissait le plus pertinent. Les propriétaires de résidence secondaire en Charente-Maritime étant à 95% domiciliés en France métropolitaine, les propriétaires résidant à l’étranger n’ont donc pas été interrogés, en particulier pour des raisons de coût.

Figure 2 : Comment contacter les propriétaires de résidence secondaire ? Source : Étude Résidences Secondaires 17.

Une base de données associant l’adresse de la résidence principale du propriétaire à celle de sa résidence secondaire en Charente-Maritime a ainsi été constituée. La constitution de cette base n’aurait pas été possible sans l’aide des collectivités territoriales partenaires de l’étude. En effet, les données FILOCOM[2] étant couvertes par le secret statistique, ce sont les collectivités qui ont constitué leur propre base en s’appuyant sur les données à leur disposition : MAJIC III[3], taxe d’habitation, redevance des ordures ménagères. La compilation de ces données nominatives a fait l’objet de déclarations auprès de la Commission Nationale Informatique et Libertés par chacune des collectivités partenaires, et d’un accompagnement méthodologique de l’équipe pour harmoniser la qualité de cette base de données.

Cette base constitue un échantillon qui regroupe 26 727 propriétaires de résidences secondaires, soit près d’un tiers des propriétaires référents répertoriés en 2014. La représentativité de l’échantillon a été établie en partenariat avec la DREAL Poitou-Charentes selon deux critères : la région de résidence principale (découpage administratif de 2015) et le territoire de localisation de la résidence secondaire en Charente-Maritime (découpage infra-départemental en dix territoires, voir figure 1). En revanche, nous n’avons pas eu la possibilité de redresser l’échantillon en fonction des caractéristiques du propriétaire (catégorie socio-professionnelle, composition du ménage…), dans la mesure où ces informations n’existent pas aux échelles départementales et locales (contrairement aux populations permanentes), y compris au sein de la base de données de référence utilisée (FILOCOM).

26 727 questionnaires ont donc été envoyés par voie postale, accompagnés d’une lettre signée par le maire ou le président de la structure intercommunale. Ces choix méthodologiques ont certainement contribué au bon taux de retour de l’enquête, : en effet, 7924 questionnaires exploitables ont été réexpédiés par les propriétaires, soit un taux de réponse de 30%.

Par la suite, 700 répondants au questionnaire ont été recontactés, avec leur accord, pour un complément d’enquête par téléphone qui laissait plus de place à l’expression libre, avec des questions ouvertes. Les données issues de l’enquête par questionnaire courrier ont été traitées en deux temps : elles ont d’abord fait l’objet d’une analyse factorielle en composantes multiples (AFCM) afin de constituer des profils généraux à l’échelle départementale, et distinguer des variables synthétiques d’intérêt. L’AFCM a ensuite été rejouée à l’échelle des territoires, avec ces variables synthétiques, pour comprendre comment se situaient ces territoires par rapport à la situation globale.

En parallèle, des focus groups (groupes de discussion) regroupant chacun une dizaine de propriétaires ont été organisés dans des communes volontaires : Châtelaillon-Plage, Le Bois-Plage-en-Ré, Fouras, Saint-Palais-sur-Mer, Saint-Denis-d’Oléron. Ces focus groups ont permis de réunir un panel de propriétaires représentatifs de la population enquêtée. Cette représentativité a été évaluée selon trois critères (âge, région de résidence principale, catégorie socioprofessionnelle), disponibles grâce aux données issues d’une phase de test, réalisée en 2013, dans les communes ayant fait l’objet d’un focus group en 2014. L’objectif de ces focus groups était de compléter l’analyse quantitative issue des questionnaires, en mettant en avant les principaux points de convergence et de divergence entre les participants. Les citations issues des focus groups qui alimentent les parties suivantes ont ainsi été sélectionnées soit parce qu’elles viennent en appui des résultats quantitatifs issus de l’enquête, soit parce qu’elles traduisent des points de convergence sur des thématiques non abordées lors du questionnaire.

Par le dispositif déployé, l’objectif est donc clairement de placer l’acteur « résident secondaire » au centre de l’analyse, en constituant une importante base de données relative aux profils, aux usages, aux perceptions et aux attentes des propriétaires.

Des modalités de fréquentation du lieu de villégiature conférant une sensibilité aux changements territoriaux.

Examiner la perception des mutations du lieu de villégiature des propriétaires de résidence secondaire implique de s’interroger sur les modalités de fréquentation de ce dernier. Celui-ci, bien que temporairement fréquenté, n’en est pas moins familier, notamment du fait qu’il soit connu de longue date (2.1), mais aussi parce que sa fréquentation annuelle est importante (2.2). Dans ce contexte, les propriétaires ne développent-ils pas une sensibilité particulière aux changements ?

Une relation de longue durée avec leur lieu de villégiature.

Les résidents secondaires en Charente-Maritime entretiennent une relation de longue date avec le lieu, qui a bien souvent débuté avant de devenir propriétaire (figure 3). En moyenne, ils fréquentent leur commune de résidence secondaire depuis plus d’une génération (29 ans) et seuls 18% ont moins de neuf ans de connaissance du lieu. Cette présence ancienne dans le lieu n’est pas corrélée avec l’âge, car les propriétaires plus âgés que la moyenne (66 ans) fréquentent le lieu de résidence secondaire depuis moins longtemps que les propriétaires moins âgés. Cela souligne le fait que de nombreux « jeunes » propriétaires constituent en fait une seconde génération de résidents secondaires, ayant connu le lieu très jeune : en effet, plus d’un propriétaire sur cinq (21%) vient depuis qu’il est enfant ou adolescent. Ils se sont donc attachés à celui-ci, jusqu’à le choisir assez naturellement comme lieu de villégiature : « Comme mes parents sont là depuis 40 ans et que j’ai passé mon enfance ici, pour moi le problème [du choix de la commune] ne se posait pas : c’était l’île d’Oléron, Saint-Denis, et point barre »[4].

L’ancienneté de l’accès à la propriété est également remarquable en Charente-Maritime : 18 ans en moyenne, soit trois ans de plus qu’à l’échelle nationale (Atout France 2010). Cette moyenne cache néanmoins des écarts importants : si environ le quart des répondants (24%) est propriétaire depuis plus de 20 ans, la part des « nouveaux propriétaires » (moins de dix ans) est élevée (33%). Cependant, les propriétaires les plus « récemment » implantés (depuis moins de 15 ans) semblent avoir un ancrage familial plus fort que la moyenne, puisqu’ils sont plus nombreux à être des descendants de résidents secondaires ou permanents voire même d’anciens résidents permanents : ces derniers ont probablement souhaité garder un « pied-à-terre » local, après une installation ailleurs en résidence principale. Ainsi, l’ancrage du résident secondaire n’est pas mécaniquement corrélé avec l’ancienneté dans le lieu, mais s’explique davantage par la nature des liens tissés avec le territoire d’accueil. Quant aux héritiers, qui représentent 18% des enquêtés, ils sont clairement dans une logique d’ancrage, dans la mesure où ils sont plus nombreux que les autres à vouloir transmettre leur bien.

Cette longue présence dans le lieu s’accompagne donc le plus souvent d’un changement de statut (figure 3) : les « nouveaux résidents », à la différence des « héritiers », en choisissant de devenir propriétaires, montrent un intérêt pour un territoire qu’ils ont pu connaître pour y avoir préalablement séjourné en tant que touristes : c’est le cas pour 47% de notre échantillon. Il existe donc une « géographie sentimentale » des lieux (De La Soudière 1998, p. 102), une « topophilie » (Tuan 1961) également très présente parmi les « anciens touristes ». Elle s’explique par les souvenirs de vacances et implique un rapport au lieu qui n’est pas si différent de celui d’un héritier. On peut ainsi se sentir du « pays » sans pour autant être un héritier, grâce à une familiarité avec le lieu tissée sur le temps long. Au final, quelles que soient les évolutions du statut dans le lieu, cette ancienneté donne aux résidents secondaires une perspective, une vision diachronique et donc un regard expert sur le lieu, au même titre que des résidents principaux installés depuis longtemps ou que des touristes familiers du lieu.

Figure 3 : L’ancienneté dans le lieu de résidence secondaire en Charente-Maritime (en nombre d’années de fréquentation par le propriétaire, année de référence 2015). Source : Étude Résidences Secondaires 17 (enquête courrier 2014).

Cette familiarité avec le lieu de villégiature semble ainsi les rendre plus sensibles aux changements territoriaux : les focus groups ont montré qu’à leur retour chaque année, le résident secondaire effectue une sorte d’état des lieux, un « tour du propriétaire », rituel également constaté par certains chercheurs (De La Soudière 1998[5]). Ce rituel lui permet de reprendre pied dans le lieu entre deux absences, et de mettre en place un processus comparatif permettant de percevoir le changement, non pas de manière continue, mais d’un séjour à l’autre. Son attention au changement peut également être entretenue par la lecture des bulletins municipaux, de la presse locale ou en gardant contact avec des résidents permanents.

Une sensibilité aux variations saisonnières soutenue par le rythme et l’ampleur de la fréquentation annuelle.

Dans le cadre de notre étude, le nombre de jours passés par le propriétaire dans sa résidence secondaire est important : 82 jours en moyenne en Charente-Maritime avec des maximas atteints sur l’île de Ré (95 jours par an). Cette fréquentation, remarquable comparativement aux chiffres disponibles à l’échelle nationale (30 jours d’occupation annuelle par le propriétaire – source : Atout France, 2010), est conjuguée à un rythme de séjours élevé (9,6 par an en moyenne). Cela souligne que la résidence secondaire s’inscrit d’une part dans le schéma de la répétition et, d’autre part, dans un temps structurant les modes de vie des propriétaires. Cette résidence est donc « moins secondaire qu’alternante » (Dubost 1998), participant à la structuration d’un système résidentiel original.

Ces mobilités récurrentes impliquent une relation de proximité entre les différents lieux de vie, qui se mesure ainsi davantage en fonction de la fréquence des relations qu’en fonction de la distance kilométrique. La figure 4 montre qu’il n’existe pas en Charente-Maritime de corrélation marquée entre la fréquence des séjours et la distance entre la résidence principale et la résidence secondaire, les deux principaux pôles du système résidentiel des propriétaires : en effet, 86% des résidents secondaires de Charente-Maritime déclarent ne pas utiliser régulièrement d’autres logements.

Figure 4 : Fréquence des venues en résidence secondaire en fonction de la distance vis-à-vis de la résidence principale. Source : Étude Résidences Secondaires 17 (enquête téléphonique, 2014).

L’intensité des mobilités entre résidences a pour conséquence qu’ils se rendent sur leur lieu de villégiature en toute saison (figure 5) : la part des deux mois d’été ne compte que pour 42% de leur présence annuelle, alors que la saison estivale concentre 60% de la fréquentation annuelle pour l’ensemble des clientèles touristiques en Charente-Maritime[6]. Le lieu est donc fréquenté le reste de l’année, le taux d’occupation atteignant 23 % au printemps et 26 % en septembre. L’hiver, même si les taux d’occupation chutent à 10%, la résidence secondaire continue à être fréquentée : « J’aime beaucoup l’hiver à Saint-Palais, quand on y passe, il n’y a pas grand monde. Les plages sont magnifiques. On profite de novembre et décembre » [7]. Cette fréquentation reste toutefois minoritaire par rapport aux « ailes de saison », car les résidents secondaires perçoivent aussi les effets de la saisonnalité sur l’animation : « Si vous passez en février dans la rue principale du Bois, c’est volets fermés partout, c’est sinistre au possible (approbations). À Pâques ça se réveille, parce que le marché a lieu tous les jours […] donc là tout va bien »[8]. Toujours est-il que cette mobilité hors-saison leur offre la possibilité de profiter d’un cadre de vie très différent des périodes de forte fréquentation touristique estivale.

Ils sont également très vigilants sur la variabilité des prix en fonction de la saison : « Comme par hasard sur un week-end les prix basculent (…) je ne pense pas que ça soit lié au cours des fruits et légumes ».[9] Ainsi, le rapport qualité/prix de l’offre commerciale estivale est un motif de mécontentement sur le littoral, notamment dans les îles de Ré et d’Oléron avec des taux d’insatisfaction s’élevant respectivement à 59% et 50%.

Présents tout au long de l’année, les propriétaires développent donc un regard expert sur les évolutions des territoires au fil des saisons. Comme les résidents permanents, ils sont capables d’évaluer les différences entre les conditions de vie en haute, moyenne et basse saison. La majorité des résidents secondaires adopte ainsi un positionnement particulier par rapport aux rythmes saisonniers des territoires touristiques littoraux. S’ils ne pratiquent pas véritablement l’évitement temporel (étant bien présents au cœur de la saison estivale) ils cultivent une mise à distance par rapport aux touristes qu’ils ont pu être ou qu’ils continuent à être, un peu malgré eux, par leurs pratiques vacancières : « Le touriste, il prend, il jette c’est ponctuel »[10]. D’ailleurs, pour justifier cette distinction, ils prennent à témoin les populations locales, en particulier les commerçants : « au niveau commerçant et tout ça je peux vous dire qu’on est très bien intégrés et qu’ils savent très bien reconnaître ceux qui sont là continuellement »[11].

Figure 5 : Nombre moyen de jours d’occupation par saison, par les propriétaires et leurs proches en Charente-Maritime. Source : Étude Résidences Secondaires 17 (enquête courrier 2014).

Ainsi les mobilités récurrentes et souvent anciennes du résident secondaire se traduisent par une présence discontinue, mais répétée dans le lieu, qui favorise une sensibilité particulière vis-à-vis des changements soit sur le temps long soit à l’échelle saisonnière. Cette connaissance du lieu peut donc leur conférer une certaine légitimité à s’exprimer sur ces changements, notamment par rapport aux touristes dont ils souhaitent être distingués afin d’être davantage reconnus comme des habitants à part entière. Dès lors, il semble pertinent de s’interroger sur leur implication dans la vie locale et d’analyser le regard qu’ils portent sur les évolutions que connaît leur territoire de villégiature.

Un regard sur le changement, influencé par la place de la résidence secondaire dans le système résidentiel des propriétaires.

Nous cherchons ici à montrer dans quelle mesure le regard porté sur les changements du lieu de villégiature est influencé par la place occupée par ce lieu au sein du système résidentiel des propriétaires. Il est possible d’analyser cette influence via l’analyse de leur implication dans la vie locale (3.1) puis en étudiant les valeurs qu’ils attribuent à leur lieu de villégiature (3.2), ces valeurs pouvant toutefois différer selon les contextes territoriaux (3.3).

L’implication des résidents secondaires dans la vie locale.

« On [ne] dit pas je vais à Oléron, on dit je vais sur mon île ».[12]

L’analyse de l’implication dans la vie locale des résidents secondaires nécessite certaines précautions, les personnes faisant la démarche de renvoyer un questionnaire dans le cadre d’une enquête étant susceptibles d’être plus investies que la moyenne de la population à enquêter. Cependant, le taux de retour élevé de l’enquête (cf. 1.2) plaide pour une mobilisation d’ensemble révélant un désir d’être entendu : « Je suis intéressé par cette réunion et cette enquête parce que je crois que depuis qu’on est là c’est la première fois qu’on nous demande notre avis »[13]. Les propriétaires se sont en effet facilement emparés de la parole qui leur a été donnée : « Je voudrais exprimer une satisfaction, (…) c’est la première fois que nous sommes interviewés (…) avec des questions non fermées. Donc ce qui est souhaitable c’est qu’on puisse s’exprimer sans avoir à remplir une case »[14].

Cette soif de reconnaissance s’explique d’abord par leur statut de propriétaire, et donc de contribuable : « On n’est pas électeur, mais on est contribuable »[15]. Ce décalage entre leur statut électoral et leur statut fiscal peut leur donner le sentiment d’être considérés par les élus comme des habitants de « seconde zone », alors même qu’ils considèrent faire vivre le territoire par les impôts locaux dont ils s’acquittent et par les dépenses importantes qu’ils y effectuent : le montant des dépenses annuelles sur place (alimentation, restauration, loisirs, shopping, entretien du bien) s’élève en effet à 4127 euros par ménage, selon les résultats issus de l’enquête téléphonique. Cette participation à l’économie présentielle locale renforce donc cette légitimité :

« J’estime que je m’y investis dans la mesure où je fais vivre quand même un certain nombre de gens dans la ville, […] je participe à la vie du port, mon épouse a plusieurs activités […]. Après, on peut très bien rester entre ses quatre murs […], mais ce n’est pas l’objectif »[16].

L’investissement est aussi social et peut notamment se traduire par l’adhésion à des associations. Ainsi, 26% des répondants déclarent participer à une association sur le lieu de résidence secondaire. L’importance du chiffre est relative car il a été démontré que la propension à être membre d’une association augmente très sensiblement avec l’âge et le niveau de formation (Prouteau et Wolff 2013). Or, dans le cadre de notre enquête, les résidents secondaires sont plus âgés que la moyenne nationale (75% des répondants ont plus de 60 ans) et sont globalement issus des catégories socio-professionnelles supérieures. L’enquête montre également que la participation aux associations est corrélée avec le type d’activité et le niveau de revenus : on observe une surreprésentation des retraités et une sous-représentation des revenus les plus modestes (moins de 2200 euros mensuels nets par ménage).

Toutefois, le type d’association diffère clairement selon les lieux de vie. Ce sont les associations culturelles ou sportives qui sont les plus prisées sur le lieu de résidence principale (56% des adhésions). A contrario, les associations de « défense de droits et intérêts, promotion de causes » (Prouteau et Wolff 2013), qui regroupent notamment les associations de propriétaires et de protection de l’environnement[17], sont davantage recherchées sur le lieu de résidence secondaire : 58% des adhésions, soit un taux très largement supérieur à celui constaté au niveau national (12,5%, d’après Prouteau et Wolff). Cette spécificité semble vouloir signifier la volonté d’exercer un droit de regard sur les politiques de développement local et donc sur les possibles changements territoriaux.

La participation aux associations est non seulement révélatrice du désir des résidents secondaires de s’investir localement, mais le type d’association choisie démontre un intérêt vis-à-vis des évolutions territoriales, voire un souhait de maîtrise de celles-ci. Cet intérêt est à mettre en relation avec le rapport particulier qu’ils entretiennent avec le lieu de villégiature (leur ancrage, leur projet) et les valeurs attribuées à ce lieu dans le système résidentiel des propriétaires.

La résidence secondaire, une place à préserver dans le système résidentiel.

« Pourquoi nous […] partageons notre vie, c’est parce que nous faisons des choses différentes. […] Si nous voulons aller au théâtre eh bien nous allons à Limoges […] ici c’est plus une vie de nature, c’est autre chose, voilà [ce sont] deux choses différentes »[18].

L’idée d’un lieu apportant une complémentarité aux opportunités proposées autour de sa résidence principale est classiquement avancée pour expliquer le succès de la résidence secondaire (Djist et al. 2005). Cette idée est illustrée par ce que représente ce second logement aux yeux du propriétaire. Ainsi, en Charente-Maritime, la résidence secondaire est avant tout un lieu de repos et de détente (77%), de retrouvailles familiales et amicales (53%) qui incarne aussi le changement et l’évasion (49%). Cependant, les caractéristiques que les propriétaires attribuent à leur résidence secondaire ne sont pas radicalement différentes de celles attribuées à leur logement principal (figure 6). Les seuls caractères qui différencient clairement les deux logements sont ceux relatifs au confort et au cadre (environnement et voisinage). La résidence secondaire s’inscrit donc en grande partie dans une continuité des valeurs qui caractérisent l’ensemble de l’espace de vie.

Figure 6 : Que représente la résidence secondaire pour son propriétaire ? Source : Étude Résidences Secondaires 17 (enquête courrier 2014).

Cette continuité des valeurs n’est toutefois pas incompatible avec une forme de réticence aux changements, à mettre en relation avec une volonté de conserver une identité « villageoise » de leur lieu de… villégiature. Cela se traduit à la fois par des craintes, mais aussi des attentes vis-à-vis de certains choix d’aménagement.

Les résidents secondaires semblent en effet particulièrement valoriser la proximité et les déplacements de courte distance sur leur lieu de villégiature : ils ont régulièrement recours aux commerces de proximité tels que les marchés, fréquentés par les deux tiers des résidents secondaires de Charente-Maritime (jusqu’à 80% à La Rochelle). Les focus groups ont été l’occasion, quelle que soit la commune enquêtée, de montrer un réel attachement à la préservation de ce type de commerce. Cette recherche de la proximité s’accompagne de pratiques de mobilité une fois sur place qui privilégient les modes de transport « doux » : plus des deux tiers des résidents secondaires affirment pratiquer régulièrement la marche à pied lors de leurs séjours. De plus, la moitié d’entre eux se promène régulièrement à vélo, pratique très répandue dans les îles (57% de pratique régulière à Oléron, 75% à Ré et jusqu’à 84% dans la commune des Portes-en-Ré). De ce fait, privilégiant les courtes distances, les propriétaires déclarent avec beaucoup d’enthousiasme utiliser beaucoup moins la voiture dans cette partie de leur espace de vie :

« Ne pas se servir de la voiture [dans la commune de résidence secondaire] c’est quand même un sacré élément de confort. Peut-être que je suis déformé par ma situation personnelle, mais pouvoir dire pendant 15 jours je ne mets pas la clé de contact à ma voiture, c’est extraordinaire franchement »[19].

Cette perception va de pair avec une tendance à la méfiance vis-à-vis du développement urbain de leur lieu de vacances :

« Depuis 2006 qu’on a acheté, l’éclosion de la commune m’affole un peu. Je ne voudrais pas que ça devienne trop grand. […] Qu’ils sachent s’arrêter à la bonne mesure pour rester quand même avec cette notion de village. Parce que j’ai peur que toutes ces constructions qui se font, ça enlève le charme »[20].

Ce mécontentement serait même un frein à une installation permanente : « J’ai un grand jardin et je voyais les arbres du marais, maintenant il y a des immeubles (…). Tant que la politique d’urbanisation se poursuivra, je ne viendrai pas m’installer à l’année »[21]. Ces constats font écho à d’autres travaux ayant effectivement montré que les résidents secondaires souhaitaient généralement préserver un environnement idéalisé (Müller 2002) (Overvåg et Berg 2011), rejoignant ainsi des logiques NIMBY (Not In My Back Yard) qu’ils partagent aussi avec beaucoup d’habitants à l’année (Farstad et Rye 2013). D’ailleurs, ils participent de manière minoritaire à l’extension de l’urbanisation dans le département puisque seuls 18% d’entre eux ont fait construire leur bien.

Cependant, il est possible d’observer des nuances spatiales qui montrent que les attentes des propriétaires doivent aussi être analysées en tenant compte des effets de contexte locaux, combinés à la spécificité des rapports aux lieux.

Différents contextes territoriaux, différentes perceptions du changement.

Parmi ceux ayant choisi d’adhérer à une association, l’implication des propriétaires dans les associations de « défense de droits et intérêts, promotion de causes » est nettement plus accentuée sur le littoral et les îles que dans les territoires ruraux (figure 7). Si cette différenciation peut être liée aux changements territoriaux plus intenses sur une frange littorale marquée par une forte attractivité touristique et résidentielle, elle s’explique aussi par la relation particulière tissée avec le lieu de villégiature.

Note de lecture : en Charente-Maritime (moyenne départementale), les associations locales de « défense de droit et intérêts, de promotion de cause » totalisent 42,47% du total des adhésions à une association déclarées par les PRS sur leur lieu de résidence secondaire. Ces adhésions se répartissent entre les associations de propriétaires (38,05%), les associations de protection de l’environnement (13,64%) et les associations de protection du patrimoine (5,84%). Nous avons choisi de traiter des adhésions et non des propriétaires adhérents car la question posée était à choix multiple, un même résident secondaire pouvant faire partie de plusieurs associations.

Figure 7 : Part des associations de « défense de droits et intérêts, de promotion de causes » dans le total des adhésions à une association des propriétaires sur leur lieu de résidence secondaire. Source : Étude résidences secondaires 17 (enquête courrier 2014).

Ainsi, la participation aux associations de protection de l’environnement et du patrimoine est particulièrement remarquable dans l’île de Ré ; ici, la majorité des propriétaires entretient un rapport affectif et émotionnel avec le territoire : l’ancienneté de leur fréquentation est élevée (34 ans, soit cinq ans de plus que la moyenne départementale) et leur résidence secondaire est surtout perçue comme un lieu de retrouvailles (70% contre 53% en moyenne) et d’attaches familiales et sentimentales (43% contre 31% à l’échelle du département). Cette topophilie est également soulignée par l’importance du projet de transmission du bien par donation, qui concerne 43% des propriétaires de l’île de Ré (moyenne départementale : 36%). À l’échelle du bien, cela révèle une volonté de « sécurisation » de leur logement, tant pour des raisons affectives (les souvenirs de vacances, la famille) qu’économiques, comme le soulignent aisément les prix de l’immobilier particulièrement élevés[22]. À l’échelle du lieu de villégiature, cette implication environnementale et patrimoniale de la part de propriétaires, dont une très large part (43%) est domiciliée en Île-de-France, vise aussi à conserver un cadre de vie tel qu’ils ont pu le connaître depuis qu’ils fréquentent le lieu : « J’avais passé au moins 15 ans sans revenir, et quand je suis revenu, je l’ai retrouvée [l’île de Ré] vraiment comme je l’avais laissée, comme elle était dans mon souvenir »[23].

Dans le cas rétais, où les résidences secondaires avoisinent près de la moitié du parc (voir figure 1), les propriétaires sont en phase avec les décideurs publics locaux sur des questions environnementales : l’écotaxe redevable au passage du pont est une ressource financière orientée vers une excellence environnementale recherchée par les élus (préservation des paysages, mise en place de navettes électriques, etc.). De ce fait, le niveau de satisfaction de ces mêmes propriétaires concernant la protection de l’environnement est le plus élevé de Charente-Maritime (78%). De plus, ils sont globalement favorables au maintien du péage du pont (source : focus group du 24 juillet 2014) pour lequel ils bénéficient d’un tarif préférentiel.

Dans d’autres contextes locaux, la participation aux associations, le rapport au lieu et les attentes des propriétaires peuvent différer. Certains résidents secondaires privilégient davantage les associations locales de propriétaires, en particulier dans les villes et grandes stations du littoral (La Rochelle, Royan). Majoritairement propriétaires d’un appartement[24], ces propriétaires considèrent plus qu’ailleurs leur bien comme un placement financier et le projet de le vendre ou de le louer est également beaucoup plus présent[25]. À la différence du cas précédent, ces propriétaires, dont une part importante réside en Poitou-Charentes[26], semblent entretenir un rapport avec le lieu de résidence secondaire moins affectif et moins tourné vers le passé. C’est particulièrement vrai à La Rochelle où l’antériorité des résidents secondaires dans le lieu est plus faible (23 ans en moyenne) tout comme la part d’héritiers (10%). Cependant, dans ce territoire urbain, mieux équipé et moins marqué par la saisonnalité, la part de ceux souhaitant s’y installer à l’année y est remarquable (20% contre 13% à l’échelle départementale). Enfin, leur participation à la vie associative locale, facilitée par une fréquentation assidue et régulière tout au long de l’année (87 jours dont 32 hors saison sur la commune de La Rochelle) est également très tournée vers les activités sportives ou culturelles. Ce choix peut être interprété comme une volonté d’intégration destinée à préparer leur projet d’installation à l’année[27]. Dans ce second cas, le rapport au changement apparaît plus prospectif que rétrospectif, le projet comptant plus que le souvenir.

 

En définitive, l’analyse de la manière dont les résidents secondaires perçoivent les changements de leur lieu de villégiature nous montre l’importance de la résidence secondaire dans le système résidentiel des propriétaires. En effet, cette perception du changement est à lire suivant trois dimensions.

La première dimension est relative à l’organisation des mobilités au sein du système résidentiel : la répétition des mobilités entre résidences permet de considérer la résidence secondaire comme une partie intégrante d’un même espace de vie. En cela, les déplacements récurrents créent du lien plus que de la rupture entre les différents pôles de l’habiter, et traduisent la recherche d’une altérité rassurante où les résidents secondaires « changent d’air » tout en « restant » dans un environnement familier. De plus, l’intensité des mobilités inter ou intra-annuelles révèle un véritable attachement au lieu et confère aux résidents secondaires une sensibilité particulière aux changements au sein du territoire de villégiature, qu’ils soient perceptibles sur le temps long (croissance urbaine) ou sur un temps plus court (effets de saisonnalité).

La deuxième dimension réside dans la volonté des résidents secondaires à être considérés comme des habitants à part entière. L’implication de certains d’entre eux dans la vie locale vise à leur donner une légitimité que leur statut d’intermittent territorial ne leur accorde pas. Les résidents secondaires peuvent alors revendiquer un droit de regard sur les transformations d’un espace à la fois temporaire et familier. Leur positionnement vis-à-vis de ces changements s’explique en grande partie par les valeurs attribuées à leur lieu de résidence secondaire (valorisation de la proximité, préservation d’un environnement idéalisé) et a pour objectif de préserver ce qui pourrait menacer ces valeurs au sein de leur système résidentiel : urbanisation excessive, dégradation des paysages, disparition des commerces de proximité.

Enfin, la dernière dimension relève de la spécificité des contextes territoriaux dans lesquels s’inscrit la résidence secondaire. Le cas des îles touristiques de notre étude est exemplaire en ce sens, car il y existe une corrélation entre le rapport affectif au lieu et la participation à des associations de protection de l’environnement, exprimant un désir de préserver un statu quo de la part de propriétaires. Dans les territoires plus urbanisés, le rapport affectif est moindre et le projet compte plus que le souvenir. Les attentes sont alors plus complexes en matière de développement local, dans la mesure où une plus large part de propriétaires souhaite devenir habitants à l’année.

Dès lors, quelle place dans la gouvernance territoriale les élus locaux doivent-ils réserver aux résidents secondaires ? Faut-il intégrer leur expertise pour bénéficier de leur soutien dans le développement local, avec un risque de désaccord sur les orientations à privilégier ? Faut-il les laisser à l’écart, en considérant qu’ils bénéficient des actions engagées auprès des résidents permanents concernant l’amélioration du cadre de vie ? Si l’étude menée en Charente-Maritime n’avait pas pour objectif de répondre à ces questionnements, elle aura permis de mieux cerner les pratiques, les représentations et les attentes d’une population à la fois mobile et ancrée dans les lieux, avec laquelle les élus des territoires touristiques littoraux doivent nécessairement composer.

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Note

[1] Établissement de coopération intercommunale à fiscalité propre.

[2] FILOCOM : FIchiers des LOgements à l’échelle COMmunale. Système d'observation statistique des logements qui correspond à un traitement automatisé de données issues des fichiers fiscaux et fonciers sur le territoire métropolitain.

[3] MAJIC III : système d’information gérant les fichiers fonciers délivrés par la Direction Générale des Finances Publiques (bases de données cadastrales et fiscales).

[4] Monsieur V., 57 ans, propriétaire à Saint-Denis d’Oléron, focus group du 21 juillet 2014.

[5] Les résidents secondaires se promènent pour « constater si le décor devenu maintenant familier est toujours en place – villages, routes et chemins, commerces etc. – et à repérer, souvent déplorer ce qui a changé : volets fermés, arbres abattus, installation de poteaux électriques » (De La Soudière 1998, p. 136).

[6] Source : Observatoire des Clientèles Touristiques, Charente-Maritime Tourisme, 2014.

[7] Monsieur J-F. C., propriétaire à Saint-Palais-Sur-Mer, focus group du 16 juillet 2014.

[8] Madame C.S, propriétaire au Bois-Plage-en Ré, focus group du 24 juillet 2014

[9] Monsieur F.M., propriétaire à Châtelaillon-Plage, focus group du 25 juillet 2013.

[10] Monsieur P.M., propriétaire à Fouras, focus group du 23 juillet 2014

[11] Madame J.M., propriétaire à Châtelaillon-Plage, focus group du 24 juillet 2013.

[12] Monsieur J-J.O., propriétaire à Saint-Denis-d’Oléron, focus group du 21 juillet 2014.

[13] Monsieur J.S., propriétaire à Saint-Palais-Sur-Mer, focus group du 16 juillet 2014.

[14]Monsieur D.O., propriétaire à Châtelaillon-Plage, focus group du 17 juillet 2013.

[15] Monsieur J.S., propriétaire à Saint-Palais-Sur-Mer, focus group du 16 juillet 2014.

[16] Monsieur J-J.O., propriétaire à Saint-Denis-d’Oléron, focus group du 21 juillet 2014.

[17] Nous avons choisi d’ajouter également les associations de défense et de valorisation du patrimoine (culturel) que Prouteau et Wolff classent dans la même catégorie « culture » que les associations théâtrales ou musicales, ce qui ne nous semblait pas pertinent dans le cadre notre problématique.

[18] Madame M.L., propriétaire à Fouras, focus group du 23 juillet 2014.

[19] Monsieur JJ.V., propriétaire à Saint-Palais-Sur-Mer, focus group du 16 juillet 2014.

[20] Madame J.M., propriétaire à Châtelaillon-Plage, focus group du 24 juillet 2013.

[21] Madame S., propriétaire à Châtelaillon-Plage, focus group du 24 juillet 2013.

[22] Entre 4100 et 5800 €/m² selon les communes rétaises pour une maison, soit plus du double de la moyenne départementale (1992 € /m²). Ces prix sont aussi beaucoup plus élevés que ceux pratiqués à La Rochelle ou Royan (autour de 2500 €/m²). Le prix net vendeur 2015 est estimé à partir des annonces immobilières.

[23] Monsieur F.D., propriétaire au Bois-Plage-en-Ré depuis 2006, focus group du 24 juillet 2014.

[24] La part des appartements dans le total du parc communal de RS atteint 78% à La Rochelle et 53% à Royan.

[25] 17% des propriétaires d’une résidence secondaire à la Rochelle déclarent, en projet d’avenir, vouloir vendre leur bien ou le louer ponctuellement. Cette proportion atteint 15% sur la CA Royan-Atlantique, contre 11% sur l’île de Ré et 10% sur l’île d’Oléron.

[26] La part des propriétaires domiciliés en Poitou-Charentes atteint 38% dans l’agglomération de La Rochelle et 33% dans l’agglomération royannaise.

[27] Les adhérents aux associations sportives sont en effet plus nombreux à envisager de devenir résidents principaux.

Résumé

Les résidents secondaires sont caractérisés par des mobilités fréquentes entre plusieurs espaces de vie. Vis-à-vis de leur lieu de villégiature, ils constituent une catégorie de population hybride, ni vraiment touriste, ni vraiment résidente, car ils sont propriétaires d’un logement où ils ne résident pas toute l’année. De ce fait se pose la question de leur légitimité à s’exprimer sur les changements affectant le territoire où est localisé leur second logement. Il s’agira de partir de l’hypothèse suivante : la configuration particulière de leur système résidentiel, et les mobilités spatiales qui en découlent, influenceraient la perception des changements territoriaux de leur lieu de villégiature. Notre analyse s’appuiera sur les résultats d’une étude d’envergure menée dans un département du littoral atlantique français, la Charente-Maritime. Après avoir présenté la méthodologie de cette étude, nous analyserons le lien entre les modalités de fréquentation de la résidence secondaire et le développement d’une certaine sensibilité aux changements de la part des propriétaires. Cette sensibilité aux changements peut s’accompagner d’une volonté d’exercer un droit de regard sur ces changements. Dès lors, leurs perceptions et leurs attentes peuvent être éclairées par la place accordée à la résidence secondaire au sein de leur système résidentiel.

Pour faire référence à cet article (ISO 690)

Didier VyeCaroline BlondyCaroline BontetStéphane DonnatChristine Plumejeaud-Perreau et Luc Vacher, « Quand les mobilités influencent la perception des changements territoriaux. », EspacesTemps.net [En ligne], Travaux, 2017 | Mis en ligne le 23 mars 2017, consulté le 23.03.2017. URL : https://www.espacestemps.net/articles/quand-les-mobilites-influencent-la-perception-des-changements-territoriaux/ ;