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Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

Évolutions des parcours migratoires et résidentiels des habitants de Bogotá (1993-2009).

Durant la fin du siècle dernier, les grandes villes latino-américaines, dont fait partie Bogotá, ont connu un tournant dans leurs dynamiques de peuplement : après des décennies de croissance démographique très rapide, soutenue par la transition démographique et un exode rural important, elles sont entrées dans une phase de croissance plus ralentie et plus endogène, où la part des migrations dans la croissance est de plus en plus faible et où les mobilités résidentielles intra-urbaines prennent une importance croissante dans les recompositions urbaines (Dureau 2000a) (Le Roux 2015). Ces grandes évolutions s’inscrivent à l’échelle des parcours des habitants de ces grandes villes : une part croissante des habitants débutent leurs parcours résidentiels au sein de ces villes dans des quartiers de plus en plus diversifiés et, au contraire, ces villes sont peuplées par une part de plus en plus réduite de migrants internes issus de zones rurales. La notion de « stade de peuplement », développée dans un cadre plus large d’analyse du changement urbain (Le Roux 2015), instaure un continuum entre ces grandes évolutions des dynamiques de peuplement de la ville et les évolutions des manières d’habiter des individus, ce qui offre un cadre d’analyse des « mobilités en changement ». Les villes connaîtraient différents stades [1] au cours de leur développement, liés à la superposition de processus démographiques et sociaux qui dépassent les frontières des villes et de transformations à l’échelle des villes elles-mêmes. Ces stades se répercuteraient alors dans les expériences vécues par les habitants et leurs pratiques de mobilité. Cette notion et son application empirique ont été introduites, à l’origine, pour étudier le changement urbain à l’échelle de l’agglomération et de ses quartiers, à partir des pratiques de mobilité des habitants, en considérant les habitants comme des acteurs à part entière du changement urbain (Lelièvre et Lévy-Vroelant 1992) (Dureau et al. 2000) (Dureau et al. 2014). Ainsi, l’étude de l’évolution des parcours des habitants offre en retour une manière d’analyser le changement urbain et ainsi « le changement par les mobilités ». Cet article s’en tiendra néanmoins à l’étude de l’évolution des mobilités individuelles : l’objectif est de montrer dans quelle mesure l’entrée de Bogotá dans ce stade de peuplement contemporain se traduit dans les parcours migratoires et résidentiels intra-urbains des habitants et, plus globalement, dans l’évolution de leurs manières d’habiter la ville.

Une première section est consacrée à présenter le positionnement théorique et la problématique développée dans cet article. Une deuxième section présente la méthode d’analyse et les sources utilisées pour étudier l’évolution des parcours des habitants de Bogotá. Enfin, les dernières sections sont dédiées à l’analyse, à partir de l’exploitation de deux enquêtes biographiques sur les mobilités spatiales, réalisées à Bogotá à 16 ans d’écart, de l’évolution des parcours successivement migratoires et résidentiels intra-urbains.

Des dynamiques démographiques aux pratiques de mobilité individuelles.

Dynamiques de peuplement et évolution des parcours.

La Colombie, à l’image de l’ensemble du continent latino-américain, a connu une urbanisation particulièrement rapide à partir du milieu du 20e siècle, qui s’explique par la juxtaposition de la forte croissance démographique, causée par l’entrée dans la transition démographique, et d’une migration importante du rural vers l’urbain, auquel a pu contribuer en partie le processus d’industrialisation (Flórez 2000). La moitié de la population colombienne devient urbaine à la fin des années 1950, alors qu’un individu sur trois l’était en 1938. Les différentes études sur les dynamiques migratoires colombiennes montrent comment s’est constitué le réseau urbain colombien pendant la seconde moitié du 20e siècle, et comment se sont diversifiés les flux migratoires depuis l’exode rural du milieu du siècle (Martínez et Rincón 1997) (Gouëset et Mesclier 2004, p. 47-54) (Rubiano et González 2007). Autour des années 1950, le processus d’exode rural massif se caractérise par des migrations de courte distance. Les quatre plus grandes villes du pays, dont Bogotá, puisent dans des bassins migratoires de proximité relativement disjoints et polarisent très largement les flux migratoires. La composition démographique particulière de ces flux, majoritairement féminins et de jeunes adultes, contribue à l’accélération de la croissance urbaine, celle-ci étant en effet alimentée par la migration mais également par l’accroissement naturel de la population urbaine, auquel contribuent les migrants arrivés en ville. Dans les années 1970 et 1980, les flux se diversifient à mesure que la Colombie entre dans un stade de transition urbaine avancée. Aux migrations d’origine rurale s’ajoutent de plus en plus de migrations interurbaines. Les parcours se complexifient et la composition sociale des flux se diversifie. Les migrations se masculinisent progressivement, plus spécifiquement lorsqu’il s’agit de flux en direction de départements « développés » comme Bogotá (Martínez 2006) (Fusco et al. 2014).

Bogotá s’impose progressivement, depuis les années 1970, comme la première ville de Colombie, tant d’un point de vue démographique [2] que par sa capacité à s’adapter et à profiter des transformations économiques et sociales qui ont eu lieu tout au long de la seconde moitié du 20e siècle. Si l’on peut parler de déconcentration de la migration à partir du milieu des années 1980, avec notamment un rôle accru des villes moyennes dans le système migratoire colombien, Bogotá renforce néanmoins sa position au sein de ce système : la capitale continue d’accueillir des migrants issus de son bassin migratoire traditionnel ou déplacés par le conflit en zone rurale [3], auxquels s’ajoutent des migrations d’origine urbaine de plus en plus lointaines (Jaramillo 1998). Depuis les années 1990, la tendance se poursuit (Fusco et al. 2014). Ces transformations ont pour effet de modifier qualitativement et quantitativement les dynamiques de peuplement de Bogotá : les migrations vers la capitale sont plus diversifiées, tant par les origines géographiques que par leur composition sociale. Néanmoins, à mesure de l’avancée du pays dans la transition urbaine et plus particulièrement à partir des années 1970, les migrations prennent de moins en moins d’importance dans la croissance de Bogotá. Entre 1985 et 2005, la part des migrations dans la croissance de Bogotá chute considérablement, passant de 36 % sur la période 1985-1990 à environ 15 % sur la période 2000-2005. La croissance naturelle est donc, depuis les années 1990, de loin le principal facteur de la croissance démographique de Bogotá.

Des liens peuvent être établis entre dynamiques démographiques et pratiques de mobilité. Dès 1971, W. Zelinsky établit un lien entre les transitions démographiques et urbaines et ce qu’il a appelé « transition de la mobilité ». Celle-ci est décomposée en trois phases principales : 1/ fort mouvement des campagnes vers les villes, émigration importante et augmentation de différentes formes de circulation (en début de transition démographique) ; 2/ diminution du mouvement vers les villes, émigration importante et intensification ainsi que complexification des circulations (en transition démographique avancée) ; 3/ augmentation de la mobilité résidentielle qui oscille à un haut niveau, maintien des migrations des campagnes vers les villes à un niveau bas, nombreuses migrations interurbaines, immigration en provenance de pays moins développés, émigrations ou circulations internationales des individus qualifiés, circulations intenses et plus rapides, notamment pour des raisons économiques et de loisirs mais également pour d’autres motifs (en fin de transition démographique). Les données manquent pour vérifier cette hypothèse dans le cas de l’Amérique latine, où la mobilité résidentielle intra-urbaine reste peu étudiée en comparaison des migrations internes et internationales. Néanmoins, une restructuration des pratiques de mobilité s’observerait à l’échelle des villes elles-mêmes, sous l’effet de transitions démographique et urbaine avancées. La croissance des villes ralentit et leur population vieillit. La migration participe de moins en moins à la croissance, et les migrants d’origines géographiques plus diversifiées sont davantage issus du monde urbain. La part relative des natifs, qui déroulent leurs parcours résidentiels dans une ville où ils ont grandi, augmente. Ainsi, le poids croissant des mobilités intra-urbaines devient un facteur décisif des recompositions internes des grandes villes.

Pratiques de mobilité spatiale : choix résidentiels et manières d’habiter.

Différents évènements, tout au long de la vie d’un individu, le portent à changer de lieu de résidence. La dépendance réciproque entre mobilité résidentielle et mobilité professionnelle, ainsi que les liens entre changements de résidence et constitution de la famille, ont été largement étudiés. D’autres éléments peuvent motiver les individus à changer de logement : la dégradation de l’environnement de résidence, le désir d’accession à la propriété, la recherche de confort, l’affirmation d’un nouveau statut social ou le choix d’un nouveau mode de vie. Au cours de l’avancée dans le cycle de vie familial et professionnel, les ménages s’efforcent donc d’adapter leur logement à leur situation et à leurs aspirations, et procèdent à des « choix sous contraintes » (Bonvalet et Dureau 2000).

Les choix résidentiels sont complexes et se déclinent dans le choix d’un type de logement, d’un statut d’occupation, d’une localisation et d’un contexte urbain. Les ménages, disposant d’un capital économique et social différent, ne possèdent pas la même marge de manœuvre entre ceux qui n’en ont pas ou peu et d’autres dont les choix sont plus libres et peuvent exprimer une logique particulière d’ascension sociale, de reproduction sociale, professionnelle, familiale (Bonvalet 2010). D’autres contraintes s’exercent sur ces choix, qui sont davantage d’ordre culturel et social : les choix effectués sont dans une certaine mesure le produit de mécanismes sociaux façonnant les attentes, les jugements, les habitudes, les attitudes (Grafmeyer 2010, p. 35-36), de même que les modèles culturels locaux et les effets de mode pèsent sur les conduites et les choix des ménages (Bonvalet et Dureau 2000). Malgré les différentes contraintes qui pèsent sur les choix résidentiels, les études empiriques montrent que les ménages, même les plus pauvres, possèdent tout de même une marge de manœuvre, sont capables d’établir des stratégies pour les contourner, voire peuvent s’écarter complètement de leurs « destinées » résidentielles (Authier, Bonvalet et Lévy 2010).

La logique s’exprime d’ailleurs autant dans le fait de rester dans le logement actuel que dans le fait d’en partir (Authier et Lévy 2010). « La mobilité peut être appréhendée comme un changement de position relative dans un espace décrit dans de multiples dimensions » (Dureau et al. 2006, p. 160) : le logement et ses caractéristiques, la position relative des membres de la famille et du travail, les caractéristiques du quartier, la position relative du quartier au sein de l’aire métropolitaine, etc. Or, cette mobilité ne suppose pas forcément un déménagement. Les lieux évoluent, la position des lieux relativement au reste de l’aire métropolitaine et de ses ressources aussi.

Prises dans un sens large, « les « manières d’habiter » mettent en jeu des systèmes d’attitudes et de pratiques qui se rapportent à la fois au logement, au voisinage, au quartier et à la ville » (Grafmeyer et Authier 2008, p. 44). Elles se traduisent en pratiques concrètes à différentes échelles de lieux et de temporalités, articulant les dimensions résidentielle et quotidienne des pratiques spatiales. Manières d’habiter et choix résidentiels sont intimement liés : le choix résidentiel (la localisation et les caractéristiques du logement par exemple) peut en effet être lié au choix d’un mode de vie et de formes spécifiques de pratiques spatiales. La localisation et les caractéristiques du logement ont divers effets sur les manières d’habiter. Par exemple, vivre en habitat collectif ou individuel induit des formes de coexistence spécifiques, et la localisation du quartier, son image, ses ressources structurent les usages et les sociabilités au sein du quartier. Plus concrètement, à Bogotá (Dureau 2006, p. 270-271) les choix des ménages aisés de vivre en lointaine périphérie dans de grandes propriétés ou dans des appartements à proximité de l’emploi impliquent des manières d’habiter différentes : dans le premier cas, le cadre de vie plus « naturel », le choix de résider dans un environnement moins pollué, mais tributaire de l’usage d’un véhicule motorisé pour les déplacements quotidiens, engage des pratiques de l’espace bien différentes que dans le deuxième cas, où la recherche d’une métrique piétonne ou parfois même d’une « vie de quartier » est privilégiée. Autre exemple, le choix de résider en ensembles résidentiels fermés engagerait, par sa fermeture sur l’extérieur, un faible usage du quartier et, à l’inverse, un plus fort investissement du lieu de résidence, les ensembles résidentiels fermés offrant souvent différents équipements (jeux pour enfants, terrains de sport, piscines, etc.).

Le rôle des expériences sur les pratiques de mobilité spatiale.

L’une des particularités des choix résidentiels est qu’ils sont influencés par l’expérience vécue, par des habitus qui « se construisent au fil des ans, dans l’influence réciproque des pratiques et des représentations de l’espace » (Fortin et Després 2010, p. 273). Ainsi, les choix résidentiels se construisent, en partie, en fonction des lieux dans lesquels l’individu a vécu ou qui font sens pour lui : les « espaces de référence », constitués des lieux de l’origine familiale et les « espaces fondateurs », constitués des lieux dans lesquels l’individu a vécu pendant l’enfance, l’adolescence, les lieux familiers à l’individu et dans lesquels il a été socialisé (Gotman 1999). Ils se concrétisent dans l’espace urbain par la préférence des individus pour : une localisation ; un type particulier d’habitat, par exemple la plus forte présence de personnes originaires de la campagne à mesure que l’on s’éloigne en périphérie ou le retour des personnes âgées vers les lieux de résidence de leur enfance (Fortin et Després 2010) ; un environnement particulier, comme la présence d’espaces verts (Gueymard 2006) ; ou même un statut d’occupation, par la transmission intergénérationnelle non uniquement matérielle (Gotman et Bertaux-Wiame 1993).

Il en est de même pour les manières d’habiter. En effet, les individus peuvent reproduire ou réadapter des manières d’habiter héritées d’un lieu dans lequel ils ont vécu antérieurement. Cela a été discuté dans le cas d’expériences à l’étranger dans des contextes urbains et culturels différents, et prend tout son sens à Bogotá où les migrations internationales sont sujettes à des circulations avec des villes étatsuniennes, vénézuéliennes et européennes (Giroud et al. 2014). Mais cette considération peut s’étendre à tout type d’expérience autre, bien mise en évidence à travers les difficultés de réadapter ses manières d’habiter, dans le cas par exemple de personnes qui ont eu des expériences de migrations entre grandes villes et campagnes (Gotman 1999).

Problématique et approche.

Les développements précédents cherchent à mettre en évidence le continuum qui existe entre les grandes évolutions démographiques et les évolutions des pratiques de mobilité spatiales au sein des grandes villes. Au cours du développement de ces dernières, elles traversent différentes phases susceptibles de modifier en profondeur les pratiques de mobilité des habitants. La notion de stade de peuplement recouvre alors l’idée que, par exemple, l’avancée d’un pays dans la transition démographique et dans la transition urbaine s’accompagnerait d’une modification des comportements de mobilité spatiale des habitants des villes, à travers non seulement les changements de composition de leur population, mais aussi du fait des évolutions des expériences que leurs habitants ont pu vivre, de leurs parcours. Ces changements de comportement entrent également en interaction avec les caractéristiques et les temporalités propres des villes. Les âges et les rythmes de croissance des villes contribuent par exemple à modeler les caractéristiques et les configurations de l’offre de logements (l’offre neuve comme le vieillissement et la transformation du parc ancien) et de l’ensemble des ressources urbaines (emploi, transports, services, etc.). Les pratiques de mobilité des habitants sont alors influencées ou contraintes par les caractéristiques de cette offre et participent en retour aux recompositions des différents quartiers.

Bogotá traverse 3 grandes périodes à partir des années 1940 : une période de début de transition démographique où Bogotá connait une forte croissance, du fait d’un exode rural et d’une croissance naturelle très importants ; une période, entre les années 1970 et 1990, de ralentissement de la croissance de Bogotá, avec une diversification des lieux d’origine des migrations ; et enfin une période depuis les années 1990, qui se caractérise par une phase de croissance ralentie, reposant presque essentiellement sur sa croissance naturelle.

Ainsi, les questions qui seront explorées dans cet article sont :

– Comment se matérialise l’avancée dans ce stade de peuplement récent (depuis les années 1990) en termes d’évolution des parcours migratoires et résidentiels intra-urbains ?

– En quoi ces changements contribuent à faire évoluer les pratiques de mobilité spatiale des habitants de Bogotá ?

L’approche développée articule une approche globale et une approche biographique des mobilités. Ces positions s’insèrent dans la lignée de développements théoriques et méthodologiques construits dans un dialogue entre disciplines et par des expériences sur des terrains variés. L’approche globale des mobilités (Bassand et Brulhardt 1980) (Lévy et Dureau 2002) pose l’existence d’un continuum et d’interrelations entre les échelles spatio-temporelles des mobilités (migration, mobilité résidentielle intra-urbaine, mobilité quotidienne). Elle contribue à la compréhension des comportements des ménages et des manières dont ceux-ci s’ancrent dans l’espace urbain et accèdent aux différentes ressources. L’articulation des échelles de mobilité montre la nécessité d’envisager les comportements sur un temps long. Une approche biographique (GRAB 1999) (Dureau et Imbert 2014), qui consiste à appréhender les parcours à l’échelle de la vie des individus, permet de traduire les manières dont les individus se repositionnent dans l’espace tout au long de leur vie. Les parcours dans leur ensemble expriment des choix et des stratégies des individus et des ménages, en réponse à l’évolution des contextes et aux différents événements relatifs aux histoires individuelles et familiales. La combinaison de ces deux approches permet finalement d’appréhender les comportements des individus comme les produits de leurs expériences résidentielles et migratoires.

Une méthode d’analyse diachronique.

Cette étude sur Bogotá s’appuie principalement sur deux enquêtes biographiques, réalisées à 16 ans d’intervalle (enquêtes mobilités CEDE-ORSTOM 1993 [4] et METAL 2009 [5]). Celles-ci ont été réalisées dans douze zones d’enquête, réparties dans l’ensemble de l’agglomération. Les deux enquêtes reposent sur trois principes : (1) une approche globale des mobilités, en considérant les pratiques de mobilité quelles que soient leur distance (des mouvements intra-urbains à la migration) et leur durée (des migrations aux déplacements quotidiens), (2) une approche biographique, pour étudier comment les personnes conjuguent leurs pratiques résidentielles tout au long de leur vie au regard des parcours familiaux, éducatifs et professionnels, (3) une approche replaçant l’individu dans sa famille et son réseau de relations sociales. Le volet quantitatif a été appliqué, pour chacune des dates, à environ 1000 ménages répartis dans une dizaine de zones d’enquête – elles-mêmes placées dans une grande diversité de quartiers de l’aire métropolitaine de Bogotá – dont 9 sont communes aux deux dates (figure 1). Pour chaque ménage enquêté, les parcours migratoires, résidentiels, familiaux, éducatifs et professionnels d’un adulte ont été collectés, selon la méthode des quotas. Un volet qualitatif a également été appliqué, en 2009, à un sous-échantillon d’environ 10 % des ménages enquêtés, et consiste en un approfondissement de l’enquête quantitative par des entretiens centrés autour de trois thèmes : histoire de vie ; espace de vie ; représentations de la ville.

Figure 1 : Position des zones d’enquête et niveau socio-économique en 2005.

L’exploitation conjointe de ces enquêtes permet de décrire les évolutions, entre 1993 et 2009, des parcours migratoires et résidentiels intra-urbains qui reflètent le stade de peuplement actuel de Bogotá, et d’en montrer les liens avec l’évolution des pratiques de mobilité spatiale. Pour cela, il est nécessaire de préciser la méthode utilisée pour analyser les deux enquêtes biographiques mobilisées.

Tout d’abord, les méthodes de collecte et la définition des univers n’ont pas été strictement identiques [6] et des ajustements ont été réalisés pour rendre les deux enquêtes statistiquement comparables, à travers la définition d’un univers commun (Le Roux 2015, p. 103-106). Ensuite, les échantillons biographiques de 1993 et 2009 ont été étudiés pour mieux cerner dans quelle mesure ils sont représentatifs de la population métropolitaine à chaque date, et les évolutions qu’elles permettent de mesurer au regard de leur superposition (Le Roux 2015, p. 212-217) : en l’espace de 16 ans, la population ne s’est pas entièrement renouvelée et certains évènements biographiques (les migrations et les changements de logements) se sont déroulés dans les mêmes contextes.

Bien que la méthode des quotas n’a pas eu vocation à la rendre représentative de la population métropolitaine, la composition socio-démographique des deux échantillons est relativement proche de celle de l’aire métropolitaine dans son ensemble, et rend compte des évolutions majeures observées sur la période à partir des recensements. L’interprétation des résultats nécessite néanmoins deux précautions importantes : les résultats extrapolés, produits à partir de chacune des enquêtes, correspondent à la population de l’ensemble des zones d’enquête (et non de l’aire métropolitaine dans son ensemble) et l’analyse des parcours par catégorie de population (selon l’âge, le niveau socio-économique, etc.) est liée à la localisation de ces catégories de population dans l’univers enquêté (et ne correspond pas fidèlement à la répartition de ces populations dans l’ensemble de l’agglomération).

L’étude des échantillons vis-à-vis des générations d’individus montre que l’échantillon de 2009 n’est renouvelé que partiellement par rapport à celui de 1993 : environ un tiers des individus sont de générations récentes ; un autre tiers des individus sont de générations plus anciennes mais qui ne peuplaient pas encore les zones d’enquête en 1993 ; et un dernier tiers sont de générations plus anciennes et étaient déjà présents en 1993 dans les zones d’enquêtes. Une méthode d’analyse par génération est donc particulièrement intéressante pour montrer des changements de comportement. Et la comparaison directe des deux échantillons, même s’ils se superposent, rend compte de phénomènes liés au stade de peuplement de Bogotá : en fin de transition démographique et de transition urbaine, la population métropolitaine se renouvelle moins rapidement.

Le croisement de la distribution des évènements biographiques selon la génération des individus qui les vivent et des périodes historiques montre, d’une part, qu’entre 1993 et 2009, les évènements qui se déroulent sont vécus à la fois par une jeune génération, uniquement enquêtée en 2009, et par des générations un peu plus anciennes, enquêtées en 1993 également. Et, d’autre part, sur les autres périodes, elle met en évidence la forte superposition des deux enquêtes : en 1993 et en 2009, on retrouve en grande partie, pour chaque grande période, les mêmes générations d’individus, qui ont donc vécu leurs migrations et leurs changements de logements aux mêmes âges et dans les mêmes contextes.

Plusieurs méthodes d’analyse découlent de cette étude. Les données biographiques peuvent être exploitées de différentes manières selon ce que l’on cherche à mettre en évidence : les effets des changements de composition de la population, en comparant directement les deux échantillons ; les changements de comportements entre générations successives à partir d’une analyse générationnelle ; les effets conjoncturels, à partir d’une analyse selon le calendrier historique. La combinaison de ces trois méthodes restitue différentes temporalités du changement : les changements lents des structures (avec la co-présence des différentes générations au même instant), le temps des générations successives et le temps de la conjoncture.

L’évolution des expériences de migration des bogotains (1993-2009).

L’analyse de l’évolution des parcours des habitants de Bogotá s’appuie sur les données biographiques des enquêtes de 1993 et 2009. Ces analyses ont vocation à décrire comment l’avancée dans le stade de peuplement bogotain récent se matérialise dans l’évolution des parcours individuels. Pour faire un pas de plus dans l’analyse du stade de peuplement actuel de Bogotá, nous montrerons comment l’évolution des expériences individuelles se répercute sur leurs pratiques de mobilité spatiale [7]. En effet, l’évolution des expériences vécues dans et hors de l’aire métropolitaine contribue à transformer les choix résidentiels et les manières d’habiter à Bogotá : l’expérience d’autres manières d’habiter à l’étranger, le fait d’avoir vécu en ville, à la campagne ou dans certains quartiers de l’aire métropolitaine de Bogotá peuvent amener à des choix résidentiels différents. En effet, le choix d’un type de logement, d’un statut d’occupation, d’une localisation résidentielle (Dureau 2002, p. 378) répond à des valeurs qui peuvent être héritées d’expériences du milieu dans lequel l’individu a grandi, de la famille (Gotman et Bertaux-Wiame 1993) (Bonvalet 1993) ou d’expériences migratoires et résidentielles plus ou moins récentes (Authier et al. 2001) (Authier, Bonvalet et Lévy 2010).

Si l’on compare directement les deux échantillons enquêtés, les parcours migratoires ont peu évolué entre 1993 et 2009 (tableau 1). D’une part, la configuration des flux migratoires se maintient en partie : une proportion toujours importante des migrants est originaire de zones rurales ou de petites villes du bassin migratoire traditionnel, à proximité de Bogotá. Et, d’autre part, les changements lents de la composition de la population métropolitaine tendent à cacher l’effet de changements de comportements migratoires récents de certaines générations ou de certains groupes sociaux. On peut toutefois observer l’augmentation progressive, de génération en génération, de parcours qui s’opposent (« immobilité » et « hypermobilité »). D’un côté, la proportion de natifs de Bogotá sans expérience migratoire à l’extérieur de l’aire métropolitaine augmente. Ce type d’expérience s’associe à des pratiques résidentielles et quotidiennes particulières : ces derniers sont plus susceptibles de résider dans des maisons, d’être hébergés par la famille (aux âges de jeunes adultes) et d’avoir des pratiques quotidiennes centrées sur leur quartier de résidence (annexe 1). D’ailleurs, le temps passé dans l’aire métropolitaine, que les individus soient natifs ou non, s’associe à une plus forte proximité géographique des membres de la famille. D’autre part, la proportion d’individus dont les parcours sont très complexes, engagés dans des migrations multiples internes à la Colombie ou des circulations complexes entre Bogotá et d’autres lieux, parfois à l’étranger, augmente. Pour eux, les choix résidentiels s’associent en partie au fait d’être mobile : par exemple, la plus forte propension à habiter en location, ou le moindre poids de la présence de membres de la famille, du fait de leur dispersion hors de l’aire métropolitaine. Parmi eux, ceux qui ont des parcours internes complexes se dirigent plus fréquemment vers les périphéries et à proximité de leurs réseaux familiaux, ce qui reflèterait un mode d’insertion en ville spécifique aux catégories sociales défavorisées.

Tableau 1 : Types de parcours migratoires des adultes enquêtés en 1993 et en 2009, par niveau de complexité. Sources : Enquêtes CEDE-ORSTOM 1993 et METAL 2009 sur les 9 zones d’enquête communes ; à partir des biographies collectées pour un sous-échantillon d’adultes (un par ménage).

Le type de lieux dans lesquels les individus ont résidé au cours des parcours migratoires a clairement évolué entre 1993 et 2009. Avec l’effet de l’évolution du réseau urbain colombien, les générations récentes, et plus souvent les personnes d’un niveau d’éducation supérieur, ont des expériences de plus en plus urbaines et de villes de plus en plus grandes (figure 2). Le fait d’avoir des expériences de migration dans d’autres grandes villes de Colombie a tendance à diriger plus fortement les individus, à caractéristiques socio-démographiques équivalentes, vers des appartements, vers le secteur locatif et vers des ensembles résidentiels fermés, et est associé à des pratiques quotidiennes peu centrées sur le quartier de résidence, à la différence d’expériences longues dans des petites villes ou des zones rurales. Ces derniers types d’expériences, en diminution depuis 1993, s’associent à des choix résidentiels davantage structurés par les réseaux familiaux.

Figure 2 : Années vécues par les adultes enquêtés en 2009 dans les municipalités de Colombie, hors aire métropolitaine de Bogotá.

Même si elle ne concerne qu’une minorité de la population enquêtée en 1993 comme en 2009 (plus fréquente chez les classes aisées en 2009 qu’en 1993), la migration internationale devient un peu plus courante, du fait du retour de migrants partis pendant les vagues migratoires des années 1980 vers l’Europe et les États-Unis ; mais surtout elle engendre une diversification des expériences vécues, par la plus grande diversité des pays et des continents où les individus ont résidé. Si l’effet des expériences à l’étranger sur les pratiques spatiales au retour à Bogotá a déjà été montré de manière qualitative (Córdoba 2014), les enquêtes quantitatives montrent également le rôle structurant de ces expériences et montrent des différences bien visibles dans les choix résidentiels et les manières d’habiter, selon que les individus ont vécu en Amérique du Nord, en Europe ou dans d’autres pays latino-américains.

Même si la diversification des expériences migratoires, internes ou internationales, n’est pas très importante dans l’ensemble de la population enquêtée et ne concerne que certains groupes sociaux ou certaines générations, certains lieux de la capitale peuvent concentrer des populations qui témoignent de la complexification des parcours et de la diversification des expériences migratoires : c’est le cas notamment de la zone de Ciudad Salitre (quartier moderne, récemment construit dans les années 1990 dans le péricentre ouest), qui rassemble des individus ayant des expériences internes de très grandes villes et des individus relativement jeunes ayant des expériences internationales.

Une diversification des parcours résidentiels intra-urbains des habitants de Bogotá (1993-2009).

L’analyse des parcours résidentiels intra-urbains, à travers des indicateurs simples, des typologies et des modèles statistiques, montre des évolutions notables entre 1993 et 2009.

Premièrement, on assiste à une intensification de la mobilité résidentielle entre générations successives (figure 3). Cette intensification de la mobilité résidentielle s’accompagne d’une complexification de l’enchaînement des statuts d’occupation. Plusieurs facteurs de complexification ont pu être révélés à partir de modèles de Cox et d’indicateurs : la décohabitation de chez les parents, plus souvent dirigée vers le secteur locatif, le recul de l’accession à la propriété, et la multiplication des évènements biographiques qui engendrent des périodes d’hébergement, tels que les ruptures d’union (et plus généralement la transformation du modèle familial), la complexification du passage à l’âge adulte et le phénomène de « retour » chez les parents. Ces phénomènes font largement écho à ce qui a également été observé dans les sociétés occidentales (Tichit et Lelièvre 2006) (Kaplan 2009). Ils sont d’autant plus conséquents à Bogotá, étant donné l’importance qu’ont les réseaux familiaux dans les stratégies résidentielles des ménages, pour l’ensemble des classes sociales (Dureau 2000b). L’étude du lien entre l’intensité des déménagements et les choix résidentiels montre d’ailleurs qu’une forte mobilité résidentielle n’exclut pas une proximité au réseau familial, bien au contraire (annexe 2).

Figure 3 : Courbes du risque de mobilité résidentielle au sein de l’aire métropolitaine de Bogotá, selon l’âge des individus en 1993 et en 2009. Sources : Enquêtes CEDE-ORSTOM 1993 et METAL 2009 sur les 9 zones d’enquête communes ; à partir des biographies collectées pour un sous-échantillon d’adultes (un par ménage). Notes : Estimations d’après un modèle de durée à risques répétés. Les individus sont « à risque » lorsqu’ils sont présents dans l’aire métropolitaine de Bogotá.

À ces évolutions générationnelles s’ajoutent des facteurs conjoncturels liés à la crise économique de la fin des années 1990. Sur cette période, la propriété du logement diminue significativement au profit de l’hébergement chez des membres de la famille (figure 4). Bien que la proportion de propriétaires augmente après la période de crise, elle ne revient pas complètement au niveau pré-crise économique.

Figure 4 : Proportions de propriétaires, locataires et hébergés par année de calendrier, parmi la population enquêtée en 2009 et âgée entre 40 et 60 ans. Sources : Enquêtes METAL 2009 ; à partir des biographies collectées pour un sous-échantillon d’adultes (un par ménage).

Deuxièmement, on assiste globalement à une contraction spatiale des parcours résidentiels intra-urbains (figure 5). Les parcours spatialement restreints et avec de nombreux déménagements montrent une très forte association avec le choix d’un logement en location à proximité du réseau familial (annexe 2). Les données de 1993 ne montrent pas d’association significative, ce qui tendrait à montrer que ces parcours sont le signe de changements de comportement permis par le développement de l’offre locative, notamment en périphérie, à destination d’un plus large éventail de catégories sociales. La location semble donc essentielle à la compréhension des recompositions à l’échelle métropolitaine, étant donné la part croissante de la population, la plus pauvre comme la plus riche, faisant le choix, assumé ou contraint, de ce statut. En parallèle du développement du secteur locatif en périphérie, le développement d’équipements, de services et de commerces (Beuf 2010) pourrait favoriser l’ancrage local de certains parcours. L’augmentation relative des natifs des différents quartiers de Bogotá, dans une phase de croissance de plus en plus endogène, contribuerait donc à faire augmenter la proportion d’individus qui s’ancrent dans leurs quartiers de naissance et aspirent à y rester.

Figure 5 : Distance des changements de logement selon le niveau socio-économique des ménages (boîtes à moustaches).

Cette contraction ne concerne cependant pas tout le monde et est plus ou moins forte selon les différentes classes sociales. Les classes les plus aisées ont en effet, au contraire, des parcours de plus en plus spatialement étendus. L’analyse des associations entre l’étendue des parcours intra-urbains et les choix résidentiels ainsi que les manières d’habiter montre que, pour des populations de mêmes caractéristiques socio-démographiques, la complexité des parcours s’accompagne en 2009 d’un éloignement du réseau familial présent dans l’aire métropolitaine, et de pratiques quotidiennes plus dispersées (annexe 2). Le deuxième résultat qui est particulièrement intéressant (et que l’on ne retrouve pas dans l’enquête de 1993) est l’association entre les parcours plus spatialement étendus et certaines caractéristiques du logement : les individus aux parcours complexes ont deux fois plus de chances que les individus aux parcours les plus simples de résider en appartement, et trois fois plus de résider en ensemble résidentiel fermé. En 1993, les parcours les plus complexes sont davantage liés au peuplement périphérique et aux parcours dans le locatif, sans que certains types de logements soient apparemment privilégiés. Une part des ménages mobiles serait donc plus encline, en 2009, à déménager loin de leurs anciens logements, pour saisir une offre de logements dont les caractéristiques leur conviendraient, quitte à s’éloigner de leurs réseaux familiaux et à avoir des pratiques quotidiennes plus étendues.

Pour conclure, cet article montre que Bogotá entre, à partir des années 1990, dans une phase particulière de son peuplement : les mobilités résidentielles intra-urbaines prennent un poids de plus en plus important dans les recompositions urbaines et la composition de la population métropolitaine, les expériences qu’ont vécues les habitants évoluent et la ville elle-même se transforme du point de vue de l’offre de logements et d’autres ressources, conduisant à modifier les pratiques de mobilité spatiale.

Ce stade de peuplement se caractérise par une diversification des parcours migratoires et résidentiels intra-urbains entre générations successives d’habitants. Cette diversification s’exprime par une augmentation relative des parcours locaux, s’accompagnant généralement de pratiques quotidiennes de courte distance et d’une proximité aux réseaux familiaux, ainsi que, à l’autre extrême, par un maintien des parcours résidentiels intra-urbains spatialement étendus et une augmentation relative des parcours migratoires complexes, dans des contextes de plus en plus lointains, urbains ou dans des pays plus variés. Le diagnostic réalisé à Bogota, à 16 ans d’écart, s’éloigne donc de celui d’une mobilité accrue, généralisée (Urry, 2000) : au fur et à mesure du vieillissement de la ville, une part croissante de la population (notamment les plus pauvres, mais pas uniquement) se constitue des micro-bassins de vie (choisis ou subis). Ceux-ci sont rendus possibles notamment par la diversification du parc de logements et le développement des ressources (emplois, services, commerces) en périphérie.

Cet article met également en évidence l’effet de la diversification des parcours migratoires et résidentiels sur les évolutions des choix résidentiels et des manières d’habiter. Les analyses révèlent, par exemple, les différences entre les choix résidentiels des natifs n’ayant jamais migré, ceux des migrants issus du bassin migratoire traditionnel de Bogotá, et ceux des migrants ayant des expériences urbaines d’autres grandes villes, dont les poids respectifs changent au cours du temps, notamment au fur et à mesure de l’avancée du pays dans la transition urbaine. Les contextes vécus changent, que ce soit au sein ou hors de la ville, et influent sur les choix résidentiels et les manières d’habiter.

Cet article invite à ouvrir l’analyse au « changement par les mobilités ». Si la transformation de la ville, de ses dynamiques de peuplement, de la composition de sa population et de la configuration de l’offre de logements, de transports ou d’emplois contribuent aux évolutions des pratiques de mobilité, l’inverse est également vrai : les espaces urbains se recomposent en même temps que les choix résidentiels et les manières d’habiter évoluent. Les travaux sur la ségrégation montrent bien comment la somme de « petites décisions » (Schelling 1980) ou de pratiques de mobilité ordinaires contribue à recomposer les agglomérations dans leur ensemble, notamment à travers la production d’effets de contexte [8] et l’« enchaînement des mécanismes de peuplement » [9] (Bacqué et Lévy 2009, p. 326). Ces processus ont d’autant plus d’importance que les analyses sur le cas de Bogotá montrent comment les caractéristiques de l’offre de logements et de l’offre de quartiers prennent une place croissante dans la redistribution des individus au sein de l’espace urbain, non seulement en fonction de leurs caractéristiques socio-démographiques mais aussi selon les expériences migratoires et résidentielles qu’ils ont vécues. L’approche en termes de stade de peuplement, centrée sur l’habitant considéré comme acteur du changement urbain, permettrait donc d’apporter un éclairage particulier sur les évolutions de l’organisation interne des villes, complémentaire d’approches centrées sur d’autres acteurs ou d’autres facteurs du changement urbain, politiques ou économiques (Van den Berg et al. 1982) (Sassen 1991) (Soja 2000) (Borsdorf 2003). Dans ce cadre, l’approche biographique de la mobilité spatiale offre une entrée pertinente et prometteuse pour étudier la manière dont les comportements individuels contribuent à la production et à la reproduction des structures socio-spatiales au sein des agglomérations (Coulter, Van Ham et Findlay 2015).

Annexes.

Annexe 1 : Explication statistique de choix résidentiels et de manières d’habiter en fonction des expériences de migration en 2009 (odds ratios).

Annexe 2 : Explication statistique de choix résidentiels et de manières d’habiter en fonction du type de parcours résidentiels intra-urbains en 2009 (odds ratios).

Résumé

Vers la fin du siècle dernier, Bogotá, à l’image de nombreuses autres grandes villes latino-américaines, voit ses dynamiques de peuplement se modifier en profondeur à mesure de l’avancée du pays dans la transition démographique et la transition urbaine : sa croissance démographique repose davantage sur la croissance naturelle de la population ; l’origine et la distance des flux migratoires vers la capitale évoluent. Cet article montre comment ce nouveau « stade de peuplement », notion dont l’intérêt pour analyser le changement urbain sera démontré, se traduit dans les évolutions des parcours migratoires et résidentiels des habitants de Bogotá et dans leurs pratiques de mobilité spatiale dans la ville. La démarche proposée offre ainsi des pistes d’analyse du changement urbain en se centrant sur les évolutions des pratiques et des expériences individuelles.

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Notes

[1] Le terme de stade est conceptualisé de manière continue : un stade ne remplace pas un autre. Il cherche à rendre compte de l’existence d’une certaine logique historique tout au long du développement d’une ville, liée à son vieillissement, à sa taille, à sa croissance démographique et à tout un ensemble de processus macroscopiques qui orientent la transformation des sociétés. Ainsi, le stade correspond à un point particulier dans la trajectoire d’une ville. Ce point est caractérisé par les dynamiques du moment mais également par l’accumulation des différents processus historiques qui ont affecté la ville.

[2] En 2005, presque un citadin colombien sur quatre vit dans l’aire métropolitaine de Bogotá (soit près de huit millions d’habitants, contre moins d’un million au début des années 1950).

[3] La Colombie s’inscrit dans un contexte économique et social particulier, marqué par un conflit interne, engagé à partir des années 1960 et toujours d’actualité.

[4] L’enquête biographique de 1993 a été réalisée dans le cadre du programme « La movilidad de las poblaciones y su impacto sobre la dinámica del área metropolitana de Bogotá », développé par le CEDE (Centro de Estudios sobre Desarrollo Económico) et l’ORSTOM (Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer) entre 1992 et 1998, sous la direction de F. Dureau et C.E. Flórez. Un document décrivant l’enquête est consultable ici.

[5] Le projet « METAL : Métropoles d’Amérique latine dans la mondialisation : reconfigurations territoriales, mobilité spatiale, action publique » a été financé dans le cadre programme ANR/AIRD « Les Suds aujourd’hui » ; il portait sur Bogotá, Santiago du Chili et São Paulo (Dureau et al. 2014). Le rapport final est consultable ici.

[6] La délimitation des zones d’enquête n’a pas toujours été exactement la même. Par ailleurs, par rapport aux 11 zones d’enquête de 1993, une zone a été retirée, une zone est quantitativement inexploitable et deux ont été ajoutées en 2009.

[7] Pour mieux cerner le rôle des expériences migratoires et résidentielles dans les choix résidentiels et les manières d’habiter, des modèles logistiques, mettant en évidence des associations statistiques entre variables « toutes choses égales par ailleurs », ont été appliqués, en prenant comme variables à expliquer différentes caractéristiques des logements et des pratiques quotidiennes des individus, et comme variables explicatives la réalisation ou non de certaines expériences (annexes 1 et 2).

[8] La population résidente et la population fréquentant les quartiers contribuent aux marquages sociaux des espaces urbains (Lévy 2003). Par exemple, les pratiques de sociabilité et de consommation ou les modes de coprésence plus ou moins conflictuels entre groupes sociaux modifient l’image des lieux et agissent ainsi sur les choix résidentiels – attraction ou répulsion, selon les catégories sociales.

[9] L’enchaînement des mécanismes de peuplement rend compte du caractère systémique des processus d’agrégation et de relégation, où un changement dans une partie de l’agglomération se répercute sur l’ensemble des quartiers.

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