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Serendipity.

Un avenir vraisemblable.

Bruissements d’espace et de temps.

Préface.

Biphop, Words on Wall ( Genève, suisse), 28.10.2009, Flickr.

Ce qui retient d’emblée l’attention dans l’enquête conduite par Dia-logos, c’est la volonté d’« entendre » qui s’y exprime. Entendre ! Cela signifie que l’on s’adresse à des gens ordinaires qui parlent leur langage, qui avancent leur vocabulaire et découvrent leur singularité. À distance de sciences sociales impératives qui casent et quantifient, on a droit ici à un glossaire, à un dictionnaire raisonné de mots contrastés qui rend visibles trois opérations majeures (se soucier, prédire, se projeter). Dans cette optique s’inquiétant ce « que parler veut dire », Dia-logos prend le temps de l’enquête, respecte l’expression les récits des pratiques et orchestre trois cas de figure qui sont autant de styles et d’attitudes face à l’avenir : celui des élites qui ne renoncent pas à penser le futur, celui de ceux qui ne croient présentement qu’en eux-mêmes et celui des catastrophistes). Cette démarche permet de dépasser l’alternative qui veut qu’au Principe espérance d’Ernst Bloch nous soyons désormais soumis au Principe Responsabilité de Hans Jonas qui, nous surchargeant de responsabilités, annonce que nous sommes déjà responsables de ce qui n’est pas encore « advenu ». Ce qui fragilise notre droit qui repose sur l’imputabilité. Comment vivre l’avenir dans un monde qui nous intime d’être responsables de ce qui n’est pas encore arrivé… quand le pire peut survenir ?[1]

Au-delà des débats sur l’écologie et le catastrophisme, « la petite fabrique des futurs » invite à penser autrement la relation du passé, du présent et de l’avenir. Pour cela, reprenant la belle expression de G. Gurvitch, celui de « paliers de profondeur », les auteurs évoquent l’identité narrative de Paul Ricoeur qui tente de répondre à l’aporie du temps (celle-ci faisant écho, est-ce un hasard ?, dans l’œuvre du philosophe aux deux apories du mal et de la mémoire). Mais reconnaître en profondeur un « temps des responsabilités » exige, c’est ce que nous apprend cette enquête, de saisir l’épaisseur du présent, la durée à laquelle nos actions participent et l’inscription spatiale de nos pratiques, si indécises, indéterminées ou incertaines soient-elles. Approfondir le temps et l’espace, telle est la condition d’une histoire dont les discontinuités sont plus décisives que les continuités.

Indissociable d’un espace-temps singulier, l’enquête est conduite dans un « lieu frontière », la ville de Genève, dans un pays que l’urbaniste André Corboz qualifie d’« hyperville » (2000). Elle approche des individus arborant plusieurs « états de grandeur » dans un microcosme qui est lui-même un « concentré de mondialité ». L’individu a une histoire épaisse qui ne se dit le plus souvent qu’« en généralité » et vit dans un monde où les échelles s’imbriquent les unes dans les autres, tout comme l’histoire collective est un palimpseste. Dès lors, Dia-logos montre que la fin des grands récits est celle d’une conception strictement collective de l’histoire, et que les petits récits chers à « la condition post-moderne » de Jean-François Lyotard (1979) sont constitués d’une double épaisseur de temps et d’espace qui s’énonce difficilement, puisqu’elle n’est pas captée ou aspirée par un discours unifiant ou une idéologie. Comment entendre, comment écouter cette diversité épaisse, ces récits de temps et d’espace qui s’entendent mal, qui passent de plus en plus par des formes artistiques pour que passent l’identité narrative, faite d’idem et d’ipse, est donc bien la question décisive ? Et c’est tout en modestie et discrétion (exigeante) que la petite fabrique des futurs fait entendre un « bruissement », celui d’un présent qui n’existe qu’en passant (comme un passant ordinaire), puisqu’il est, « hors la montre », une articulation de temps et d’espace.

Faut-il voir dans cette relation du temps et de l’espace l’utopie concrète que certains appellent de leurs vœux ? Car le topos d’« utopie » est déterminé par le préfixe u que Thomas More entendait déjà comme une contraction de la négation ou (non-lieu) et du qualitatif eu (Bien). Dans ce présent des individus (cette présence qui est une présentation de soi et des autres dans la durée), si l’on ne cède pas aux tendances gnostiques qui naturalisent le mal, se fait donc entendre une contraction spatio-temporelle ou l’avancée du temps a lieu sans être sûre de ses ancrages (l’utopie abstraite, celle de la Cité idéale est vidée de ses habitants dans les tableaux de la Renaissance), mais en croyant quand même… en dépit de toutes les catastrophes possibles, au Bien commun. Comme si nous faisions Un, comme Un, comme si le monde était seulement vrai-semblable.

Cette enquête sur le temps, sur le temps qui passe et sur le temps présent est aussi un travail du « lieu commun », un travail dont le sens, disait Michel de Certeau, est de mouvoir des pratiques qui sont autant de rythmes et de possibles. Enquêter dans un lieu qui fait entendre le devenir du monde sous la forme de bruissements, voilà une entreprise rare. Car on se préoccupe généralement des tendances lourdes et on ne fait guère crédit à la légèreté des mots et des pratiques ordinaires. Mais cette légèreté est sérieuse : dans ses Leçons américaines, Italo Calvino (1989) anticipait ce monde de flux, ce monde mobile qui exige légèreté et disponibilité pour « articuler » ce qui se passe.

Abstract

Ce qui retient d’emblée l’attention dans l’enquête conduite par Dia-logos, c’est la volonté d’« entendre » qui s’y exprime. Entendre ! Cela signifie que l’on s’adresse à des gens ordinaires qui parlent leur langage, qui avancent leur vocabulaire et découvrent leur singularité. À distance de sciences sociales impératives qui casent et quantifient, on a droit ici à un ...

Bibliography

André Corboz, « La Suisse comme hyperville », in Le Visiteur, 6, 2000, pp. 112-129.

Jean-François Lyotard, La condition post-moderne. Rapport sur le savoir, Paris, Minuit, 1979.

Italo Calvino, Leçons américaines, Paris, Gallimard, [1988], 1989.

Notes

[1] Paul Ricoeur écrit dans sa postface à un livre intitulé Le Temps de la responsabilité : « L’impératif « nouveau » de responsabilité formulé par Hans Jonas ne se substitue pas à l’idée classique de responsabilité au sens d’imputation, mais, en la précisant et en l’enrichissant, la porte à la rencontre des mutations de l’agir humain à l’âge de la technologie. » in Lectures 1, autour du politique, Points/Poche, p. 281.

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Serendipity.

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