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Serendipity.

Des virus et notre humanité

Cet article est proposé par le rhizome Chôros.

Pour expliquer la dynamique de la pandémie du Sars-CoV-2 de 2020, de nombreux « facteurs » simples ont été proposés : l’âge ou des prédispositions génétiques des patients, la pollution… dont certains, d’autre moins, ont résisté à l’avalanche des informations et aux avancées de la recherche. D’autres, comme la température (le virus serait tué par la chaleur) apparaissaient crédibles au début de la pandémie – puisque la zone intertropicale était peu touchée – et se sont affaiblies au fur et à mesure que la carte mondiale du virus évoluait. D’autres encore, portant sur les origines du virus, ont été l’occasion de proposer les généalogies parfois fantaisistes (sur la déforestation, par exemple) qui se sont éteintes d’elles-mêmes tant elles prenaient de libertés avec les données factuelles. C’est souvent par la superposition de cartes que le raisonnement a pu se faire. Les choses se sont compliquées lorsque l’on a compris que chacune des logiques que l’on cherchait à isoler était hybride.

Que veut dire ici le mot « hybride » ? Il a d’abord un sens méthodologique élémentaire. La démarche analytique, consistant à isoler autant que possible chaque caractéristique d’un phénomène pour pouvoir le décrire avec précision, se révèle difficile à appliquer tant notre méconnaissance multiple de la chose à analyser l’entrave. Le simple comptage des cas (qui augmente encore plus en raison du nombre de tests que de la propagation de l’épidémie) ou des décès (qui varie d’un pays et d’un moment à l’autre en fonction de l’identification de la cause et de la prise en compte du lieu du décès) devient acrobatique. Il faut donc se contenter de « bricoler », avec la plus grande rigueur possible.

L’hybridité porte aussi sur les dispositifs argumentatifs. Dès que l’on veut essayer de comprendre ce qui se passe, on doit associer des données purement biologiques (comme les caractéristiques du virus et les syndromes qu’il provoque), des fait proprement sociaux (les politiques publiques, les attitudes et les pratiques des habitants) et des éléments mixtes (comme le rôle de l’âge des patients ou les interactions sociales favorisant plus ou moins la transmission du virus) sans qu’il soit toujours possible de les distinguer. Ainsi, dans les échanges entre « experts » spécialisés, l’un peut commencer par présenter des hypothèses sur la durée de vie du virus dans un aérosol en suspension dans l’air, un autre lui répondre en s’interrogeant sur les effets du port du masque et un troisième sur le statut des contraintes sanitaires dans les républiques démocratiques. On peut dire que cette complication constitue le lot quotidien de la médecine, mais cette difficulté se combine dans le cas de la Covid-19 avec une exigence d’y voir suffisamment clair pour prendre des décisions rapides et fortes et cette impossibilité de définir une problématique unifiée devient à son tour une caractéristique non négligeable de la situation.

Ces logiques combinent au sein des sociétés les propriétés – forces ou faiblesses – relevant du virus lui-même à différents « principes actifs » proprement sociaux, mais se manifestant selon des modalités diverses. Et ce sont ces différents hybrides qui peuvent entrer en collision ou, au moins, se rencontrer dans le désordre en créant un ensemble hétérogène de raisonnements qui défie la quête d’« unité d’action » que vise toute démarche théorique lorsqu’elle cherche à penser ensemble des différences.

Cette difficulté épistémologique peut être vue comme la conséquence d’une dualité. D’un côté, la responsabilité des sociétés sur les mondes bio-physiques s’impose dans tous les domaines et la nourriture cognitive de cette responsabilité échoit, pour une part croissante, à la recherche scientifique ; Celle-ci ne peut se contenter de juxtaposer des savoirs mais, c’est son métier, doit trouver, d’une manière ou d’une autre, des cohérences. De l’autre, l’extériorité des forces et des mécanismes de ces mondes persiste. Un événement qui touche, pendant plus d’un an, des milliards de personnes est à n’en pas douter un fait social total, mais qui a la particularité d’inclure des composantes allochtones, inassimilables en tant que telles par les sociétés. La pandémie nous a projeté dans un entre-deux théorique. Dans notre recherche de l’intelligence de ces phénomènes, nous ne pouvons nous situer ni dans une approche similaire à l’étude d’un séisme ou d’une des cinq grandes « extinctions » de l’histoire de la vie sur Terre, phénomènes sur lesquels l’action humaine a eu ou a très peu d’incidence, ni, à l’inverse, dans une démarche technologique comme l’extraction de matières premières où la carte géologique des sources devient secondaire face à la construction sociale des ressources et à la transformation de ces ressources en capital naturel. Le climat et la biodiversité font clairement partie de ce domaine structurellement hétérogène, tant, en tout cas, que la part du non-maîtrisable (parce qu’on ne peut ni vraiment prévoir, ni totalement prévenir les événements, mais seulement les anticiper ou les atténuer) demeure déterminante. La différence entre une grippe avec et une grippe sans vaccin permet aisément de comprendre où se situe la frontière. Dans tous les cas, la nature est une composante du social, c’est une culture, puisque les humains inventent toujours, quelle que soit l’efficacité de son action sur elle, ne serait-ce que des images et des imaginaires des environnements biophysiques. Cependant, ces cultures diffèrent selon la plus ou moins grande prégnance de l’artificiel.

Cette complication aura été une incitation sans pareille à penser le complexe. Dans ce dossier, les cartes sont de multiples manières mises à contribution pour y voir plus clair dans les spatialités imbriquées de la pandémie. Le choc et l’hybridation des échelles, du micro au macro, du logement au Monde, y sont plus particulièrement interrogés. Enfin, plusieurs textes profitent de l’événement en ouvrant de nouvelles pistes pour penser, plus généralement, la place de la nature au sein des dynamiques sociales. C’est pourquoi en cherchant un virus, les auteurs de ces contributions ont trouvé bien d’autres choses qui concourent à croquer, portrait et paysage, l’humanité d’aujourd’hui.

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Cet article est proposé par le rhizome Chôros. Pour expliquer la dynamique de la pandémie du Sars-CoV-2 de 2020, de nombreux « facteurs » simples ont été proposés : l’âge ou des prédispositions génétiques des patients, la pollution… dont certains, d’autre moins, ont résisté à l’avalanche des informations et aux avancées de la recherche. D’autres, comme la température (le ...

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