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Sérendipité.

(Dés)ordonner la ville : (Art)rangement urbain.

Image1Démantèlement de la ville – Puzzle Cité de l’Architecture et du Patrimoine. Atelier animé par Armelle Caron – Cliché des auteures. Paris, 10.09.2010.

Aux murs de la dernière salle de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine est affichée une exposition insolite de tableaux anagrammes en lignes courbes et traits arqués savamment ordonnés. Divisées en deux colonnes, les œuvres de la plasticienne Armelle Caron présentent en sérigraphie colorée des plans masse de grandes métropoles. L’œil du géographe comme du néophyte est rapidement capté par ces vues et polygones tissés en méandres autour des avenues et places qu’aucun toponyme n’aide à identifier. Des villes mondiales emblèmes, comme New York et Paris, ou vétéranes d’une histoire recomposée et fragmentaire à Istanbul et Berlin, offrent une lecture cryptée de leur espace urbain. Les axes et les routes constituant les vides d’une représentation que les îlots colorés ne peuvent totalement cerner. Les villes présentées sont ainsi faites de blocs éparpillés, épars, d’espaces creux – publics et naturels -laissant au touriste et à l’habitant le soin de déceler la réalité sociale, spatiale et architecturale qu’ils recouvrent. Un New York pixélisé, un Istanbul ramifié ou encore l’image d’un Berlin enchevêtré sont aussi explicites cependant que les transects des modèles culturels des villes des cinq continents. Serait-ce que le regard trop habitué et calibré lit et interprète au-delà de tout repère formel ? (Re)connait-on la ville à son visage, à la formation et la déformation de sa trame urbaine ? Que reste-t-il d’une ville dépouillée de tout repère, symbole et emblème, réduite ici à sa plus simple apparence par le canevas de son architecture ?

La multitude d’informations qui s’offre à l’œil sans repère, ni légende ni différenciation graphique permet de dégager ici une place – la place de la Comédie ou le Tiergarten – là les reliquats d’un rang américain, les berges de la Seine, un golf – The Woodmont Country Club à Tamarac. L’espace public est vide, rejoignant en creux tous les îlots urbains séparés et circonscrits. L’idée de présenter ainsi au regard et sans orientation des plans de villes débaptisés est très stimulante, mais peut aussi s’apparenter à un exercice formel de premières années universitaires (de photo-interprétation ?) : regardez la carte et devinez de quelle ville il s’agit ! Et si vous désirez distinguer et retrouver le quartier Saint-Michel, la place de l’Étoile ou la Fondation Cartier, vous en serez quitte pour une séance de puzzle urbain sur la trame viaire et urbaine de la capitale française. Mais l’intérêt réel de cette œuvre ne réside pas tant dans cette mise à nu du plan urbain que dans l’agencement qui est proposé par l’auteur. Sans légende, ni orientation, ni même échelle comment appréhender un espace urbain pour lequel nous ne disposons, pour nous faire une idée, que de nos propres connaissances générales – et bien souvent génériques – et de fragments colorés manifestement aléatoirement disposés ? Quelle logique prévaut à ces organisations (et organismes urbains) si radicalement différent(e)s ? Devant l’harmonie des compositions, on peine à croire qu’elle est le fruit d’un aménagement fortuit des lieux qui s’est voulu successivement rationnel, performant ou même progressif et souvent sédimenté. Mais qu’est ce que la dimension artistique seule permet de saisir ? Lorsque l’on retire de l’information géographique, un sens nouveau apparaît qui permet de ne plus expliquer de manière totalement rationnelle ni tendancielle la constitution de certains secteurs urbains.

C’est ainsi, alors même que nous nous perdons dans les dédales et labyrinthes de rues sans nom et de quartiers indéterminés privés de nos repères habituels, qu’Armelle Caron vient nous proposer une vision nouvelle de ces villes parcourues et bien connues en opérant un (art)rangement des formes urbaines.

Dimensionnement et agencement, vers un alphabet urbain.

Découvrant Berlin pour la première fois, Armelle Caron a eu besoin, dans cette métropole en constante recomposition, de s’aider d’une lecture personnelle du plan urbain. C’est alors qu’ordonnant géométriquement les formes, elle commence à créer par cet agencement morphologique les prémices d’un alphabet urbain, véritable découpage chirurgical de la ville, quasiment autoscopique, serait-on tenté de dire. Les plans de ville initialement anesthésiés sont ainsi dans un second temps revisités, « ordonnés » et « tout bien rangés » selon les mots de l’artiste. Chaque entité de l’espace urbain va subir un classement en ligne et par affinité afin de présenter un portrait pour chaque ville organisé sous la forme d’une typologie de la morphologie des îlots. Carrés, rectangles et polygones représentent les bases d’une « morphographie » (Levy 2005) urbaine. Cette représentation aplanie permet à l’observateur de comparer l’incomparable en devinant des trames de l’organisation urbaine sans pour autant pouvoir asseoir de certitude quant à la genèse, au sens et à l’évolution de ces fragments de ville colorés.

Ce qui apparaît alors, selon l’expression de Gilles A. Tiberghien (2010) :

c’est que les cartes nous renvoient toujours à d’autres cartes et sont comme tels des objets « métastables » qui nous plongent dans un abîme d’incertitude, d’autant plus étrange que nous croyons avoir acquis un savoir substantiel après les avoir consultées.

Elles laissent ainsi apparaître une autre géographie, qui peut se révéler à la fois initiatique, comme dans l’œuvre de Vilma Fuentes, ou encore « sentimentale » pour reprendre la désignation du dernier prix Nobel de littérature, Mario Vargas Llosa. Cette sédimentation des savoirs ou parfois des vécus sur l’espace est interrogée par l’épuration et le déclassement opéré par l’artiste. Les formes géométriques remplies ramènent à une appréhension de l’espace lissé. Impossible alors en apparence de distinguer autre chose derrière le cube de Soho (New York) ou de celui de l’Alexanderplatz (Berlin) que le contour de leur propre servitude.

Certes, ici réapparaît le plus parfait déterminisme concernant le rôle des sites dans la composition urbaine. L’Huston et East River viennent participer à la fragmentation de l’espace new-yorkais en dégageant de vastes espaces creux. Les compositions accompagnant les plans initiaux ne rendent pas compte de ces perturbations dans l’agencement urbain, pas de lacune dans la stratigraphie urbaine présentée, mais un ordonnancement raisonné, géométriquement regroupé par type et taille morphologiques de fragments classés de manière, pourrait-on penser, croissante. Cette forme de lecture urbaine proposée par Armelle Caron matérialise un portrait de la ville auquel est associé son propre alphabet. Un peu plus de sonorités dissonantes pour Montpellier ou Tamarac, une (ré)partition plus équilibrée et conforme pour Paris. Mieux qu’une typologie raisonnée ne le ferait apparaître, les rythmes et les espacements de chaque figure géométrique permettent d’identifier des profils urbains marqués et de soulever quelques légitimes interrogations. On distingue aisément par ce procédé graphique les tracés et les formes des plans urbains : organique à Montpellier, rectiligne à New York, radioconcentrique à Paris, orthogonal à Tamarac entre les grandes avenues qui séparent les routes étroites à ruban des îlots huppés, ou encore sinueux à Istanbul. Les villes disposant de gros blocs comme Montpellier et Berlin sont-elles, dans la réalité, plus stables ou moins inégalitaires que des villes au profil parfaitement morcelé comme Paris ou Istanbul ? La multiplication des îlots et l’aspect serré des tracés urbains ne sont pourtant pas imputables aux mêmes causes. La dissémination parisienne bien qu’historiquement fondée n’a que peu de rapport avec les plans des trames successives des empires romain, byzantin et ottoman qui ont marqué la capitale économique turque. Or, si « tout changement de taille et d’échelle dans la croissance engendre une mutation de la forme avec la définition d’une nouvelle grammaire urbaine » (Lévy 2005), ces œuvres viennent remettre en question les analyses des formes urbaines, les tracés et les tissus. Le plan parisien permet de distinguer clairement les ceintures habituelles d’extension de la ville, auxquelles s’adjoignent les liaisons transversales qui progressivement vont mailler et asseoir la structuration radioconcentrique de la ville. Mais, à ces éléments connus dont la visibilité est ici renforcée, l’artiste suggère un autre regard porté sur la morphologie des villes considérées.

Et c’est au final à un questionnement liant la forme et le sens que ne renierait pas Raymond Ledrut [1], vers lequel l’œuvre nous entraine.

Fragments et recompositions territoriales. Agir sur les formes urbaines.

Les sens si ce n’est l’essence de la forme sont ici approchés non seulement dans leur dimension structurale, mais aussi dans une perspective heuristique et propédeutique. Paris est représenté par fragments, matérialisés par des pièces en bois découpées selon les îlots formés par sa trame urbaine. L’artiste propose au visiteur d’assembler et de disséminer à travers un puzzle géant ces fragments de ville : empilements, chevauchements ou isolats, toutes les modalités de la fabrique urbaine sont envisageables et même davantage. Cette recomposition en 3D au contact de la matière urbaine laisse se construire les perspectives les plus improbables, les structures les plus inventives si ce n’est oniriques. Des villes invisibles d’Italo Calvino à la « vraie Urfa » de Matti Braun, chacun peut concevoir par le bloc sa ville rêvée et éprouver par le socle les dimensions spatiales de l’espace métropolitain.

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Une vision de la fragmentation urbaine à Paris – Exposition Cité de l’Architecture et du Patrimoine. Atelier animé par Armelle Caron -Cliché des auteures. Paris, 10.09.2010.

Ces clichés réalisés à partir des productions des visiteurs se structurent et s’entremêlent comme des images et des formes constituant autant d’écritures à déchiffrer. La forme urbaine sur laquelle se penche l’artiste traduit de manière concrète les interrelations entre les éléments composant le tissu urbain: parcellaire, viaire, espace libre, espace bâti, espacement, site. Les assemblages ainsi réalisés donnent à voir des images de ville composite, enchevêtrée, que la plasticienne peut ainsi interpréter comme une déconstruction du plan des villes par le fragment, « une incitation à la découpe » (Duperrex 2010), ou encore une construction « entre le respect de la marqueterie et l’évocation du modèle » selon l’expression de Marcel Roncayolo (2002).

Les cartes et les plans urbains sont à l’origine depuis une trentaine d’années de nombreuses investigations et détournements artistiques, y compris « hors de leur “domaine d’origine” » (Besse 2010). Dans les années 1980, les « peintures géographiques » de Pierre Alechinsky constituent les pages d’un Atlas Universel où l’artiste détourne des cartes diverses en peignant sur la « peau tatouée du monde ». Ajouts, complexifications, relectures des supports présentés, les espaces évoqués se peuplent alors de formes inédites. Depuis les travaux de Richard Long – qui s’est beaucoup intéressé aux cartes par leurs rapports syntaxiques – matérialisant l’inégal recouvrement des champs entre les mots et les espaces cartographiés, le rapport aux mots, au langage des cartes et des plans interroge les artistes. Plus récemment encore, on peut souligner la production de Vincent Dupont qui dans sa Ville [2], une huile sur toile, propose de surimposer un plan de ville sur une perspective de rue qui suggère une imbrication des échelles et des destins des habitants croisés sans que rien ne vienne symboliser une quelconque occupation des lieux. Seul le changement de perspective décline la visée. Les triptyques de Sylvie Fajfrowska, Anthony Freestone et François Mendras associent, de manière séquencée, textes et cartes brutes. Le regard sur les espaces concernés est alors croisé, recoupé et guidé à l’aune des décalages produits entre l’alternance des textes et des graphismes. Dans leur production, c’est donc l’ajout d’informations même non directement reliées au support géographique représenté qui instruit le regard du visiteur [3].

La production d’Armelle Caron est en apparence à l’opposé des cartes saturées réalisées par Paula Scher qui font de l’excès d’information et de représentation – au mépris de la forme – une posture de construction de ses Maps [4]. Pourtant, chez l’artiste américaine, l’information présente est nommée et pourrait-on dire (in)formée, alors que dans les anagrammes d’Armelle Caron seule la trame fait sens, jusqu’à occulter des noms qui n’auraient plus leur place dans les recompositions présentées. Incertitude géographique que de positionner côte à côte dans la carte « tout bien rangée » les îlots berlinois fragmentés de Friedrichstadt et de Schöneberg. Cela aurait aussi peu de sens, et ceci est pourtant couramment réalisé, que d’indiquer en annexe la liste des rues et quartiers classés par ordre alphabétique. Par ordre géométrique, la plasticienne suggère que l’organisation urbaine globale se lit et se comprend mieux. Certes, cette nouvelle vision ne permet pas d’intégrer directement le système d’agencement des lieux, mais ce travail vient stimuler les interrogations fondamentales des études de morphologie urbaine. Ce dépouillement géographique, sorti de son contexte et épuré de tout toponyme, participerait-il au final à cette lisibilité de la ville à laquelle appelle Kevin Lynch (1960) en dehors pourtant de tout sens suggéré ou de souvenirs collectivement véhiculés ? Car cette mise en scène interactive interroge à plusieurs titres. Quid de l’espace public, ici malaxé, empilé ou encore annihilé ? Quel rapport des éléments de l’organisme urbain les uns par rapport aux autres ? Comment appréhender le rapport taille-distance d’un îlot à un autre ?

Les portraits de ville ainsi débarrassés de leurs contingences terminologiques et de leurs encombrantes dénominations, les îlots peuvent s’inscrire dans un espace sans assujettissement social, sans discrimination (positive ?) pourrait-on affirmer.

Un « espace juste » à sa place.

Le paradoxe est alors total lorsque la plasticienne évoque la possibilité pour le public de mieux pouvoir s’approprier non seulement un espace anonyme, mais plus encore d’appréhender par ce biais les paysages urbains.

Manipuler fragments et positions, est-ce pour autant une piste de mise à plat de la forme urbaine ? Extraits de leurs contextes, ces blocs laissent-ils deviner davantage que leur dimensionnement, une fois même désolidarisés de leur localisation intra-urbaine ? Les œuvres pourraient en effet verser en faveur d’une remise en cause rédhibitoire de tout déterminisme de la forme urbaine, signant de facto, si cela était mis en doute, la fragilité de l’affirmation de Francastel – le cadre ne fait donc pas l’homme (Francastel, 1967). Car c’est un fait incontestable au regard de ces fragments d’espace : le cadre ne fait pas l’homme ! Les rues sinueuses et les îlots contorsionnés de Coral Springs à Tamarac ne sont finalement pas si différents de certains assemblages stambouliotes. Peu de chose distingue le quartier Sauveur à Montpellier de la Cavalery Cemetery de New York. Blasphème géographique, irrédentisme culturel, déni d’identité que d’oser ainsi rapprocher parcs publics (mémoriels), faubourgs et réserve urbaine. Il n’en demeure pas moins que sous la géométrie des formes se cachent des réalités sociales, architecturales et historiques bien différentes. Peut-on parler à ce niveau d’une forme d’utopie de la morphologie urbaine dénoncée par le factuel ? Le langage typomorphologique esquissé par Armelle Caron est de ce point de vue incomplet. L’anesthésie urbaine des îlots calibrés produit autant de signes que le visiteur va être amené à lire et à déchiffrer. Cette forme de langage urbain à travers la déconstruction des plans de ville présente devant ces schémas uniformes un manque de cohérence. Armelle Caron n’a pas choisi de représenter l’intégralité de l’agglomération comme à Paris ou au Havre [5], mais sélectionne une fraction de la ville, un morceau qui semble évoquer au mieux les typologies caractéristiques de l’organisme urbain. Elle choisit et cadre ainsi Manhattan et Soho à New York, la grande banlieue résidentielle de Miami à Tamarac, ou encore Hekimbaşi à Istanbul. Concernant Tamarac, la mise en scène semble conforme. Ville nouvelle fondée par le millionnaire Ken Behring en 1963, elle fait office aujourd’hui de banlieue résidentielle vieillissante dans la zone métropolitaine du sud de la Floride. Bien dotée en infrastructures comme le laisse apparaitre un plan urbain élaboré et organisé, la ville compte six parcs, sept terrains de golf, une marina et 300 hectares de canaux d’eau douce ainsi que de nombreux lacs artificiels. « The City For Your Life! » [6] dénote une figure urbaine standardisée dont la trame a été pensée comme un parc et les tracés agencés autour des quadrats urbains.

À Istanbul, le choix du quartier interroge. L’espace travaillé n’est pas emblématique des hauts lieux de l’agglomération stambouliote. Ni les murailles de Théodose à l’ouest, ni plus au nord les quartiers de Kasımpaşa, Yenişehir et Taksim qui entourent les vieux quartiers latins de Péra et Galata ne figurent sur la focale considérée. « Istanbul tout bien rangé » ne donne qu’une vision tronquée de l’identité de la ville. Le quartier de Hekimbaşi, que l’artiste a choisi de travailler, correspond à une banlieue populaire de la métropole turque. Cet espace traduit l’évolution rapide et radicale de la ville. Hekimbaşi a été construit et densifié à partir des années 1970. Progressivement, cette urbanisation interstitielle prend la forme de taudis et fait place à une recomposition morphologique du tissu par le biais de promoteurs qui vont investir les lieux, restructurer le parcellaire et implanter des blocs d’immeubles réduisant de fait la trame initiale issue des années 40 et la place accordée aux espaces verts publics. Le site s’étend sur 35 hectares et occupe une cote qui surplombe la vallée. Il servait de décharge ouverte à la ville. Le réaménagement actuel des lieux vient largement impacter la configuration du quartier et se lit dans le plan urbain. La vision suggérée de la ville apparait ainsi contorsionnée dans un plan urbain enchevêtré qui laisse suggérer les traces – même allégoriques – de l’ancienne Constantinople. Or, cette image ne se reflète que de manière très imparfaite dans la composition arrangée qui l’accompagne. Les fragments classés montrent clairement une organisation foncière duale entre des parcelles éparpillées, de petites tailles et de plus grandes surfaces. La mise en scène organisée par l’artiste révèle une ville aux formes multiples et diversifiées. Critiques sous-jacentes d’une logique rationnelle et sémiotique, les œuvres reconstituées reflètent surtout le manque de lisibilité de la trame urbaine qui ne peut être réduite à ses formes juxtaposées. Comme l’alphabet ne dit rien du récit (ou de l’écriture), l’amoncellement des blocs élude l’essentiel de la genèse et du fonctionnement des villes. Cette déconstruction presque urbanicide est un préalable inabouti à la reconnaissance des agglomérations saisies et ne peut en constituer, en lui-même, qu’un fragment. Ainsi la ville se prêterait-elle mieux à être lue et comprise à travers ses creux, qu’à travers ses pleins. Que donnerait le négatif de ce travail, où la ville serait vue par ses linéaments et ses jonctions [7] ? Les villes mises à plat sans dimension structurelle ni identitaire deviennent des éléments anormaux dans une réalité a-spatialisée. Les repères et le langage urbain se parent d’une ambiguïté qui souligne combien « nous nous rendons compte alors que c’est depuis un désordre fondamental que la ville nous parle » (Duperrex 2010). De manière visuelle, les volumes de la ville ont été exprimés, mais il reste à les réinsérer dans leurs contextes urbains. N’évoquant que le pur agencement des formes, les représentations dessinent pourtant le contour et les limites d’une morphologie physicaliste. L’inventaire est en ce sens voué à l’échec et le portrait des villes s’extrait de la tyrannie des formes urbaines au profit d’un croisement avec « les formes sociales [,] spatiales et temporelles à des niveaux divers où elles trouvent le sens de ce qu’elles unifient » (Pelligrino 2005).

D’autres découpages s’avéreraient à l’usage tout aussi saillants et formels que les trames ici exhibées. Les structurations temporelles, la définition des quartiers, l’appréhension des affinités communautaires, des catégories socio-économiques, du foncier, des flux de déplacements dont Marc Wiel (2004) [8] fait la matrice urbaine, ou encore l’articulation et la complémentarité d’espaces non nécessairement joints, ne constitueraient-elles pas de semblables distinctions ? Toute-puissante, évoquant à elle seule l’image des villes avec une intensité supérieure aux mots, la morphologie de la trame urbaine mise en jeu et en spectacle montre aussi toute la fragilité des utopies qui lui sont attachées. Les villes réduites ou amplifiées à l’état de dallage de Solnhofen offrent aux spectateurs davantage qu’une vision lissée des tissus : c’est la question de l’organisation urbaine entière dans son rapport au culturel qui est soulevée dans l’œuvre d’Armelle Caron.

Résumé

Démantèlement de la ville – Puzzle Cité de l’Architecture et du Patrimoine. Atelier animé par Armelle Caron – Cliché des auteures. Paris, 10.09.2010. Aux murs de la dernière salle de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine est affichée une exposition insolite de tableaux anagrammes en lignes courbes et traits arqués savamment ordonnés. Divisées en ...

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