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Serendipity.

L’artiste passe-muraille ?

« Le bruit de sa renommée commençait à le lasser et depuis son séjour à la Santé, il était un peu blasé sur le plaisir de passer à travers les murs. Les plus épais, les plus orgueilleux, lui semblaient maintenant de simples paravents, et il rêvait de s’enfoncer au cœur de quelque massive pyramide. Tout en mûrissant le projet d’un voyage en Égypte, il menait une vie des plus paisibles […] »

Marcel Aymé. 1943. Le passe-muraille. Paris : Gallimard.

 

Dans la nouvelle à laquelle le personnage de Marcel Aymé a donné son nom, le Passe-Muraille est un homme anodin qui se découvre une faculté inouïe, celle de pouvoir traverser la pierre sans que son corps en soit affecté. Au-delà de quelques bénéfices immédiats, larcins et conquêtes amoureuses, il se lasse cependant de cette faculté magique et finit par commettre une imprudence qui lui vaut d’être rattrapé par la matière d’une muraille qu’il traversait, « une matière encore fluide, mais qui devenait pâteuse et prenait, à chacun de ses efforts, plus de consistance » (Aymé 1943) et qui finit par l’enserrer à jamais. Écrit sous l’occupation, le texte porte ce rêve de tous ceux qui, enfermés dans une réalité qui les étouffe, voudraient pouvoir en franchir les limites sans souffrir. Ce souhait, certainement, pourrait être exprimé par deux populations qui vivent au Proche-Orient, déchirées par une fragmentation géopolitique matérialisée depuis 2003 par une barrière, les Israéliens et les Palestiniens. Pourtant, les recherches (Lévy 2007, Latte Abdallah et Parizot 2011) tendent à montrer qu’une telle initiative, dont l’objectif semble être à première vue d’opérer une séparation territoriale, remplit de fait un but plus complexe pour les Israéliens, celui d’opacifier leur action en Cisjordanie.

Construit dans un contexte d’insécurité et d’instabilité croissantes, ce nouvel objet géopolitique mieux connu sous le qualificatif de « mur » — qu’il n’est que pour 16 % de son tracé (soit 61 km) — n’est pas non plus une frontière [1], au sens de limite internationale reconnue conventionnellement par les deux entités étatiques qu’elle sépare, ainsi que par les institutions internationales qui en garantissent le respect. Il s’agit donc d’un artefact spatial complexe que l’on se propose d’analyser ici, à partir d’un corpus artistique (constitué d’une série d’œuvres d’art contemporain). L’idée de travailler les espaces de conflit à partir de la production visuelle qu’ils suscitent est au cœur d’un projet de recherches inspiré par l’activisme de plasticiens à la frontière entre les États-Unis et le Mexique (Berelowitz 2003, Retaillé 2011). Sur cette dyade, matérialisée également par l’érection d’une barrière de sécurité, on a vu émerger récemment un « art de la frontière » (dont l’expression anglaise border art rend mieux compte de l’ambivalence entre lieu et causalité : art sur la frontière, art né de la frontière, contre la frontière, etc.) (Amilhat Szary 2012b). L’analyse de la vitalité des arts plastiques sur cet espace permet de poser les bases d’une démarche épistémologique qui cherche à comprendre comment la fermeture d’une frontière non seulement réactive la production culturelle sur la frontière internationale, mais transforme également le sens de cette dernière. Grâce à l’extension de ces hypothèses à des terrains de recherches frontaliers nouveaux, qu’ils soient ostensiblement étanches comme c’est le cas traité ici de l’espace israélo-palestinien, ou bien allant vers une fermeture qui bouleverse radicalement l’histoire des relations régionales (entre Canada et États-Unis par exemple (Amilhat Szary 2012a), on met en évidence la force performative de l’œuvre d’art, plus particulièrement dans sa relation constitutive au lieu frontalier. Cette interaction originale pose ainsi les conditions d’un questionnement renouvelé du passage : au-delà de l’opposition binaire ouverture/fermeture, que se joue-t-il dans la traversée ?

Le choix d’étudier des artistes plasticiens visuels répond au souci de travailler sur la dimension visuelle des relations de pouvoir telles qu’elles s’expriment autour des frontières. Elle met en jeu la relation au sensible des lieux, et la façon dont celle-ci intervient dans la définition des relations de domination. L’objectif de ce texte est bel et bien de questionner le statut des revendications territoriales à partir de l’œuvre d’art, conçue à la fois comme revendication identitaire et comme expression politique de l’espace. Après avoir défini les termes d’une analyse sensible du passage, le texte se construit autour de l’appropriation, par le lecteur, de trois œuvres qui déclinent l’évolution du rapport au passage de part et d’autre du mur, ainsi que le statut plus ou moins subversif de l’expression sensible de cette relation. La première illustre le durcissement des conditions de collaboration autour de la barrière de sécurité, qui rendent le passage à l’acte de plus en plus difficile. La deuxième, construite autour du projet de traversée de la frontière par un tableau, contribue à repositionner ce franchissement dans un environnement politique multiscalaire, et à montrer comment l’empilement des normes contournées permet en définitive de contribuer à reconstituer l’espace palestinien. Dans la troisième œuvre présentée, une artiste met en scène la douleur consubstantielle aux dispositifs visant à réglementer le passage dans cette partie du monde.

Traverses épistémologiques.

Cette réflexion s’inscrit dans une analyse des spatialités saisies à partir du mouvement plutôt que de leur ordonnancement dans une grille territoriale. Cette géographie mobile (Retaillé 2011) s’inspire des avancées d’une pensée post-structuraliste des sciences sociales qui cherche à comprendre les flux et leurs interactions. Dans ce contexte, la viscosité de la matière du mur évoquée par Marcel Aymé rejoint celle des corps dans la pensée de Gilles Deleuze et Félix Guattari (2008). C’est en effet dans les frictions produites par le mouvement que se projette le désir : les corps s’attirent dans l’épaisseur que leur offre la matière, leur viscosité les lie au monde. Le projet de ce texte, c’est d’aborder la question du passage des frontières à partir des frottements de la matière dans le mouvement, tels qu’exprimés par la création visuelle contemporaine qui produit des objets esthétiques spatialisés dans des lieux frontaliers.

Revenir sur la façon dont des artistes questionnent les conditions du franchissement d’un artefact matériel permet non seulement de réfléchir aux conditions du passage d’une frontière, mais surtout au rapport entre blocage et mouvement qui s’institue sur ce type de séparation politique et symbolique. Dans un contexte où le pouvoir des images est de plus en plus travaillé (McDonald, Hughes et Dodds 2010, McLagan et McKee 2012), la production scientifique se trouve presque aussitôt saturée, comme nos médias, par un rapprochement de tous types d’images fixes ou mobiles (reproduction, compositions, images de synthèse notamment), des affiches et publicités aux supports populaires (comme les bandes dessinées ou les caricatures). Dans bien des analyses fondées sur les représentations, la localisation de l’image et sa matérialité sont finalement assez peu prises en compte… Or il semble bien que ce soit son caractère in situ qui rende la production visuelle plastique aussi intéressante pour le géographe (Volvey 2002). Les travaux novateurs d’Anne Volvey tendent cependant à considérer l’œuvre d’art pour elle-même, dans sa valeur esthétique plus que dans son insertion dans l’espace social. La proposition de ce texte consiste bien à relier la politique du geste artistique à son expression créative. On rejoint d’une certaine façon la tradition situationniste qui avait consacré le passage « de l’art comme mode d’expression à l’art comme activité sociale et forme d’expérience » (Theodoropoulou 2008, p. 8).

Penser la puissance performative de l’œuvre permet ainsi de problématiser le lien entre art et frontière. On relie ici la littérature linguistique (de Roman Jakobson (1963) à Judith Butler (2004) à la prise en charge personnelle, par l’individu créatif, de son pouvoir à exprimer, par son activité corporelle, un activisme politique (Fusco 1998, Birringer 2000). Cette approche rend compte du fait que l’œuvre de création esthétique est l’une des seules à répondre à l’acte de fermer la frontière dans un registre politique homogène, celui de la performance du pouvoir.

Art et politique tiennent l’un à l’autre comme formes de dissensus, opérations de reconfiguration de l’expérience commune du sensible. Il y a une esthétique de la politique au sens où les actes de subjectivation politique redéfinissent ce qui est visible, ce qu’on peut en dire et quels sujets sont capables de le faire. (Rancière 2008, p. 70)

En rendant la frontière visible, le pouvoir agit en fonction de ce que Jacques Rancière appelle une « politique de l’esthétique », ou « l’effet, dans le champ politique, des formes de structuration de l’expérience sensible propres à un régime de l’art » (p. 71). Tout artiste ne se définit pas comme activiste, loin s’en faut, et quand il se prête à l’exercice de la résistance, son action politique continue d’obéir avant tout aux règles esthétiques qui fondent sa créativité. De ce rapprochement des sensibles peut aussi surgir l’idée de lire toute action politique en fonction de critères esthétiques. Cela n’est pas tout à fait inédit, les fascismes des années 1930 avaient considérablement esthétisé le cadre d’exercice de leur pouvoir… une autre façon d’avertir du danger des murs !

L’exploration d’œuvres produites sur fond de conflit israélo-palestinien ne doit pas être considérée comme anecdotique vis-à-vis d’enjeux géopolitiques plus essentiels. Ce texte vise ainsi à montrer que la force des dispositifs de contrôle mis en place entre Israéliens et Palestiniens n’autorise plus les passages, mêmes symboliques. Il se fonde sur la déconstruction d’une idée reçue, qui, comme toutes celles de ce type, a la vie dure : celle que l’art, ou du moins les activités créatrices, sont par essence collaboratives. Ce dont témoigne encore une exposition érigée en réaction à la fermeture de la frontière USA-Mexique, qui s’intitule « Projet Stanstead, ou comment traverser la frontière : Volet 1 ». Les œuvres choisies par la commissaire Geneviève Chevalier sont loin d’un quelconque angélisme de la coopération réconciliatrice, mais le titre de la manifestation est significatif au regard de notre analyse : tout se passe comme si l’aventure esthétique rendait le pouvoir de traverser une frontière close pour raisons de sécurité. Dans le cas du Proche-Orient, il s’agit de montrer comment les artistes palestiniens et israéliens continuent pour beaucoup à inclure dans leur œuvre une dimension d’activisme politique… mais cet activisme n’est plus porteur de paix.

Dans un effort pour recenser chronologiquement les projets artistiques suscités par la construction de ce que les Israéliens appellent le « Geder HaHafrada », soit grillage de séparation en hébreu (traduit en anglais par « security fence », clôture de sécurité), j’ai pu dégager trois périodes caractérisées par une séparation croissante des artistes impliqués. Dans un premier moment, entre 2003 et 2006, l’effervescence artistique autour de l’annonce unilatérale de clôture du territoire de la Cisjordanie par les Israéliens exprima l’opposition politique internationale au projet (traduite par son rejet par la Cour International de Justice dans un avis consultatif du 9 juillet 2004). On observa alors une série d’œuvres et d’expositions autour du thème des murs. Celles-ci comparaient allègrement les cas berlinois, chypriotes, et israéliens dans des manifestations culturelles qui purent avoir lieu à Tel-Aviv comme à New York ou ailleurs, partageant une volonté dénonciatrice évidente. La période suivante fut aussi la plus courte : on vit émerger entre 2006 et 2008 une série d’initiatives dont le but fut de travailler au rapprochement des petits collectifs engagés qui, de part et d’autre de l’obstacle, croyaient encore que leurs luttes pour un objectif partagé pouvaient être mises en commun. C’est dans ce laps de temps que le projet « Liminal Spaces » (qui fait l’objet d’un développement ci-dessous) s’est déroulé. Le dernier moment, qui se prolonge encore aujourd’hui, est celui de l’éloignement des deux parties, fondé sur le constat amer de l’impossibilité apparente à bouger le mur, dont la vidéo célèbre de Rona Yefman (2008) rend parfaitement la teneur : l’artiste déguisée en Fifi Brindacier (héroïne enfantine nordique caractérisée par sa force de caractère) tente, pendant quelques minutes interminables, de mouvoir les panneaux de béton qui traversent l’ancien carrefour jérusalémite d’Abu Dis… Et ce, sans succès aucun, malgré les encouragements verbaux des passants. L’appel au boycott d’Israël par l’autorité palestinienne touche désormais le secteur culturel, qui s’y est volontairement soumis, et rares sont les artistes palestiniens qui acceptent d’être exposés avec leurs voisins, même hors du Proche-Orient. Il serait cependant absurde d’imaginer que la censure et la militarisation conjuguées parviennent à juguler tout passage… Il est d’autant plus intéressant dans ce contexte de travailler sur le/la geste du franchissement.

Dans ces conditions, il paraît peut-être moins étonnant que si peu d’œuvres du corpus constitué par nos recherches [2] évoquent la question du passage : la grande majorité de la production visuelle traduit une sorte de fascination pour l’esthétique du « mur », dont la géométrie des panneaux de béton percés en leur sommet a constitué une véritable « figure fertile » (Grison 2002). Le mur de Palestine constitue pourtant, comme d’ailleurs les deux autres barrières de sécurité du monde les plus célèbres (Inde/Bangladesh, États-Unis/Mexique) une des limites les plus traversées, quotidiennement, par des flux de travailleurs très majoritairement considérés comme légaux. Un constat qui renforce le fait que l’œuvre d’art n’a pas pour but de représenter, ni de dénoncer, mais que sa présence in situ constitue un révélateur puissant des spatialités en devenir dans le lieu d’interface que constitue la frontière.

Pour aller plus loin dans cette analyse conceptuelle, on peut proposer, en contrepoint des témoignages récoltés au Proche-Orient, le détour par une œuvre emblématique du passage. Sa force repose dans sa capacité à mettre en évidence la contradiction existentielle à laquelle les habitants des espaces frontaliers sont confrontés. Leurs territorialités peuvent être qualifiées non seulement de transfrontalières, mais on peut considérer qu’elles se réunissent pour dessiner les contours d’une « condition transfrontière » (ou transborder condition, définie par Norma Iglesias Prieto (2007) pour qualifier des vies traversées par la frontière). Celle-ci ne gomme pas pour autant le contexte politique de grande asymétrie. L’œuvre de Marcos Ramírez, dit Erre, « The Toy-an Horse » (Photo 1), évoque une machine de guerre médiévale, par sa forme et par sa taille (grand cheval de bois de 10 m de long, 4 m de large, 9 m de haut). Son ambigüité réside toutefois dans l’agencement de la matière en claustra qui laisse passer la lumière, installant un effet de transparence apparemment contradictoire avec l’idée que le cheval fut initialement conçu pour cacher un soldat. Le fait enfin que l’animal soit doté de deux têtes (ce qui lui permet d’être bi-directionnel sans avoir à faire demi-tour) connote bien sa capacité à évoluer dans un environnement frontalier. Créé pour l’événement artistique InSite 1997 (foire artistique binationale déployée entre San Diego et Tijuana), il a marqué les esprits du fait de sa traversée effective de la limite internationale. L’objet a pris place dans le flot des véhicules attendant leur contrôle « à la ligne », selon les mots des habitants transfrontaliers. Il est resté plusieurs mois à l’orée du flux, devant les guérites douanières de San Ysidro, « à cheval » sur la frontière, ce qui constitua le cœur de la performance. Devenu une icône de la frontière, il fut reconstruit deux fois depuis, d’abord pour la Biennale de Valence-Sao Paulo, puis de façon plus durable pour un musée (le New Children’s Museum de San Diego, section « Animals ») où il est, depuis 2009, livré aux enfants qui peuvent jouer en entrant dedans, une façon pour l’artiste de ré-humaniser la frontière, ce dont témoignait déjà le jeu de mots dont l’œuvre tire son nom.

Photo 1 : Marcos Ramírez Erre, « Toy-an Horse » (1997). Installation ©Francisco Javier Galaviz.

Photo 1 : Marcos Ramírez Erre, « Toy-an Horse » (1997). Installation © Francisco Javier Galaviz.

Les questions soulevées par cet exemple contribuent à poser le débat théorique dans lequel cette discussion s’inscrit. En insinuant que le flux est habitable, l’installation commence par détourner le paysage de pouvoir ; en investissant l’espace, la performance complexifie les flux et distille la viscosité qui crée le lieu. La grande puissance à la fois esthétique et politique du « border art » pourrait bien être sa capacité à amplifier l’effet spatial du concept. Issu des recherches des artistes des années 1960, l’art d’un Dennis Oppenheim ou d’un Robert Smithson questionnait la binarité du rapport à l’ancrage, entre œuvre in situ et « non-sites » (Dransky 2011). Le fait que l’œuvre d’art sorte du lieu d’exposition traditionnel ne signifie pas qu’elle fasse lieu pour autant : on peut ainsi distinguer deux polarités non réductibles, la spécificité du site et celle du lieu (« site specific » versus « place specific », voir Rogers 2012). L’installation ou la performance ont ainsi besoin d’un site, qu’elles occupent le temps de l’œuvre. Cet espace est le plus souvent caractérisé comme « public », soit ouvert à tous les usagers, que son statut foncier soit ou pas en coïncidence avec cette appropriation par un collectif diversifié. L’un des présupposés de ce type de contexte est qu’il place justement les récepteurs potentiels de l’œuvre d’art dans une situation d’égalité, où l’interculturalité intervient peu, sinon pour être réduite, au nom de la dimension universelle de l’esthétique. L’intervention artistique rapproche ceux qui y assistent dans le moment qui les regroupe et dans l’idée qui est soumise à leurs perceptions : le lieu émerge alors de façon plus ou moins temporaire. L’art in situ est à l’origine d’un espace-temps très particulier. Il est peu mobile, sauf dans le langage des corps qui mettent l’espace en action. Il pose également la question de sa durée une fois terminée l’installation ou la performance : le site a-t-il été durablement transformé par ce qui s’y est produit (que ce soit à travers des captures d’images de l’œuvre qui circuleront ensuite, ou de sa mémoire dans les pratiques spatiales (Kwon 2004)) ? Ces questions prennent une tout autre dimension quand l’œuvre d’art est conçue à la frontière : comment définir l’art in situ dans un espace où se négocie l’altérité, lieu où se définit l’identité, zone où le contrôle domine parfois l’espace public ? Les trois exemples choisis soulèvent une question esthétique très large : comment l’art in situ s’adapte-t-il au/rend-il compte du mouvement ?

Un passage à l’acte de plus en plus difficile.

Le premier projet détaillé ici est issu d’une initiative qui s’est appelée « Artists against Walls ». Ce collectif est né fin 2003 du sentiment partagé par un certain nombre d’activistes des deux camps que les manifestations régulières contre le mur en construction ne permettaient pas véritablement de faire changer ni la politique officielle de construction de la barrière, ni le discours s’y opposant. Il émergea ainsi des énergies conjointes d’Israéliens et de Palestiniens. Son nom s’apparente au « sans-frontiérisme », mais emprunte à une perspective plus militante : pour obtenir un monde « sans » murs, il faut d’abord lutter contre ceux qui sont érigés [3]. Les membres de ce qui était en train de s’affirmer comme un « groupe » étaient à la fois de jeunes artistes multimédias, tels l’Israélien Oren Sagiv, et des artistes à la carrière affirmée, comme le peintre et céramiste Suleiman Mansour, Palestinien. Ces deux derniers ont d’ailleurs exprimé des points de vue divergents sur le possible rapprochement entre la situation qui les concernait et le mur qui avait séparé Berlin : connexion importante pour Mansour qui y voyait une façon de dénoncer l’anachronisme de la barrière en cours de construction, inutile pour Sagiv pour qui cette référence participait à la mythification de l’artefact contre lequel il souhait lutter de façon concrète, montrant que le mur contribuait surtout à séparer les Palestiniens les uns des autres. Leur déclaration d’intention affirmait que

Nous croyons de plus que les vraies valeurs d’égalité demeurent dans la rencontre d’un côté avec l’autre […]. La liberté de mouvement, la liberté de rejoindre ses lieux de travail et d’éducation, la liberté d’accès aux services de santé, constituent des besoins élémentaires essentiels pour donner aux citoyens le sentiment de « sécurité », le sentiment de « paix ». […] À travers des actions non violentes et créatives, « Artistes sans murs » cherchera à éradiquer les lignes de séparation et la rhétorique d’aliénation et de racisme. (site du projet « Artists without Walls »)

Le travail de ce collectif eut une portée différenciée en fonction de trois projets qu’il suscita. Si la performance inaugurale sur le mur, qui consista à faire traverser la lumière d’une image prise instantanément de part et d’autre, représente le volet de leur action le plus intéressant pour cette réflexion comparative, l’exposition internationale, « Three Cities Against The Wall » [4] (Ramallah, Tel-Aviv, New York, 2005) connut pour sa part un grand succès artistique : les œuvres produites par les artistes impliqués rencontrèrent un public enthousiaste, leurs tirages furent rapidement épuisés. Le collectif aboutit enfin à la constitution d’un groupe plus structuré, « Liminal Spaces », qui trouva des fonds internationaux pour travailler ensemble pendant deux ans (2006-2008). Ce dernier représente certainement le projet le plus abouti de travail artistique en commun des deux côtés du mur, dont les acteurs s’accordent pour affirmer qu’il ne put fonctionner que grâce à la radicalité des positions politiques de ses membres, tous en rupture importante vis-à-vis des appareils de pouvoir censés les représenter. En témoigne le fait que le quotidien de tels échanges impliqua de basculer dans l’illégalité des passages. À l’époque de « Artists against Walls », les réunions eurent lieu à Ramallah, puisque les Palestiniens ne pouvaient pas tous traverser la barrière — mais cela impliquait des contournements de la norme par les Israéliens impliqués qui devaient user du double passeport qu’ils avaient la chance de détenir pour pénétrer en Cisjordanie, territoire interdit aux Juifs israéliens. Pour « Liminal Spaces », décision fut prise de faire en sorte que des actions aient lieu aussi en Israël, ce qui supposait le franchissement illégal de la ligne par les Palestiniens, et la complicité des Israéliens qui souvent les hébergeaient pour la nuit, à l’encontre là encore de la loi. Deux des œuvres sur lesquelles la suite de cet article s’appuie furent d’ailleurs conçues par des artistes qui participèrent à ce processus de rapprochement (Khaled Hourani, mais aussi le collectif formé par Sandi Hilal et d’Alessandro Petti) qui les mena paradoxalement à l’idée que toute coopération ultérieure serait impossible.

Pour l’heure, revenons sur la nuit du 1er avril 2004. « Pour quelques heures, nous opérerons de concert, nous nous verrons et parlerons ensemble, les obstacles physiques seront vaincus, et les résidents d’Abu Dis seront capables de voir ce qui se passe de l’autre côté du Mur » [5]. Cette première action du collectif « Artists without Walls » fut planifiée à Jérusalem-Est, dans le quartier d’Abus Dis, ancien carrefour commerçant transformé en angle mort urbain par le tracé du mur, plus précisément à Ras Kobassa. Deux caméras vidéos furent disposées symétriquement de part et d’autre du mur, sur les deux pans de béton, chacune reliée à un écran posé de l’autre côté, contre la barrière. L’opération nécessita auparavant le percement d’un trou dans l’obstacle, de façon à permettre le passage de câbles de transmission des images, qui put être opéré sans intervention des forces de contrôle. L’idée simple était d’offrir à un côté l’image de l’autre. Le résultat fut à la fois surprenant et révélateur : parce que le mur sépare surtout, dans cette partie de la ville, une communauté palestinienne, la projection fut un moment de retrouvailles à la fois chaleureuses et intimes (Photo 2). Les voisins apportèrent des chaises, et reprirent des conversations abandonnées depuis longtemps, d’autres encore en profitèrent pour agrémenter par des images exceptionnelles l’ordinaire de leurs conversations par téléphone portable. La présence de l’armée, mobilisée sans mot d’ordre précis, n’interféra pas avec ces échanges [6].

Photo 2 : Artists without Walls, © archives du Center For Digital Art, Israel.

Photo 2 : Artists without Walls, © archives du Center For Digital Art, Israel.

Si l’idée initiale du promoteur du projet était de « rendre le mur transparent […], de ne pas abdiquer le paysage » [7], le modus operandi de la performance vidéo a créé quelque chose de plus, qui s’apparentait moins à la réhabilitation du cadre de vie des habitants qu’à une traversée symbolique dont la force politique prenait une valeur inédite. Les promoteurs de la projection ont ainsi écrit par la suite :

C’était une sorte de fenêtre virtuelle, permettant aux gens de chaque côté de voir ce qui se passait de l’autre côté. Les caméras opéraient à un mètre de distance, transformant les technologies de contrôle des populations en un spectacle, dont l’objectif était d’attirer l’attention des médias sur la violation de la vie humaine. […] L’événement fournissait aussi un cadre à partir duquel voir le Mur avec ses propres yeux, ressentir la taille du Mur en relation avec son propre corps dans l’espace et en temps réel(s) — l’arracher à l’abstraction des programmes d’information de la télévision et des pages de journal. [8]

Cet événement s’est avéré remarquable parce qu’il forçait les usages du mur lui-même sans s’en servir comme d’un support pour l’expression graphique, ce que certains membres du collectif dénonçaient comme l’expression de l’acceptation du dispositif. Il s’agissait par ailleurs d’une intervention in situ, promue dans le journal israélien de gauche Haaretz comme porteur d’un risque dont les espaces culturels sont normalement protégés :

L’événement de ce soir n’aura pas lieu dans une galerie ou dans un autre endroit sûr et tranquille. Les participants se rencontreront à Jérusalem, dans le quartier de la Colline française, aux coins des rues Hahagana et Eszel entre 17h et 18h et iront ensuite en bus vers le lieu de manifestation. [9]

Dans la bouche de la journaliste, la teneur de ce qui est appelé « événement » est présentée comme bien plus politique qu’artistique… L’un des instigateurs du projet, Eytan Heller, avouait que « le mur, c’était mon moulin » [10] : vouloir s’y confronter relevait bien de la geste héroïque, mais désespérée, ce que l’artiste australien avait également qualifié de « quixotic gesture », pour comparer son propre travail mené depuis 30 ans sur les murs (de Berlin à Belfast en passant par les deux Corées et la muraille de Chine) aux conquêtes de Don Quichotte. Ce que l’on retient cependant de cette réalisation, c’est qu’à cette date, la traversée symbolique était possible. Le mur était en construction dans Jérusalem, et de nombreux points de passage effectif existaient entre des pans de béton non jointifs, et moins hauts que ceux qui devaient constituer l’artefact définitif. Mais surtout, l’état d’esprit de part et d’autre restait propice à ce jeu de sens sur la matérialité de l’obstacle.

Contourner la norme du passage pour reconstituer l’espace ?

Cinq années plus tard (après l’opération Plomb durci à Gaza, notamment), la situation politique et territoriale s’était considérablement dégradée au point que le passage devait être questionné autrement. Cela peut s’illustrer par l’examen d’une épopée, celle consistant à faire venir un tableau original de Picasso à Ramallah. Ce projet fou a germé dans l’imagination de Khaled Hourani, artiste plasticien et directeur-fondateur (en 2007) de l’Académie des Beaux-Arts de Ramallah (IAAP, International Academy of Art-Palestine) en 2009. Il est né d’un lieu, qui souligne la complexité du rapport à l’espace entre Cisjordanie et Israël. Le « Sommet du Moyen-Orient » est le nom — qui n’a rien d’officiel — porté par une série de rencontres artistiques organisées pour stimuler le dialogue entre des figures remarquables de la scène artistique de cette région du monde. Il eut lieu en Hollande, sous l’hospitalité du musée Van Abbe d’Eindhoven, faute pour nombre des personnes concernées d’avoir le droit de voyager dans le pays de l’autre. C’est dans ce cadre que Khaled Hourani pointa pour la première fois ce que l’idée qu’un tableau-voyage vers la Palestine pouvait avoir de provoquant : « L’idée débuta comme une blague : je posais la question “Pourquoi un Picasso n’irait-il pas en Palestine ?” » [11]. Tout le monde accepte finalement que des gens soient déplacés, même contre leur gré, mais le fait de faire bouger une œuvre patrimoniale provoqua une levée de boucliers. D’autant plus que le choix porta rapidement sur « un » Picasso, « Buste de femme », peint en 1943, dans Paris occupé, l’année où Marcel Aymé condamnait, au seuil de sa nouvelle, son héros, Garou-Garou Dutilleul, à rester prisonnier du mur.

L’auteur du projet donna deux arguments pour justifier son choix : la renommée de Picasso, seul peintre du vingtième siècle que sa mère pourrait nommer, et le poids symbolique d’une œuvre susceptible de parler des valeurs de modernité et de démocratie à ses concitoyens. Un défi d’autant plus grand qu’il estimait que cette modernité caduque dans l’art occidental contemporain n’avait pas encore vraiment atteint la Palestine. Comme il le confia dans un entretien [12], faire voyager ce tableau, c’était lui faire entreprendre une « traversée des frontières du temps et de l’espace » (modernité/art contemporain). Selon ses dires encore, le transfert du tableau, contribuant à rétablir la Palestine sur la carte du monde international de l’art, participerait à la validation de sa « normalité ». Hourani était bel et bien conscient de la valeur métaphorique de son geste. Celui-ci faisait écho à la négociation menée de concert auprès de l’UNESCO pour la reconnaissance de la Palestine qui allait consacrer la reconnaissance de l’entité culturelle comme une étape essentielle dans la reconnaissance de l’État (le 1er novembre 2011). « La liberté de l’art validerait d’une certaine façon la “démocratie à venir” » [13]. Hourani mettait cependant un point d’honneur à choisir certes un artiste engagé, mais un tableau au sujet universel : « Mais Buste de Femme n’est pas comme Guernica, c’est un portrait de femme » [14].

Le geste cependant n’avait de valeur que dans le suivi du long processus qui devait éventuellement permettre l’exposition du tableau à Ramallah, ce qui décida l’artiste à construire le projet comme une performance qu’il documenterait tout au long de sa réalisation, qu’elle soit ou non couronnée d’un succès qui semblait très difficile à obtenir au moment de la formulation de l’initiative. Le projet ne « serait pas seulement à propos de Picasso et du nom, il [parlerait] du voyage et du chemin » [15]. Des débats qui eurent lieu plus tard mirent même en évidence le fait que pour certains, le succès politique de l’entreprise pourrait être plus grand si le tableau n’arrivait pas à destination, bloqué par les Israéliens.

Les conditions matérielles s’avéraient particulièrement complexes : en plus de toutes les questions liées au prêt d’œuvres entre institutions artistiques de pays développés se greffaient des problèmes liés aux conditions climatiques de transport dans un pays chaud, mais surtout d’assurance et de passage des checkpoints. « Nous avons agi comme si nous amenions Picasso normalement, comme si nous étions un État » [16], affirmait Hourani, content de pouvoir mettre ainsi à nu à la fois les conditions de fonctionnement de l’État-nation et celles du monde de l’art, constituant de fait un double système normatif. Dans ce contexte, la coopération déjà ancienne avec le Van Abbemuseum [17], proposant un prêt gratuit du tableau, facilita le démarrage du projet. Il existe en effet, depuis les années 1990, des échanges réguliers entre ce musée hollandais et de nombreux artistes palestiniens qui ont conduit ce dernier à constituer un dépôt ouvert d’œuvres offertes aux Palestiniens, dans l’attente de la réalisation d’un musée d’art national.

Les principaux obstacles au voyage du tableau apparurent rapidement de deux ordres : liés au transport d’abord, aux conditions d’assurance ensuite. En l’absence d’aéroport en Cisjordanie, il fallut utiliser l’aéroport Ben Gurion de Tel-Aviv, puis la route vers Ramallah, sur une distance courte (50 km) mais fragmentée par les contrôles, notamment au passage du principal checkpoint, à Qalandia. Une entreprise privée israélienne dut être mandatée pour prendre en charge ce dernier tronçon. Comme le souligne Younes Bouadi (2011), ce « terminal » apparaît par bien des points comme un « non-lieu » (Augé 1992) et il pouvait sembler d’autant plus absurde que l’art se négocie dans ce type d’espace. Mais c’est la question des assurances qui retarda le plus le projet, l’accord des assureurs passant par leur lecture préalable des accords d’Oslo (1993) afin de déterminer leurs modalités de prise en charge. Ce traité international devait en effet avoir un impact direct sur leurs prix du fait de l’obligation d’ajuster leur tarification d’une part à la zonation imposée à la Cisjordanie, et d’autre part à l’interférence des forces israéliennes dans le contrôle des circulations de biens et personnes en Cisjordanie. Il est très intéressant de voir comment la couverture-presse de l’événement varie selon les médias, ce dont témoigne notamment le choix des photos plus ou moins guerrières. Al Jazeera, avec une photo en contre-plongée insistant sur les deux hommes en armes qui encadrent la petite peinture, insiste ainsi sur ce point : « L’histoire du voyage d’un seul Picasso de 105×86 cm [qui vaut la bagatelle de sept millions de dollars] va bien plus loin que l’art lui-même : il s’agit de protocoles, d’accords de paix, de ports et de checkpoints. Et cela démontre combien l’art peut jouer un rôle dans la vision nationaliste d’un peuple occupé luttant pour quelque normalité tout en forgeant les institutions émergentes d’un état. » [18]. Au moment où le projet semblait sombrer, et Hourani confia au journaliste que « nous en étions à évoquer le besoin d’un État avant de pouvoir faire venir le Picasso », tout raisonnant sur le fait que « si nous avons l’État, nous n’avons plus besoin du Picasso » [19] ! En définitive, le responsable de la compagnie d’assurance finit par « gommer » [20] Oslo de son esprit pour se concentrer sur les problèmes pratiques : conditions de la route, dos-d’âne éventuels, checkpoints, serrures de portes… et par obtenir une garantie personnelle du premier ministre palestinien Salam Fayyad, qui acheva de convaincre la compagnie néerlandaise Reaal d’assurer le tableau jusqu’à Ramallah. Il est intéressant de voir que l’histoire relatée par un journal israélien [21] insiste sur le fait que selon de Blaaij, le représentant du Musée Van Abbe, les difficultés principales provinrent du Ministère hollandais du Commerce dont les craintes portèrent sur le statut légal du tableau une fois la « frontière » avec la Cisjordanie franchie, et le fait que cela puisse grever le bon retour de l’œuvre. (Photo 3)

Photo 3 : Picasso in Palestine : l’arrivée de « Buste de Femme » à Ramallah, © Sander Buyck.

Photo 3 : Picasso in Palestine : l’arrivée de « Buste de Femme » à Ramallah, © Sander Buyck.

Quarante-huit heures avant le départ, rien ne semblait définitivement acquis ! Le tableau a donc transité par l’aéroport Ben Gurion, dans une caisse climatisée construite pour lui, où il fut reçu par Samer Kawasmi, responsable d’une compagnie de transports palestinienne. Ce dernier avait négocié pendant des mois avec ses collègues israéliens et pu compter des contacts au sein de l’entreprise israélienne Globus, qui appuya le projet dans un fonctionnement en réseau qui dépassait à sa façon la frontière. Des facilités furent obtenues, notamment l’exemption d’un dépôt de 15 % de la valeur de l’œuvre demandé habituellement. Il a également fait en sorte que le Picasso prenne le chemin des hommes plutôt que celui des marchandises, et transite par Qalandia plutôt que par le checkpoint d’Ofer, où les camions peuvent attendre des heures. Les Israéliens ont évacué leur côté du checkpoint pour laisser la voie libre au précieux chargement et à ses accompagnateurs officiels, un représentant palestinien du projet, et un spécialiste artistique du musée chargé de veiller aux bonnes conditions de conservation de l’œuvre. « Buste de femme » est finalement arrivé à Ramallah le 24 juin 2011. On peut suivre l’accrochage du tableau sur Internet pour ressentir l’intensité de cette performance. À quelques mètres de lui, dans une pièce adjacente de l’Académie, la caisse de 200x200x50cm qui le contenait a également été exposée, avec son étiquette d’expédition bien en vue : « From Eindhoven to Palestine », comme partie intégrante du parcours artistique proposé au visiteur. L’exposition « Picasso in Palestine. A Modern Icon in Ramallah » ouvrait quelques heures plus tard, et le premier visiteur fut Slimane Mansour, fondateur de l’Académie en 1979 (et déjà mentionné dans le cadre du projet « Artists without Walls »). Les visiteurs étaient contrôlés dans leur flux de visite, deux personnes à la fois étaient autorisées à admirer le Picasso pour quelques minutes uniques, pour ne perturber l’hygrométrie de la pièce… Un film tiré de la performance et dirigé par Rashid Masharawi, « Picasso’s Journey », a été présenté en 2012 à Kassel, pendant la biennale Documenta.

Que restera-t-il de cette visite éclair d’une star qui a finalement franchi tous ces seuils allègrement, une fois les obstacles techniques, administratifs, politiques, levés par les artisans du projet ? Selon celle qui a secondé Khaled Hourani, c’est très simple : « Il y a des possibilités dans les impossibilités » [22]. La réflexion ne sort pas indemne du récit de cette odyssée : l’exception vient bien confirmer la règle, les normes mises en place autour de la barrière de séparation sont telles que la traversée n’est plus un « passage », dans le sens d’un espace qui favorise la fluidité, la rencontre. Tout s’y fige au contraire, et notamment les identités renvoyées face à face et essentialisées avec violence.

Les dispositifs du passage mis en scène.

Le projet suivant montre le lieu supposé du franchissement de la barrière, le point de contrôle ou checkpoint tant dénoncé. Le considérer en 2011, c’est aller jusqu’à imaginer de pouvoir inclure dans l’analyse une dose de nostalgie vis-à-vis des formes antérieures de contrôle du passage, vécues comme moins violentes au début des années 2000, selon les propos d’une anthropologue et artiste, Helga Tawil-Souri : « Qalandia [nom du principal checkpoint entre Jérusalem et Ramallah] est mort. Mais la Palestine aussi. Qalandia est mort parce que cette fois-ci je c’est impossible pour moi de le photographier » (Tawil-Souri 2011, p. 75). Celle qui, des années durant, a documenté ce qu’elle qualifie de « temps-espace d’interruption, de suspension » (ibid.) ne reconnaît plus le lieu, qui ne lui inspire plus la force de créer. « Le checkpoint disjoint, arrache les membres de mon corps ; vouloir dire son “histoire” et une forme de re-con-liance [re-con-joining]. Je ne peux pas. Il nous a enlevé ce droit » [23] (ibid.). Mettre face à ces propos d’une Palestinienne vivant aux États-Unis, le travail d’une artiste israélienne, jérusalémite, Ariane Littman, prend tout son sens pour questionner la profondeur spatio-temporelle du passage. Cette dernière a entrepris depuis quelques années une série d’œuvres intitulées « La terre blessée » (« Wounded Land »), dans laquelle elle a récemment inscrit une performance très belle, « The Dead Olive Tree 2011 », « L’Olivier mort 2011 ». Les grammaires visuelle et sonore du film étonnent, faisant oublier l’environnement blafard des flux de voitures et d’hommes pour se concentrer sur le corps d’une femme autour d’un arbre mort. C’est l’une des rares œuvres produites dans ce contexte qui continue à porter une touche d’espoir, répondant au souci de soigner la souffrance engendrée par l’enfermement et le blocage du passage.

L’idée de l’artiste fut d’intervenir au checkpoint de Hizma, à l’entrée nord-est de Jérusalem, entre le quartier israélien de Pisgat Ze’ev (considéré comme une « colonie ») et la ville palestinienne de Hizma, séparés en ce point par le mur. À proximité de ce point de contrôle, on trouve un rond-point, et en son centre un gros olivier centenaire — mort. Il n’a pas survécu à sa transplantation dans le béton pour servir d’ornement urbain.

Cet olivier mort adjacent au checkpoint et qui exprime tant de niveaux de symboles et de sens eut un profond impact sur moi. Emblématique de cette terre et d’une paix tant attendue, il avait été déraciné et replanté quelques années plus tôt, probablement pour embellir le paysage muré autour du checkpoint. Cependant, il n’a pas survécu dans cet épouvantable environnement et c’est là qu’il s’élevait, encore majestueux dans son dénuement, témoin impassible du flot de voitures palestiniennes et israéliennes conduisant autour dans une danse mystérieuse et non violente. Les semaines suivantes, je vins plusieurs fois voir l’arbre, parlant aux officiers en charge du checkpoint de mon projet, espérant qu’il n’y aurait pas d’obstruction à la performance elle-même. [24]

Le travail d’Ariane Littman compose avec son corps de femme, dont elle explore les limites pour mettre en scène l’enfermement d’Israël qu’elle dénonce. Son travail puise son inspiration dans un univers médical. Sa première mise en scène de la façon dont elle triture l’espace cartographique prit forme lors d’une performance installée dans les locaux de l’école anglicane de Jérusalem, un vieux bâtiment ayant servi d’hôpital pour la mission protestante anglaise au 19e siècle. L’artiste redonna vie aux greniers, livrés aux toiles d’araignées depuis de longues années, le temps d’une soirée où elle intervint sur des cartes avec un fond sonore d’enregistrements radios lors d’attentats-suicides. Cette performance, réalisée en novembre 2004, fut intitulée « Surgical Operation on Jerusalem’s Closure Map », se référant au vocabulaire de l’armée israélienne qui évoque l’opération chirurgicale pour désigner l’intervention antiterroriste. Elle livrait alors pour la première fois au public son labeur de trituration et d’impossible cautérisation de cartes symbolisant l’espace blessé, la violence faite à la terre par l’imposition des règles frontalières d’Oslo et des modes de séparation qu’elles engendrèrent. Elle utilise en effet des bandes et du plâtre pour déconstruire l’espace. Un grand nombre de ses interventions partent de documents cartographiques : feuilles déchirées et recomposés comme du papier mâché (« Shredded Land »), cartes aux contours recouverts de bandes de plâtre, puis cousus au point de croix par un fil vert qui réunit les matières (« Wounded Land »), comme si la « ligne verte » pouvait réunir ceux qu’elle déchire au quotidien…

« The Dead Olive Tree» peut se lire dans l’intertextualité avec l’installation d’un Palestinien, intitulée « Grafting » (« Greffer ») : pour l’exposition « Dialogues de Paix » organisée à Genève en 1995, aux pieds du bâtiment des Nations-Unies, Khalil Rabah fit transporter des oliviers d’un champ proche de sa maison de Ramallah vers les pelouses suisses verdoyantes du parc de l’Ariana. Il enroula alors des fils de broderie colorés autour des troncs et branches de ces arbres, créant des motifs rappelant les vêtements traditionnels palestiniens, une façon de poser l’identité hybride que produit l’arrachement à la terre et l’adaptation au pays nouveau dans l’acte de migration. Son geste évoque une blessure cachée que des pansements recouvriraient… Métaphore implicite de la douleur qu’Ariane Littman remet au grand jour.

Pour Littman, le checkpoint constitue le lieu d’expression de la pathologie territoriale de son pays. L’artiste est seule face au flux des gens qui traversent, mais l’art ne traverse plus. Pour « The Dead Olive Tree 2011 », l’équipe a investi le rond-point le temps d’une rotation solaire : l’arbre a été filmé depuis le moment où il a émergé de la nuit, mais l’acte du bandage n’a commencé que lorsque le tronc s’est trouvé sous le zénith solaire, en pleine exposition lumineuse, mais aussi dans la pire chaleur.

La chaleur était intense et l’enveloppement était un labeur douloureux et difficile. Autour de nous, le trafic continuait son mouvement circulaire. Des passants curieux s’arrêtaient pour échanger quelques mots avec le photographe. Détachée de la réalité environnante, je poursuivis tranquillement l’habillage, essayant de me connecter à l’arbre, spéculant sur sa vie antérieure et lamentant sa mort actuelle. Pendant que je marchais autour de l’arbre pour envelopper le tronc, des épines entrèrent dans mes pieds nus et je les entourai instinctivement de bandes puis embrassai l’arbre. [25]

La souffrance engendrée par l’acte guérisseur ne compte pas, comme si le sacrifice d’un corps pouvait racheter les années de souffrances que le tronc mort a endurées. L’action dura jusqu’au crépuscule, le résultat se révélant particulièrement esthétique dans la lumière du coucher qui se reflétait dans les bandes blanches laissées en suspens autour de l’arbre.

Habillé en blanc comme une mariée, avec des morceaux de bandes dansant dans le vent, il semblait ressusciter alors qu’il entrait en contact avec les cerfs-volants dans les airs au-dessus d’Hizma. Nous continuâmes à filmer dans la nuit. Alors que nous éloignâmes en voiture, je me retournai pour saisir un dernier regard, l’image flottante de cet arbre dansant fantomatique dans l’obscurité de la nuit restera gravée en moi à jamais. [26]

Le lendemain matin, quand l’artiste revint sur les lieux, il ne restait plus une trace de l’événement. L’armée — probablement — avait repris ses droits sur cet espace de contournement qu’elle contrôlait sans revendication claire possible, le rond-point fonctionnant finalement comme avant-poste du checkpoint permettant de passer le mur, dans un dispositif diffractant les seuils sans limites.

Pourtant, l’artiste a voulu garder une image résolument positive de son geste, soulignant que, pendant la performance, l’arbre semblait reconnecté à la Terre-Mère. Lors du montage du film, réalisé quelques mois après, elle voulut renforcer le message d’espoir en offrant un tribut aux mères vivant des deux côtés du mur. Ce qu’elle exprima par son choix musical pour la bande-son, confié alternativement à Ruth Wieder Magan dans des chants Ladino et Hassidiques, et à Salam Abu Amneh, grande voix palestinienne traditionnelle, pleurant toutes deux sur le sort de Jérusalem, mère de toutes les villes, et désormais ville murée… (Photo 4)

Photo 4 : « The Dead Olive Tree 2011 », Ariane Littman au checkpoint d’Hizma © Alex Levac.

Photo 4 : « The Dead Olive Tree 2011 », Ariane Littman au checkpoint d’Hizma © Alex Levac.

 

Ce que les trois œuvres analysées révèlent du mur qui sépare aujourd’hui Israël de la Cisjordanie, c’est bien la réduction de la possibilité des seuils, la réduction de la question frontalière à son seul aspect de limite pour oublier sa fonction tout aussi centrale d’interface. Ce que ces créations montrent, c’est non seulement l’impossibilité du franchissement, mais surtout la résistance à l’imposition d’une normativité contrôlée du passage qui en transforme radicalement la nature. Elles dénoncent toute essentialisation des identités — qui les assignerait à des territoires et leur interdirait le passage — et restaurent la question de la mobilité au cœur du rapport à l’altérité : « L’identité fige le geste de penser. Elle rend hommage à un ordre. Penser, au contraire, c’est passer ; c’est interroger cet ordre, s’étonner qu’il soit là… » (de Certeau 1987). L’analyse de l’évolution des modalités du passage de la barrière israélo-palestinienne impose de fonder résolument la compréhension de l’espace sur le rapport à la mobilité et de tirer les conséquences que ce caractère impose aux formes de la limite.

L’art ou l’artiste n’est donc absolument pas là pour dépasser la frontière ou mettre en images son passage. Son travail n’est plus de l’ordre de la représentation, mais bien plutôt de la mise en actes. Inscrit dans la relation du sensible au matériel, il se trouve dans la position unique de pouvoir réagir et répondre à l’ordre du monde imposé : il contribue ainsi avec eux à fonder la norme ou bien la contourner. Son intervention permet de dénuder la nature du passage de la frontière.

Réfléchir sur les franchissements, c’est questionner les passages dans leur matérialité, cette dernière étant envisagée moins comme catégorie descriptive que comme cas d’école de la causalité réciproque du spatial et du social. Il y a en effet rétroaction entre ces deux dimensions, la « morphologie », comme le soulignait Marcel Mauss, s’avérant bien davantage que la seule empreinte, la simple projection des processus sociaux sur le sol. Dotés d’un efficace propre, des seuils, des lieux, des espaces et leur disposition ordonnent et façonnent la sociabilité, le rapport à l’autre et à son territoire, bref, concourent à la gestion de l’altérité. (de la Soudière 2000, p.16)

Les œuvres analysées révèlent la fertilité à la fois imaginaire et politique des espaces intermédiaires de la liminalité (Bhabha 2004). Pour conclure, on propose de cheminer avec Sandi Hilal et Alessandro Petti, architectes dont l’œuvre est reconnue dans des instances artistiques internationales (de la Biennale de Venise à celle de Sharjah), même si eux-mêmes se décrivent plutôt comme des « chercheurs ». Leur propos est de travailler le rapport de la sujétion israélienne de l’espace pour mieux le subvertir et imaginer la reconstruction postcoloniale de la Palestine. L’installation qui les fit connaître lors de la Biennale de 2003 consista à parsemer l’espace d’expositions de passeports palestiniens géants, contre lesquels les déplacements des visiteurs entre les différents pavillons buttaient. Ce projet, appelé « Stateless Nation », mettait bien en évidence la façon dont l’exercice du contrôle peut résumer et naturaliser l’identité. Pour le collectif « Liminal Spaces », ils conçurent une œuvre autour de la ligne sur la carte : réfléchissant sur le millimètre de trait rouge tracé par les négociateurs d’Oslo sur une carte au 1/20’000, ils conçurent un projet portant sur l’habitabilité des cinq mètres de sol couverts par ce marquage… Cette initiative intitulée « The Lawless Line » consistait bel et bien à faire revivre ce qui semblait avoir été figé dans la muraille, un espace sans statut contraint par Oslo et qui libérait la créativité pour penser l’avenir. Là où le Passe-Muraille de Marcel Aymé restait prisonnier, les artistes convoqués rebondissent : dans l’épaisseur du mur, ils parviennent à insuffler du mouvement. Leur présence détonne dans un paysage où les fonctions de contrôle homogénéisent les usages. Entre discours et matérialité, leur proposition créative crée le lieu d’un renouvellement dynamique des lieux : loin de gommer la frontière, elle la ré-active comme site d’interface, source de spatialités complexes et mobiles.

Ma vidéo “Performing the Border” commence par un plan pris depuis l’intérieur d’une voiture roulant dans le désert américain près de Ciudad Juárez. Bertha Jottar commente en voix off : “Vous devez avoir des corps qui traversent pour que la frontière devienne réelle, sinon vous avez juste cette construction discursive. Il n’y a rien de naturel à propos de la frontière ; c’est un lieu complètement construit qui se reproduit par les gens qui traversent, parce que sans croisement il n’y a pas de frontière n’est-ce pas ? C’est juste une ligne imaginaire, une rivière ou seulement un mur…” Dans ce plan, je filmais la femme qui conduisait la voiture et ainsi je suis devenue moi-même, inévitablement, part du récit de voyage qui se déployait tandis que Bertha Jottar parlait de la frontière […]. (Ursula Biemann (2004) à propos de sa vidéo Performing the border (1999)

Abstract

À partir d’œuvres d’art contemporain produites autour du mur construit par les Israéliens face à la Cisjordanie, le texte traite à la fois de la question de la traversée de la frontière et des normes qu’il faut affronter pour passer la ligne, ainsi que du processus de résistance active que ce passage implique. Par son rapport très particulier au lieu, le « border art », ou « art de la frontière », questionne les processus de spatialité à travers la viscosité de la matière en mouvement. Les exemples développés ici contribuent d’une part à nourrir les débats sur le pouvoir performatif des dispositifs frontaliers et questionnent d’autre part le rapport des œuvres d’art in situ au mouvement.

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Notes

[1] Dans la mesure où son tracé est unilatéralement défini d’une part, et qu’il ne suit pas la Ligne verte de cessez-le-feu de 1967 d’autre part.

[2] Cet article repose sur deux campagnes de terrain en Cisjordanie et en Israël, ayant permis d’identifier une cinquantaine d’artistes travaillant en lien avec les dispositifs de séparation. Deux corpus parallèles ont ainsi été constitués : un répertoire d’œuvres dont l’analyse se fait selon les modalités traditionnelles des codes d’interprétation esthétique, et une série d’entretiens retranscrits dont le contenu discursif est l’objet d’analyse textuelle.

[3] De façon étonnante, les documents alternent entre deux noms : « Artists against Walls » et « Artists without Walls ».

[4] Expo ouverte le 9 novembre 2005, simultanément à la Galerie Al-Hallaj, Ramallah, au Beit Ha-omanim, Tel Aviv, et dans trois galeries new-yorkaises. Le catalogue éponyme a été publié à New York, et le projet soutenu par Wallace Global Fund, Dedalus Foundation, AJ Muste Memorial Fund, et New York State Council on the Arts.

[5] Extraits du site du projet, consulté le 30 octobre 2010, qui a été depuis supprimé. « For a few hours, we will operate jointly, we will see and speak to one another, the physical obstacles will be overcome, and the residents of Abu Dis will be able to see what is happening on the other side of the wall. »

[6] Une vidéo de 19’56 (2004) documentant l’événement est disponible au Center For Digital Art, Israel, sous les références : Catalogue n° 364/File : ART & WAR et Catalogue no. 560, 561, 562/File : SERIAL_CASES_1.

[7] « The idea was to make the walls transparent. […] If they have forced us to shield ourselves, then we decided that at least we wouldn’t give up the landscape that used to be there » (Shlomo Brosh, technicien de la Municipalité de Jérusalem). Mots repris par une journaliste assistant à la performance : « The effect is astounding : for a brief moment, both worlds seem transparent » (Charlotte Misselwit, Qantara.de, 16 décembre 2005). L’article avait été précédemment publié dans le quotidien allemand Die Tageszeitung.

[8] « It was a kind of a virtual window, enabling people on each side to see what was going on on the other side. The cameras operated at a meter’s distance, turning technologies of supervision and population control into a spectacle, which aims at drawing the media’s attention to the violation of human life. […] The event also provided a framework in which to see the Wall with one’s own eyes, to feel the size of the Wall in relation to one’s own body in real time and space – to remove it from the abstraction of television news programmes and newspaper pages » (Catalogue n° 364/File : ART & WAR et Catalogue n° 560, 561, et 562/File : SERIAL_CASES_1).

[9] Dana Gilerman dans le journal Haaretz, le 1er avril 2004 : « The event tonight will not be in a gallery or other safe, quiet place. The participants will meet in Jerusalem’s French Hill neighborhood, on the corner of Hahagana and Etzel Streets from 5 P.M. till 6 P.M. and then go by bus to the protest event ».

[10] Entretien du 25 septembre 2010.

[11] « The idea started like a joke : I was asking, “Why shouldn’t a Picasso go to Palestine ?” » (Tolan 2011).

[12] Entretien du 28 septembre 2010 à Ramallah.

[13] « The freedom of art would thus in a certain way validate the “democracy to come” » (Tolan 2011).

[14] Selon les paroles de Khaled Hourani, retranscrites par le journaliste Daniel Miller lors de l’entretien publié en ligne sur le site frieze.

[15] « not only be about Picasso and the name ; it will be about the journey and the way » (Tolan 2011).

[16] « We acted like we were bringing Picasso normally, as if we were a state » (Tolan 2011).

[17] Où le projet fut relayé par le commissaire d’exposition Remco de Blaaij, Khaled Hourani, ainsi que Charles Esche et Galit Eilat, elle-même israélienne ayant contribué à lancer quelques années plus tôt le projet « Liminal Spaces ».

[18] « The story of the journey of a single 105cm by 86cm Picasso goes far beyond the art itself : it’s about protocols, “peace” agreements, ports and checkpoints. And it demonstrates how art can play a role in the nationalist vision of an occupied people struggling for some normality while forging the nascent institutions of a state » (Tolan 2011).

[19] « At one point, Hourani said, prospects became so bleak that “we were talking about needing a state first before we could bring the Picasso”. But he reasoned : “If we have the state, we don’t need the Picasso” » (Tolan 2011).

[20] Selon les mots de Fatima Abdul Karim, partenaire de Khaled Hourani dans le projet.

[21] « According to de Blaaij, the main difficulties in bringing the painting to Ramallah came from the Dutch Ministry of Commerce. A mixture of insurance and tax issues, coupled with the fear of the painting not returning, resulted in the Oslo accords being revisited to determine the legal status of the painting once it had crossed the “border” into the West Bank from Israel » (Lawson 2011).

[22] « There are possibilities in impossibilities » (Tolan 2011).

[23] « Qalandia is dead. But so too is Palestine. Qalandia is dead because this time I find it impossible to photograph. […]. The checkpoint disjoints, tears the limbs off of my body ; to want to tell its “story” is a form of re-con-joining. I cannot. It has taken that right away from us. »

[24] « This dead olive tree adjacent to the checkpoint and carrying so many levels of symbols and meanings had a profound impact on me. Emblematic of this land and of a long awaited peace, it had been uprooted and replanted some years ago, probably to beautify the walled landscape around the checkpoint. However it had not survived in this dreary environment and there it stood, dead, yet majestic in all its bareness, an impassible witness to the flow of Palestinians and Israeli cars driving around it in some mysterious dance devoid of violence. The following weeks, I came several times to see the tree, talking to the officers in charge of the checkpoint about my project, hoping there would be no obstruction during the performance itself » (Extraits de la précédente version du site Internet de l’auteur. Depuis sa mise à jour à l’été 2013, on ne trouve plus que des photos et une présentation simplifiée de la performance. Dans un entretien de novembre 2013 avec l’artiste, celle-ci nous a confirmé son souhait de ne plus mettre en ligne des textes aussi personnels et de nous voir les citer ici, dans la suite de différentes rencontres et discussions sur son travail depuis 2010).

[25] « The heat was intense and the wrapping was a painstaking and difficult labor. Around us the traffic continued its circular motion. Curious onlookers stopped to exchange a few words with the photographer. Detached from the surrounding reality, I quietly carried on the dressing, trying to connect to the tree, speculating about its earlier life and mourning its present death. While I walked around the tree to wrap the trunk, thorns entered my bare feet and instinctively I bandaged them and embraced the tree » (précédente version du site Internet d’Ariane Littman).

[26] « Dressed in white like a bride, with straps of bandages dancing in the wind, it seemed to resuscitate as it connected to the kites flying above Hizma. We continued to film into the night. As we drove away, I turned round to catch a last glimpse ; the fleeting image of this ghostly dancing tree against the darkness of night will remain with me forever » (précédente version du site Internet d’Ariane Littman).

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