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Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

La communauté territorialisée No TAV de la basse vallée de Suse (Italie).

Cette recherche a été réalisée avec le soutien financier du LabEx ITEM (ANR-10-LABX-50-01) dans le cadre du programme « Investissements d’Avenir » géré par l’Agence nationale de la recherche. 

Le Val de Suse est une étroite vallée alpine italienne longue, d’une quarantaine de kilomètres, située à 30 kilomètres à l’ouest de Turin et reliant la métropole piémontaise à la France via une autoroute, deux routes nationales et une voie de chemin de fer. Cette vallée est agitée depuis les années 1990 par le conflit No TAV [1] contre le percement d’un tunnel ferroviaire transalpin sur le tracé d’un projet de nouvelle ligne à grande vitesse entre Lyon et Turin. La basse vallée de Suse, en aval du village d’Exilles, est composée de 23 villages pour environ 70 000 habitants. C’est une zone qui, après s’être rapidement industrialisée à la fin du 19e siècle, connaît une désindustrialisation d’ampleur depuis les années 1970. Lors du recensement de 2011, le taux de chômage médian dans la zone était de 8,65 %, soit un taux relativement équivalent à celui observé à Turin et plus largement dans le Piémont (données IStat) [2]. En 2016, la basse vallée de Suse comptait 5 323 entreprises, dont une grande majorité de PME et TPE, principalement dans les secteurs de la construction, du commerce et des services [3].

Tableau 1. Les entreprises de la basse vallée de Suse : recensement total et pour les principaux secteurs d’activité. Source : Auteurs d’après les données de la CamCom Torino pour le 2e trimestre 2016.

Lors d’une enquête menée auprès d’entrepreneurs locaux (Soubirou 2018), ceux-ci ont évoqué – au-delà d’une proximité de principes et valeurs – un sentiment de responsabilité réciproque liant les Bas-Valsusains les uns aux autres. Une mémoire locale était régulièrement convoquée par ces entrepreneurs pour justifier le caractère normal, voire naturel, de pratiques soutenables et innovantes mises en œuvre localement. Ces éléments nous ont amené à questionner plus avant la nature du lien unissant les Bas-Valsusains. S’agit-il de simples relations de proximité, ou bien peut-on évoquer l’existence de commun liant les habitants de la basse vallée de Suse, selon un principe de co-obligation [4] (Dardot et Laval 2014) ? C’est ce questionnement qui fait l’objet du présent article.

De façon générale, la proximité renvoie à l’idée d’une faible distance entre plusieurs entités. L’approche par les proximités est une approche interactionniste ayant pour objectif « de contribuer à l’endogénéisation de la variable spatiale dans la théorie économique et d’expliquer la nature des effets de proximité » (Gilly et Torre 2000, p. 283). Cette approche distingue plusieurs types de proximités. La proximité géographique a trait à la distance physique séparant deux entités. Elle est toutefois relative, par rapport « aux caractéristiques morphologiques des espaces au sein desquels se déroulent les activités », « à la disponibilité d’infrastructures de transport » et « à la richesse des individus qui utilisent ces infrastructures de transport » (Torre 2010, p. 413). D’autres types de proximités, nommées proximités « organisées », se réfèrent quant à elles à une faible distance relationnelle ou cognitive entre les individus. Ces dernières proximités reposent ainsi sur des logiques « d’appartenance et de similitude » (Torre 2010, p. 415) :

« La logique d’appartenance désigne le fait que deux ou plusieurs acteurs appartiennent à un même graphe de relations, ou encore à un même réseau, que leur relation soit directe ou intermédiée. […] La logique de similitude correspond à l’adhésion mentale à des catégories communes ; elle se traduit par le fait que des individus se trouvent à de faibles distances cognitives les uns des autres. Il peut s’agir de personnes qui se reconnaissent dans des projets partagés, ou encore qui partagent des valeurs communes en termes de culture, de religion… » (Torre 2010, p. 415-416).

L’hypothèse que nous proposons ici de tester est qu’il existe en basse vallée de Suse – au-delà de proximités géographiques et organisées – des relations de co-obligation entre les habitants, qui se sont construites à travers plusieurs décennies de luttes locales. Afin d’interroger cette hypothèse, nous exposerons dans un premier temps l’approche théorique du commun mobilisée pour cette enquête. Nous détaillerons, dans un second temps, la méthodologie utilisée pour identifier d’éventuelles proximités organisées et liens de co-obligation entre les habitants de la basse vallée de Suse. Dans un troisième temps, nous présenterons les résultats principaux de cette étude, soit l’existence locale d’une communauté aspirant à une soutenabilité forte et s’étant construite à travers un demi-siècle de luttes locales [5]. Enfin, nous proposerons dans un dernier temps la notion de communauté territorialisée, articulant principe politique de co-obligation et territoire et produite afin de caractériser les interrelations spécifiques que cette recherche a permis de mettre en lumière en basse vallée de Suse.

Le commun comme principe politique de co-obligation.

Dans les années 1960, la politiste américaine Elinor Ostrom s’interrogeait, de façon empirique, sur les modalités de prise en charge des problèmes liés à l’utilisation de « ressources communes » (Ostrom 2010, p. 9). Ses travaux s’intéressent avant tout aux ressources naturelles et aboutiront en 1990 à la publication de l’ouvrage Governing the Commons : The Evolution of Institutions for Collective Action, au sein duquel elle expose sa théorie des biens communs. Elinor Ostrom y propose une alternative aux théories alors majoritairement en cours pour traiter des problèmes d’usage des ressources communes : la « tragédie des biens communs » de Garrett Hardin, « le dilemme du prisonnier » de Robyn Mason Dawes et la « logique de l’action collective » de Mancur Olson (Hardin 1968) (Dawes 1973) (Olson 1965). Ces trois approches prédisent qu’un usage en commun de certaines ressources conduit inéluctablement à l’épuisement de celles-ci si leur quantité est limitée et que les usagers adoptent tous un comportement économiquement rationnel, au sens de la théorie économique standard. Elles prescrivent en conséquence un contrôle strict de l’État sur les ressources naturelles ou une privatisation des ressources, supposant que « l’imposition d’une solution par un acteur externe [est] le « seul moyen » de résoudre un dilemme de biens communs » (Ostrom 2010, p. 27). A contrario, Elinor Ostrom propose un modèle alternatif selon lequel les acteurs peuvent eux-mêmes « conclure des accords contraignants en vue de s’engager dans une stratégie coopérative qu’ils élaboreront eux-mêmes » (Ostrom 2010, p. 28), afin de gérer des ressources communes.

En 2014, Pierre Dardot et Christian Laval proposent une grille d’analyse complexe visant à « refonder le concept de commun » (Dardot et Laval 2014, p. 20). Ils définissent ce dernier comme un « principe politique » de co-obligation « que tous s’imposent à eux-mêmes » (Dardot et Laval 2014, p. 55) et qui à son tour oriente « l’activité collective des individus » (Dardot et Laval 2014, p. 19). Cette co-obligation résulte de l’engagement commun d’individus dans une même activité – c’est-à-dire d’un « agir commun » – et non d’une « appartenance qui serait donnée indépendamment de l’activité » (Dardot et Laval 2014, p. 23). Au-delà d’une co-obligation, à travers leur agir commun les individus produisent également « des normes morales et juridiques qui règlent leur action » (Dardot et Laval 2014, p. 23). Ces normes s’apparentent à un faisceau de principes conventionnels [6] partagés par des individus se considérant réciproquement responsables les uns envers les autres. Ce partage constitue ainsi une forme de proximité organisée. Le commun est à distinguer des communs, qui sont des « des objets de nature très diverse » (Dardot et Laval 2014, p. 19) que les individus prennent en charge à travers leur activité collective.

Tels que défini par Pierre Dardot et Christian Laval, le commun naît donc d’une « praxis instituante » (Dardot et Laval 2014, p. 436) constituée d’une succession de moments d’agir en commun par lesquels se construit et s’éprouve le sentiment de co-obligation [7]. Afin de questionner l’existence de liens de co-obligation entre les Bas-Valsusains, nous avons en conséquence tenté en premier lieu d’identifier localement de tels moments, ainsi que la persistance d’une mémoire collective de ces événements. Partant de la littérature récente consacrée à la basse vallée de Suse et d’une analyse compréhensive de discours collectifs locaux, nous avons ensuite tenté de caractériser des principes et valeurs localement en partage – c’est-à-dire une éventuelle proximité organisée –, ainsi que divers objets dont la prise en charge collective est localement revendiquée. Enfin, alors que la réalité d’un commun bas-valsusain se dessinait, nous nous sommes livrés à une analyse du paysage riche d’enseignements quant aux limites de l’espace dans lequel ce groupe d’habitants coobligés – que nous nommons communauté – est ancré. Nous exposons ci-après plus en détail la méthodologie que nous avons mobilisée.

Révéler le commun, éléments méthodologiques.

Notre enquête de terrain a été menée à l’automne 2016. Nous avons résidé cinq semaines en basse vallée de Suse et y avons fait – de 2015 à 2016 – plusieurs courts séjours, notamment afin de consulter divers fonds archivistiques.

Identifier un agir commun local.

Afin de mettre en lumière d’éventuels moments d’agir commun en basse vallée de Suse, nous avons eu recours aux méthodes de l’histoire du temps présent. Selon cette approche, l’histoire est conçue comme un dialogue entre le passé et le présent. Le « temps présent » est en conséquence ici à comprendre comme « le temps de l’expérience vécue » (Bédarida 2003, p. 64) : « Il s’agit d’un champ […] caractérisé par le fait qu’il y a des témoins et une mémoire vivante – d’où le rôle spécifique de l’histoire orale. […] Lieu d’une temporalité assez large, il désigne le passé proche à la différence du passé lointain » (Bédarida 2003, p. 64). Cette double attention à l’histoire et à la mémoire se retrouve également dans l’approche du commun que nous avons adoptée. Celui-ci est le fruit de l’action humaine : en amont du commun, il y a un agir commun. Au-delà, à travers le récit qu’est la mémoire, les individus se transforment tout en « altérant les circonstances extérieures » (Dardot et Laval 2014, p. 438).

Les individus livrent ainsi, au prisme de leurs valeurs et principes, une représentation d’événements passés qui va venir justifier et appuyer des normes et croyances actuelles. L’influence de ces valeurs et principes sur les comportements des membres du groupe concerné se renforce alors en conséquence.

Notre premier geste afin de questionner l’histoire de la basse vallée de Suse fût de tenter de trouver quelqu’un pouvant nous la raconter. C’est ainsi qu’en questionnant divers Valsusains avec lesquels nous étions en interaction (notre logeuse, des entrepreneurs interrogés pour notre recherche doctorale, ou encore des habitants rencontrés au gré de nos journées), deux personnes en particulier nous ont été désignées spontanément : Nicoletta et Gigi. Nicoletta et Gigi sont des militants No TAV, mais ont connu les autres luttes ayant agité la vallée auparavant, et que nous allons ci-après évoquer. Tous deux peuvent être qualifiés de mémoires vivantes de la basse vallée. Ils semblent tout d’abord identifiés comme tels par ses habitants, puisque ce sont eux deux qui nous ont été systématiquement désignés, par les Bas-Valsusains questionnés, comme les plus aptes à nous raconter le passé de leur territoire. Un autre indice plus probant de la régularité de ce rôle qui leur est reconnu tient à ce qu’il apparaît qu’ils ont été interrogés depuis plusieurs années par de nombreux chercheurs et écrivains s’intéressant au mouvement No TAV et à l’histoire de la vallée (Bertolo 2009) (Della Porta et Piazza 2008) (Chiroli 2017) (Caruso 2008) (Collectif Mauvaise Troupe 2016). Nicoletta et Gigi nous ont eux-mêmes par ailleurs suggéré de rencontrer Maurizio, animateur de Radio No TAV, et Fulvio, syndicaliste local, afin qu’ils précisent certains points de leurs récits [8]. Nous avons rencontré Nicoletta et Gigi concomitamment à Bussoleno, ceux-ci nous ayant donné comme lieu de rendez-vous La Credenza, auberge appartenant à Nicoletta et à son conjoint, et haut lieu du mouvement No TAV.

Ces entretiens ont pris la forme de longs récits, durant souvent plusieurs heures. Nous y demandions aux interrogés de nous raconter de façon générale l’histoire de la vallée, comment elle était devenue ce qu’elle est aujourd’hui (sans préciser cette nature présente), les relançant au fil du discours sur tel ou tel élément évoqué afin qu’ils le précisent. Nous avons complété la démarche historiographique amorcée lors de ces entretiens mémoriels par des recherches en archives [9], tout à la fois dans le but de collecter davantage de détails quant aux événements évoqués et de questionner de façon critique les informations fournies par les interrogés [10].

Bien que l’identification de moments d’agir commun et des lieux où ils ont pris place nous ait renseigné quant à l’ancrage spatial d’une éventuelle communauté en basse vallée de Suse, nous avons complété ces informations par une analyse du paysage. Ainsi, nous avons tenté de déceler dans le paysage de la vallée des éléments caractérisant la revendication d’un espace (banderoles, graffitis, drapeaux, stickers, etc.).

Identifier des principes et valeurs en partage.

Le conflit No TAV a fait l’objet de nombreux travaux en sciences sociales depuis une dizaine d’années. En 2008, Loris Caruso, Donatella Della Porta et Gianni Piazza s’accordaient sur la dimension alternative du projet de société porté par la lutte No TAV (Caruso 2008) (Della Porta et Piazza 2008), Loris Caruso indiquant que semblait se forger une identité valsusaine produite par ce conflit. En 2017, Roberta Chiroli soulignait la réélaboration d’une sociabilité locale en basse vallée de Suse à travers le conflit No TAV, écrivant qu’être No TAV y est désormais « l’unique façon possible d’être » (Chiroli 2017 p. 183) [11]. Roberta Chiroli, décrivait cet « être No TAV » comme soutenable et alternatif. Nous avons tenté de préciser encore un peu les contours de ce projet de société actuellement dominant en basse vallée de Suse et de détailler en conséquence le sens de cette soutenabilité revendiquée par l’analyse de discours collectifs. Nous avons ainsi mis en lumière des principes et valeurs en partage en basse vallée de Suse, constituant autant de conventions locales.

Afin de caractériser ces principes et valeurs, nous nous sommes livrés à l’analyse sémantique de quatre discours que nous avons identifiés comme collectifs, qu’ils soient produits à travers des processus locaux, délibératifs et participatifs, ou énoncés dans des contextes collectifs tels que des manifestations [12]. Nous avons plus spécifiquement recherché les principes et les valeurs mobilisés dans ces discours pour justifier les opinions ou les programmes d’action énoncés. Nous les avons en outre comparé à nos observations directes sur le terrain et aux conclusions des travaux sociologiques et anthropologiques récents portant sur le territoire bas-valsusain précédemment cités (Caruso 2008) (Della Porta et Piazza 2008) (Chiroli 2017). Enfin, l’analyse de ces discours nous a également permis de révéler des objets qui y sont considérés comme des communs, c’est-à-dire comme devant être pris en charge de façon collective.

Une communauté aspirant à la soutenabilité en basse vallée de Suse, l’autoproclamé « peuple No TAV ».

Une communauté forgée par un demi-siècle de luttes.

La basse vallée de Suse a connu depuis les années 1970 une succession de luttes aux enjeux divers. Ces luttes ont peu à peu mobilisé tous les acteurs du territoire. Elles constituent autant de moments d’agir en commun ayant permis de construire et d’éprouver un sentiment de co-obligation unissant les habitants et, partant, de forger une communauté. Au-delà, elles constituent toujours actuellement une mémoire collective vivace et entretenue, à laquelle les habitants se réfèrent pour justifier un agir actuel guidé par des principes et valeurs alternatifs au régime conventionnel dominant [13] (Soubirou 2018).

Les luttes ouvrières des années 1970.

Le début des années 1970 est marqué en basse vallée de Suse par des luttes ouvrières, avec une première manifestation générale en 1971 à Sant’Antonino di Susa et de nombreuses luttes au sein des usines de la vallée [14]. Citons également la mobilisation non violente du Gruppo Valsusino di Azione Non Violenta (GVAN) et des 800 ouvriers des Officine Moncenisio de Condove en 1970, s’opposant à l’unanimité à la construction d’armes par leur entreprise [15]. Si les mobilisations des années 1970 ont davantage lieu en basse vallée, où se trouvent la grande majorité des usines, la haute vallée en est solidaire, ses maires apportant leur soutien aux ouvriers en lutte. Ces luttes ouvrières sont une mémoire encore vivante aujourd’hui en basse vallée de Suse. L’anthropologue Roberta Chiroli cite ainsi le récit que lui en ont fait des anciens durant un après-midi au presidio de Venaus, évoquant la propension « naturelle » à la rébellion des Valsusains :

« Tommaso : « Ici, les Vaudois aussi ont eût une longue histoire de résistance contre le Pape qui voulait détruire toutes les hérésies qui professaient la pauvreté et l’égalité ! Puis, en des temps plus récents, au-delà de la forte résistance des partisans, il y a eu un mouvement ouvrier significatif dans les années 1970, à l’aciérie Moncenisio ils ont voté pour la première fois au monde pour ne pas produire des armes ! Ici il y a le mouvement non-violent, les catholiques, et puis sont arrivés les luttes environnementalistes jusqu’au mouvement No TAV… Tout est lié… » » (Chiroli 2017, p. 161).

Les luttes contre de grands projets d’aménagement des années 1980.

Les années 1980 sont le théâtre de deux luttes locales contre de grands projets d’infrastructures : une première lutte infructueuse contre la construction de l’autoroute A32, puis une lutte victorieuse contre la construction d’une ligne électrique transfrontalière à très haute tension (Della Porta et Piazza 2008) [16]. Ces deux luttes se sont particulièrement cristallisées dans le village de Bussoleno, mais des escarmouches ont eu lieu dans toute la basse vallée. Un ensemble hétéroclite d’individus et d’organisations se dresse contre la construction de l’autoroute A32 puis de la ligne à haute tension, certains d’entre eux – membres du GVAN ou encore militants communistes – ayant pris part aux mouvements ouvriers de la précédente décennie :

« professeurs et techniciens, unis à des catholiques liés au Groupe Paix de Condove [17] et militants ou ex militants politiques de gauche, ou au cercle local de Démocratie Prolétaire, puis de Refondation Communiste […] s’unissent pour constituer un groupe de pression face aux institutions locales qui ne semblent pas évaluer l’impact cumulé de l’œuvre sur la vallée, se limitant à gérer de façon singulière leur propre territoire en contractant des compensations avec les promoteurs » (Chiroli 2017, p. 43-44).

Alors que la lutte contre la ligne à haute tension bénéficiera d’un engagement de la population, la lutte contre l’A32 se caractérise par une délégation de l’opposition à de grandes associations environnementalistes nationales, lesquelles négocient les conditions de la construction de l’infrastructure plutôt que la combattre.

Ces deux mobilisations ont signé tant le début d’une pluridimensionnalité axiologique des luttes – qui vont alors dépasser le simple enjeu initial de l’aménagement du territoire – que d’une dynamique de réappropriation par les citoyens de leur souveraineté, issue d’un « apprentissage par l’échec », ainsi que d’une mise en réseau avec d’autres territoires en lutte. Nicoletta explique ainsi l’apprentissage qu’a constitué à son sens le conflit contre l’A32, mis à profit lors de la lutte contre l’électroduc car :

« Sur l’électroduc on a dit « c’est nous maintenant qui imposerons […] notre présence dans cette lutte » […]. Les gens ont compris et ont commencé à lutter. […] Par rapport à l’autoroute, on ne déléguait plus les problèmes […]. Ce qui commençait à unir était la conscience que tu ne pouvais pas te défendre seul et que le modèle de vie devait également changer, parce que tout est lié ».

Ces deux luttes ont en outre force d’exemples : exemple d’une tragédie de la non co-obligation avec la construction de l’A32, exemple de la force de cette co-obligation – y compris face à la puissance publique – avec la lutte victorieuse contre le projet d’électroduc. Mais c’est avec le mouvement contre le TAV que cet agir commun est devenu habitude, au point de structurer une communauté en basse vallée de Suse : l’autoproclamé « peuple No TAV ».

La lutte No TAV.

La réalisation d’une ligne ferroviaire transalpine à haute-vitesse entre Lyon et Turin est proposée pour la première fois en 1989 (Pepino et Revelli 2012, p. 159). Ce projet inclut le creusement d’un tunnel de base, long de plus de cinquante kilomètres, à travers le massif alpin, reliant la vallée de la Maurienne (France) à la vallée de Suse. La lutte No TAV émerge ainsi au début des années 1990. Les premières années de cette lutte sont marquées par des réunions informatives et une mobilisation institutionnelle, notamment autour du groupe Habitat, héritier du groupe de pression s’étant formé à travers les luttes des années 1980 [18]. À ce moment-là, les Valsusains n’osent pas encore toujours aller manifester, car l’action collective est parfois perçue comme jouissant d’une « faible désidérabilité sociale » (Caruso 2008, p. 114).

À partir de 2005, la lutte prend la forme d’occupations, donnant naissance aux presidi en basse vallée :

« Pour la première fois la vallée agit aussi comme une communauté, faisant converger dans les lieux où se matérialise et se concentre le conflit la présence d’entités, sujets, institutions, corps sociaux qui participent avant tout en tant qu’éléments d’un même territoire. […] Le déplacement de l’entière société locale et de ses « corps intermédiaires » vers la confrontation contribuent à faire apparaître la participation plus raisonnable que la non-participation » (Caruso 2008, p. 126-128).

2005 est aussi le théâtre d’affrontements parfois violents avec les forces de l’ordre, notamment à Mompantero et Venaus. Le 8 décembre 2005, 30 000 manifestants reprennent un terrain occupé par les forces de l’ordre à Venaus en vue de débuter un chantier [19]. Selon l’anthropologue Roberta Chiroli, 2005 marque une « rupture » qui a « construit une identité collective capable de redéfinir ces individus, rendant non seulement la lutte No TAV souhaitable, mais en faisant la colonne vertébrale symbolique des vies de nombreuses personnes » (Chiroli 2017, p. 60). Les événements de 2005 sont en fait à comprendre comme des épreuves (Boltanski et Thévenot 1991, p. 168-174) pour le mouvement No TAV. Ce sont des « moments de vérité » d’une extrême clarté. Deux camps s’opposent : d’un côté les No TAV (contre le projet) et de l’autre les forces de l’ordre comme bras armé d’un État lui-même au service du « système grande vitesse », dont il participe, ce dernier confondant entreprises impliquées dans le chantier, politiciens et financeurs (Caruso 2008, p. 79). Lors de ces épreuves, « les masques tombent, chacun y retrouve sa place » (Boltanski et Thévenot 1991, p. 173) : aux yeux des No TAV, les membres du « système grande vitesse » ont pris la place des injustes, des agresseurs illégitimes et violents, ce sont donc des « petits », alors que les No TAV sont les plus valeureux et justes, les « grands » (Boltanski et Thévenot 1991). Ces épreuves n’ont pas seulement abouti à la négation de la grandeur d’acteurs parmi les plus puissants (État, banques, grandes entreprises du bâtiment et des travaux publics), elles ont aussi participé à la remise en cause collective de leur système de justification dans sa globalité, c’est-à-dire du régime conventionnel dominant. Maurizio explique : « Au début, beaucoup de gens ont dit non au train surtout parce qu’il passait près de leurs maisons… Puis petit à petit, avec les années… Aussi parce qu’ils ont vu la répression de l’État, la police qui arrivait… Petit à petit… Ils ont commencé à se poser d’autres questions ».

Après « une période de relative stase » (Chiroli 2017, p. 66) pour le mouvement No TAV jusqu’à la fin de l’année 2010, 2011 est de nouveau une année mouvementée en basse vallée de Suse. Alors que le tracé du TAV a été modifié, une République libre est proclamée à la Maddalena di Chiomonte au mois de mai, sur le site où devait débuter les travaux [20]. S’y succèdent constructions de barricades, concerts, spectacles, assemblées populaires et conférences pendant plus d’un mois [21]. C’est un moment crucial dans l’affirmation d’aspirations collectives alternatives en basse vallée de Suse. A travers les discussions en assemblées, mais aussi l’agir commun au quotidien, est remis explicitement et implicitement en cause le régime conventionnel dominant. La République libre de la Maddalena est un espace-temps durant lequel un mode de vie alternatif est imaginé et expérimenté collectivement (Chiroli 2017, p. 70).

En vingt-cinq ans, la lutte No TAV a transformé la basse vallée de Suse en une communauté défiante vis-à-vis du régime conventionnel dominant et de son ordre. S’appuyant sur le souvenir et les savoir-faire acquis dans les luttes passées, ce mouvement social s’est peu à peu diffusé au sein de cet espace et ses revendications se sont étoffées. Avec les événements de 2005 et de 2011, des points de désaccord profond avec le régime conventionnel dominant et son ordre de grandeurs ont été mis au jour. Plus encore, une conception alternative de la « bonne vie » a été explicitement imaginée, discutée et expérimentée, notamment au sein de la « République libre de la Maddalena ». Bien que ces événements revêtent une importance toute particulière dans l’émergence d’une nouvelle socialité en basse vallée de Suse, ils sont toutefois à comprendre comme des moments marquants dont les effets se prolongent et se cristallisent au sein du continuum des interactions quotidiennes – y compris les plus anodines – entre les membres de cette communauté.

Au-delà, la mémoire de la lutte No TAV et des luttes passées reste vivace et renforce le commun unissant les Bas-Valsusains. Elle se transmet tant par l’existence de personnes ayant participé à ces différents événements et jouant le rôle de passeurs de mémoire, de lutte en lutte, à travers leurs engagements successifs – telles que Nicoletta et Gigi – que par sa patrimonialisation. Les diverses luttes locales ont par exemple fait l’objet de récits et de visites guidées lors des diverses éditions du Festival Alta Felicità (festival de la lutte No TAV), qui rassemble plusieurs dizaines de milliers de personnes à Venaus chaque été. Au lieu-dit Seghino à Mompantero, une stèle marque le lieu de l’affrontement entre No TAV et forces de l’ordre de 2005. Enfin, notons que le 8 décembre fait l’objet de festivités collectives et d’une marche commémorative jusqu’au chantier de la Maddalena di Chiomonte, chaque année depuis que le chantier du TAV y a été installé.

Figure 1. Un demi-siècle de luttes en basse vallée de Suse. Source : Auteurs.

Une aspiration collective à une gestion fortement soutenable du territoire.

Poursuivant les travaux réalisés depuis une dizaine d’années autour du conflit No TAV (Caruso 2008) (Della Porta et Piazza 2008) (Chiroli 2017), nous avons précisé le sens de la soutenabilité revendiquée par les Bas-Valsusains (Chiroli 2017) par l’analyse de discours collectifs [22]. Nous avons ainsi identifié deux valeurs traversant les discours étudiés : le respect des humains et le respect de l’environnement ; et huit principes : l’opposition au TAV, la sobriété, la territorialité, l’autonomie, la convivialité, la co-obligation, la solidarité et la continuité.

Tableau 2. Des principes et valeurs soutenables. Source : Auteurs.

C’est ainsi une aspiration à une soutenabilité forte qui se dessine, où les activités économiques sont soumises à un ensemble de principes politiques ancrés dans un rapport éco-centriste au Monde. Au-delà de ces principes et valeurs, les textes étudiés sont traversés par la revendication d’une prise en charge par la communauté de divers objets – comme autant de communs – tels que le travail, le patrimoine bâti, l’eau ou encore la santé. En tentant de prendre en charge ces objets, la communauté bas-valsusaine se met chaque jour un peu plus en capacité de poursuivre les valeurs et principes soutenables adoptés. Les actions par lesquelles ces communs sont pris en charge constituent autant de repères cognitifs renforçant les valeurs et principes communautaires. Mais au-delà – en façonnant ces objets aux normes de la communauté –, l’agir commun en fait des ressources. La prise en charge collective des enjeux liés à la citoyenneté a, par exemple, permis la construction collective d’arènes politiques délibératives, telles que des assemblées populaires No TAV ou des presidi permanents. Ces arènes sont devenues des ressources pour l’action collective, en ce qu’elles constituent désormais des dispositifs politiques connus et mobilisables si besoin par la communauté. De même, une prise en charge commune de la rénovation du patrimoine bâti a permis à la communauté de disposer de nouveaux espaces habitables. Ceux-ci ont été utilisés plus tard comme ressources, notamment pour l’hébergement de réfugiés. En faisant émerger des communs, la communauté bas-valsusaine accroît sa « capabilité territoriale » (Buclet 2015, p. 113), c’est à dire la capacité collective – tenant compte et dépendante de l’ancrage territorial de la communauté – qu’ont ses membres de mener la vie qu’ils souhaitent mener tout en respectant les limites écologiques qu’impliquent ces choix.

Un ancrage territorial revendiqué dans le paysage.

La lutte No TAV, tout comme les luttes ouvrières de la décennie 1970 et les luttes contre les grandes infrastructures des années 1980, s’est majoritairement développée en basse vallée, zone concernée au premier plan par les travaux du TAV. Et c’est bien dans les limites de cet espace que semble s’être structurée une communauté No TAV, excluant la haute vallée, portée par d’autres dynamiques. Dans la basse vallée de Suse, le long des deux routes nationales, des centaines de drapeaux No TAV sont accrochés aux lampadaires. De même, des banderoles No TAV sont suspendues en nombre aux balcons. Plusieurs graffitis et œuvres de street art No TAV monumentales s’affichent par ailleurs sur les viaducs, les murs, voire à flanc de montagne. Tous ces éléments sont peu présents en amont d’Exilles et en aval d’Avigliana. La basse vallée de Suse, cette quarantaine de kilomètres de vallée entre Exilles et Avigliana, est ainsi le « chez soi » (Courlet et Pecqueur 2013, p. 40) du « peuple No TAV ». C’est un espace explicitement revendiqué.

Figure 2. La lutte No TAV inscrite sur les pentes du Monte Musinè, à l’entrée est du Val de Suse, face à Avigliana. Source : Google Maps – coordonnées géographiques : 45.110898°N, 7.441446°E.

La basse vallée de Suse, une communauté territorialisée plus qu’un territoire.

En tant que système associant des acteurs et l’espace dans lequel ils sont ancrés (Moine 2006), la notion de territoire n’implique pas une coordination et une intentionnalité collectives. Les territoires sont plutôt des systèmes au sein desquels plusieurs individus, groupes et organisations agissent en même temps, en réseau, mais pas forcément selon une finalité commune. Pour le dire autrement, la notion de territoire renvoie à la proximité géographique et à une proximité organisée (relative à l’appartenance à un même réseau), mais ne suppose pas la co-obligation entre les acteurs, ni leur adhésion à un même projet sociétal.

Les habitants de la basse vallée de Suse, au contraire, participent d’un collectif cohérent, dont les membres se perçoivent comme co-obligés en ce qu’ils agissent selon des repères communs. Cette communauté revendique un espace au sein duquel s’est déployé cet agir commun à travers plusieurs décennies de lutte : la basse vallée, entre Exilles et Avigliana. En outre, divers objets matériels et immatériels de ce territoire sont revendiqués comme des communs devant être collectivement pris en charge par les habitants.

C’est pourquoi nous proposons la notion de communauté territorialisée, qui nous semble plus à même de rendre compte du type de relations spécifiques des habitants entre eux et avec leur espace, mis en lumière à travers cette étude. Nous définissons une communauté territorialisée comme étant un groupe spatialement ancré dans un espace physique de proximité, dont les membres se considèrent co-obligés. Ils considèrent avoir pour arène de responsabilité pratique collective le système territorial délimité par leur environnement proche. Associant les thématiques du commun et de la proximité, il s’agit là d’une notion transdisciplinaire, entre sociologie, économie politique et géographie.

Commun et territoire, une perspective stimulante.

Dans cet article, nous avons questionné la nature des liens unissant les habitants de la basse vallée de Suse. Au-delà de leur proximité géographique, ils semblent liés par des liens de co-obligation forgés à travers près d’un demi-siècle de luttes locales, et ils partagent une aspiration collective à la soutenabilité, dont nous avons ici détaillé le sens : celui d’une soutenabilité forte. Partant de ces constats, nous avons finalement proposé la notion de communauté territorialisée, les notions de territoire et de proximités ne nous ayant pas semblées suffisamment spécifiques pour décrire les liens unissant les Bas-Valsusains et leur espace.

Ce travail connaît néanmoins plusieurs limites. Il pourrait être complété par une enquête quantitative permettant de saisir plus avant le degré d’institution de chacun des principes et valeurs soutenables ici identifiés, quoique les travaux de Roberta Chiroli en suggèrent un large partage (Chiroli 2017). Les boycotts et dégradations subies par certaines entreprises locales perçues comme transgressant les principes et valeurs ici décrits (Soubirou 2018, p. 250) sont un autre indice du partage déjà avancé de ces normes et de la potentielle exposition de ceux les transgressant à des sanctions sociales. Une enquête sociologique à plus large spectre auprès des habitants de la basse vallée de Suse pourrait en outre révéler plus avant l’efficience de la prise en charge de certains communs et les effets locaux du sentiment de co-obligation au sein de divers groupes sociaux. Il conviendrait en ce sens d’entreprendre au-delà une analyse du métabolisme du territoire (Buclet 2015), afin de comprendre si l’intention commune d’une soutenabilité forte se traduit dans les faits d’un point de vue environnemental. Un travail comparatif avec d’autres territoires ayant connu des luttes sociales d’importance permettrait enfin de saisir plus avant les éléments spécifiquement déterminants d’une telle évolution d’un territoire en lutte vers une communauté territorialisée.

La mise en lumière de l’existence d’une communauté territorialisée en basse vallée de Suse s’est toutefois révélée déterminante pour notre recherche doctorale, nous permettant de comprendre comment un contexte local peut favoriser les conditions d’une transition vers une économie solidaire soutenable. Au-delà, alors qu’une transition vers plus de soutenabilité semble aujourd’hui urgente, la mobilisation territorialisée de l’approche du commun offre des perspectives stimulantes, notamment pour les questionnements autour de l’adaptation au changement climatique.

Résumé

À travers cet article, nous questionnons la nature des liens unissant les habitants de la basse vallée de Suse. Au-delà de leur proximité géographique, ceux-ci semblent liés par des liens de co-obligation s’étant forgés à travers près d’un demi-siècle de luttes locales, et partagent une aspiration collective à la soutenabilité forte. Partant de ces constats, nous proposons la notion de communauté territorialisée, les notions de territoire et de proximités n’étant pas suffisamment spécifiques pour décrire les liens unissant les Bas-Valsusains et leur espace.

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Notes

[1] No Treno ad Alta Velocità (pas de train à grande vitesse).

[2] Lors du même recensement, un taux de chômage de 8,91 % était observé à Turin et de 8,15 % dans le Piémont. Les données en question peuvent se retrouver ici.

[3] Données fournies aux auteurs par la Chambre de Commerce de Turin (CamCom Torino), en septembre 2016, pour les 23 villages de la basse vallée soit : Almese, Avigliana, Borgone, Bruzolo, Bussoleno, Caprie, Chianocco, Chiomonte, Chiusa di San Michele, Condove, Giaglione, Gravere, Mattie, Mompantero, San Didero, San Giorio di Susa, Sant’Ambrogio di Torino, Sant’ Antonino di Susa, Susa, Vaie, Venaus, Villar Dora et Villar Focchiardo.

[4] Dardot et Laval appellent « commun » le « principe politique d’une co-obligation pour tous ceux qui sont engagés dans une même activité » (Dardot et Laval 2014, p. 23).

[5] Si la lutte No TAV a fait l’objet de plusieurs recherches en sciences sociales depuis une décennie (Caruso 2008) (Della Porta et Piazza 2008) (Chiroli 2017), celles-ci ne se sont que marginalement intéressées à la période précédant le conflit autour du TAV et à la nature des liens actuels entre les habitants de la basse vallée de Suse, décrivant plutôt les objectifs politiques qu’ils partagent et leurs modes de mobilisation.

[6] Une convention est une croyance qui guide les comportements des membres d’un groupe. Elle a pour caractéristique spécifique le fait que chaque membre du groupe croit que les autres membres adoptent également des comportements guidés par celle-ci, et considèrent en conséquence devoir se conformer à cette croyance. En ce sens, elle est auto-réalisatrice. Une autre spécificité de cette croyance est qu’elle aurait pu être autre, c’est-à-dire qu’elle n’est en rien naturelle ni évidente (Orléan 2004, p. 12)

[7] « […] c’est seulement l’activité pratique des hommes qui peut rendre des choses communes, de même que c’est seulement cette activité pratique qui peut produire un nouveau sujet collectif » (Dardot et Laval 2014, p. 49).

[8] Nous communiquons les prénoms ou surnoms de Nicoletta, Gigi, Maurizio et Fulvio avec leur accord.

[9] Nous avons ainsi tout d’abord consulté le fonds des archives diocésaines de Suse, où sont conservés notamment d’anciens numéros des journaux locaux La Valsusa et Luna Nuova, mais aussi une large littérature traitant de l’histoire de la vallée. Nous avons ensuite eu accès au fonds archivistique du Centro Studi Sereno Regis de Turin. Celui-ci contient notamment une collection d’articles de journaux autour de la lutte No TAV, ainsi que des archives diverses (presse, photographie, correspondance, publications et tracts) portant sur l’activité du Gruppo Valsusino di Azione Non-Violenta (GVAN). Aux archives de la Bibliothèque Civique de Turin, nous avons consulté des numéros de l’ancien quotidien turinois La Gazzetta del Popolo. Nous avons également exploré les archives des sites internet principaux du mouvement No TAV. Marco Labbate, historien spécialiste de la non-violence et de l’objection de conscience en Italie, a par ailleurs eu l’amitié de partager avec nous un fonds documentaire numérisé autour des actions du GVAN, qu’il a constitué au cours de ses travaux. Enfin, nous avons consulté en ligne les archives des quotidiens nationaux italiens La Stampa et La Repubblica.

[10] Notons qu’aucune contradiction majeure n’est apparue entre la suite d’événements évoqués par les interrogés et les éléments archivistiques rassemblés autour de l’histoire de luttes du territoire.

[11] Les citations de Chiroli, comme celles de Caruso, sont traduites de l’italien par nos soins.

[12] Il s’agit de deux communiqués du mouvement No TAV, intitulés « Pourquoi être No TAV ? » et « Rémi, l’un d’entre nous », d’une déclaration commune de 21 maires de la basse vallée de Suse, intitulée « Sauvons le territoire » et du programme électoral du Rete Liste Valle Susa, un réseau de listes citoyennes ayant été majoritairement élues lors des élections municipales de 2014 en basse vallée, ce programme ayant été localement élaboré à travers un processus participatif et délibératif. Nous avons sélectionné ces quatre textes car ils expriment de la justification tout en se référant à un « nous » bas-valsusain.

[13] « Un régime conventionnel correspond à un moment dans le temps et dans l’espace pendant lequel une société humaine donnée se conforme à un certain nombre de principes qui orientent les comportements des individus inscrits dans cette société. Ces principes, de nature conventionnelle, reposent eux-mêmes sur des valeurs partagées par ces mêmes individus » (Buclet 2011, p. 66). Le régime conventionnel dominant se caractérise par « la prédominance de la pensée économique sur tout autre principe sociétal » (Buclet 2011, p. 7)

[14] La Stampa, 21 janvier 1971 ; La Stampa, 1er février 1971 ; La Stampa, 10 février 1971.

[15] La Gazzetta del Popolo, 15 février 1971.

[16] Luna Nuova, 5 juin 1987.

[17] Autre nom du GVAN.

[18] Luna Nuova, 20 décembre 1991.

[19] La Stampa, 9 décembre 2015.

[20] La Repubblica, 23 mai 2011.

[21] Des vidéos amateur du quotidien de la « République libre de la Maddalena » sont consultables ici, ici et ici.

[22] Cette analyse est présentée dans le tableau 2. Les extraits présentés ne sont que des exemples. Pour une analyse plus détaillée, voir Soubirou (2018).

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Sérendipité.

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