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L’Europe a une histoire, et rien d’autre, comme tous les lieux du Monde.

Image1Ce qui a contribué à faire la spécificité de l’européanité est un ensemble contradictoire de relectures spécifiques d’un héritage culturel qui a été produit hors d’Europe. Ici, le mot « hors » revêt une signification tant temporelle que spatiale. L’Empire romain ou la Grèce antique ne sont pas des régions de l’Europe, mais des régions d’un Monde dans lequel l’Europe n’existait pas. Pour Aristote, les « Européens » sont des guerriers farouches qui vivent dans les forêts septentrionales alors que, pour lui, l’Asie mineure (chère à Nicolas Sarkozy), la Phénicie ou l’Égypte pharaonique, qui n’existent plus aujourd’hui, font alors partie du monde civilisé, celui où la langue grecque devient peu à peu, y compris du temps des Romains, la langue véhiculaire de la culture. Parler de l’Europe « depuis Hérodote » n’a tout simplement pas de sens et faire comme si cela allait de soi montre simplement, de la part de l’auteur d’un article stimulant par ailleurs, une étonnante sortie de route théorique.

Ces relectures qui ont fondé l’Europe ont pu se faire parce qu’ont existé un certain nombre de conditions qui les ont permises, en gros : l’existence d’un pluralisme de centres de « traduction » suffisant pour que, à l’intérieur de la matrice chrétienne dominante, des interprétations divergentes puissent être pensées et rendues publiques. Et cela a été rendu possible par la dynamique de sociétés médiévales bénéficiant, contrairement à d’autres parties de l’arc néolithique de l’Ancien Continent comme la Chine, l’Inde du Nord, la Perse, le Monde arabe, la Turquie ou la Russie, d’une position d’abri précoce et solide face aux logiques prédatrices des sociétés nomades de l’Asie intérieure. Il n’y a donc eu aucune prédestination à l’européanité. L’Europe a été inventée, non révélée. Si, en effet, on peut aujourd’hui identifier des caractéristiques spécifiques de l’Europe qui, depuis la fin de son Moyen Âge, lui ont permis de contribuer à l’histoire du Monde à la fois par la violence de la conquête et par la production d’objets pouvant entrer dans la construction d’une société-Monde — urbanité, société civile, marché, état de droit, démocratie, droits de l’homme… —, il est tout aussi vrai que cette singularité historique est comparable à d’autres singularités historiques (comme, par exemple, celle de la continuité d’un État chinois depuis 221 avant J.-C. ou celle de la manière dont les sociétés de l’Afrique saharienne se sont organisées avant, pendant et après la colonisation).

Le constat justifié de cette singularité ne justifie pas le basculement dans l’exceptionnalisme qui ferait que, contrairement à tous les autres événements de l’histoire de l’humanité, les sciences sociales devraient, sur celui-ci, renoncer à leur travail d’analyse et l’abandonner à l’exégèse philosophique.

Au-delà de la controverse scientifique, déshistoriciser l’Europe, l’imaginer comme un miracle sans cause ni contexte, c’est le pire service qu’on puisse rendre à ceux qui souhaitent que l’expérience historique des Européens puisse, de différentes manières, servir à d’autres. Car c’est exactement avec ce genre de dissymétrie théorique que l’on donne prise à des points de vue anti-européens qui peuvent s’appuyer sur ce manque de cohérence pour essayer d’emporter, avec leur critique, toute l’expérience et tout le patrimoine que l’Europe post-impériale peut, enfin modestement, proposer aux habitants du Monde.

Illustration : Samuel Rönnqvist, « Map of Europe », 28.9.2007, Flickr (licence Creative Commons).

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Ce qui a contribué à faire la spécificité de l’européanité est un ensemble contradictoire de relectures spécifiques d’un héritage culturel qui a été produit hors d’Europe. Ici, le mot « hors » revêt une signification tant temporelle que spatiale. L’Empire romain ou la Grèce antique ne sont pas des régions de l’Europe, mais des régions ...

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