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L’individu comme ressort théorique dans les sciences sociales : Partager l’individu.

Un dossier-débat ouvert à toutes les sciences sociales.

Image1Le questionnement proposé par EspacesTemps.net se révèle fertile : « l’individu comme ressort théorique dans les sciences sociales » a provoqué les réflexions. Nous avons à ce jour pu lire cinq d’entre elles, denses et de qualité, formulant et enrichissant le problème de façon diverse. Nous n’allons pas souligner à nouveau, puisque les auteurs l’ont très bien fait, la tension qui semble au principe des sciences sociales : sciences des groupes, elles s’appuient pourtant le plus souvent sur l’analyse de l’individu, qui apparaît comme une entité plus aisément saisissable empiriquement. Cette tension n’est pas un problème en soi, elle est vite dépassée. C’est la façon dont elle est pensée, puis résolue, qui pose questions et que nous souhaitons mettre en regard, afin d’en éclairer les enjeux.

Il n’échappera pas au lecteur que ce sont tous des sociologues — Danilo Martuccelli et François Dubet, et un politiste, Philippe Corcuff, très proche de la sociologie, puis Aldo Haesler et Stéphane Beau —, qui ont pour l’instant répondu à cet appel à propositions, qui pourtant s’adressait à toutes les sciences sociales. Ils se sont humblement proposés de ne pas dépasser les limites du champ de la sociologie. De fait, c’est sans doute la discipline où la réflexion sur « l’individu » est la plus systématique : point de passage obligé de tout enseignement en sociologie, c’est aussi sur les lignes de partage autour de cette question que se sont structurés les grands courants de la discipline. Mais cette plus grande attention de la sociologie à la question résulte peut-être, au-delà des concepts, d’une illusion provoquée par la particularité des usages disciplinaires du vocabulaire. L’« individu », l’« individuel », le « singulier », le « particulier », le « singleton », le « sujet », la « subjectivité », l’« acteur », le « cas », l’« agent », etc. : indivisible ? unique ? fondamental ? actif ? objet d’une action extérieure ? Chacun de ces termes mobilise des univers théoriques et disciplinaires différents et demanderaient une discussion. Dont il conviendrait peut-être d’expliciter les enjeux.

Mais ne pourrait-on éviter que les disciplines se limitent à leurs propres traditions, enfermées dans une terminologie et des questions historiquement construits ? Peut-on engager une réelle discussion au sein des disciplines en évitant l’écueil de positions qui s’opposent sans parvenir à échanger ? Peut-être faudrait-il en renouveler les termes et revenir à la définition du questionnement, afin de rouvrir le dialogue, pour tenter ainsi de sortir d’un héritage miné auquel est associée la notion d’« individu » ? Ceci pourrait permettre à certains de ne pas s’exclure a priori de la réflexion engagée dans ce dossier.

Il ne s’agirait pas de chercher un concept commun universellement valable, mais plutôt de donner les outils pour que chaque discipline puisse s’emparer des modes de raisonnements des autres, de manière à mieux voir — ou voir différemment ce qu’elle a déjà l’habitude de travailler. Le propos serait moins de chercher ce qui est commun que se donner des moyens d’apprendre comment opèrent les autres, de s’approprier les autres traditions, afin de voir ce qu’elles peuvent nous apporter.

Derrière le concept sur lequel chaque travail disciplinaire a créé un référentiel précis, nous voulons tenter de parvenir à une question plurielle, pertinente pour toute discipline pensant la société. Il faut pour ce faire bien connaître les réflexions déjà existantes, les réfléchir, afin de les dépasser, et c’est bien ce que la contribution de Stéphane Beau nous rappelle, en ouvrant les références classiques à des champs plus larges.

Ne peut-on pas encore, du même coup, tenter de prendre la hauteur nécessaire pour refonder une question qui aurait du sens pour l’ensemble de ces disciplines, sans que le vocabulaire utilisé nous oriente inévitablement vers l’une ou l’autre ? Ce serait sortir de la « démarche Google », prisonnière des termes de sa propre recherche et se privant de la capacité de les dépasser puisque la réponse est déjà dans la question. Ce serait exercer une compétence propre à l’ensemble des sciences sociales, qui consiste à savoir poser les questionnements.

Car l’un des actes fondateurs des sciences sociales, c’est de poser, et de reposer autrement les questions. Celle que nous avons proposée comme point de départ de la réflexion se porterait donc paradoxalement très bien si elle était mise à mal par les contributeurs. C’est ce que fait Aldo Haesler dans son article.

Dans l’optique d’une reformulation du questionnement de départ, ce sont même les modalités de dépassement d’une pensée dialectique sur la question qui sont au cœur des réflexions. Penser l’individu comme ressort théorique des sciences sociales suppose aujourd’hui de prendre acte et d’explorer, de proposer d’autres voies, y compris des hypothèses, de faire des suggestions.

La timidité réciproque des champs disciplinaires nous a donc frappés : où sont donc les anthropologues, les historiens, les psychologues, les géographes, les politistes, les philosophes, bref, tous les chercheurs s’intéressant à la société… ? C’est un appel à leurs réactions sur le questionnement originel de ce dossier, ou sur l’apport des analyses sociologiques en la matière pour leurs propres travaux, que nous pouvons maintenant lancer. En effet, en l’absence de traditions fortes sur la question, l’intervention des autres sciences sociales pourrait se faire à travers une interpellation de l’apport sociologique : ces réflexions sont-elles pertinentes, enrichissantes pour le travail des autres sciences sociales ? Qu’apportent-elles, que pourraient ou devraient-elles leur apporter ? Le dialogue interdisciplinaire pourrait placer au cœur la réflexion sociologique pour la solliciter, avec exigence. Inversement, la sociologie pourrait explorer plus systématiquement des concepts, des cadres d’analyse ou des problématiques dont la pertinence et les limites ont été construites parfois de longue date par d’autres disciplines. On pense par exemple à la question de l’individu aujourd’hui reposée par les historiens notamment médiévistes (L’individu au Moyen-Âge, dirigé par Dominique Iognat-Prat, 2005).

Enfin, il serait intéressant de tenter une sortie en dehors du domaine francophone… Les traditions d’analyse se structurent différemment selon les histoires disciplinaires nationales et les aires linguistiques, d’autant que l’on sait combien une langue détermine des cadres de pensée, combien elle engage des nuances cruciales à la réflexion. Si les sciences anglo-saxonnes sont relativement bien connues du monde francophone, des pans entiers de la production mondiale restent souvent insoupçonnés. Ouvrons donc les champs de la connaissance et du débat au monde non-francophone.

Voici donc le bilan provisoire que nous tirons de ces premières réflexions, afin d’avancer encore : il est très difficile de parvenir à poser simplement les questions essentielles et complexes. Elles ne peuvent devenir pertinentes que sous le regard critique de l’Autre, l’autre discipline, l’autre culture, l’autre parole, l’autre langue. Au-delà des problèmes posés de façon spécifique à chaque discipline, et de façon traditionnelle à chaque sphère intellectuelle et linguistique, il faut tenter d’aller — en passant nécessairement par cette exposition, ce risque, et ce décentrement, en passant ces frontières encore clandestinement — à des questions que se posent l’ensemble des sciences sociales et des disciplines pouvant les réfléchir, comme la philosophie, les mathématiques ou la littérature.

Partager l’individu, l’indivis… la difficulté de la tâche ne doit pas être sous-estimée. C’est la conviction que ce partage apportera du souffle à la recherche de chacun qui est l’unique argument que nous pouvons avancer, cette conviction qu’aucune réflexion intellectuelle ne vaut qui ne soit mise au monde, exposée. Commençons par le monde des sciences sociales. Et ne nous épargnons pas le débat, indépassable dans sa forme, pour faire naître une réflexion pertinente et lisible, si les enjeux en sont explicites.

Abstract

Le questionnement proposé par EspacesTemps.net se révèle fertile : « l’individu comme ressort théorique dans les sciences sociales » a provoqué les réflexions. Nous avons à ce jour pu lire cinq d’entre elles, denses et de qualité, formulant et enrichissant le problème de façon diverse. Nous n’allons pas souligner à nouveau, puisque les auteurs l’ont ...

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Notes

Authors

Emmanuelle Tricoire

Elle a été professeure d’Histoire, de Géographie et d’Éducation civique dans l’enseignement secondaire à Metz, à Marseille où elle a participé à la revue pédagogique La Durance, et à Paris. Elle est l’auteure de l’article « Homère » du Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés (dir. Lévy et Michel Lussault, Belin, 2003) et co-auteure avec Jacques Lévy et Patrick Poncet de La carte, un enjeu contemporain, La Documentation Photographique, 2004, dont elle a réalisé le complément pédagogique. Elle s’intéresse à l’idée d’Europe dans l’Est-européen (comme passe-temps), et travaille à l’interdisciplinarité dans l’enseignement et la recherche à la Faculté Enac de l’Epfl (École Polytechnique Fédérale de Lausanne). Depuis septembre 2003 elle est rédactrice en chef d’EspacesTemps.net.

Camille Hamidi

Maîtresse de conférences en science politique à l’université Lyon II Lumière et membre du laboratoire Triangle (UMR 5206, Cnrs Ens-Lsh/U. Lyon-2/Iep Lyon), elle travaille actuellement sur les transformations des luttes immigrées en France depuis les années 60, et co-anime un séminaire consacré à cette question dans le cadre du laboratoire Triangle. Elle est notamment l’auteur de « Voluntary Associations of Migrants and Politics. The case of North African Immigrants in France » dans Migrants and minorities, vol. 22, juillet-novembre 2003, n°2-3, pp. 317-332 ; « Lire le capital social. Autour de Robert Putnam », Revue Française de Science Politique, vol. 53, n°4, août 2003, pp. 607-613 ; « Les raisons de l’engagement associatif. Le cas de trois associations issues de l’immigration maghrébine », Revue Française des Affaires Sociales, n°4, oct.-déc. 2002, pp. 149-166.

Blandine Ripert

Anthropologue et géographe, elle est chercheuse au Cnrs, au Centre d’Études de l’Inde et de l’Asie du Sud de l’Ehess. Elle enseigne à l’Institut d’Études Politiques de Paris. Ses recherches portent sur les dynamiques contemporaines en Inde et au Népal. Elle a travaillé sur des phénomènes de conversion religieuse et sur l’impact de la mondialisation parmi des populations rurales. Ses dernières recherches portent sur la diffusion des nouvelles technologies d’information et de communication en Inde du sud. Elle est responsable de la Photo du mois et co-responsable des Mensuelles.

Sébastien Tank

Docteur en sociologie de l’Ehess, il est chercheur associé au Centre d’Études Interdisciplinaires des Faits Religieux (Ceifr) et il enseigne la sociologie des religions à l’Université Paris 5. Après une thèse portant sur les conversions au judaïsme en Israël, en France, en Argentine et aux États-Unis (thèse préparée sous la direction de Danièle Hervieu-Léger), il se consacre aujourd’hui à l’étude comparée du pluralisme religieux et identitaire dans le judaïsme contemporain, notamment en Argentine. Il est responsable des Mensuelles.

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