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Serendipity.

La ville et les marchés : ce qui change au début du 21e siècle.

Le jeudi 26 novembre 2009, l’émirat de Dubaï annonce qu’il suspend le remboursement de sa dette et la restructure [1]. Dès le lendemain, les bourses chutent d’environ 3 % de Tokyo à Londres et dans les pays émergents. Un an après la faillite de Lehman Brothers, les marchés sont nerveux et pendant quelques jours plane la menace d’une banqueroute. Elle ne se produira pas, mais la ville-État doit réviser ses projets grandioses. Ce fait divers mérite attention, car il témoigne d’une transformation récente des rapports entre la ville et les marchés. Surgie des sables en quelques années, Dubaï se développe par la volonté d’une famille régnante, par le recours à une dette sans limites gagée par le crédit d’un État du croissant pétrolier, et tout ce projet repose sur l’idée qu’une ville peut se développer comme une entreprise en se spécialisant sur quelques fonctions dans une économie globalisée : la finance, le loisir, la logistique. Dubaï marque-t-elle l’émergence de villes pensées dans une logique de marché ? Préfigure-t-elle un nouveau modèle de référence qui viendrait après la ville globale et ses activités financières (Sassen 1991) ?

En novembre 2007, alors que la campagne des élections municipales se prépare en France, le maire de Paris annonce qu’il souhaite confier « à un opérateur unique toute la chaîne du cycle de l’eau [dans sa ville] » (Le Monde, 7 novembre 2007, p. 9) s’il est réélu ; depuis 1985, la distribution était déléguée aux deux grands groupes privés français. Un an plus tard, la municipalisation de la gestion de l’eau est votée par le conseil municipal de Paris (Libération, 24 novembre 2008). Est-ce le signe que, par volonté politique, des élus retirent de l’influence des marchés des activités essentielles ? En fait, les choses sont plus ambivalentes, car à la même époque la municipalité s’engage dans plusieurs partenariats extensifs avec le secteur privé, dont celui de la rénovation du Forum des Halles et son centre commercial de 60 000 m² au centre de Paris. Un grand assureur et une grande société foncière déjà propriétaires, avec un bail à construction expirant en 2055, signent un accord avec la Ville qui leur donne la propriété du site sans limite de temps ; ils apportent 263 millions d’euros pour la rénovation du forum soit 30 % du budget prévisionnel ; les allées publiques du centre commercial sont privatisées ; les rues intérieures restent dans le domaine public mais sont gérées par une filiale de la société foncière responsable pénalement « de tout fait se déroulant dans les espaces publics » (Boisnier 2011, p. 101) ; les deux investisseurs sont rémunérés par la Ville pour ces servitudes à leur charge. Bref, une partie du domaine public de l’hypercentre de Paris passe sous l’autorité d’acteurs privés, qui par ailleurs sont propriétaires de bâtiments riverains.

Ces deux faits divers illustrent chacun à leur manière ce qui est en train de changer dans les rapports entre les marchés et la ville, et le spectre à parcourir pour comprendre leurs liens. Ils présentent une face visible et assumée, comme à Dubaï où l’industrie de la finance et du conseil intervient directement pour concevoir, financer et construire. Et une face discrète et brouillée, comme à Paris où l’influence des marchés sur la ville s’exprime moins par des titres de propriété, affichés au sommet de tours, que par des partages discrets d’attributs de puissance publique et par la diffusion de méthodes d’action du secteur privé dans la gestion d’activités publiques.

L’argument soutenu dans ce texte est le suivant : la fin du 20e siècle correspond à une période d’extension de l’influence des marchés et, plus précisément, à l’intégration de la fabrique urbaine dans le capitalisme global. Si cette tendance se confirmait, il s’agirait d’une transformation d’importance, car si les villes ont toujours eu à faire avec le marché, elles n’ont jamais été totalement organisées par les marchés. La ville dans sa morphologie se compose de logements, de bureaux, d’hôtels, de centres commerciaux et autres bâtiments qui ont une valeur marchande et s’échangent, mais elle s’est aussi construite à partir d’espaces publics — rues et places —, accessibles à tous (Jacobs 1961, Mumford 1964, Chaunu et Gascon 1978, Bairoch 1985, Soja 2000). Elle s’est équipée en systèmes techniques organisés selon des règles publiques. Autrement dit, si la ville respire par les marchés, elle ne s’y trouve pas entièrement soumise ; d’autres principes l’ont organisée. À l’origine, une large partie des activités urbaines échappait au marché et au capitalisme. Cette influence limitée et encadrée des marchés sur la ville s’applique-t-elle toujours après trente années de libéralisation et une montée de l’industrie de la finance et du conseil ?

Pour répondre à ces questions, quelques précautions s’imposent. D’abord, il convient de faire un détour par l’histoire, car les villes s’inscrivent dans un site, un cadre bâti, des institutions et des forces sociales. Plus que toute autre activité, elles sont héritées et encastrées, à l’opposé de la page blanche du modèle économique standard et d’un échange mathématique sans épaisseur. Rares sont les grandes villes qui émergent soudainement, à la différence d’entreprises qui peuvent monter très vite dans les classements : Cisco, Microsoft, Google, Huawei. Donc si le passé pèse dans les villes, il convient de saisir ce qu’il a laissé.

Ensuite, il convient de préciser les différences entre l’économie des villes et la fabrique urbaine [2]. Si l’on adopte une lecture matérielle, la ville peut se définir comme un ensemble bâti d’infrastructures (pour une part souterraines), de logements, de bureaux, d’usines et d’entrepôts, de très grands équipements. Les transformations des systèmes productifs et la multiplication des échanges, sur des échelles très variables, ont rendu ces actifs fixes urbains de plus en plus stratégiques, en particulier ceux liés aux fonctions d’échange (Veltz 2008). Cette tendance a été renforcée par une densification infrastructurelle de la ville liée à l’émergence de très grandes métropoles et au développement des systèmes techniques (technologies de l’information, trains à grande vitesse, maillage des réseaux techniques existants). Tout cela contribue à faire de la fabrique urbaine un nouveau marché porteur. Ce deuxième circuit de la valeur [3] exprime une partie des transformations du capitalisme, aux côtés de l’industrie plus classiquement prise en compte (Lefebvre 1970, p. 206 suiv. ; Harvey 1978). La conception, production et gestion de la ville attirent un nombre croissant de firmes de grande taille.

Enfin, la référence aux marchés appelle une clarification, car si ce terme signifie un lieu de rencontre entre une offre et une demande et une transaction à partir d’un prix, alors, à l’évidence, les marchés sont présents dans la ville depuis longtemps. Depuis toujours, les marchands urbains échangent et calculent. Cette fonction d’échange se trouve même au fondement de l’essor des villes. Quelle serait alors la caractéristique de la période actuelle ? Une simple évolution ? Et vers quoi ? Pour percevoir ce qui est nouveau, il nous faut distinguer marché et capitalisme. Ces deux catégories correspondent à deux ordres de l’échange, et pour mieux saisir ce qui les différencie et leur est commun, il nous faut les déplier : quelle est la sphère de l’échange, sur quelle durée, selon quels mécanismes et avec quels principaux acteurs ? (voir Tableau 1). Le marché à l’origine correspond essentiellement à des échanges locaux-régionaux pour lesquels le prix joue un rôle central : celui-ci permet de mettre une valeur sur l’objet de la transaction qui se réalise sur un temps assez court. Cette technique, innovante lorsque les activités humaines commençaient à s’extraire de l’économie domestique, va se généraliser. De sorte que le marché représente désormais la forme dominante de l’échange dans le monde entier et que les acteurs de marché ont les profils les plus divers : entreprise privée cotée, entreprise familiale, artisans, association, collectivité publique, entreprise publique, société d’économie mixte. Avec le capitalisme, on change de métrique. Les opérations concernent souvent de grands projets qui supposent des investissements importants, elles se dénouent sur des durées assez longues, elles présentent des risques. De ce fait, les acteurs ont mis au point des techniques d’évaluation et des formes de contrats d’une autre nature que le mécanisme des prix, même si le prix constitue une manière d’étalonner les choses. Ces opérations sont activées par de grandes firmes privées [4] souvent en relation avec les gouvernants. Ces acteurs ont du crédit dans leur pays, une taille importante, ils font partie d’un réseau international qui relie les grandes places. La globalisation des échanges et l’émergence de très grandes métropoles ont renforcé ce réseau international de sorte que le cercle du capitalisme urbain tangente l’économie-monde.

Tableau 1 : Marché et capitalisme. Source: Dominique Lorrain.

L’argument central de ce texte est que les villes se trouvent prises dans le grand mouvement de globalisation des économies, qui avait d’abord touché les activités industrielles. Cela se manifeste de plusieurs manières. D’abord, des grandes firmes industrielles ou de services y localisent une partie de leurs activités, ce qui rétroagit sur leurs attentes vis-à-vis des politiques publiques. Ensuite, des grandes entreprises urbaines (les acteurs de la fabrique urbaine), travaillant au départ quasi exclusivement dans leur pays d’origine, se sont internationalisées. Enfin, ce processus a été amplifié par une troisième couche d’acteurs — l’industrie de la finance et du conseil — plus globale, plus flexible et détachée des territoires et qui porte ce projet d’un capitalisme global. Autrement dit, le phénomène nouveau tient à l’intervention croissante de grandes firmes privées cotées en bourse et participant, de ce fait, d’une comparaison globale des actifs. Ces firmes peuvent être différentes, mais elles ont en commun, parce que cotées en bourse, d’être soumises à une loi des résultats financiers et de porter un regard évaluateur sur les projets. Cependant, si l’on veut saisir les conséquences de l’entrée des villes et de la fabrique urbaine dans le capitalisme global, la description ne peut s’arrêter au statut formel des acteurs. Ici, le plus important n’est pas nécessairement le plus visible ; pour comprendre l’influence du capitalisme global sur la ville il faut se défaire des catégories établies du public et du privé. Doivent être pris en compte les instruments utilisés, les principes embarqués que ceux-ci véhiculent, les valeurs portées par les acteurs. Le monde réel peut nous jouer des tours. Il peut y avoir des coalitions d’acteurs publics qui se comportent comme des développeurs privés, tandis qu’à l’inverse des grandes firmes peuvent avoir des visions à long terme, rechercher le progrès et relever d’un capitalisme discipliné.

Villes et marchés : une histoire entre proximité et différences.

L’image qui rend compte le mieux des rapports particuliers entre villes et marchés nous semble être celle proposée par Fernand Braudel, avec sa topique de l’économie à trois couches qui distingue l’autoconsommation, l’économie de marché et le capitalisme. Pour lui, jusqu’au 18e siècle, « un énorme secteur d’autoconsommation reste tout à fait étranger à l’économie d’échange (avec) des zones qui participent peu à la vie générale et, dans leur isolement, s’obstinent à mener leur propre existence, presque entièrement fermée sur elle-même » (Braudel 1985, p. 43). L’économie de marché, qui séduit les historiens et remplit des pages d’archives, « est une simple couche plus ou moins épaisse et résistante […] entre l’océan de la vie quotidienne qui la sous-tend et les processus du capitalisme qui, une fois sur deux, la manœuvre par en haut » (ibid., p. 45). Dans cette belle image, l’historien des Annales nous invite à ne pas tout rabattre sur les marchés, mais à les situer comme une forme de l’échange parmi d’autres, entre l’énorme masse des transactions ordinaires et la pointe d’excellence de l’échange marchand que représente le capitalisme [5]. Comment ces sphères de l’échange se sont-elles transformées au cours des siècles ?

À bien des égards, le Moyen Âge représente un âge d’or des villes. À partir du 13e siècle, « l’Europe s’incarnera essentiellement dans des villes » (Le Goff 2003, p. 135). Elles se forment comme place de marché (les foires et les marchés) et y ajoutent des activités de production. Les fonctions militaires n’y sont plus principales (Gascon 1971, Braudel 1985, Chaunu et Gascon 1977, Sée 1980). Mais cette lecture appelle une double nuance. Premièrement, la production s’organise sous un registre artisanal qui n’a rien à voir avec la grande industrie de la révolution industrielle, donc le marché s’y manifeste d’une manière singulièrement réduite, on reste très loin du capitalisme. Jacques Le Goff utilise la jolie formule « du peuple des menus et du peuple gras » pour rappeler la hiérarchie entre les arts mineurs des artisans et les arts majeurs des riches marchands qui interviennent dans un rayon d’action international. Deuxièmement, à cette époque, ces forces des marchés urbains restent largement contenues par les structures héritées du féodalisme (Le Goff 2003).

La longue période, qui couvre la Renaissance et la ville classique (1500-1800), correspond à une nouvelle poussée de l’urbanisation. Entre 1500 et 1700 en Europe, la population urbaine, définie comme celle vivant dans des villes de 5000 habitants et plus, passe de 10-11,5 % à 12-13 %. Le nombre d’habitants de ces villes progresse d’environ 55 %. (Bairoch 1985, p. 229). La formation des États et le développement du grand commerce expliquent largement ce résultat. Les grandes circumnavigations — route vers l’Asie, découverte de l’Amérique —, ont ouvert la voie à de nouveaux flux d’échanges et le centre de gravité de l’Europe se déplace du bassin méditerranéen vers l’Atlantique. L’Angleterre et les Pays-Bas, et en particulier leurs villes portuaires, captent une partie des transactions. Paul Bairoch nous rappelle ainsi qu’en 1700, Londres dépasse les 500 000 habitants « et qu’elle concentre environ 65 % de la population urbaine du pays » (Bairoch 1985, p. 234). À la même époque, les Pays-Bas comptent entre 38 et 49 % de leur population totale dans des villes de plus de 5000 habitants, contre environ 10 % deux siècles plus tôt. « Cette urbanisation s’explique essentiellement par le rôle d’intermédiaire commercial joué par ce pays de moins de deux millions d’habitants qui, en fait, effectuait une partie importante du commerce extérieur de toute l’Europe soixante fois plus peuplée que lui » (Bairoch 1985, p. 232). Si la poussée du commerce international est indiscutable, elle n’introduit cependant pas une rupture dans les relations entre la ville et les marchés. D’abord, le phénomène n’est que partiellement nouveau. Depuis longtemps des villes commerçaient avec l’Inde et l’Asie, Venise en étant le cas emblématique dans sa prospérité comme dans son déclin. Le changement porte sur les volumes et surtout sur les routes suivies, au détriment du Moyen-Orient. Ensuite, cette analyse converge avec celle des auteurs de l’histoire de la France urbaine pour la même période. Ces trois siècles et demi, qui font le pont entre le Moyen Âge et le 19e siècle industriel, sont « placés sous le signe d’une continuité citadine »(Duby, 1981). Plusieurs facteurs en apportent la preuve : dépendance au monde rural proche pour des services et pour l’alimentation, investissement des élites urbaines dans des achats de terres, industrialisation rurale différente des grandes fabriques. À cette époque, la logique de nombreuses villes se trouve plus déterminée par des facteurs locaux que par une inscription dans des échanges globaux. Des auteurs de la monumentale Histoire de la France urbaine nous rappellent ainsi que « Nancy suit le destin et la fortune du duc de Lorraine [tandis que] Toulouse enregistre le succès du pastel, puis sa déroute […] » (Chartier et Neveux 1981, p. 47).

L’avènement de l’industrie au 19e siècle se caractérise par une hausse de l’urbanisation et la naissance de villes industrielles. Pourtant, on ne peut affirmer que l’organisation des villes soit submergée par ce capitalisme industriel. Plusieurs arguments convergent. D’abord, les villes n’ont pas toujours été au centre du développement industriel, même si sur le long terme il y a bien une relation entre l’industrialisation et l’urbanisation des pays occidentaux. Paul Bairoch démontre, à partir de la synthèse de nombreux travaux, que le développement de la grande industrie s’est fait souvent en contournant les villes héritées du Moyen-Âge. La révolution industrielle en Angleterre débute dans des villes « nouvelles » [6] ou dans des petites villes (Bairoch 1985, p. 331). Le décalage semble encore plus vrai dans le cas de l’Italie, dont l’économie semble écrasée par des villes taillées pour commander un vaste empire et trop amples pour l’état du pays au 19e siècle. Bairoch parle de « villes parasitaires » (1985, p. 345). Ensuite, cette industrialisation laissée aux initiatives privées, mal encadrée, aura des conséquences terribles : habitat insalubre, densité énorme dans les quartiers populaires, insuffisance d’équipement public. L’Angleterre en est une illustration dramatique. Dans son livre sur l’histoire des villes et de la pensée urbaine, Peter Hall commence son analyse par un long chapitre sur la ville du cauchemar : The City of Dreadful Night, Reaction to the Nineteenth Century Slum City (Hall 2002). L’impact des forces du marché (ici l’industrie) va appeler une réaction publique [7]. Elle se manifestera par le développement d’infrastructures qui apportent l’hygiène : adduction d’eau potable, réseaux d’évacuation des eaux pluviales, règles pour le ramassage des déchets. Les pays occidentaux élaborent alors des catégories juridiques pour organiser l’économie des infrastructures ; ce sera le service public industriel et commercial en France et la notion de utility dans les pays anglo-américains [8]. Des infrastructures de transport (chemins de fer) ouvrent et relient les villes. La planification urbaine fait son entrée, des architectes et urbanistes conçoivent des cités jardins et des cités radieuses (Jacobs 1961, Le Corbusier 1946, Topalov 1999). Des règles d’urbanisme déterminent les droits à construire au niveau de la parcelle. Toutes ces expériences convergent pour établir l’idée que la ville dans ses composantes — du grand système technique à l’infime parcelle — ne correspond pas à un territoire ouvert librement aux forces du marché. Des règles publiques fixent des obligations et introduisent des principes de transparence et de justice. Cette différence vis-à-vis des marchés, et plus encore en regard du capitalisme de la grande industrie et de la haute finance, a été accentuée à partir des années 1930 par la montée de l’interventionnisme public : New Deal aux États-Unis, planification et nationalisations dans les pays européens, Gosplan en URSS qui déclinent des méthodes pour domestiquer les forces brutes du marché (Kindleberger 1969, Millward 2005).

Au début des années 1970, après deux décennies de forte croissance, cette différenciation entre la ville et le capitalisme reste encore maintenue. Dans les pays émergents, si l’on considère l’auto construction de quartiers entiers et ce que l’on peut appeler un urbanisme des « franges » [9], la production de la ville relève, pour une part, de la grande sphère de l’autoconsommation dont parle Braudel et qui se situe en deçà du marché. Dans les pays industriels, cette part est devenue résiduelle (quoique le poste « bricolage » occupe une part importante dans le budget des ménages [10]). Les principes de marché se sont diffusés et quasiment tous les échanges se trouvent réglés par le mécanisme des prix, mais pour une large part ils relèvent du cercle des échanges régionaux/nationaux et ces règles « locales » l’emportent sur le grand mouvement des marchés mondiaux. Dans les affaires urbaines, les marchés restent largement tempérés par des règles publiques qui définissent tant des droits à construire que l’organisation des services publics. Des firmes privées interviennent, elles ont progressé depuis le 19e siècle, mais elles occupent encore une place réduite. L’influence de la grande firme s’exprime dans quelques grandes opérations de développement urbain (logements de standing, bureaux, centres commerciaux). Son rôle dans les infrastructures reste encore une exception limitée aux États-Unis (dans l’électricité, la téléphonie et les déchets) et à la France avec son modèle de services urbains (Auby et Ducos-Ader 1975, Lorrain 1990, Martinand 1993, Stoffaës 1995). Pour le reste, ce sont des acteurs locaux et parfois publics qui dominent dans l’immobilier et dans la gestion des infrastructures.

Cet équilibre entre le marché et la ville va être progressivement mis en cause à partir de la récession qui suit la première hausse des prix du pétrole (1973). Des pans entiers de l’industrie s’effondrent (mines, sidérurgie) ou doivent se redéployer pour survivre (chimie, automobile, machine-outil, chantier naval). Les territoires industriels prennent de plein fouet ces mutations, l’histoire est la même que ce soit en Pennsylvanie ou dans la région des Grands Lacs, dans le centre de l’Angleterre ou dans la Ruhr et la Wallonie, dans le Nord-Pas-de-Calais ou la Lorraine. À l’inverse, d’autres régions tirent parti de la géographie (soleil, océan) pour attirer de nouvelles industries qui ne sont pas contraintes par la proximité aux matières premières et dont le développement repose d’abord sur du capital humain : informatique, biotech, NTIC [11]. Les choix résidentiels des cadres supérieurs et des universitaires convergent pour localiser ces activités là où la vie est plus agréable. Le mouvement est particulièrement visible aux États-Unis où la taille d’un continent permet ces choix de localisation et où l’économie est plus fluide. Donc, les vieux territoires industriels du nord souffrent (rust belt) tandis que ceux du sun belt au sud (Géorgie, Floride) et à l’ouest (Californie, Arizona, Texas) connaissent une forte croissance (Alcaly et Mermelstein 1977) [12].

Cette mutation des bases productives va enclencher une série de mécanismes qui, au bout d’un certain temps, vont contribuer à affaiblir les principes d’une action publique urbaine différente du marché. Certaines villes se retrouvent en grandes difficultés financières ; la quasi-faillite de la ville de New York en 1975 n’est que la pointe d’un phénomène plus vaste [13]. Les travaux de recherche illustrent fort bien cette situation avec la montée du thème du fiscal crisis (O’Connor 1973, Merlstein 1975). Les responsables urbains doivent trouver de nouvelles réponses. Ils s’impliquent dans le développement économique, et pour agir dans ce domaine ils vont aller puiser leur inspiration du côté de l’entreprise. On observe donc des politiques de reconversion, des stratégies de développement pro-growth dans les villes qui se développent, et plus tard des nouvelles politiques de régénération dans les anciens lieux d’industrie (Le Galès 1993, Hall 2002). Ces politiques des années 1970 correspondent-elles à un prototype préfigurant ce qui va suivre ? Le fait est qu’elles s’élaborent à un moment où le balancier des grandes conceptions de l’action publique se déplace. Les idées favorables aux marchés et à la réduction de l’interventionnisme public prennent le pas, portées par quelques figures académiques (Freidrich Hayek ou Milton Friedman) et, surtout, elles sont popularisées et traduites en politiques publiques par Ronald Reagan, président des États-Unis de 1980 à 1988 et par Margaret Thatcher, première ministre britannique de 1979 à 1989. D’un pays à l’autre, les dates qui marquent l’application de ce nouveau référentiel peuvent changer, mais la tendance, sur les années 1990-2010, est partagée par de nombreux pays, des États-Unis à la Chine. Les responsables urbains se détournent des méthodes de l’action publique traditionnelle et cherchent leur inspiration du côté des firmes. Avec ce basculement, de nouveaux outils d’action font leur entrée dans les affaires urbaines.

Le capitalisme et la ville vus par la recherche.

En posant un ordre des facteurs entre les phénomènes de production et de reproduction, considérés comme deux moments d’une régulation globale de l’économie (Aglietta 1976, Castells 1972, Lefebvre 1972), les sociologues et géographes urbains marxistes ont contribué à entretenir la lecture d’une ville décalée par rapport au capitalisme ou activée par l’économie, plutôt qu’une ville se trouvant au cœur d’un régime d’accumulation spécifique. Pour eux, ce qui se passe dans la sphère productive est premier dans l’ordre des facteurs, car c’est là où se produit la valeur. La ville se pense de manière secondaire, comme le lieu où se territorialisent les échanges (les marchés urbains) et où s’organisent les fonctions de reproduction de la force de travail — logement, équipements collectifs, loisir, santé, etc. Donc pour penser et décrire la ville, il faut d’abord comprendre les logiques productives ; elles apportent une intelligibilité de ce qui se passe dans les autres étages de la structure urbaine : marchés du travail, classes sociales et institutions locales. À dire vrai, ces analyses vont être rapidement révisées par des géographes urbains (Scott 2001, Storper 1997, Scott et Storper 1988, Brenner 2004), qui introduisent l’espace (territory, place) dans les phénomènes de production ; Manuel Castells, figure de proue d’une école marxiste, prendra ses distances par rapport au structuralisme [14]. Des chercheurs, principalement aux États-Unis, étudient les impacts de la globalisation des systèmes productifs à l’œuvre dès le début des années 1980 (new international division of labour). Allen Scott (1998) montre que les espaces urbains se recomposent dans un nouveau cadre régional. De très nombreux auteurs travaillent sur les impacts de la globalisation dans les rapports entre les villes et dans leurs équilibres sociaux [15]. Ils en concluent souvent que les villes globales sont aussi des villes duales. Dominées par des forces économiques, elles se spécialisent et leurs activités s’étirent sur un spectre large : des emplois peu qualifiés aux super cadres de la finance. Le thème des inégalités occupera une place centrale dans ces travaux (Harvey 1973m Fainstein, Gordon, et Harloe 1992, Marcuse et Van Kempen 2000, Hall 2002).

Ainsi, si l’on résume, les écoles marxistes ont pensé les rapports entre la ville et les marchés à partir d’un premier postulat, celui du primat des phénomènes de production sur la consommation et l’échange ; cela conduisait à faire de la ville un lieu secondaire dans le fonctionnement du capitalisme. Cette lecture a été révisée par les géographes urbains, qui ont affirmé la dimension territoriale des phénomènes productifs. Cependant, l’étude fine des processus et des acteurs qui produisent ces phénomènes fait le plus souvent défaut, que se soit en s’intéressant à ce qui se passe dans les firmes ou en étudiant les acteurs urbains [16]. Ici intervient un second postulat : après le primat de la production, celui de l’importance accordée aux grands facteurs structurels. L’histoire s’expliquerait par des grandes forces qui déterminent les acteurs et scandent l’histoire en grandes phases. Après une période fordiste-keynesienne, vient un cycle néolibéral (Brenner et Theodore 2002). Ce cadrage n’est pas inexact, mais en postulant le résultat, il n’incite pas à examiner les processus qui expliquent le passage d’un régime à un autre, ni à étudier finement les acteurs qui auront contribué à ces transformations. Ces approches s’intéressent plus aux déterminants qu’aux acteurs et aux forces sociales qui mettent en marche les mécanismes déterminants.

Avec les travaux sur les régimes urbains (Stone 1989, 1993) et les coalitions de croissance (Logan et Molotch 1987), la recherche s’intéresse cette fois directement à l’emprise des intérêts économiques sur la conduite des politiques publiques. On sort de l’approche surplombante ; ces travaux relèvent des sciences politiques ou du government. À partir du cas d’Atlanta, Stone explique comment le gouvernement local et des acteurs économiques (industriels, opérateurs de transport, promoteurs) se coordonnent pour promouvoir le développement économique de la capitale de la Géorgie [17]. Ces réseaux d’acteurs forment un ensemble assez stable pour que l’on puisse parler de régime urbain par analogie avec les régimes politiques (Fukuyama 2006). Relevons cependant que ces travaux soulignent principalement des alliances entre des intérêts économiques — les industries high-tech et la finance — plus qu’un engagement des acteurs de la fabrique urbaine (Sellers 2002). Dans un autre ouvrage publié à la même époque et toujours à partir des villes des États-Unis, Logan et Molotch mettent cette fois l’accent sur des acteurs directs de la ville (propriétaires fonciers, promoteurs et développeurs, industriels de la construction) et parlent de growth machine ; leur analyse révèle qu’il existe des alliances objectives entre les élus locaux et ces acteurs urbains pour engager une spirale de développement qui sera bénéfique à tous [18]. En Europe, de nombreux travaux s’intéressent aux stratégies de développement menées en direction des milieux industriels et pour ces milieux — politiques de reconversion, aides aux nouvelles technologies (Sellers 2002) [19]. On est ici dans les politiques économiques des villes, un thème ancien qui fait son apparition au début des années 1970 [20]. Mais, à la différence des recherches américaines, aucun de ces travaux ne trouvera la formule qui s’impose comme représentation des phénomènes, ainsi « régimes urbains », « gouvernance urbaine » et « growth machines » s’imposeront. Retenons l’idée que, dans les années 1980, les gouvernements urbains mènent des politiques de développement économique en étroite articulation (partenariat) avec des acteurs économiques, ceux de l’industrie comme ceux de la fabrique urbaine. Ces rapprochements ne sont pas sans effets. Au début, l’engagement public porte sur des apports en capital ou des adaptations des règles. Avec le temps, l’échange sera plus approfondi avec la diffusion de montages de projets, de méthodes de chiffrage, l’implication plus grande des entreprises dans la conception (Crouch et al. 2011).

Ces analyses laissent cependant de côté quatre séries de problèmes qui pèsent pour comprendre les rapports des villes et des marchés. Premièrement, l’horizon pris en compte reste celui du moyen terme. C’est un laps de temps trop court. La ville matérielle correspond à une construction de longue durée dont la morphologie, les grands systèmes techniques et les institutions contraignent l’acteur. En outre, des coopérations approfondies entre acteurs publics et firmes privées supposent, pour bien fonctionner, une certaine confiance qui se construit avec le temps, cela suggère de considérer des durées de l’ordre de vingt ans (une génération). Ainsi, dans les années 1970, lorsque commencent les interventions économiques, des collectivités locales les deux mondes — collectivités publiques et firmes — s’ignorent assez largement. Leurs relations débuteront sur le registre de la nécessité (répondre à des crises) et sur celui de la méfiance plus que de l’association. Pour comprendre comment ces systèmes d’action ont évolué vers un mode coopératif dans lequel le contrat « gagnant-gagnant » fait désormais figure de référence, il faut introduire des apprentissages graduels. Deuxièmement, la question « qui produit la ville ? » n’a pas été abordée frontalement et descriptivement comme pouvait le faire Maurice Halbwachs en 1909 (Topalov 2001). Le champ était trop dominé par des problématiques englobantes qui décalaient le regard : la place des villes dans le capitalisme, la question du pouvoir et de qui gouverne. Lorsque des auteurs se sont intéressés aux producteurs de l’urbain, ils l’ont fait à partir de ceux que l’on voyait à l’évidence, les promoteurs et les constructeurs (Topalov 1974 et 1987, Fainstein 1994) et ils n’ont pas abordé la question en se demandant quelles étaient les firmes qui contribuaient à produire, concevoir et parfois gérer la ville et ses différentes composantes matérielles. Troisièmement, la description des régimes urbains reste trop souvent limitée aux institutions formelles, si nous reprenons les catégories de North (1990) [21]. Cette lecture sous-estime le rôle des institutions de second rang (les instruments) et des institutions informelles (culture et mentalités). Or ces deux constituants des modèles de gouvernement urbains fonctionnent aussi sur le long terme et peuvent être les voies de transformation d’un modèle [22]. Autrement dit, l’influence des marchés sur la ville ne se réduit pas à la transformation des institutions traditionnelles, elle peut prendre la voie discrète de l’action sur les outils, sur les normes, bref toutes ces institutions de second rang qui assistent l’acteur. Quatrièmement, le terme de gouvernance localisée ou de régime urbain, utilisé pour décrire les transformations des villes, relève d’une définition très générale — « un processus de coordination d’acteurs, de groupes sociaux et d’institutions pour atteindre des buts particuliers, discutés et définis collectivement dans des environnements fragmentés et incertains » (Le Galès 1998) —, qui pose autant de problèmes qu’elle n’en résout. Cette définition suppose un monde coopératif, avec des buts communs et des acteurs loyaux ; ce peut être le cas. Mais c’est parfois une vision angélique, car le monde est également brutal, avec des acteurs opportunistes et des naïfs qui finissent par payer les additions. De plus, à l’évidence, tous les acteurs ne pèsent pas de la même manière dans ces alliances coopératives, il en est de plus lourds et de plus stratégiques que d’autres. Donc en ne faisant pas l’effort de pondérer l’influence des acteurs, le degré de leur engagement et la nature de leurs intérêts, cette lecture présente le risque d’être descriptivement biaisée.

Si l’on réunit ces quatre critiques — le temps long, la nature des producteurs urbains, le tryptique des institutions (formelles, de second rang et informelle), la gouvernance comme alliance hiérarchisée — il en ressort qu’il est fort peu probable que des régimes urbains semblables puissent caractériser les pays occidentaux. S’il existe bien une transformation, caractérisée par un renforcement du rôle des marchés dans la ville, la décrire comme relevant du néolibéralisme et d’une gouvernance urbaine reste à un niveau de trop grande généralité. Cela plaide pour une exigence de précision : qui agit et par quelles institutions ?

Chez les économistes spatiaux, la théorie de la base va conforter le postulat évoqué d’un primat de la production sur le reste des activités. Selon cette théorie, le développement des villes se trouve tiré par une base exportatrice qui enclenche plusieurs mécanismes. North (1966) en donne une description convaincante pour le cas des villes américaines au début du 19e siècle. Premièrement, les recettes d’exportation vont enrichir la ville et, si elles sont réinvesties sur place, elles entraînent d’autres dépenses de consommation qui confortent une base domestique. Deuxièmement, pouvoir exporter suppose de s’équiper en infrastructures — ports, chemins de fer, entrepôts, force [23] — dont la construction stimule l’économie locale. Troisièmement, le fait de s’ouvrir aux marchés extérieurs suppose pour chaque ville ou pour chaque entreprise de développer ses avantages compétitifs. Cela incite tous les acteurs qui interviennent sur la chaîne de la valeur à être efficaces et les pousse à la spécialisation, car elle permet la baisse des coûts unitaires. Le développement d’un secteur d’exportation diffuse des principes d’efficacité/spécialisation à l’ensemble de la base économique.

À partir de ses recherches sur l’économie des villes françaises, Laurent Davezies (2008) révise cette théorie de la base. Il applique aux économies urbaines la logique contenue dans les politiques de l’État providence : redistribuer la richesse et constituer un amortisseur aux à-coups des marchés ; c’est une vieille histoire depuis la Révolution industrielle [24]. Certaines villes échappent assez largement à une activation directe par les forces des marchés, car une vaste boucle redistributive fonctionne et les protège. Statistiquement le revenu des territoires n’équivaut plus à leur produit intérieur brut (PIB), tout simplement parce que la richesse circule. On peut donc avoir des territoires riches par leur production (mesurée en valeur ajoutée et PIB) qui pèsent moins en termes de revenus de leurs habitants, parce qu’une partie du surplus est réaffectée par des grandes firmes multinationales (exemple de l’Irlande) ou parce que des mécanismes fiscaux redistribuent au niveau national (cas de l’Île-de-France) [25]. L’intérêt du raisonnement de Davezies est d’avoir pris en compte d’autres flux de redistribution moins admis. La vision qu’il propose conduit à revoir la dualité entre une base exportatrice et une économie domestique. Le modèle s’enrichit d’une base publique (les emplois publics) et d’une base résidentielle avec les retraites, le tourisme et les revenus d’actifs travaillant ailleurs. La démonstration est séduisante et elle a une portée en termes de politiques publiques. Le maire stratège devrait autant équiper sa ville pour attirer les retraités et les touristes que conduire des coalitions de croissance. Le message est dans l’air du temps et correspond bien à l’engouement pour les villes créatives (Florida 2002).

Mais ce raisonnement sur les économies urbaines contemporaines a tout de même une limite ; le modèle n’est pas bouclé sur ses implications macro-économiques. Les flux qui rééquilibrent les territoires, et qui les font échapper à la loi des marchés, restent des flux de redistribution. La question est de savoir si un pays peut redistribuer sans avoir produit. La réponse économique est « non » ; les pays qui ont su maintenir une base économique — Allemagne, Japon, Chine — peuvent redistribuer, car ils sont forts d’une balance commerciale excédentaire. La réponse politique est « oui… mais pendant un certain temps », tant que le décalage entre production et consommation peut se combler par l’endettement [26]. L’équation des « nouveaux » territoires performants n’est pas durable si l’essentiel de leur croissance provient de flux de redistribution dont le volume global reste fixé par le dynamisme des bases productives. Au niveau d’un pays, cette répartition de la richesse est à somme nulle. C’est aussi une structure d’action collective qui, quelque part, correspond à une économie insouciante et injuste à l’encontre de territoires productifs soumis à la dureté de la compétition internationale (Veltz 2008). Retenons, pour notre discussion des rapports entre les villes et le capitalisme, que la liaison n’est pas univoque ; elle dépend des bases économiques de chaque ville et des politiques nationales de redistribution. Ces transferts, selon leur importance, tracent une carte des villes protégées de la globalisation.

Fin du 20e siècle et l’entrée de la ville dans le capitalisme.

Notre argument est que la fin du 20e siècle se caractérise par une emprise plus grande de principes de marché dans des activités jusqu’alors réglementées, et surtout par une extension du capitalisme — ses firmes et ses instruments — à l’organisation des marchés urbains. Le premier phénomène visible est bien sûr celui de la démographie. Des millions de nouveaux urbains doivent être accueillis ; la Chine à elle seule a augmenté sa population urbaine de 320 millions d’habitants entre 1994 et 2004. De grandes métropoles se forment et montent en densité réseautique, ce que nous avons résumé comme le passage de polis à mégalopolis, puis à gig@city (Tarr et Konvitz 1981, Lorrain 2008a). Cela fait de la grande ville et de son environnement bâti un nouveau marché pour les firmes, on assiste de ce fait à la formation d’une industrie de la ville (Lorrain 2002b). Des firmes anciennes déjà présentes dans les réseaux urbains et la construction se développent, d’autres qui évoluaient à la périphérie tels les conglomérats, les grands industriels, les banques, les ingénieristes et les conseils, interviennent de plus en plus dans la fabrique urbaine. La pression des problèmes sur les décideurs publics explique largement leur recours à des firmes qui disposent de références et de ressources ; le projet néolibéral n’est qu’un facteur parmi d’autres.

Ces transformations se trouvent également portées par une transformation du rôle des villes dans les phénomènes d’accumulation. Dans une économie globale, la recomposition des chaînes de valeur rend l’économie plus directement articulée à la ville. Premièrement, la ville offre des infrastructures absolument centrales pour les activités de production, cela fonctionne sur l’amont (recherche, marketing, ingénierie, finance) comme sur l’aval (logistique, distribution). Les métropoles globales sont autant des hubs infrastructurels que des centres financiers. Deuxièmement, la ville devient le lieu où se gère une part croissante des flux de redistribution et constitutifs d’une économie de services — tourisme, éducation, santé. Troisièmement, la prise en compte de l’environnement incite les villes à s’équiper, ce qui les rend en retour encore plus attractives. De ce fait, la grande ville ne se pense plus comme l’espace de gestion d’une production réalisée ailleurs, mais comme une sorte de « meta moyen de production » qui commande l’ensemble du cycle production/reproduction. Au cœur de cette transformation, les industries de réseaux occupent une place centrale. Les systèmes techniques urbains forment l’ossature qui structure les villes et ils sont en même temps les dispositifs qui les positionnent dans les phénomènes économiques, que ce soit pour la circulation des biens (ports, aéroports, chemins de fer, autoroutes), ou pour celle des personnes (tourisme et hôtellerie), ou des informations (NTIC) (Castells, 1997). Ces réseaux font partie intégrante de l’industrie de la ville dominée par de grandes firmes privées, cotées en bourse [27]. Elles sont très régulées dans leurs activités et, dans le même temps, elles se trouvent inscrites dans les dynamiques compétitives d’une économie ouverte aux marchés. Les auteurs américains ont fait la part belle aux promoteurs (Fainstein 1994) ou aux intérêts industriels et financiers (Sassen 1991), ils ont peu pris en compte ce capitalisme des infrastructures ou de grands équipements.

Cette vaste transformation, à l’œuvre depuis le début des années 1990, va être accélérée par la constitution d’une industrie de la finance et du conseil et par son intérêt pour des actifs urbains (Lorrain 2011b). Elle a joué un rôle direct dans l’élaboration des politiques de dérégulation, en se faisant l’avocat d’un modèle ouvert et concurrentiel. Les entreprises gestionnaires d’infrastructures urbaines, intégrées et en monopole ont été divisées en sous-parties indépendantes (unbundling) et ensuite introduites en bourse. Les industries du gaz, de l’électricité et des télécommunications en ont été profondément affectées. Des grandes institutions compactes (souvent publiques) ont été remplacées par une structure composée de nombreux acteurs privés indépendants pouvant faire, chacun d’entre eux, l’objet de transactions sur les marchés boursiers. L’industrie de la finance et du conseil, qui par nature vit des conseils et des transactions, construisait ainsi son propre marché. Son rôle n’a pas seulement porté sur la réforme des architectures, elle a aussi diffusé ses visions, ses montages et ses instruments. Plusieurs phénomènes en apportent la preuve. D’abord, un urbanisme par projet s’est imposé ; c’est pour cette industrie une manière de monter les opérations en divisant les risques et en construisant des partenariats ad hoc (des tours de table). La ville se construit, brique par brique, projet par projet. L’ironie de l’histoire est qu’au niveau local les acteurs pensaient inventer un nouveau modèle moderne et efficace — l’urbanisme par projet et par contrat — (Pinson 2009) alors qu’ils reproduisaient largement un schéma adopté depuis longtemps par les banques d’investissement qui, par cette technique du compartimentage, peuvent piloter des opérations totalement hétérogènes par le secteur concerné et les pays. Ensuite, le rôle des acteurs privés dans le processus de production du cadre bâti est allé grandissant. Cela a des implications sur le montage des opérations. Aux côtés des anciens contrats de concession et autres délégations sont apparus les partenariats publics privés (PPP). Des consortiums prennent en charge la conception, le financement, la construction et l’exploitation d’un équipement sur des durées de 20 à 30 ans. Ils reçoivent un loyer fixe de l’acheteur unique. Tout se joue au moment du montage et du contrat, ensuite ils échappent aux mécanismes de suivi et de renégociation qui organisent les délégations de service public. Leur pouvoir est exorbitant. L’ancienne catégorie de maîtrise d’ouvrage publique perd aussi de sa force, car il peut y avoir délégation de cette mission. Enfin, des techniques de calcul [28] déjà utilisées dans d’autres industries ont été diffusées, elles permettent de comparer les projets urbains avec d’autres projets. La portée en est capitale, car désormais quelques grands acteurs financiers peuvent mettre en équivalence des projets dans des pays différents. Mieux que par une grande théorie, c’est par ces techniques que les « briques urbaines » rentrent dans les marchés. Auparavant, on peinait à leur donner une valeur, ces informations restaient cantonnées dans des cercles de décision nationaux et locaux ; désormais, grâce à l’industrie de la finance, elles sont calculables et cette information circule.

En considérant les trois facteurs discutés — la globalisation des échanges, le développement de grandes firmes urbaines et l’émergence d’une finance globale investissant dans les actifs urbains —, est-ce à dire que la ville est dominée par les marchés ? Assiste-t-on à la victoire du projet néolibéral ? Il est clair que l’influence privée a augmenté ; en un mot, la ville, et en particulier la grande ville, constitue un marché, mais est-elle totalement organisée par des principes de marché ? Les choses ne sont pas univoques. Il nous faut regarder plus en détail les coalitions d’acteurs, les principes et les instruments qu’ils utilisent. La soumission de la ville aux marchés et au capitalisme ne se déduit pas des politiques de privatisation et, à l’inverse, le statut public de certaines coalitions ne garantit pas nécessairement une distance par rapport aux marchés. Considérons un instant trois manifestations de l’influence du secteur privé.

Les firmes privées urbaines (développeurs, entreprises de construction, utilities, industriels) symbolisent indiscutablement cette influence des marchés sur la ville. Elles sont de grande taille avec des chiffres d’affaires compris entre 10 et 90 milliards d’euros, elles sont puissantes ; la théorie économique du principal-agent a depuis longtemps exposé les risques dans ces situations d’asymétrie. Pour ces raisons, elles ont concentré une grande partie des critiques et des passions. Le cas le plus emblématique étant celui du secteur de l’eau où, pour certains, un contrat avec une firme privée s’apparente à un pacte avec le diable. Mais c’est une lecture incomplète qui reste sur la forme — le statut privé, la taille — sans considérer les principes d’action et les instruments. Ces firmes privées urbaines sont très régulées ; elles doivent respecter des obligations de service — accès pour tous, non-discrimination, fixation des prix réglementés, programme d’investissement négocié, etc. Bref, elles sont privées, elles sont cotées en bourse et font bien partie du capitalisme — la « forme supérieure » des échanges dont parle Braudel —, mais dans leur fonctionnement ordinaire elles œuvrent selon des principes de marché amoindri. La puissance publique contractualise globalement, mais ce n’est pas un chèque en blanc. Ces firmes privées ne sont pas libres — ni de sortir, ni d’appliquer des prix dans la recherche d’un profit maximum. On est dans un capitalisme réglementé. Nous pouvons en déduire que tout n’est pas univoque entre la ville et les marchés et qu’il peut exister des situations hybrides combinant des propriétés du capitalisme et l’application de règles publiques.

Les coalitions de croissance publiques correspondent à une autre configuration a priori moins insérée dans le capitalisme et plus gardienne de l’intérêt général. Elles se sont développées avec succès à Hong Kong, à Singapour et dans les villes chinoises [29]. Elles se mettent en place par des alliances entre l’État, des gouvernements locaux et des firmes à capitaux publics majoritaires, mais de statut privé. Elles utilisent des techniques du capitalisme : cotation en bourse et recherche de capitaux sur les marchés financiers, multiplication des filiales dédiées, montages en PPP et en joint ventures [30]. Pour le reste, le contrôle public sur l’ensemble du cycle de production du cadre bâti fait que les marchés restent soigneusement contrôlés. Il y a une main visible de ces coalitions de croissance publique, on ne peut la confondre avec le jeu des marchés. Mais est-ce si simple ? Car dans le même moment, ces alliances combinent l’accès à des ressources publiques exceptionnelles et une architecture intégrée qui en font des « développeurs absolus ». Leur pouvoir ne se trouve pas limité par les contrepoids habituels d’une comptabilité certifiée, du reporting aux actionnaires, du jeu d’une opposition politique et d’une presse indépendante. Donc ces « hiérarchies » de croissance disposent d’un pouvoir inimaginable dans un régime « capitaliste ».

La main discrète de l’industrie financière. En première lecture, cette industrie ne semble pas faire partie des acteurs urbains centraux. Elle intervient à leur périphérie comme fournisseur d’un input particulier — le capital. Pourtant, elle a une influence certaine en intervenant sur plusieurs maillons stratégiques. Elle intervient d’abord par l’évaluation de la qualité des acteurs ; c’est le rôle des agences de notation et des études des grandes banques d’investissement. Dégrader la note d’un acteur public (un État, une région, une grande ville) est toujours lourd de conséquences, cela l’incite à réduire sa dette et par la même à revoir ses projets, à céder des actifs. Ensuite, ces acteurs participent à l’instruction et au montage des grands projets sous plusieurs formes ; on parle de triple play pour désigner l’action d’une banque d’investissement comme conseil, apporteur de crédit et investisseur au capital de la société qui porte l’opération. Depuis les années 2000, des fonds privés ont investi dans des actifs urbains. L’industrie financière a donc déployé une intervention complète sur la ville. Certes, les fonds privés d’investissement et les grandes banques ne sont pas engagés dans les affaires urbaines au même titre que les firmes d’infrastructure ou les grands développeurs, pourtant leur influence est considérable, car ils introduisent directement des principes de marché dans les dossiers urbains. Leur spécificité, outre la maîtrise des opérations financières, est d’appliquer des critères de marché universel aux questions urbaines et à les mettre en comparaison avec d’autres secteurs. Autrement dit, l’entrée de principes d’un capitalisme global se fait doublement. Premièrement, les techniques de calcul utilisées projettent une certaine lecture de la « juste » valeur des opérations (une valeur de marché). Deuxièmement, la mise en comparaison entre classes d’actifs et entre pays conduit à englober des marchés urbains (localisés) dans le vaste mouvement des échanges mondiaux.

Quelle est la portée de ces analyses et les implications en terme de recherche ?

Pour décrire les impacts des marchés sur la ville, et le plus ou moins grand arrimage de cette dernière dans le capitalisme global, on peut partir d’une approche descriptive considérant une ville matérielle composée d’objets techniques, et se demander comment ceux-ci sont conçus, financés, produits et gérés.

Il faut également prendre en compte tous les acteurs qui interviennent dans la fabrique urbaine et non seulement les plus visibles. L’influence commence très haut dans la chaîne de décision, comme le montre l’industrie de la finance et du conseil. Cette recommandation fait d’autant plus sens que l’industrie de la ville va se développer. Donc, comme pour tout nouveau marché, des entrants vont faire leur apparition. Le cercle classique des promoteurs, des constructeurs et des utilities doit être élargi aux conglomérats, aux ingénieristes, à des firmes industrielles qui développent de nouveaux équipements (durables). Il faut aussi se départir d’une lecture trop centrée sur les institutions formelles, et à trop court terme. La ville nous invite à introduire le temps long, celui de son cadre bâti tout comme celui de ses institutions. Il faut étudier toutes les modalités de l’action. L’influence du capitalisme sur la ville se joue autant par l’usage d’un instrument technique et invisible (méthode d’évaluation, outil de reporting, ratio comptable ou technique) que par la nature juridique d’un opérateur. Comme le montre la rapide comparaison des trois configurations (opérateurs privés, coalitions de croissance publique, industrie financière), l’insertion de la ville dans le capitalisme global va dépendre du dosage entre trois registres de l’action : les institutions formelles, les institutions de second rang, les institutions informelles. Seront-ils tous tournés vers un marché libéral ? Les principes portés par une institution formelle seront-ils renforcés ou amoindris par les instruments mis en œuvre ou par la culture des acteurs ? L’introduction de certains instruments n’est-elle pas d’une redoutable efficacité pour modifier le comportement d’acteurs qui, d’un point de vue formel, se définissent comme publics ?

Abstract

L’argument de ce texte est que la fin du 20e siècle correspond à une période d’extension de l’influence des marchés et, plus précisément, à l’intégration de la fabrique urbaine dans le capitalisme global. D’abord, des grandes firmes industrielles ou de services y localisent une partie de leurs activités, ce qui rétroagit sur leurs attentes vis-à-vis des politiques publiques. Ensuite, des grandes entreprises urbaines travaillant quasi exclusivement dans leur pays d’origine se sont internationalisées. Enfin, ce processus a été amplifié par l’émergence de l’industrie de la finance et du conseil. Un second argument est que la description ne peut s’arrêter au statut formel des acteurs. Le plus important n’est pas nécessairement le plus visible. Pour comprendre l’influence du capitalisme global sur la ville, il faut se défaire des catégories établies du public et du privé. Doivent être pris en compte les instruments utilisés, les principes embarqués que ceux-ci véhiculent, les valeurs portées par les acteurs. Il peut y avoir des coalitions d’acteurs publics qui se comportent comme des développeurs privés, tandis qu’à l’inverse des grandes firmes peuvent avoir des visions à long terme, rechercher le progrès et relever d’un capitalisme discipliné.

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Notes

[1] Une filiale de Dubaï World, Nakheel, devait rembourser 4,1 G€ d’emprunt obligataire à la mi-décembre (Financial Times, 17 décembre 2009, p. 6). Selon Goldman Sachs, Dubaï doit au moins 55 G$ pour les trois prochaines années (ibid., p. 16). La Banque des règlements internationaux évalue à 93 G$ l’exposition des banques européennes aux Émirats arabes unis (Le Monde, 28 novembre 2009, p. 13).

[2] Nous avons développé cette approche dans Lorrain 2002b, 2008a, 2011a.

[3] Je suis redevable à Gilles Pinson de m’avoir alerté sur le fait que cette idée d’un second secteur, circuit parallèle de la valeur, a d’abord été développée par Henri Lefebvre dès 1970, pour être reprise plus tard par David Harvey et popularisée sous cette seconde paternité.

[4] Au cours du temps, les figures de ces acteurs ont pu changer : maisons de commerce, hautes banques, banques d’investissement, entreprises industrielles ou de services urbains (utilities), grandes entreprises de construction.

[5] Voir aussi Duby, 1991.

[6] Birmingham, Bradford, Leeds, Liverpool, Manchester, Sheffield.

[7] Pour une lecture qui s’intéresse au mouvement réformateur en France et qui met plus l’accent sur l’assistance, le logement, la prévoyance et le travail, voir Christian Topalov (1999) ou encore Magri et Topalov (1987).

[8] Voir Melosi 2000, Matheu 2002, Tarr 1989.

[9] Voir Michel Agier (2002) sur les « villes-bis » formées de favelas, bidonvilles, occupations, camps de réfugiés.

[10] L’enquête INSEE sur la consommation des ménages en 2004 permet de l’estimer autour de 2,5 % d’un budget ménage (INSEE, Société, n°40, p. 36), soit l’équivalent du budget télécommunications (le budget eau et assainissement est de 1 %).

[11] Relevons l’affaiblissement du facteur de proximité aux matières premières qui présida aux premières localisation de l’industrie, et en même temps l’accès aux réseaux et aux services urbains comme nouveau facteur productif qui conduit l’industrie et les services à se localiser dans les villes.

[12] Dans ce livre collectif, voir les chapitres de David Gordon, John Mollenkopf, Frances Fox Piven, Kirkpatrick Sale.

[13] Voir les quatre premiers chapitres du livre d’Alcaly et Mermelstein (1977), consacrés à cette crise. Voir aussi les mémoires d’un banquier d’affaires qui joua un grand rôle dans le montage de sortie de crise (Rohatyn, 2011).

[14] Voir son livre d’entretiens avec Géraldine Pflieger (2006).

[15] Voir, pour les années 1980, les articles dans l’IJURR ainsi que les travaux de Pierre Veltz (2008).

[16] Nous semble significatif le faible intérêt pour l’histoire d’entreprise appliquée aux questions urbaines.

[17] Atlanta, dirigée par des élites noires, est le siège de fleurons de l’industrie américaine : Delta Airlines, Coca Cola.

[18] Pour une critique de la growth machine, voir Gottdiener et Budd 2005 ; Mossberger et Stoker 2001.

[19] Voir aussi Bagnasco et Trigilia en Italie, Le Galès, Benko, Biarez, Kukawka, Nemery en France.

[20] Voir les Annales de la recherche urbaine, Sociologie du Travail 1991/4, L’Annuaire des Collectivités Locales (GRAL) et la collection des Entretiens de la Caisse des Dépôts.

[21] C’est aussi une critique que formule Sellers (2002) en citant, pour la Grande Bretagne, les typologies comparatives de Page et de Goldsmith et Page.

[22] Sur ces points et pour une discussion plus élaborée, voir les articles Lorrain 2002a et 2008b.

[23] Ancien nom donné à l’électricité, car elle était conçue comme une manière d’augmenter la force des machines.

[24] Voir Charles Kindleberger (1969) pour une histoire économique des cycles longs et Robert Castel (1995) pour l’histoire sociologique de la constitution du welfare state.

[25] L’Île de France redistribue considérablement, même si le discours politique standard est resté à la formule de François Gravier « Paris et le désert français ». En 1971, la région représentait 27 % du PIB national et 25 % du revenu disponible (après prélèvements). En 2000, c’est 29 % du PIB et 22 % du revenu disponible (Davezies 2008, p. 11).

[26] En France, avant la crise de 2008, la dépense publique est de 53 % du PIB, les prélèvements d’environ 47 %, y correspond un déficit public de 6-7 % de PIB ; la somme de ces déficits conduit à une dette publique de 68 % du PIB. La première version de ce texte a été écrite pendant l’été 2010, pour un séminaire doctoral. Une année plus tard, la crise de la dette en Europe et les réponses des gouvernements montrent que la protection des économies urbaines, par le jeu des transferts, vis-à-vis d’une économie globalisée a une limite.

[27] Voir les 34 « portraits d’entreprises » publiés dans Flux depuis 1999.

[28] Coût en cycle complet, valeur actualisée nette, taux d’actualisation du capital, cash flow actualisé (discounted cashflows, DCF), taux de rendement interne (IRR), coût du capital (CoC).

[29] Sur Hong Kong, voir Sanjuan (1997), sur Singapour Haila (2000, 2002), sur Shanghai Lorrain (2011a).

[30] « PPP », ou « Partenariat Public Privé », est une expression générique qui recouvre les différents types de contrats. « Joint venture » correspond à la vente d’une partie du capital d’une entreprise publique à un ou plusieurs partenaires privés qui deviennent responsables de la gestion.

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