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Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

Authentique.

Notes sur un voyage en Indonésie.

Image1Qu’est ce que voyager « authentique » ? Pour le guide du Routard sur l’IndonĂ©sie, il s’agit de rencontrer la population locale, et l’authenticitĂ© dĂ©signe implicitement le fait de « jouer le jeu » d’une pauvretĂ© relative supposĂ©e rapprocher le voyageur ― souvent plus riche que la plupart des autochtones ― de la population locale. Or, les logements Ă  bas prix conseillĂ©s par le guide, implicitement dĂ©signĂ©s comme plus « authentiques », sont peuplĂ©s de voyageurs occidentaux, et ils sont parfois mĂŞme tenus par des occidentaux. Ainsi, en cherchant explicitement Ă  se rapprocher de la population « locale », ces voyageurs se retrouvent de fait entre occidentaux. Certes, ils sont de nationalitĂ©s diffĂ©rentes, mais tous sont occidentaux et ont des propriĂ©tĂ©s sociales comparables. Si dĂ©paysement il y a, il est liĂ© au caractère international de ces logements plus qu’Ă  la proximitĂ© avec les IndonĂ©siens. Les voyageurs Ă©changent des « tuyaux » sur les endroits Ă  visiter, les logements, etc. S’ils rencontrent des IndonĂ©siens au cours de leurs visites quotidiennes, ils se retrouvent entre occidentaux le soir. Les IndonĂ©siens qu’ils croisent sont ceux qui ont des intĂ©rĂŞts plus ou moins immĂ©diatement liĂ©s aux activitĂ©s « touristiques » (sportives, culturelles, etc.).

Paradoxalement, ce sont les voyageurs qui vont dans des hĂ´tels de « moyenne gamme » (comme les hĂ´tels Ibis) qui cĂ´toient le plus d’IndonĂ©siens de diffĂ©rentes catĂ©gories sociales. Dans ces hĂ´tels, il y a très peu de « touristes » occidentaux : ni « routards » qui vont dans les logements Ă  bas prix du guide Ă©ponyme ou du Lonely Planet (pour ne citer que deux des guides les plus connus), ni « touristes » en groupe qui logent dans des hĂ´tels plus onĂ©reux (ou qui ne font que passer, arrivant tard le soir et partant tĂ´t le matin). Leur clientèle est composĂ©e majoritairement de la petite bourgeoisie et de la bourgeoisie indonĂ©sienne (mais aussi chinoise et malaisienne) : des fonctionnaires envoyĂ©s en mission, des cadres en colloques ou en dĂ©placement d’affaires. De sorte que les quelques touristes « individuels » qui sĂ©journent dans ces hĂ´tels sont en contact permanent avec ces catĂ©gories d’IndonĂ©siens, alors que les routards et les touristes en groupe, pour des raisons diffĂ©rentes, ont peu d’occasion de les rencontrer.

De mĂŞme, ni les routards ni les touristes en groupe ne considèrent les centres commerciaux comme des lieux « authentiques » : ils ressemblent sans doute trop aux centres commerciaux occidentaux. Les touristes en groupe n’ont pas le temps de s’y attarder et les routards ne les considèrent pas comme dignes d’intĂ©rĂŞt. Pourtant, les employĂ©s de ces centres commerciaux, souvent d’origines populaires, ne sont pas moins « authentiques » que les guides indonĂ©siens qui mènent les voyageurs en haut d’un volcan. De surcroĂ®t, dans les grandes villes d’Asie comme ailleurs, certains centres commerciaux ne s’adressent pas Ă  la bourgeoisie locale, mais plutĂ´t aux classes populaires. L’occidental ― classĂ© comme « bourgeois » de par son pouvoir d’achat ― n’y est donc pas considĂ©rĂ© comme un acheteur potentiel et peut y flâner Ă  sa guise. La relation avec les vendeurs de ces centres n’est-elle pas alors tout aussi « authentique » que celle du touriste avec son guide ?

Seulement, voilĂ , le vendeur, l’employĂ© de l’hĂ´tel, le fonctionnaire ou le cadre indonĂ©sien ne correspondent pas aux reprĂ©sentations du mode de vie indonĂ©sien « authentique », une reprĂ©sentation dĂ©sociologisĂ©e, anonymisĂ©e, uniformisĂ©e, abstraite et produite en partie par les guides de voyage. La recherche de la « culture locale » authentique s’apparente Ă  la quĂŞte d’un passĂ© plus ou moins cristallisĂ© dans des monuments et reconstruits pour les besoins du tourisme. Le cadre indonĂ©sien avec son tĂ©lĂ©phone portable, le vendeur qui dĂ©jeune au Mac Donald’s ne sont pas suffisamment « typiques » pour les voyageurs : ces derniers cherchent un musĂ©e vivant, ce qu’il reste du « vrai » pays et de ses « relations authentiques ». Heureusement, l’industrie et les politiques touristiques les lui construisent.

Ainsi, le terme « authentique » renvoie-t-il Ă  une quĂŞte infinie que posait dĂ©jĂ  Claude LĂ©vi-Strauss dans Tristes tropiques : « Quand fallait-il voir l’Inde, quelle Ă©poque l’Ă©tude des sauvages brĂ©siliens pouvait-elle apporter la satisfaction la plus pure, les faire connaĂ®tre sous la forme la moins altĂ©rĂ©e ?» (LĂ©vi-Strauss, 1955, pp. 44-45).

Claude LĂ©vi-Strauss, Tristes tropiques , Plon, 1955.

Résumé

Qu’est ce que voyager « authentique » ? Pour le guide du Routard sur l’IndonĂ©sie, il s’agit de rencontrer la population locale, et l’authenticitĂ© dĂ©signe implicitement le fait de « jouer le jeu » d’une pauvretĂ© relative supposĂ©e rapprocher le voyageur ― souvent plus riche que la plupart des autochtones ― de la population locale. ...

Bibliographie

Notes

Auteurs

Bertrand RĂ©au

MaĂ®tre de confĂ©rences en sociologie Ă  l’UniversitĂ© de Lyon 1, chercheur au Cris et chercheur associĂ© au Cse (Ehess), Bertrand RĂ©au est docteur en sociologie de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Membre du Cris (Lyon 1) et du Cse (Paris), il dĂ©veloppe une sociologie des pratiques culturelles centrĂ©e sur l’analyse des pratiques touristiques et sur la construction sociale des catĂ©gories scientifiques et institutionnelles. Il a enquĂŞtĂ© sur plusieurs terrains en s’interrogeant notamment sur les modalitĂ©s sociales d’Ă©mergence de nouveaux produits sur le marchĂ© du tourisme et sur les logiques sociales des pratiques culturelles et sportives en vacances. Actuellement, il participe Ă  la constitution d’un groupe de recherche sur le tourisme et mène une enquĂŞte sur la construction des marchĂ©s du tourisme. Dernier article paru : « Enchantements nocturnes : ethnographie de deux discothèques parisiennes », Ethnologie Française, n°2, 2006, pp. 333-339.

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