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Serendipity.

Vigilance cartographique.

Image1Si la carte du climat social en France n’est souvent dressée qu’après la catastrophe électorale, celle du climat tout court s’efforce en tout cas de prévenir la désillusion d’un pique-nique avorté par la pluie. Est-ce à dire que, dans nos sociétés, on préfère prévoir l’aléa plutôt que voir de près l’électorat ? Probablement. C’est du moins ce que l’on serait tenté de conclure de la publication récente, sur le site internet de Météo France, d’une carte dite de « vigilance météorologique », actualisée au moins deux fois par jour (à 6 heures et à 16 heures), affectant à chacun des départements métropolitains français un des quatre niveaux de vigilance météorologique.

On en resterait là si l’objet en question pouvait être assimilé à la carte météo des journaux télévisés. Tel n’est toutefois pas le cas. La carte en question est en fait plus que l’habituel tableau, dont les départements constituent les cases, et qui sert au citoyen, en fonction de l’endroit où il est et de l’endroit où il va, à déterminer son programme de loisirs pour les jours qui suivent. La carte de vigilance météorologique est en fait, outre le support d’une information départementale sur les aléas climatiques et leurs conséquences, une sorte de « page d’accueil » d’un site internet consacré à la prévention des risques liés à la pluie et au beau temps.

Les concepteurs du dispositif ont ainsi choisi de permettre à l’internaute de cliquer sur la légende de la carte, ce qui conduit à un ensemble de pages (un sous-site) expliquant dans le détail les raisons et les logiques de la vigilance météorologiques : le « guide de la carte de vigilance ».

La consultation de cette partie du site permet d’une part de se familiariser avec les dangers annoncés, leurs conséquences, et les conseils pour s’en prémunir. Mais aussi, et c’est sans doute là qu’est l’innovation cartographique et sociale la plus intéressante, les rédacteurs de ce mode d’emploi ont opté pour un langage exempt de tout jargon, de toute formule compliquée, n’hésitant pas à dévoiler les secrets de fabrication du produit, et ce jusque dans les cas de conscience des cartographes ! Ce n’est rien de le dire ? Au contraire : une grande partie de l’effet de vérité de la carte tient au silence qu’entretiennent souvent à dessein les cartographes quant à sa conception, allant même jusqu’à prétendre que la cartographie est un acte précis et mécanique dont les règles, sur un sujet donné, ne peuvent aboutir qu’à un seul résultat. Bien souvent, on parle de la carte de ceci ou de cela, alors qu’il s’agit en fait d’une carte possible, parmi d’autres.

Citons donc les météorologues cartographes :

« Pourquoi 4 couleurs ?
Une échelle de 4 couleurs permet d’attribuer deux couleurs aux situations météorologiques relativement banales (vert et jaune), et deux autres aux situations météorologiques faisant intervenir des phénomènes dangereux de fortes [sic] intensité, voir d’intensité exceptionnelles [sic] (orange et rouge). Avec trois couleurs, la tentation aurait été grande d’utiliser trop souvent la couleur intermédiaire. Avec deux couleurs seulement, l’information de vigilance aurait perdu en précision. »

Dans la même veine pédagogique, on relèvera aussi ce passage, non dénué d’humour :

« Et en cas de situation signalée en vert ?
La couleur verte indique qu’aucune précaution particulière n’est nécessaire. Cependant, cela ne signifie pas qu’il fera beau, ni qu’aucun phénomène météorologique ne viendra perturber vos activités. »

Enfin, toujours dans ce même souci pédagogique, on remarquera les trois cartes données à titre d’exemple, les 9 octobre 2001, 9 septembre 2002, et 3 décembre 2003. Il est toutefois dommage qu’à ces dates, le plan de prévention de la canicule n’existant pas, le pictogramme correspondant ne figure pas dans la légende.

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Encore une fois, on a ici la preuve que l’option cartographique gagne du terrain dans la médiation sociale. La raison de cet dynamique n’est sans doute pas étrangère au développement des conditions de la production et des moyens de la diffusion cartographique, comme de l’information en général. Il est en effet raisonnable de formuler l’hypothèse qu’internet, tant comme dispositif technique que comme système spatial de relations sociales, constitue un puissant levier télécommunicationnel du changement social, ce que l’on voit ici au travers de l’échange et des effets d’une information portant sur la Nature, c’est-à-dire, comme le dit Michel Lussault (dans le Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés) : « le monde biophysique, pour autant qu’il concerne la société ».

Abstract

Si la carte du climat social en France n’est souvent dressée qu’après la catastrophe électorale, celle du climat tout court s’efforce en tout cas de prévenir la désillusion d’un pique-nique avorté par la pluie. Est-ce à dire que, dans nos sociétés, on préfère prévoir l’aléa plutôt que voir de près l’électorat ? Probablement. C’est du ...

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Authors

Patrick Poncet

Patrick Poncet est chercheur en sciences sociales, membre de l’équipe Mobilités, Itinéraires, Territoires (Paris 7) et du réseau VillEurope. Spécialisé dans l’étude de l’espace des sociétés, il est l’auteur d’une thèse intitulée L’Australie du tourisme ou la société de conservation, à propos des configurations et des processus géographiques de la conservation. Il est actuellement ater à l’Université de Rennes 2 en géographie. Il est responsable de la Carte du mois et réalisateur de la nouvelle maquette de la revue.

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