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Serendipity.

Sujet n°2 : correction.

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[1], ce qui est probable, et d’un professeur réel, ce qui est certain.

Voici donc ce que l’on peut penser de ce devoir. Le sujet, tout d’abord : « Les villes d’Afrique : raison des localisation [2] et croissance urbaine. Au travers de ce schéma expliquer les dynamiques de la croissance urbaine et les raisons des localisations avec un croquis expliqué par une légende organisée et commentée en quelques lignes. » L’aspect un peu lourd de la formulation mérite qu’on s’y arrête pour tenter d’y voir plus clair, et de saisir ce qui était finalement demandé à l’élève (ou ce qu’il en a compris). Pour cela, on peut répartir les mots de l’énoncé en trois catégories : les actes cognitifs attendus de l’élève, les objets cognitifs qu’il produira, et les concepts qu’il devra mobiliser. Voici ce que l’on obtient :

– Actes cognitifs : au travers, expliquer, expliqué, organisée, commentée ;

– Objets cognitifs : schéma, croquis, légende organisée, quelques lignes ;

– Concepts : dynamiques de la croissance urbaine, raisons des localisations.

Un constat : malgré la mise en page du sujet, qui fait une large place à une carte du continent africain, l’énoncé ne parle pas de carte. On doit comprendre que cette carte est désignée par le terme « schéma », et qu’elle doit servir de support à un croquis que l’on accompagnera d’une légende organisée, faisant elle-même l’objet d’un court texte d’explication. On notera que malgré un traitement curieux du sujet, l’élève a suivi la consigne à la lettre : croquis, légende organisée en deux parties, et explication ; cela valait sans doute au moins 1 point.

En fait, le devoir valait bien plus. Certes convenons d’une évidence : il n’est pas beaucoup question, dans ce croquis, des villes africaines, du moins pas directement. Mais convenons également d’une autre évidence : c’est un parti pris géographique non négligeable que d’avoir proposé aux élèves un fond de carte des États d’Afrique, et qui plus est d’avoir fait figurer sur celui-ci une sélection de villes dont la clé n’est pas très explicite. On peut même mettre en relation ces deux faits et observer que ceux des États qui ne comptent pas de villes (ex : le Niger) sont pour une bonne part justement ceux qui ne doivent leur existence en tant qu’État qu’à la présence d’une ville qui en est la capitale géopolitique. Sans cette ville, ces territoires ne seraient sans doute pas des États. Il y avait donc de quoi troubler les élèves, qui se trouvaient incités à colorier les cases, ce qu’illustre assez bien cette copie.

Certes, on peut admettre le fait que la trame des États avait pour but d’aider les élèves à identifier les villes proposées. Toujours est-il que notre élève s’en est arrangé. Voyons maintenant ce qu’il a pu faire « au travers de ce schéma ».

L’organisation de la légende est triviale : I. Premièrement ; II …Et après. Voici une manière ironique de pallier l’incompétence spécifique du traitement du sujet par une manœuvre habilement généraliste consistant à pointer l’une des faiblesses fréquentes des typologies : un ordre des choses difficile à percevoir au-delà de l’association hétéroclite de faits importants d’une part, et de celle plus cohérente de résidus d’autre part. Arguant du fait que ce qui apparaît en premier est le plus important, oubliant au passage que les plaidoiries des avocats tentent plutôt de laisser les jurés sur un argument décisif, l’enseignant de cet élève aura peut-être pris le temps de s’étendre sur la première partie du cours au dépend de la seconde.

Une lecture cherchant l’explication de cette organisation dans le texte y décèle cependant une autre logique : premièrement, les États et leurs attributs stables et consistants ; deuxièmement, les ectoplasmes géographiques, aux contours spatio-temporels mal définis : vents violents et nappes gluantes. On retrouve alors là quelque chose que l’épistémologie de la géographie commence à bien connaître, à savoir le retard pris par la pensée géographique dans la prise en compte du mouvant, de l’invisible, du fluctuant, de l’inconstant, du singulier. Notre élève aura-t-il appris de son maître ce que ce dernier a appris des siens, à savoir que la géographie peut se réduire sans trop de dommages à la géopolitique et aux paysages ? C’est en tout cas une interprétation possible du déséquilibre de la légende.

Descendons maintenant dans les profondeurs de la légende. Plusieurs niveaux de lecture sont possibles. Pour continuer sur l’organisation, si l’élève n’a pas jugé bon de hiérarchiser formellement sa légende, une structure secondaire est pourtant bel et bien présente. Elle est d’ailleurs plutôt correctement traduite par le respect des règles simples de la sémiologie graphique. Les trois premiers caissons forment ainsi un ensemble cohérent, opposant « pays bleus » et « pays rouges », et traduisant le passage d’un statut à l’autre par une couleur intermédiaire ; le violet. Ce traitement de la temporalité présente la particularité de prendre en compte l’aspect cumulatif et irréversible de l’histoire : rouge un jour, rouge toujours (sous le bleu transparent).

Les deux caissons suivants sont jaunes, avec et sans hachures diagonales. La même couleur de fond correspond à une même situation géographique, au nord-ouest du continent (au nord parce que dans l’hémisphère nord), les hachures, prenant en charge la temporalité : actuellement ou anciennement (suite à la migration) au « bord de l’eau ». On relèvera l’erreur magistrale concernant la Haute-Volta, qui devrait elle aussi avoir migré (elle n’est plus au bord de l’eau) : moins 1 point.

Ensuite, la structure est moins claire. On notera qu’un ensemble régional austral est rendu dans des tons voisins, orange et brun, mais la légende n’explicite pas le lien. Il y a par ailleurs le recours à des modes de représentation plus « ponctuels » (points verts, silhouettes anthropomorphes), mais sans que ce trait graphique ne corresponde à une unité conceptuelle. Quant à la deuxième partie de la légende, sa sobriété appelle peu de commentaires.

En définitive, donc, il semble bien que la légende soit partiellement organisée, ce qui se traduit en outre par un traitement graphique plutôt satisfaisant. Un second niveau de lecture concerne les éléments de la légende pris individuellement ou par binômes. Pourquoi des pays bleus et des pays rouge ? pourquoi le bord de l’eau et la migration ? pourquoi les oranges ? etc. Au delà des mystères, on peut avancer quelques hypothèses explicatives.

« Pays bleus/Pays rouges » : marqué par la bipolarisation, notre élève l’a associée à sa cartographie standard : le « monde libre » en bleu, les communistes en rouge. Il a donc probablement commencé son coloriage par la structure qui lui est venu à l’esprit en premier, une bipartition du monde, et il l’a traduit selon des codes cartographiques réflexes, relevant d’un l’habitus cartographique sans doute mondial.

« Anciens pays du bord de l’eau qui ont migrés/Pays du Nord-Ouest qui sont au bord de l’eau » : c’est peut-être là que notre candidat traite le sujet. On reconnaît en effet à peu de choses près (le Nigeria, entre autres) l’Afrique de l’Empire français. Cela étant, Imaginons que l’élève a voulu stigmatiser un certain langage journalistique monométrique ne semblant pouvoir faire œuvre de géographie qu’en recourant à la synecdoque géopolitique : Paris pour la France, Washington pour les États-Unis… On voit bien que la migration des pays renvoie d’une manière à la fois curieuse et triviale à leur « déplacement » au cours du temps, des rivages vers l’intérieur, mais aussi et plus sûrement, à la migration de leur ressortissants vers l’ancienne métropole de l’Empire (et plus généralement vers les pays développés). C’est pays qui ont migré n’ont d’ailleurs plus de ville, au contraire des autres, d’ailleurs surtout dotés de villes portuaires. Là est donc la thèse de l’auteur : les ports coloniaux de l’Afrique française son devenus les métropoles de l’Afrique de l’ouest d’aujourd’hui, alors que les villes de l’intérieur se sont vidées et ont périclité. C’est sans doute sur cela qu’il aurait fallu porter une appréciation, bien plus que sur l’humour du candidat, qui semble d’ailleurs sans limites [3].

Mais l’ironie va peut-être plus loin encore. Il est en effet possible d’envisager que le candidat ait pris exemple sur nombre de cartes linguistiques encore assez courantes pour rédiger les items jaunes de sa légende. Ces cartes qui situent au nord les langues septentrionales, au sud les langues méridionales, à l’ouest les langues occidentales, à l’est les langues orientales. Alors pourquoi pas des « pays du bord de l’eau »…

« Pays rayés de la carte » : L’élève a visiblement bien compris que la carte peu dire la vérité, et qu’elle peut même la montrer. Plus 1 point.

« Pays atteint de variselle [sic] aigue » : l’élève a par ailleurs visiblement apprécié l’humour de son professeur lorsque celui-ci rend leurs devoirs à d’autres que lui. Il est en effet fréquent que la métaphore médicale serve au enseignants à décrire les excès graphiques d’une carte par trop marqué au sceau du pointillisme On saluera le mimétisme, même s’il semble que cela ne paye pas d’imiter le maître.

« Pays à forte exportation d’oranges » : Nonobstant l’hypothétique véracité du propos, on retrouve là une option sémiologique qui rappelle l’opposition rouge/bleu vue précédemment. Toutefois, dans le cas présent, le choix résulte d’un mécanisme plus complexe. En effet, autant les couleurs politiques sont assez nettement fixées, autant le rouge soviétique est imprimé à jamais dans nos esprits, autant l’orange des oranges doit-il être précisément rendu afin de ne pas induire dans l’esprit du lecteur que l’Afrique australe exporterait des carottes ou des kumquats.

« Madagascar » : Dans une légende, un nom propre est soi un toponyme, soit un modèle. Il est dommage que notre élève n’explique pas dans ses quelques lignes de commentaire ce qu’il entendrait par « modèle de Madagascar »…

« Pays de 10 habitants où le bleu règne en maître » : le syndrome de la carte à l’échelle un n’a pas épargné notre apprenti cartographe. On notera cela dit cette manière élégante de figurer le jeu du pouvoir dans la relation entre les nombres et les couleurs. Au-delà, il s’agit peut-être d’un pays violet dont on aura voulu présenter graphiquement la structure de pouvoir.

« Vents qui ont eu lieu le 13 janvier 1943 / Nappes de pétrole » : un douloureux rappel. Jouant sur le double sens du mot « nappe », à la fois souterraine et à la surface de l’eau, la carte maltraite la profondeur, confondant la ressource et la catastrophe. Pour le vent, il dépend de l’altitude, bien sûr, et la carte est peut-être juste. Quoiqu’il en soit, c’est aussi le problème du temps qui se pose ici. Le temps qui n’est souvent traité que par le biais d’une moyenne, éliminant fréquemment des éléments qui pour être singuliers (cyclones…) n’en sont pas moins structurants dans la vie des hommes.

Le point faible de ce croquis, on l’aura compris, est donc principalement l’absence de caisson de légende indiquant la signification des pays en vert et des pays en blanc : mois 10 point. On déplorera par ailleurs le débordement de l’Afrique en Arabie Saoudite, fort mal justifié : moins 9,5. Ce qui nous fait donc effectivement une note de 0,5 points sur 20.

Abstract

Il y a quelques semaines, un membre de la rédaction d’EspacesTemps.net a reçu cette carte, sans commentaire clair et vérifiable quant à sa provenance, au contexte de sa production, et plus généralement quant à ses conditions de production.Dans l’attente de plus amples informations, laissons donc de côté cet aspect des choses. À première vue, il ...

Bibliography

Notes

[1] Par convention, nous emploierons le masculin tout au long de l’article, sans pour autant présager du sexe de l’auteur du devoir.

[2] Le fac-similé ne comporte pas de marque de pluriel.

[3] Rappelons toutefois que la cadence de correction requise pour certains examens n’autorise pas les enseignants à s’attarder sur les copies à première vue peu orthodoxes.

Authors

Patrick Poncet

Chercheur en sciences sociales, membre de l’équipe Mobilités, Itinéraires, Territoires (Paris 7) et du réseau VillEurope. Spécialisé dans l’étude de l’espace des sociétés, il est l’auteur d’une thèse intitulée L’Australie du tourisme ou la société de conservation, à propos des configurations et des processus géographiques de la conservation. Il est actuellement ATER à l’Université de Lille 1 en géographie. Il fait partie de la Rédaction d’EspacesTemps.net, au sein de laquelle il est responsable de la Carte du mois.

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