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Serendipity.

Retour en utopie.

Image1San Lorenzo, mission indienne de la Compagnie de Jésus dans l’ancien Paraguay espagnol, construite dans les premières années du 17e siècle et abandonnée quelques décennies plus tard, après un nouveau partage territorial des deux royaumes ibériques. Mission, ou « réduction », pour retrouver un mot ancien, aujourd’hui difficile à entendre : réduction, de réduire, re-ducere, reconduire, orienter autrement, convertir. Convertir, mais dans ce que laisse apercevoir ce mot « réduire », d’un retour possible à un lieu perdu, de la restauration d’un temple ruiné, celui d’une humanité égarée — troupeaux errants d’un cheptel immédiatement reconnu comme cheptel humain (la discussion de l’humanité de l’indien vient après). Construction d’une mission : mais la mission n’est-elle pas un envoi, un mouvement ? Oui, mais depuis une catapulte déclenchée de si loin que dans ce loin-là, l’envoi ne pouvait pas ne pas devenir, non seulement une édification, mais l’édification d’un nouveau temple sur le site imaginaire d’une très ancienne fondation depuis longtemps arasée par les vents de cette plaine immense (il faut prendre très au sérieux, dans la grande légende des premières missions chrétiennes apostoliques, et de ces fantastiques empreintes des compagnons du Christ sur les continents de la terre, cette nécessité presque irrésistible de « réduire » l’espace dans le temps, de compenser l’écartèlement des espaces par une trame continue du temps). Vents d’une plaine immense. Même sans vents, balayage : parce que toute cette distance a été traversée et qu’elle porte avec elle l’inouï d’une marche interminable (l’inintelligible aujourd’hui sauf dans la longue traversée des déserts d’Afrique vers la porte somptueusement ajourée et close de l’Europe).

San Lorenzo, au sud des chutes d’Iguazu, non loin de la frontière de l’actuel Paraguay, à l’extrême occident de l’état brésilien du Rio do Grande Sul. On avance. Ce qui vient, ce qui prend presque à la gorge devant ce comme irréductible reste d’une cité engloutie, dépouillée de tout signe, lavée, nue, pur tracé, c’est : depuis quand ? Des milliers d’années ? Ou alors ne sommes-nous pas nous-mêmes projetés dans des milliers d’années au-delà de nous — « Tiens! songe le voyageur, l’avenir, voilà bien quelque chose que nous oublions ! » — à découvrir les vestiges d’une très lointaine (ancienne et lointaine ici synonymes) civilisation dont n’aurait résisté qu’un carré ? Un carré de pierre posé dans un champ ? Pillage, destruction, abandon de ce lieu non pas comme église chrétienne mais comme mission sédentaire ? Oui, mes amis, dites ce que vous voudrez et je le dis aussi, nous faisons cercle autour de ce carré à tenter de parler. Mais ce qui reste, c’est la violente résurgence (combattue depuis des années au nom de toutes les lois de la science historique et revenue peut-être le seul temps d’un passage par ce pré carré, un jour de septembre 2006, et aujourd’hui de la contemplation de cette photographie) du sentiment de cet amas de ruines comme utopie : utopie de la restauration d’un monde ancien, de la « réduction » à une société chrétienne primitive, utopie détruite de l’intérieur par l’ambition d’un monde nouveau, d’une civilisation embarquée sur le train de l’histoire; utopie aujourd’hui dans l’inquiétude de cette civilisation et, plus précisément, plus localement, et néanmoins universellement, culture en effet utopique de ce lieu, autrefois espagnol, portugais ensuite, aujourd’hui brésilien ? L’archéologie du monde réserve des réponses que la géographie pourrait ignorer — sauf si, voyant le lieu, elle se demande : pourquoi ce lieu est-il nulle part ?

Photo : © Blandine Ripert, San Lorenzo, Brésil, septembre 2006.

Abstract

San Lorenzo, mission indienne de la Compagnie de Jésus dans l’ancien Paraguay espagnol, construite dans les premières années du 17e siècle et abandonnée quelques décennies plus tard, après un nouveau partage territorial des deux royaumes ibériques. Mission, ou « réduction », pour retrouver un mot ancien, aujourd’hui difficile à entendre : réduction, de réduire, re-ducere, ...

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Authors

Pierre Antoine Fabre

Directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, il est l’auteur de diverses études sur les fondations religieuses de l’époque moderne. Il publie prochainement en coordination avec Bernard Vincent, aux Éditions de l’École Française de Rome, Missions religieuses modernes. « Notre lieu est le monde ».

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Serendipity.

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