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Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

Vivre le périurbain. Des espaces sous influence urbaine.

jmt_29, Périurbain ?, Flickr, 18 juillet 2010.

 

Cette Traverse interroge la spécificité de l’habiter périurbain : existe-t-il une relation à l’espace dans le périurbain qui soit significativement différente de celle qui caractérise l’urbain d’un côté et le rural de l’autre ? Alors que la question de l’habiter périurbain se rapporte à des enjeux majeurs pour notre société au sens où elle concerne des territoires qui ne cessent de s’étendre et dont la population croît rapidement, les différents articles qui composent cette Traverse permettent d’affirmer la spécificité périurbaine. Attractifs pour les populations, ces territoires sont aussi fortement décriés voire stigmatisés en tant que source d’une immobilité contrainte pour certains de ses habitants — en particulier les jeunes et les femmes disposant de faibles accès à la voiture (Ortar, 2008) —, du fait de la place importante occupée par la voiture (Motte-Baumvol, 2007) et des émissions de CO2 qui en découlent. Le périurbain est également considéré comme territoire de relégation voire de repli pour des ménages modestes dans lesquels les votes en faveur de l’extrême-droite sont croissants (voire à ce sujet l’article de Violaine Girard (2012) pour une vision nuancée de la question). Attrayants autant que repoussants, les espaces et modes de vie périurbains font ainsi l’objet d’inquiétudes voire de fantasmes qui restent peu mis à l’épreuve de l’analyse scientifique… Ainsi, les recherches sur l’habiter périurbain se heurtent principalement à deux écueils. Le premier porte sur la définition des deux notions qui le composent : « habiter » et « périurbain ». Elles sont souvent floues car multiples, mal ou non explicitées. Nous verrons à travers les articles de cette Traverse, qui se caractérisent par un effort important pour définir et expliciter ces notions, que le problème concerne plus spécifiquement le terme « périurbain », et que les enjeux sémantiques et théoriques associés peuvent au moins partiellement être traités grâce à l’« habiter ». La deuxième partie de cette introduction portera sur le second écueil récurrent dans les travaux sur l’habiter périurbain. Celui-ci se rapporte à la double dimension, sociale et spatiale, de ces notions : on observe parfois une confusion entre ce qui relève du mode d’habiter et ce qui a trait au contexte spatial périurbain, dans les pratiques spatiales des populations périurbaines. Il ne s’agit pas d’opposer ces deux notions, qui se recoupent en partie. L’espace est social tel que le mettent en évidence Di Méo (1998) et Lévy et Lussault (2003). Mais toutes les manifestations sociales dans le périurbain ne relèvent pas nécessairement du contexte spatial. Il nous semble ainsi indispensable de donner à l’espace périurbain un rôle qui dépasse celui d’un élément composant le contexte. Le périurbain n’est pas figé ; s’il possède une influence  sur les modes d’habiter, il est lui aussi influencé par les habitudes, les comportements, les préférences et les représentations des populations qui le composent. En abordant de front ces deux types d’écueil, nous souhaitons éviter des erreurs d’analyse et d’interprétation qui risqueraient de fausser la compréhension de notre société et l’éclairage que peut apporter la recherche aux politiques publiques. À partir des approches proposées au travers des articles de cette Traverse, trois types d’enjeux soulevés par les modes d’habiter périurbains émergent. Nous les examinerons successivement dans une troisième partie.

Quelle définition pour le périurbain ?

Dans la quête d’une définition pour le « périurbain », la première référence qui s’impose est celle proposée par l’INSEE : « Le périurbain est composé des communes sous influence urbaine du fait des déplacements domicile-travail : communes des couronnes périurbaines et communes multipolarisées ». Cette définition du périurbain est critiquée et souvent remise en cause, notamment pour son caractère trop normatif, pour les seuils retenus et surtout parce qu’elle définit uniquement le périurbain à partir d’une ville-centre polarisatrice en termes d’emplois. Dans son article présenté dans cette Traverse, Séverine Bonnin-Oliveira met ainsi en évidence que dans de nombreux espaces périurbains « les modes de vie [qui] s’y structurent en s’affranchissant, au moins pour partie » du centre. La notion de tiers-espace mis en avant par Martin Vanier et évoquée par plusieurs auteurs de cette Traverse, affirme parallèlement que le périurbain ne peut être défini seulement par sa dépendance à l’emploi parce qu’il est assurément plus complexe (Vanier, 2000). Toutefois, si la définition de l’INSEE est explicitement discutée par quatre auteurs de cette Traverse, le recours à une dialectique entre les deux dimensions spatiale et sociale fait consensus pour une très large partie des auteurs, dans et hors Traverse, y compris parmi ceux qui proposent des définitions alternatives. Elle renvoie en premier lieu à la dimension morphologique du périurbain basée sur la discontinuité du bâti et la présence de vastes espaces ouverts. Cette caractéristique du périurbain est d’ailleurs au cœur des contributions de Monique Poulot ainsi que de Christine Bouisset et Isabelle Degrémont et est indirectement abordée dans la contribution de Didier Labat. La dimension sociale invite ensuite à considérer les caractéristiques sociales et/ou démographiques des populations qui résident dans ces espaces. Au-delà de la proportion d’actifs travaillant dans le pôle urbain, considérée dans la définition de l’INSEE, Christine Bouisset et Isabelle Degrémont, ainsi que Hossam Adly et Marie-Paule Thomas considèrent par exemple la proportion de populations nouvellement installées, suggérant ainsi une dynamique populationnelle spécifique. Ces quelques éléments nous invitent à la fois à revoir la dépendance des territoires dits périurbains à un ailleurs (un ou plusieurs centres, un ou plusieurs pôles d’activité majeurs) (Jaillet et Rougé, 2007). La référence à l’emploi, déterminante dans l’approche du périurbain que propose l’INSEE, mérite d’être non pas oubliée mais complétée, c’est la raison pour laquelle nous utilisons dans le titre et dans la suite de cette introduction la notion d’ « espaces sous influence urbaine » — en référence au groupe de travail éponyme piloté par le Centre d’études et de recherche sur les transports et l’urbanisme (CERTU) dans les années 2000. Ensuite, la référence à une dialectique spatiale et sociale invite à une considération plus approfondie des interactions entre les modes de vie des résidents et les espaces dans lesquels ils s’inscrivent. Le recours à la notion de l’« habiter » doit permettre de répondre à cette exigence. Encore faut-il qu’un accord existe déjà sur ce qu’est l’« habiter ».

Les définitions de l’habiter dans cette Traverse s’appuient également sur les dimensions spatiale et sociale (ce qui confirme d’ailleurs la pertinence de cette notion vis-à-vis de notre ambition de compréhension des espaces sous influence urbaine). Dans la continuité des travaux de Mathis Stock (2004) [1] et de Laurent Cailly (2008) [2], l’habiter se définit comme la relation d’un groupe social à l’espace. Dans les contributions qui ne reprennent pas ces deux références et qui utilisent plutôt le vocable de modes de vie, comme celles de Séverine Bonnin-Oliveira et de Hossam Adly et Marie-Paule Thomas, on retrouve les deux mêmes dimensions. Il apparaît ainsi au travers de ces différentes contributions que la définition de l’habiter fait l’objet d’un relatif consensus entre les auteurs.

Aborder la double dimension spatiale et sociale des modes d’habiter périurbain.

Alors que les recherches sur les modes d’habiter périurbains sont nombreuses, Laurent Cailly (2008) considère que la dimension spatiale du périurbain est faiblement prise en compte dans ces travaux. Pourtant, l’évocation du périurbain, soit un géotype d’urbanité (Lévy 1994, Cailly 2003), devrait être l’occasion — en particulier pour les géographes — de mettre en perspective les modes d’habiter par rapport à un contexte spatial spécifique, notamment en termes de contraintes, d’aménités ou de diversité sociale et fonctionnelle (Cailly, 2008). De fait, les espaces sous influence urbaine sont parfois présentés comme un objet d’étude à part entière au même titre qu’il existe une géographie urbaine et une géographie rurale. Mais, si d’une part la spécificité des espaces urbains et ruraux est bien documentée, le périurbain (qui emprunte à la fois de l’urbain et du rural) n’a été étudié que bien plus récemment. Ainsi, les spécificités d’un habiter périurbain ne sont que très partiellement établies, notamment parce que les effets du contexte socio-spatial périurbain particulier sur l’habiter restent relativement mal connus et que les espaces périurbains renvoient à des réalités spatiales diversifiées. Sans mise en contexte spatial suffisante, l’écueil est d’étudier un habiter périurbain sans en saisir les spécificités, et de ne pas être en mesure de comprendre les mécanismes qui conduisent à ces spécificités. Or ce dernier point est fondamental pour saisir les enjeux des modes d’habiter périurbain dans notre société.

Ainsi, dans son article, Olivier David caractérise finement l’espace périurbain étudié à partir des contingences quotidiennes qui s’imposent aux familles y résidant. Il situe notamment ces contingences en rapport à l’urbain et au rural. Il s’agit en particulier des distances importantes à parcourir, des discontinuités entre les lieux pratiqués, ainsi que de l’éloignement à l’emploi. Cela lui permet d’identifier les spécificités des modes d’habiter périurbains et leurs conséquences en matière d’organisation quotidienne des familles. Monique Poulot d’un côté et Christine Bouisset et Isabelle Degrémont de l’autre s’intéressent à une caractéristique forte des espaces périurbains, la présence d’espaces ouverts — ces derniers différenciant clairement les espaces périurbains des espaces urbains — alors que la distinction par rapport au rural est portée par les populations résidant dans les espaces périurbains qui affichent un rapport équivoque avec les espaces ouverts.

Au-delà d’une caractérisation des espaces périurbains et de leur contexte spatial particulier à même d’influencer les modes d’habiter des résidents, les contributions réunies dans cette Traverse pointent la nécessité de considérer la diversité des espaces périurbains. Sans une approche nuancée des espaces périurbains, on prend le risque de travailler souvent sur des agrégats hétérogènes. Rodolphe Dodier montre ainsi la diversité et la variabilité des modes d’habiter dans des espaces périurbains différenciés selon la distance au centre et la taille de l’aire urbaine. L’article d’Hossam Adly et Marie-Paule Thomas met également en avant cette diversité en s’intéressant aux effets de la frontière sur les modes de vie dans l’aire urbaine genevoise. Les quatre terrains périurbains étudiés ont été sélectionnés non seulement en fonction de leur pays d’appartenance, mais également selon leur morphologie, leur densité, leur composition sociodémographique ainsi que de leurs pratiques de mobilité. Leurs conclusions permettent de réaffirmer la nécessité du dépassement d’une vision monolithique du périurbain. On retrouve également cette volonté de différencier les territoires autant que les situations individuelles dans la contribution du collectif Terrhab-mobile.

Si la question du contexte spatial est fondamentale pour étudier les spécificités des modes d’habiter périurbains, elle ne doit pas occulter, dans un effet de balancier, la dimension sociale du périurbain qui influe également sur les modes d’habiter. Ainsi, la composition sociale des espaces périurbains tend à être un facteur de différenciation par rapport au rural, alors que la dimension spatiale est à l’inverse plutôt un facteur de différenciation par rapport à l’urbain. La prise en compte de la composition sociale est indispensable dans la mesure où les espaces étudiés sont hétérogènes en la matière. Ainsi, la contribution de Rodolphe Dodier met en évidence des différences de modes d’habiter dans les espaces périurbains en fonction de la taille de l’aire urbaine. Mais il attribue plutôt cet effet à une composition sociale des espaces périurbains différenciée selon la taille de l’aire urbaine, plutôt que le contexte spatial.

Les apports des articles de la Traverse.

On peut relever trois familles ou types d’apport dans les articles réunis dans cette Traverse qui reflètent les grands enjeux de l’étude des modes d’habiter périurbain. Le premier concerne les distorsions que subissent les modes d’habiter plutôt urbains des populations périurbaines en raison des discontinuités spatiales qui marquent ces espaces. Ce constat impose d’examiner si cela est la source de tensions notamment sociales et tend à faire basculer ces populations dans un habiter spécifique au périurbain. Le second enjeu concerne les effets du temps sur l’habiter périurbain alors que ces espaces évoluent et connaissent une diversification de leurs populations, qui entrainent de nouvelles attentes et de nouveaux besoins. Enfin, le troisième enjeu est celui de l’émergence de pratiques spécifiques dans l’habiter des populations périurbaines, qui vont dépendre du contexte spatial avec la présence relative de vastes espaces ouverts. Nous allons nous arrêter successivement sur ces trois types d’enjeux.

Des modes d’habiter urbains à l’épreuve de la discontinuité spatiale.

Comme le met en évidence Laurent Cailly (2008) avec son « pack périurbain », l’habiter périurbain est avant tout une adaptation de l’habiter urbain déformé par la portée plus longue des déplacements selon le degré de périurbanité. Plusieurs contributions de cette Traverse reviennent sur cette adaptation à la distance de l’habiter des populations périurbaines. Ainsi, Rodolphe Dodier met en évidence les effets de la distance au centre et de la taille de l’aire urbaine sur des types de mode d’habiter préalablement définis. Il montre un effet de la distance au centre, mais qui reste marginale, mettant en évidence que le degré de périurbanité ne doit pas se lire de cette façon. Par contre, la taille de l’aire urbaine et notamment de la ville-centre se révèle importante dans les modes d’habiter avec un repli plus fort sur le logement et un réseau social composé de proches dans les petites aires urbaines, alors que les relations se font « dans un cercle plus large de connaissance et avec une dimension spatiale plus vaste » (DODIER) dans les plus grandes aires urbaines. Cela s’explique notamment par le caractère plus modeste des populations qui résident dans les espaces périurbains des plus petites aires urbaines. Olivier David pointe de son côté les effets des distances importantes à parcourir et des discontinuités spatiales sur les modes d’organisation des familles périurbaines. Il en conclut que ces modes d’organisation sont plus contraints en raison de spatialités plus éclatées et de temporalités plus complexes. Enfin, Hossam Adly et Marie-Paule Thomas s’intéressent aux effets du degré de périurbanité, dans ses dimensions sociales et spatiales sur les modes de vie, notamment en termes de mobilité, d’usage des transports ou de préférence de logements. Mais plus encore, leur contribution s’intéresse à un contexte institutionnel particulier, celui d’un périurbain à cheval sur deux pays et cantons suisses. Ils montrent que ce contexte a des effets très importants sur les modes d’habiter des populations, et les formate à tel point que changer de côté de la frontière, franchir la limite cantonale en Suisse et même passer de l’est à l’ouest de l’agglomération parait inenvisageable pour de nombreux habitants tant cela impacterait leur mode de vie. De cet exemple particulier, on pourrait déduire certaines généralités quant aux effets des limites administratives ou de territoires de projets sur les modes d’habiter périurbains.

Les modes d’habiter périurbains à l’épreuve du temps.

L’article de Séverine Bonnin-Oliveira examine également les effets des périmètres institutionnels sur l’habiter périurbain et vice-versa. Elle place au cœur de son analyse les effets du temps sur cet habiter. En effet, certains espaces périurbains sont constitués depuis plusieurs décennies, l’habiter ne peut qu’évoluer en fonction du temps et de la diversification des populations qui l’accompagne. Pour Séverine Bonnin-Oliveira cela

produit de nouvelles attentes résidentielles et en matière de commerces, d’équipements et de services qui concourent à faire évoluer les programmes d’action des acteurs locaux ». Par ailleurs, « les espaces périurbains s’en trouvent alors modifiés : moins dépendants de la ville centre et de sa banlieue, ils se structurent autour de polarités que les pratiques habitantes font émerger et que les politiques publiques aident à renforcer.

Au-delà de la question posée dans l’article de Séverine Bonnin-Oliveira, la question de l’évolution des espaces périurbains et de ses habitants est un enjeu fort. Dans les espaces périurbains, les formes urbaines et les identités territoriales ne cessent d’évoluer. Le périurbain ne correspond plus seulement aux territoires des familles avec enfants quittant les centres pour accéder à la propriété. Dans certains d’entre eux, les enfants ont grandi, ont décohabité et une partie des couples se sont séparés. Dans d’autres plus récents, la majorité des entrants ne viennent pas des territoires centraux, mais du rural ou d’autres territoires périurbains environnants (Dodier, 2009). Ensemble, ces évolutions participent à une plus grande diversité des situations familiales et vont dans le sens d’un brouillage croissant du modèle « traditionnel » des dynamiques résidentielles périurbaines, centre vers périphérie, porté par les couples et contesté depuis plusieurs années pour sa simplicité excessive (Gober, 1986).

La construction dans l’interaction hommes/espaces de modes d’habiter spécifiques.

Le troisième type d’apport dans la Traverse concerne les pratiques de l’habiter spécifiques aux situations périurbaines présentées dans les articles de Monique Poulot, de Christine Bouisset et Isabelle Degrémont et de Didier Labat. La pratique des espaces ouverts et la mobilisation de leurs ressources, dans le quotidien des populations périurbaines, différencient strictement leurs modes d’habiter de celui des urbains, bien au-delà d’un simple effet des distances de déplacements. Le rapport spécifique des périurbains à la nature et à la campagne est mis en évidence par ailleurs par Annabelle Morel Brochet (2007). Par rapport aux populations rurales, les modes d’habiter des périurbains en rapport avec les espaces ouverts se caractérisent par leur faible familiarité avec ces espaces et l’exploitation de leurs ressources. On voit ainsi dans le travail de Christine Bouisset et Isabelle Degrémont comment les résidents des lotissements en marge de la forêt dans les Pyrénées ont l’obligation de faire face aux risques d’incendie en intervenant sur le couvert végétal qui les entoure. Une grande partie ne le fait pas ou pas complètement par manque de savoir-faire, de moyens et de prise en compte du risque, générant des conflits avec les autres résidants et les pouvoirs publics. Dans le travail de Monique Poulot, on observe l’attachement des populations périurbaines aux espaces ouverts. Ces derniers sont devenus structurants pour les espaces périurbains et l’habiter de leurs populations, à la fois comme support des activités des populations et comme espace de production, notamment pour l’alimentation. Mais ce rapport bienveillant des populations périurbaines est récent et c’est ce qui le différencie des espaces ruraux. « La nouveauté réside dans la reconnaissance mutuelle d’un possible enrichissement, voire d’une nécessaire hybridation de l’un par l’autre », alors qu’il existe, selon Christine Bouisset et Isabelle Degrémont, « un long passé d’exclusion entre espaces ouverts et espaces bâtis, à tout le moins d’une tolérance à minima dans des lieux confinés ». Ce rapport paradoxal aux espaces verts et paysagers ne facilite pas le traitement de ces derniers dans les documents de planification. C’est ce que montre le travail de Didier Labat, en soulignant la difficulté des populations périurbaines et des politiques à se projeter dans des représentations partagées du territoire et du paysage.

Et au-delà…

Deux des contributions regroupées dans cette Traverse se révèlent atypiques vis-à-vis des éléments présentés précédemment. L’article portant sur les artisans bateliers de la Seine, sous la plume de Charlotte Paul et Nicolas Raimbault, traite d’un système urbain atypique, « infra-territorial[e] », composé de centralités de différente importance. Au-delà de la forme des réseaux de sociabilité, qui a bien des points communs avec celle des populations périurbaines « classiques », cette contribution permet de questionner la place laissée par le développement morphologique périurbain à des modes de vie atypiques, à la marge. Si cette Traverse permet de souligner la diversification des formes et des modes de vie périurbains et donc la difficulté croissante à défendre l’idée d’une norme périurbaine en soi, cet article nous montre qu’à l’inverse, certains modes de vie (itinérants en l’occurrence) sont montrés du doigt comme étant hors « norme ». Cela pose indirectement mais clairement la question de l’ancrage territorial, du rapport à l’espace habité et du rapport à l’« autre » des périurbains.

Cela nous amène à la contribution du collectif Terrhab-mobile [3] dont l’objectif théorique est de remettre au cœur de la réflexion une vision intégratrice mobilité-territoire, pour expliquer en quoi la mobilité fait le territoire et le territoire fait la mobilité. Si la mobilité a été présentée comme partie intégrante de la ville, elle n’en est pas moins constitutive des espaces sous influence urbaine… En ce sens et au travers de la réflexion menée par le collectif Terrhab-mobile, il apparaît que la réflexion sur les modes d’habiter périurbains passe par une compréhension de la manière dont les acteurs habitent la mobilité, y construisent des repères, des ancrages, des habitudes et par là -même articulent leurs réseaux de sociabilité.

Pour parvenir à mieux appréhender l’« habiter périurbain », les trois enjeux soulevés par les articles de cette Traverse apparaissent très utiles. Les effets des discontinuités du bâti sur les modes de vie, l’importance des espaces ouverts et la faible familiarité des acteurs périurbains à leur égard, et finalement la prise en compte du temps comme support de changement, des territoires eux-mêmes et des populations qui les habitent sont autant de clés de compréhension de ces espaces complexes, trop souvent montrés du doigt, et trop peu souvent étudiés en tant que tels.

Alors que les villes-centres gagnent en attractivité, que les enjeux de développement durable semblent faire évoluer le rapport à la voiture, les modes de vie des populations périurbaines continuent d’évoluer et de se diversifier. La périurbanisation s’est inscrite dans l’agenda des chercheurs et dans les consciences urbanistiques à partir du milieu des années 1980 (Potier, 2007). Le contexte était bien différent que ce que nous donne à voir la ville et l’urbain d’aujourd’hui. La réflexion périurbaine atteint sa seconde génération. Elle doit se nourrir de la première mais se renouveler tant sur le point sémantique que théorique. C’est ce que vise cette Traverse en insistant sur la nécessité et la richesse d’un approfondissement des formes de l’« habiter périurbain », de leur diversité à leur spécificité territoriale.

Résumé

  Cette Traverse interroge la spécificité de l’habiter périurbain : existe-t-il une relation à l’espace dans le périurbain qui soit significativement différente de celle qui caractérise l’urbain d’un côté et le rural de l’autre ? Alors que la question de l’habiter périurbain se rapporte à des enjeux majeurs pour notre société au sens où elle concerne des ...

Bibliographie

Laurent Cailly, « Existe-t-il un mode d’habiter spécifiquement périurbain ? L’exemple de l’aire urbaine d’une ville française (Tours) » in EspacesTemps.net, 13 mai 2008.

—, « Périurbain » in Jacques Lévy et Michel Lussault (dirs.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003, pp. 706-708.

Guy Di Méo, « De l’espace aux territoires : éléments pour une archéologie des concepts fondamentaux de la géographie » in L’information géographique, n° 62, vol. 3, 1998, pp. 99-110.

Rodolphe Dodier, Individus et groupes sociaux dans l’espace, apports à partir de l’exemple des espaces périurbains, HDR de Géographie, Le Mans, Université du Maine, 2009.

Violaine Girard, « Les votes à droite en périurbain : « frustrations sociales » des ménages modestes ou recompositions des classes populaires ? » in métropolitiques.eu, 30.04.2012.

Patricia Gober, « Homogeneity versus heterogeneity in household structure : the recent experience of twenty US cities » in Environment and Planning A, n° 18, 1986, pp. 715–727.

Jacques Lévy, Michel Lussault, « Espace » in Jacques Lévy et Michel Lussault (dirs.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003, pp. 325-333.

Jacques Lévy, L’espace légitime. Sur la dimension géographique de la fonction politique, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1994.

Marie-Christine Jaillet, Lionel Rougé, L’espace périurbain dans la ville « à trois vitesses », Lyon, CERTU, 2007.

Annabelle Morel-Brochet, « À la recherche des spécificités du mode d’habiter périurbain dans les représentations et les sensibilités habitantes » in Norois, n° 205, vol. 4, 2007, pp. 23-36.

Benjamin Motte-Baumvol, « Les populations périurbaines face à l’automobile en grande couronne francilienne » in Norois, n° 205, vol. 4, 2007, pp. 53-66.

Françoise Potier, Le Périurbain. Quelle connaissance ? Quelles approches ?, Rapport d’étude, Lyon, CERTU, 2007.

Mathis Stock, « L’habiter comme pratique des lieux géographiques » in EspacesTemps.net, Travaux, 18.12.2004.

Martin Vanier, « Qu’est-ce que le tiers espace ? Territorialités complexes et construction politique » in Revue de Géographie Alpine, 88 (1), 2000, pp. 105-113.

Nathalie Ortar, « Entre ville et campagne le difficile équilibre des périurbaines lointaines » in Métropoles, n° 3, 2008.

Notes

[1] Ses travaux sont cités dans quatre contributions : celles de Christine Bouisset et Isabelle Degrémont, Olivier David, Rodolphe Dodier et finalement la contribution commune de l’équipe Terrhabmobile.

[2] Ses travaux sont repris dans deux contributions : celles de Monique Poulot et Séverine Bonnin-Oliveira.

[3] Ce collectif est composé de Marie-Christine Fourny, Laurent Cailly, Rodolphe Dodier, Helene Bailleul, Sophie Louargant, Sonia Chardonnel et Benoit Feidel.

Auteurs

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Sérendipité.

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