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Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

L’enquêteur deweyen et la fragilité de la vie publique.

Daniel Cefaï, Cédric Terzi (éds.), L’expérience des problèmes publics. Perspectives pragmatistes, coll. « Raisons pratiques », n° 22, Paris, Éditions de l’EHESS, 2012.

Ce que le pragmatisme de John Dewey fait à la sociologie des problèmes publics.

Le vingt-deuxième numéro de la collection « Raisons pratiques » affiche une double ambition devenue rare aujourd’hui en sciences sociales, qui mérite à elle seule d’être saluée. En effet, ce numéro s’efforce de développer de façon systématique, cohérente et articulée une sociologie des problèmes sociaux qui s’inspire explicitement d’une tradition philosophique, celle du pragmatisme de John Dewey. Suivant l’orientation donnée par Le public et ses problèmes (Dewey, 2010), cette approche a pour originalité de tenir ensemble une analytique de l’expérience et du public, et de se déployer sur ces deux plans, vus comme étant indissociablement liés dans un même processus de co-constitution : (a) un problème émerge quand les transactions entre un organisme (qu’il soit un individu ou une association d’individus) et son environnement ne vont plus de soi et suscitent un trouble auquel il va s’agir de remédier au moyen d’une enquête dont les opérations tendent aussi bien vers l’identification et l’évaluation de la situation que vers sa résolution via la recherche d’un nouvel équilibre ; (b) la transformation du trouble en un problème qui concerne des personnes indirectement affectées constitue des publics — ces derniers ont le visage actif et entreprenant de « collectifs d’enquêteurs » —, et agit, grâce à la réflexivité collective conquise dans le procès de publicisation, non seulement sur la composition de la communauté ou des communautés participant à la vie publique, mais également sur la teneur des manières usuelles et routinières d’être, de faire, de penser, de se lier et de se délier — soit sur la culture, ou les us et coutumes de cette communauté ou de ces communautés.

Soulignons-le, ici, l’indécision — communauté au singulier ou au pluriel — ne vient pas d’une hésitation de notre part. Elle marque en effet une tension qu’il n’est pas aisé, et sans doute non souhaitable de résorber — il s’y joue en effet une question essentielle, celle du pluralisme (voir Stavo-Debauge et Trom, 2004) —, entre la philosophie du « Public » de John Dewey et la sociologie de l’expérience des problèmes publics. La première, qui est avant tout une théorie, traite de la constitution de l’État démocratique, ainsi que de l’alimentation, de la préservation et de la vivification des activités de la communauté politique dont il en est l’émanation et la traduction. La seconde, qui est une science empirique, se situe directement au niveau des publics qui prennent forme à l’occasion du déploiement des troubles au sein d’arènes publiques. Aussi, elle prend de facto pied dans une sociologie des collectifs, à la conceptualisation de laquelle l’apport de Dewey est incontestable [1]. Car les enquêtes menées par les publics concernés par un problème et intéressés à le maîtriser sont intrinsèquement morales — elles interrogent notre « sensus communis » (Arendt, 1991, p. 109), soit « ce à quoi nous tenons [et] ce par quoi nous tenons » (Bidet, Quéré et Truc, 2011, p. 33) —, et l’enquête sociologique sur les problèmes publics, alors même qu’elle opte pour la description et rend compte de l’action depuis une perspective écologique et naturaliste, a in fine une portée indéniablement critique : « elle permet d’analyser comment se fait une collectivité politique, comment elle se réfléchit, s’organise et se transforme, quelles questions elle se pose, quelles expériences et quelles régulations elle se donne » (p. 18).

Toutefois, L’expérience des problèmes publics ne vise pas à livrer aux chercheurs un programme de recherche « clés en main » à faire tourner, ou un ensemble d’instructions à appliquer. C’est ainsi que, dans leur présentation au numéro, après avoir précisé les principales lignes de la perspective mise en œuvre, Daniel Cefaï et Cédric Terzi insistent sur la logique exploratoire de leur projet. Ce dernier entend soumettre à l’examen aussi bien des expériences publiques concrètes que la tradition pragmatiste dont il se nourrit, ce qui revient, outre à « ouvrir un débat critique de manière à élaborer et à éclaircir la tradition dont on se réclame […] à interroger l’optimisme foncier dont faisaient preuve les figures titulaires du pragmatisme américain » (p. 24).

Un tel esprit manifeste sa confiance et sa foi dans l’intelligence pratique de l’enquête scientifique, a fortiori quand elle émane d’une démarche collective. Il rappelle que, du pragmatisme, son « héritage n’est précédé d’aucun testament » (René Char cité par Arendt, 2007, p. 31), et qu’une tradition a d’autant plus de chance de se transmettre, de s’épanouir et de se renouveler que personne ne revendique en être l’héritier testamentaire. Cet esprit est d’autant plus maintenu vivace ici qu’il est tangible dans l’organisation même de la table des matières.

La première partie de l’ouvrage, intitulée « L’héritage nord-américain », est constituée par la republication en français de trois textes emblématiques de la sociologie américaine des problèmes publics. Le travail de traduction, excellent, a été assuré par les éditeurs du volume, et chaque article est précédé d’une brève note introductive qui éclaire les différentes filiations que leurs auteurs entretiennent avec la philosophie pragmatiste, ou la réception de celle-ci par les membres de l’École de Chicago, tels que Robert Park, Everett Hughes ou Howard Becker par exemple, ou encore avec les travaux qui se sont développés autour d’Erving Goffman ou d’Harold Garfinkel. Ainsi, en sus des classiques Sociologie des problèmes sociaux. Un modèle d’histoire naturelle de Malcom Spector et John I. Kitsuse, et Significations disputées. Contester la propriété et l’autorité des problèmes sociaux de Joseph Gusfield, l’article de Robert M. Emerson et Sheldon L. Messinger, « Micro-politique du trouble. Du trouble personnel au problème public », a pour intérêt indéniable d’entrer en dialogue, dans une perspective résolument interactionniste et réaliste, aussi bien avec la philosophie pragmatiste du trouble de Dewey qu’avec la sociologie de la déviance telle qu’elle a été pensée par la théorie de l’étiquetage :

C’est un axiome de la perspective de l’étiquetage que les déviants sont les produits d’une définition sociale. Cette définition comprend en général l’imputation d’une identité immorale et d’un statut hors normes. Douglas (1971), par exemple, voit dans la déviance le produit d’une négociation de “significations morales”, et Katz (1972, p. 192) la conceptualise comme l’assignation d’un statut ontologique ou moral défectueux. Mais une insistance exclusive sur les “significations” court le risque d’être unilatérale. Il a été argumenté ici que la définition du trouble façonne la réaction qui la façonne à son tour. La désignation du déviant est le produit des efforts de réparation, qui impliquent des composantes d’action autant que d’interprétation, lesquelles peuvent varier indépendamment les unes par rapport aux autres. Un déviant ne devrait pas seulement être compris comme quelqu’un qui est condamné moralement, mais comme quelqu’un à qui on s’oppose. Et si, en certaines occasions, la condamnation morale semble précéder la mise au ban d’une personne et en être la cause, le fait d’avoir été mis au ban engendre toujours de l’opprobre chez les autres. (Emerson et Messinger dans Cefaï et Terzi, p. 75)

Autrement dit, Emerson et Messinger soulignent que les activités dont procède la production de la réalité, la « déviance » en l’occurrence, sont dotées de réflexivité [2]. Ce faisant, ils retrouvent l’une des intuitions parmi les plus fécondes de l’ethnométhodologie, qui a fait de la notion d’accountability, à savoir de l’idée que les phénomènes sociaux sont, pour les membres ordinaires de la société et à toute fin pratique, descriptibles, reconnaissables, observables, rapportables ou encore visibles pour ce qu’il sont, une notion analytique centrale. Et ils immunisent définitivement la sociologie des problèmes sociaux de toute tentation constructiviste, alors même que ce penchant est aussi délétère que massif dans les sciences sociales actuelles, comme le soulignent Cefaï et Terzi. Car après avoir remarqué que la consistance du trouble tient dans ce que, une fois entré dans le monde partagé et connu en commun, il est ordinairement saisi comme un phénomène objectif et intelligible passible de commentaires, d’interprétations, d’évaluations, d’attributions en causes ou en responsabilités, de prises en charge syndicale, médicale ou juridique, etc., il devient incontestable que c’est bien de la logique de ces activités-là, qu’elles prennent la forme de pratiques ou de discours, qu’il s’agit de faire la sociologie.

La deuxième et la troisième parties du volume, qui réunissent chacune quatre contributions, témoignent elles aussi d’un engagement affirmé envers le débat et l’appropriation raisonnée de la perspective pragmatiste. Il en va ainsi de l’élaboration, par Louis Quéré (« Le travail des émotions dans l’expérience publique. Marées vertes en Bretagne »), d’une « problématique du “travail des émotions” ». Celle-ci puise à la théorie des émotions de Dewey — cette « approche fonctionnelle et située » des émotions n’existe pas en tant que telle et est patiemment recomposée par l’auteur —, et est enrichie avec celle, différentialiste, de Pierre Livet, de sorte à dégager les moyens conceptuels nécessaires pour saisir la dynamique des émotions collectives tout au long du processus de constitution d’un problème public, à savoir au niveau de sa perception, de sa définition et de sa résolution.

Cet engagement prend un tour plus critique dans l’article de Joan Stavo-Debauge, « Des “événements” difficiles à encaisser. Un pragmatisme pessimiste ». Y est en effet réévaluée l’idée fortement valorisée par la tradition pragmatiste selon laquelle les « problèmes sont un vecteur d’expérience, parce qu’ils constituent une incitation à l’enquête » (cf. Stavo-Debauge dans Cefaï et Terzi, p. 191), celle-ci ne procurant d’ailleurs pas toujours des effets bénéfiques, et n’étant par conséquent pas toujours, à tout le moins quand il s’agit de la mener en première personne, souhaitable. À cet égard, la notion d’« encaissement », forgée par l’auteur dans des travaux antérieurs, révèle sa vertu heuristique au regard d’une phénoménologie de l’expérience du « choc » conduite sur les plans du langage ordinaire (le vocabulaire pugilistique en particulier), des philosophies de l’expérience (celles de James, Dewey, Gadamer, Romano, entre autres) et de l’analyse d’entretiens récoltés auprès de personnes victimes de pathologies du travail (de troubles musculo-squelettiques et d’affections péri-articulaires, en particulier).

Mais cet attachement à « la vie de l’esprit » opère également des retours fructueux sur un certain nombre de champs de recherche, parfois inattendus, tels que la sociologie des œuvres de fiction (cf. Sabine Chalvon-Demersay, « Trouble. L’écriture télévisuelle à l’épreuve d’une transformation des sensibilités morales »), ou encore celui de « la vérité sur les crimes du passé » en contextes de dictature et de transition démocratique (cf. Paola Diaz, « D’une vérité à l’autre sur les crimes du passé. Le cas du Chili »). Il offre par ailleurs de louables et audacieuses tentatives d’hybridation conceptuelle, par exemple celles que mènent Alain Bovet et Cédric Terzi (« D’une catastrophe naturelle à une réussite humanitaire. Le traitement public des événements de Gondo en Suisse ») et Michel Barthélémy (« Faire et défaire un fait dans une controverse. Le Monde et le mouvement universitaire de 2009 »), trois auteurs qui inscrivent en partie leurs analyses dans les approches développées par l’ethnométhodologie, l’analyse des catégorisations et l’analyse socio-énonciative.

Enfin, cette mentalité propice à l’enquête procure des analyses inédites. Ainsi, prenant appui sur le conflit qui a opposé au début des années 1970 le groupe de « guérilla urbaine » RAF (Fraction Armée Rouge) à la République fédérale d’Allemagne, Dominique Linhardt (« Des Armes qui parlent et des mots qui tuent. La violence d’un conflit public ») propose de réinterroger les théories du public, le modèle discursif d’Habermas et le modèle du public enquêteur de Dewey en particulier, à partir de la question des rapports de force et de violence. L’auteur suggère que, dans ces deux modèles, « le public se révèle dans sa fonction pacificatrice » (Linhardt dans Cefaï et Terzi, p. 372), ce qui rend impossible de « concevoir une expérience disruptive du public autrement que comme une déviance » (ibid., p. 272). Stéphane Tonnelat, quant à lui, documente de façon très convaincante la forme sensible que prennent certaines de nos expériences parmi les plus publiques (« La dimension sensible des problèmes publics. La plate-forme d’observation du bayou et la viabilité d’un quartier de la Nouvelle-Orléans »). Fortement endommagé par l’ouragan Katrina, la capacité du Lower 9th Ward à accueillir des habitants en était devenue douteuse. Or, comme le montre l’auteur, les différents publics mobilisés pour sa survie (groupe de professeurs et d’étudiants en paysagisme de l’université du Colorado, association de quartier, équipe d’enseignants et d’étudiants en gestion de l’eau de l’université de Wisconsin, etc.) ont procédé à un véritable travail de (re)découverte puis de mise en visibilité du bayou qui jouxtait le quartier : on a construit une plate-forme pour pouvoir l’observer, on y a adjoint un guide capable de raconter aux visiteurs l’histoire du bayou et de témoigner de son existence passée, etc. Au final, ce travail collectif d’enquête a rendu cet espace écologique intelligible et descriptible comme étant un « bayou », doté par conséquent de ses caractéristiques spécifiques en termes de régulation des eaux et de protection de l’environnement, et ceci alors même qu’il n’était, pour des yeux inexpérimentés ou non experts, qu’une vague étendue d’eau parsemée de quelques souches d’arbres morts, sinon un vieux souvenir oublié. Partant, militer pour la viabilité du quartier devenait une cause justifiable, auprès de l’administration de la ville notamment, et le problème avait commencé à trouver sa résolution.

Les sens de la publicité : pour une articulation des différentes théories du public.

Les papiers de Stéphane Tonnelat et Dominique Linhardt, en raison des questions qu’ils cristallisent, nous engagent à prolonger le débat critique amorcé dans le volume, et auquel nous aimerions contribuer par quelques brèves remarques qui cherchent à préciser « le problème de la publicité » (Cefaï et Terzi, 2012, p. 32) tel qu’il est posé par les éditeurs et travaillé tout au long du volume [3]. Car les différentes théories du public (Dewey, Garfinkel, Goffman, Habermas, Arendt, en particulier) auxquelles ce concept peut renvoyer ne sont pas toujours clairement distinguées et agencées entre elles. Ce qui conduit par endroits à la formulation d’expressions curieuses — « La publicité a un caractère phénoménal » (ibid., p. 19), par exemple —, à une saisie moins précise qu’elle pourrait ne l’être des diverses conséquences et temporalités de l’action — on pense en particulier aux systèmes de positions et de relations, aux activités et aux intentions que les cours d’actions instituent et projettent —, et à une surdétermination du concept de « public » tel qu’il est pensé par Dewey. C’est le cas par exemple de l’article de Paola Diaz qui, à notre sens, aurait dû faire du hiatus entre cette notion — dont Dewey n’a pas caché la dimension normative et dont les exigences fortes ont été soulignées à plusieurs reprises — et le contexte politique non démocratique à l’étude duquel il est mobilisé, un thème central d’investigation.

En vue d’alimenter la discussion, commençons par souligner que, de l’ethnographie de Tonnelat, il est possible d’extrapoler que les activités multiples et conjointes des différents collectifs d’enquêteurs ont eu pour conséquence de redonner au bayou une accountability (une autodescription) qu’il avait perdue, une accountability écologique [4] dirait sans doute Garfinkel. Et c’est parce qu’il émerge et se stabilise comme un phénomène objectif, non disputé et doté de réflexivité, que le bayou peut être soumis à un plan de restauration, mais aussi être saisi comme une œuvre à admirer ou encore un bien commun à valoriser.

Transiter, ici, par la publicité au sens ethnométhodologique du terme [5] a pour intérêt de mettre en évidence un premier point d’articulation possible entre John Dewey et Hannah Arendt, ce qui ne va pas sans nécessiter au préalable de rappeler quelques-uns des axes majeurs de la réflexion de la philosophe.

Pour H. Arendt, le public revêt une double signification (Arendt, 1983, pp. 89-99). Le terme renvoie, en premier lieu, à ce qui « paraît en public » (ibid.), à ce qui « peut être vu et entendu de tous » (ibid.), soit à la nature phénoménale du monde que vient saisir la notion d’« apparence » (Arendt, 2007). En effet, l’être et le paraître, chez Arendt, « coïncident » (ibid., p. 37) : l’existence nécessite le percevoir, à savoir des spectateurs devant lesquels paraître, et l’apparition dans le domaine public garantit notre « sens du réel » (Arendt, 1983, p. 91), soit la réalité du monde comme de nous-mêmes. En deuxième lieu, le public chez Arendt désigne « le monde lui-même en ce qu’il nous est commun à tous et se distingue de la place que nous y possédons individuellement » (ibid., p. 92). Sous cet aspect, il est à penser aussi bien dans son lien avec le réseau des relations humaines que dans son interdépendance à l’égard des artefacts.

À partir de ces premiers éléments, il est possible de dire que le bayou a été constitué, au cours du processus d’enquête mené par les multiples publics deweyens décrits par Tonnelat, comme un objet fabriqué par les hommes qui présente une qualité certaine de durabilité. À ce titre, il participe du monde qu’ont en commun tous ceux qui s’y rapportent, dans le sens où il est cet « entre-deux [qui les] relie et [les] sépare » (Arendt, 1983, p. 92.). Plus que de la constitution d’un public unifié — qui serait un public endossant des rôles aussi bien d’enquêteurs que de spectateurs (cf. Tonnelat dans Cefaï et Terzi, p. 186) —, le bayou participe donc de l’émergence et de la formation d’un espace public, lequel, en tant qu’il est « une forme » (Quéré, 1995, p. 99) [6], à savoir « un principe d’organisation » et une « figure sensible dans le monde objectif », configure une communauté, au sens fort du terme, de pratiques, de discours et de valeurs. Ce qui ne veut pas dire abolition du différent. Car si, pour Arendt, la condition humaine est celle de la pluralité [7], « cette pluralité est spécifiquement la condition — non seulement la conditio sine qua non, mais encore la condition per quam — de toute vie politique » (Arendt, 1983, p. 41). Ou, pour le dire autrement, de la variété des perspectives sur un même objet qui se déploient simultanément dans le domaine public dépend le maintien du commun. Le « commun des différents » [8], c’est ainsi que Françoise Collin qualifie cette conception du vivre-ensemble, qui se déploie dans un espace « dissymétrique  et hétérogène » (Collin, 1991, p. 62), où chacun est appelé « à se manifester comme “quelqu’un” dans un dialogue égal avec les autres » (ibid.), et où la pluralité « n’est pas assimilable à la simple multiplicité numérique mais implique la disparité des positions et des opinions » (ibid.).

Mais l’espace public, pour Arendt, est également un espace de distinction. Pour saisir pleinement le sens et la portée de cette dimension, il vaut la peine de se souvenir qu’Arendt fait du domaine public le lieu par excellence de l’action et de la parole. Plus précisément, l’individu qui apparaît aux yeux de tous agissant et parlant, à savoir le citoyen, se révèle dans sa singularité d’être humain. Sous cet aspect, le paraître a un caractère de révélation : l’individu acquiert son individualité, soit ce qui fait de lui un être unique et distinct des autres, dans le domaine public [9]. Mais sa singularité ne lui est conférée que dans la mesure où l’action et la parole se tiennent en contiguïté :

[…] sans l’accompagnement du langage, l’action ne perdrait pas seulement son caractère révélatoire, elle perdrait son sujet, pour ainsi dire ; il n’y aurait pas d’hommes mais des robots exécutant des actes qui, humainement parlant, resteraient incompréhensibles. L’action muette ne serait plus action parce qu’il n’y aurait plus d’acteur, et l’acteur, le faiseur d’actes, n’est possible que s’il est en même temps diseur de paroles. L’action qu’il commence est révélée humainement par le verbe, et bien que l’on puisse percevoir son acte dans son apparence physique brute sans accompagnement verbal, l’acte ne prend un sens que par la parole dans laquelle l’agent s’identifie comme acteur, annonçant ce qu’il fait, ce qu’il a fait, ce qu’il veut faire (Arendt, 1983, p. 235).

Par ailleurs, l’action et la parole sont des opérateurs de révélation du « qui » de l’agent [10] uniquement quand l’individu est « avec autrui, ni pour ni contre » (Arendt, 1983, p. 236). Car Arendt a également beaucoup insisté, comme Paul Ricœur l’a fait remarquer, sur la fragilité de la vie publique, et elle oppose le pouvoir, qui « existe quand les hommes agissent ensemble » (ibid., p. 26) et qui conditionne leur capacité à entretenir et à préserver le domaine public, à la force et à la violence [11]. Dans son modèle, le criminel est une figure négative [12]. Plus précisément, parce qu’il ne peut risquer la révélation, que ce soit par l’action ou par la parole, le criminel est un être solitaire, « contre tous les hommes » (ibid., p. 237), qui se tient en dehors du réseau des relations humaines.

Les agissements de la RAF (cf. Dominique Linhardt) se caractérisent par des actes (terroristes) et des mots (violents) : la violence destructrice des actions qui se réalisent dans la clandestinité se prolonge dans des prises de parole provocatrices dans les médias. Dit autrement, les gestes, réservés au domaine privé, sont dépourvus de parole, et les mots, qui jaillissent en public, ont pour seule fonction d’amplifier les gestes et de sécuriser le sens à y donner. De cette dissociation frontale entre l’action et la parole, il faut y lire, selon nous, un rapport instrumental à l’espace public, qui lui fait en réalité doublement violence. Agir avec, c’est non seulement apparaître aux yeux de tous — s’y révéler comme agent —, mais c’est également toujours agir avec des autres singuliers. C’est pourquoi agir pour (pour le groupuscule dont on est membre, par exemple), ou contre les autres (contre les ennemis du peuple, par exemple), revient non seulement à refuser l’appartenance à un monde commun ; c’est également nier le pluralisme, qui nécessite la reconnaissance des singularités. D’ailleurs, comme le souligne Linhardt, la lutte armée est ici menée en lieu et place voire en dépit « des masses » aveuglées et prostrées. Soit d’un ensemble d’individus dont les particularités sont dissoutes dans une totalité vague et indéterminée.

Vers une évaluation critique de l’apport du pragmatisme à la sociologie de la vie publique.

À l’aune de la conception arendtienne de la publicité, il est manifeste que l’apparaître fragmenté et à « éclipses » de la RAF n’a pas d’autres issues que de poursuivre une entreprise qui ne peut demeurer que privée et solipsiste, quand bien même celle-ci aurait une prétention collective puisqu’il s’agit de faire la révolution [13]. Aussi, et ceci sera le second point d’articulation que nous proposerons entre Dewey et Arendt, la lecture des différentes contributions du très riche et dense ouvrage dirigé par Cefaï et Terzi nous a convaincue de la nécessité de tempérer l’optimisme du pragmatisme non seulement par un pessimisme des plus fondés (cf. Stavo-Debauge), mais également par une phénoménologie inquiète. En regard des événements historiques lointains ou plus contemporains, le sociologue ne peut en effet pas prendre pour acquis que les conditions favorables à la démocratie sont toujours réunies ; au contraire, il doit prendre en charge la question de la viabilité du domaine public, et se préoccuper de traduire analytiquement lesquels sont les moyens indispensables à sa pérennité. D’ailleurs, Dewey n’écrivait-il pas que, « quand elle devient routine, la démocratie se trouve facilement fragilisée lorsqu’un bouleversement des conditions existantes vient modifier d’autres habitudes » (Dewey, 2002, p. 121-122) ?

Il semble bien alors qu’il soit aujourd’hui de la responsabilité de l’enquêteur deweyen de se faire quelque peu arendtien, en réinscrivant l’attention accordée aux publics constitués par les problèmes dans une problématique de l’espace public comme lieu et forme de visibilité, où se côtoient tant des acteurs que des spectateurs (Arendt, 1991) [14]. Et ce d’autant plus que, à l’opposé de l’expérience commune que la mobilisation collective et protéiforme du bayou de la Nouvelle-Orléans a suscitée (cf. Tonnelat), il y a des actions humaines qui interrogent précisément les conditions anthropologiques de la publicité (cf. Diaz, cf. Linhardt). Parmi ces actions, outre la violence, le mensonge, qui a été reconnu depuis longtemps marcher main dans la main avec la politique (Arendt, 1972, 1994 ; Derrida, 2012), est une véritable mise à l’épreuve de la possibilité même de l’expérience publique. C’est le cas dans toute forme de régime totalitaire, que celui-ci organise des sociétés entières ou des associations plus restreintes de personnes. Mais cela concerne également les régimes démocratiques au sein desquels des acteurs autorisés de la vie politique, comme les partis, dévoient le jeu démocratique en faisant de la manipulation et de la falsification des faits un mode de participation à l’espace public, et d’apparition.

Ainsi, en Suisse, sur des questions aussi sensibles que l’immigration et le droit d’asile, nous sommes coutumiers des prises de parole mensongères de l’UDC (Union démocratique du centre) [15]. Pour que soit préservé notre sens commun de la réalité, celles-ci nécessitent d’être soumises à de véritables contre-enquêtes, afin de rétablir une factualité fortement mise à mal [16] ou pour révéler les tours et détours retors pris par la manipulation [17]. Aussi, s’il était encore possible de parler ici de collectif d’enquêteurs, ce qui semble être le cas, un tel public est néanmoins astreint à mener une tâche bien particulière, qui consiste à débarrasser l’apparaître de tous les faux-semblants qui chercheraient délibérément à le ternir, le dissimuler, l’obscurcir [18]. À cet égard, l’enquête conduite relève davantage de l’enquête scientifique, dont la butée est la vérité, que de l’enquête politique, qui vise l’opinion. Autrement dit, afin de relancer l’expérimentation démocratique (et historique) mise en péril et de restaurer les conditions requises à son bon déroulement, de telles contre-enquêtes doivent s’extraire pour un temps du débat public, ou, à tout le moins, mettre celui-ci en suspens et s’attacher à déployer un procès de publicisation qui n’est pas proprement politique. Ce qui invite à penser les liens — que nous nous contenterons d’évoquer — qui se tissent entre les sphères scientifique et politique, ainsi que les compétences et les activités spécifiques mais non exclusives que celles-ci entraînent et supposent, l’espace public faisant plutôt œuvre à cet égard de méta-sphère, soit tout à la fois de caisse de résonance et de voie de circulation et de diffusion.

En tant qu’il est un acte (de langage) intentionnel sciemment destiné à tromper autrui, le mensonge, ainsi que l’a souligné Jacques Derrida, est un performatif qui « implique la référence à des valeurs de réalité, de vérité et de fausseté qui, elles, sont censées ne pas relever de la décision performative » (Derrida, 2012, p. 27). Une telle juridiction, poursuit Derrida, « exclut toutes les expériences performatives au sujet desquelles la distinction vrai/faux n’a aucune pertinence, par exemple, pour se limiter à cet indice, la prière (eukhè) dont Aristote disait déjà qu’elle n’est ni vraie ni fausse » (ibid., p. 27-28). Mais elle inclut bel et bien, comme Arendt (1994) l’a magistralement montré dans Vérité et politique, l’expérience que constitue l’opinion, qui peut également être pensée, dans une veine praxéologique, comme une performance, ou mieux, comme une activité [19]. C’est d’autant plus le cas quand les « vérités de fait » (Arendt, 1994, p. 294) sur lesquelles s’appuie l’opinion, et qui en sont « la matière » (ibid., p. 303), sont profondément altérées par le mensonge. C’est pourquoi la « bonne foi » (ibid., p. 289) compte au rang des vertus qui, si elles sont rarement remarquées, n’en sont pas moins ordinairement nécessaires à la vie politique.

Comme le rappelle Joëlle Zask (1999), après les années 1935, Dewey s’inquiétait de la diffusion aux États-Unis d’un « esprit totalitaire », qu’il repérait dans des orientations politiques comme le racisme, l’antisémitisme, le populisme, le fondamentalisme religieux, et, plus largement, dans les atteintes aux libertés civiles. Ainsi, il écrivait que « [L’expérience du nazisme] nous dit entre autres de nous débarrasser des idées qui nous mènent à croire que les conditions démocratiques se maintiennent elles-mêmes automatiquement, ou qu’elles peuvent être identifiées avec l’accomplissement des prescriptions inscrites dans une constitution » (Dewey in Zask, 1999, p. 113). Et il ajoutait : « Nous ne pouvons pas continuer l’idée que la nature humaine, quand elle est livrée à elle-même, quand elle est libérée des restrictions extérieures arbitraires, tendra à la production d’institutions démocratiques qui fonctionneront avec succès » (ibid.). C’est donc à l’arrière-fond d’une situation historique crépusculaire que Dewey réitérait sa foi dans la nature humaine, dont la démocratie lui apparaissait le régime politique le plus à même d’assurer le développement et l’épanouissement (Dewey, 2002 ; Zask, 1999). Néanmoins, en ayant quelque peu précipité la déchéance de la nature humaine — et on ne saurait lui en vouloir de ce pessimisme-là —, il soulignait aussitôt que son adhésion à la démocratie relevait d’une décision morale, reposant sur « la croyance que la démocratie doit prévaloir » (Dewey, 2002, p. 122).

En regard des éléments discutés ci-dessus, il n’est pas inutile de rappeler la dimension profondément normative que revêt la philosophie politique de Dewey. Une telle dimension permet en effet de comprendre dans quel sens la démocratie est pour cet auteur non seulement « une méthode » de gouvernement qui privilégie la discussion publique, et donc la persuasion et la raison, en lieu et place de la coercition, et donc des armes et de la violence, mais également « un mode de vie personnel » (Dewey, 2002) Car c’est à ce titre, nous dit Dewey, et cette phrase mérite d’être soulignée, que la démocratie constitue « le critère moral à l’aune duquel la conduite de chacun doit être jugée » (ibid., p. 126). Et c’est sans nul doute à l’horizon d’un tel critère moral que tous ceux qui, comme Dewey, ont foi dans la démocratie, peuvent conclure à la mauvaise foi des « diseurs de mensonge » [20]. Et qu’ils feraient preuve d’une incontestable sagesse en se délestant définitivement de tout résidu de naïveté qu’ils pourraient encore, par excès de sentimentalisme, recéler [21].

C’est un fait : les menteurs sont des acteurs qui ont le savoir et la conscience de leur « dire faux » et du tort qu’ils procurent [22]. Mais fort heureusement, il n’est pas vrai que « Tout le monde doit mentir » (Sacks, 1973) [23]. En revanche, puisque le menteur sait qu’il ment, le sociologue de la vie publique aurait tout intérêt à se doter d’une théorie de l’acteur quelque peu cynique. Et sur ce point précis, pourquoi n’irait-il pas emprunter à E. Goffman (1991) ? Si ce dernier passe pour avoir développé la sociologie la moins politique qui soit [24], il avait après tout bien vu que l’expérience humaine est organisée par un cadre d’intelligibilité invariablement vulnérable aux ruptures et aux manipulations…

Résumé

La revue « Raisons pratiques » a publié en 2012 un volume rassemblant un ensemble d’études de cas qui démontrent avec beaucoup d’acuité la pertinence d’une approche pragmatiste de la vie publique, saisie ici en termes d’expérience des problèmes publics. La recension critique de ces travaux est l’occasion, pour l’auteur du présent article, de plaider pour une articulation raisonnée des différents modèles du public dont dispose la sociologie, celles de John Dewey et d’Hannah Arendt en particulier. Dans la mesure où la violence et le mensonge y sont envisagés comme des actions mettant en péril le principe anthropologique de la publicité, l’auteur en appelle également à traduire analytiquement les conditions sociales qui sont requises pour assurer la viabilité du domaine public.

Bibliographie

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Joëlle Zask, L’opinion publique et son double. Livre II: John Dewey, philosophe du public, Paris, L’Harmattan, 1999.

Notes


[1] Sur la notion d’arène publique et son lien avec le pragmatisme, voir Daniel Cefaï (2002).

[2] La notion de réflexité prend ici un sens tout à fait particulier, et elle est à lier à celle d’indexicalité. Dans leur clarification, Emerson et Messinger insistent sur le fait que définir sociologiquement la déviance à partir de la seule idée selon laquelle le sens des phénomènes sociaux dépend des significations qui leur sont socialement attribuées n’est pas suffisant (indexicalité), et ce dans la mesure où ces significations donnent lieu à un certain type d’actions qui elles aussi vont contribuer à constituer le sens des phénomènes (réflexivité). Plus largement, les notions d’indexicalité et de réflexivité renvoient au rapport de co-constitution qui lie une action et son contexte. Jean Widmer (1986) les exemplifie de la manière suivante : « D’une part, un membre d’une file [la file d’attente devant un guichet à la poste, par exemple] est à la fois dépendant du reste de la file pour son identification comme “membre de la file” (l’indexicalité de son action), et d’autre part, il contribue en tant que membre de la file à l’existence même de la file (la réflexivité de son action) » (Widmer, 1986, p. XXV).

[3] Ces remarques bénéficient de la dynamique d’une réflexion entamée avec Philippe Gonzalez et Laurence Kaufmann sur des questions similaires, à l’occasion d’une recherche menée en commun : «  À l’épreuve du scandale. Figures de la singularité et régimes de visibilité dans l’espace public contemporain » (FNS, projet 100016_144027/1, 2013-2016).

[4] Dans le sens où l’intelligibilité ou la descriptibilité du bayou a d’abord été produite relativement à une question d’ordre écologique, et non pas esthétique, par exemple.

[5] Ici, la publicité renvoie principalement au fait que, suivant la métaphore scénique, la vie sociale possède une dimension intrinsèquement publique et qu’elle est, à ce titre, proprement et ordinairement observable. Sur le caractère visible et public de l’ordre social, qui caractérise aussi bien la sociologie d’E. Goffman que celle de H. Garfinkel, voir I. Joseph (2009) et L. Quéré (1989).

[6] Comme le souligne Quéré, l’un des intérêts d’envisager l’espace public comme une forme qui émerge tient dans ce qu’une telle approche, qui accorde à la publicité le pouvoir de « structure[r] un milieu d’action et de relation », permet de penser conjointement le public comme espace urbain et comme espace de la démocratie (ibid., p. 99).

[7] Et ceci parce que « [c]e n’est pas l’homme, mais les hommes qui peuplent notre planète. La pluralité est la loi de la terre » (Arendt, 2007, p. 38).

[8] Une conférence filmée de F. Collin (19 mars 2011), qui s’explique notamment sur cette expression, est disponible à cette adresse.

[9] C’est pourquoi Françoise Collin peut dire que l’égalité démocratique « suppose l’excentricité de tous ceux qui y participent, ou encore leur exceptionnalité » (Collin, 1991, p. 62).

[10] Pour une philosophie de l’action qui a précisément fait retour sur la question de l’acteur, voir P. Ricœur (1990).

[11] Sur ce point, voir également le texte intitulé « Sur la violence », dans Arendt (1972), et plus précisément les pages 144 à 149, où sont définies les notions de « pouvoir », « puissance », « force » et « autorité ».

[12] Bien que cela pourrait sembler contre-intuitif a priori, c’est aussi le cas du bienfaiteur, pour des raisons analogues.

[13] Dans cette perspective, le communiqué de presse que la RAF envoie à l’agence Reuters en mars 1998, soit sept ans après avoir cessé toute activité, comme le signale Linhardt (dans Cefaï et Terzi, p. 354-355), pour annoncer la « fin » de la lutte armée révolutionnaire et reconnaître sa « défaite », pourrait être interprété comme un geste purement égotique.

[14] Sur cette question, nous nous permettons de renvoyer à la réflexion que nous avons menée à l’occasion d’un retour critique sur la sociologie pragmatique de Dorothy Smith : Gonzalez et Malbois (2013, à paraître).

[15] Pour un sinistre exemple parmi d’autres, cf. le numéro de juillet 2011 de Franc-parler, le journal de l’UDC, dont l’éditorial a pour titre « Mettre un terme à l’immigration de masse ».

[16] Un tel travail est accompli notamment sur ce site, édité par le Conseiller national (Les Verts – Genève) Antonio Hodgers.

[17] La linguistique offre à cet égard quelques bons outils, comme dans cet article de Burger et al. (2006).

[18] De façon intéressante, et ce déplacement complexifie quelque peu l’analyse de Cefaï (2013), l’élu (Antonio Hodgers) troque ici sa veste de politique contre l’habit de l’enquêteur public, permettant ce faisant aux publics (deweyens) non experts de se former à nouveau.

[19] Sur ce point, voir Quéré (1990).

[20] Pour détourner une expression d’Arendt (1994), qui parle quant à elle du « diseur de vérité » pour qualifier les différentes positions de solitude, d’impartialité et d’indépendance occupées par le philosophe, le savant, l’artiste, l’historien, le juge, le découvreur, le témoin et le reporter.

[21] Pour un remarquable exemple de réalisme aigu et de pleine lucidité, voir Stavo-Debauge (2012).

[22] Derrida (2012) le démontre parfaitement, et les confessions récentes de l’ancien ministre français du Budget Jérôme Cahuzac sur BFMTV (16 avril 2013) en sont une très bonne illustration.

[23] En effet, le mensonge que croit étudier Harvey Sacks, en ethnométhodologue des conversations ordinaires, n’est en pas un ; tout au plus, il est une « fiction », « la dissimulation d’une vérité qu’on n’est pas obligé de dire » (Rousseau commenté par Derrida, 2012, p. 16).

[24] Pour une splendide lecture d’E. Goffman qui prend à revers ce lieu commun, voir Joseph (2004).

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