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Serendipity.

Kairos, Kronos : les sciences sociales au(x) temps du développement personnel.

Sur les lieux d’un stage de développement personnel assisté par le cheval, l’aïeul du troupeau rejoint sa prairie à pas tranquilles.
Photographie : Mélanie Le Guen, mai 2016, à Aigremont (30).

« Kairos

Timing

Opportunity

Moments Infused with Meaning and Choice 

Emerging from a rainbow-colored mist, a powerful horse approaches. Can you grab hold of his mane and leap onto his back before he moves beyond reach ? It happens in a split second.

The Gift

When you’re sensitive to timing, great strides are made with minimal effort.

The Challenge

The best-laid plans can distract you from unexpected opportunities. Yet you cannot force the issue. Sometimes you must wait, patiently, for an opening – then act without hesitation. » (Kohanov 2007, p. 133 [1])

Il n’est pas évident de faire la rencontre de Linda Kohanov en tant qu’étudiant, chercheur ou enseignant à l’université. Fondatrice, dans les années 2000, de l’approche Eponaquest, école de pensée et de pratiques se voulant favorables au développement d’une relation homme-cheval harmonieuse, l’œuvre de Linda Kohanov relève plutôt du domaine du développement personnel, en ce qu’elle offre aux individus la possibilité de « travailler sur eux-mêmes » (Marquis 2014 – cette tentative de circonscription du champ prévaudra dans cet article). Je devais être au lycée lorsque je l’ai découverte la première fois, mon enseignant d’équitation m’ayant conseillé la lecture de son premier ouvrage, Le Tao du Cheval (Kohanov 2003), dans lequel elle relate ses expériences auprès des chevaux et par lequel elle s’est faite connaître dans le monde : c’était une lecture de loisirs, presque oisive.  Quelques années plus tard, diplômée d’un Master au cours duquel j’avais mené des recherches sur l’accueil des migrants en contexte urbain, je participai à des stages de développement personnel assisté par le cheval. Malade d’une anorexie pour laquelle je fus hospitalisée l’année de préparation de l’agrégation, je retrouvais dans ces stages une de mes anciennes monitrices d’équitation et un médecin généraliste, formé par Linda Kohanov à l’approche Eponaquest. Naturellement nous lisions beaucoup de passages de ses livres ; nous vivions également en immersion, trois ou quatre jours durant, dans la « communauté authentique » pensée par Linda Kohanov (2003).

Les propos que je m’apprête à livrer s’appuient donc sur des réflexions construites de façon fort peu académique. Elles procèdent d’un concours de circonstances, voire d’un cumul d’expériences : l’expérience des stages de développement personnel assisté par le cheval selon l’approche Eponaquest (entre 2016 et 2019) ; l’expérience de l’hospitalisation dans une unité spécialisée dans les Troubles du Comportement Alimentaire (TCA, entre 2017 et 2018) ; l’expérience de la recherche sur l’accueil en contexte urbain (entre 2015 et 2017). Le plan de l’article les reprend dans cet ordre antéchronologique, avec un objectif : montrer comment l’initiation à la pensée et aux pratiques auxquelles incite Linda Kohanov a permis de comprendre des phénomènes sans relation avec elles, sinon par leur succession dans le cadre de l’existence d’une seule personne. Ici, il s’agit donc de mettre en avant une notion dont elle se saisit, Kairos, comme herméneutique de quelques-unes des thérapies que j’ai pu expérimenter à l’hôpital, mais aussi des pratiques de recherche et d’urbanisme à l’œuvre dans le domaine de l’accueil des étrangers en contexte urbain.

Né de la logique donnée a posteriori à une suite d’expériences éparses, l’article ne prétend pas livrer une recherche approfondie sur les trois conceptions grecques du temps parmi lesquelles figure Kairos [2], pas plus que sur Kairos lui-même. Heidegger, Thucydide et les exégètes du Nouveau Testament ont travaillé la notion bien avant Kohanov, de façon sans doute très intéressante. Mais plutôt que de collecter de nouvelles informations afin de parler en tant qu’expert de ce sujet précis, il s’agit de partir de celles acquises au contact de Linda Kohanov et de s’exprimer en tant que lectrice éclairée de ses ouvrages : non à partir d’une expérience de spécialiste en la matière (qui serait un mensonge), mais d’une expérience de rencontre et d’incorporation d’une pensée à la mienne, qui se trouve fortement marquée par la logique et les modes d’expression académiques, notamment en sciences sociales.

Le temps de la convergence : les sciences sociales et le développement personnel se regardent.

Linda Kohanov n’est pas un chercheur. La lecture de ses ouvrages oblige alors à un décentrement des normes d’écriture prévalant dans les restitutions de recherches universitaires : hypothèses, état de l’art, résultats, discussion. Le chapitre Kairos de son ouvrage Way of The Horse. Equine Archetypes for Self-Discovery propose une entrée « clés en main » dans Kairos : autrement dit, il s’agit, à partir des quelques mots d’introduction reproduits en chapeau de cet article, de donner au lecteur les moyens de s’approprier la notion, afin qu’il puisse l’utiliser comme un vecteur d’améliorations concrètes de son existence. Linda Kohanov permet bien de poser les premiers jalons d’une approche pragmatique, voire praxéologique de Kairos : de ce constat découle l’intention de comprendre quelles peuvent être les pratiques relevant de Kairos et les raisons pour lesquelles ces pratiques seraient meilleures que d’autres, relevant, dans le discours de Kohanov, de Kronos. Il faut pour cela commencer par analyser le chapitre dans son contexte d’édition. D’une part, le succès des ouvrages et des pratiques de développement personnel, dont les livres, les stages et les formations de l’approche Eponaquest font partie, d’après la définition que Nicolas Marquis donne du champ (voir supra) ; d’autre part, une critique généralisée et transdisciplinaire des modes d’être au temps des sociétés occidentales développées, à travers les multiples pathologies qu’ils contribueraient à développer (Winz 2019).

Ces éléments de contexte n’ont pas seulement favorisé l’émergence des auteurs du développement personnel. Pensons par exemple au philosophe et sociologue Hartmut Rosa, qui fait partie, dans le sillage de Paul Virilio et sa dromologie, des penseurs du rôle de la vitesse dans les sociétés contemporaines. Virilio dénonçait l’anéantissement du voyage par la réduction du temps passé dans les transports et le développement des télécommunications ; Rosa, quant à lui, constate dès 2005 « l’accélération » (Rosa 2013) continue de toutes les réalités sociales, matérielles ou immatérielles, enjoignant les individus à enchaîner et multiplier les activités, alors que leur capacité de charge reste limitée. Le stress et le sentiment d’impuissance face à un temps non maîtrisé seraient les « pathologies » qui en découlent. En 2018, Hartmut Rosa publie Résonance (Rosa 2018a) : traduit dans la plupart des langues européennes, l’ouvrage lui vaut d’être invité à plusieurs cycles de conférences académiques et extra-académiques. Particulièrement dans ces dernières, proches des préoccupations du développement personnel, l’auteur argumente en faveur d’une alternative aux mouvements slow permettant de dépasser l’aporie temporelle : la résonance, mode de relation dialogique et sensible entre l’individu et le monde, que Rosa propose, dans une publication contemporaine, comme Remède à l’accélération (Rosa 2018b).

La théorie du sociologue s’éloigne des maximes du développement personnel [3], mais sa genèse et la leur procèdent de causes semblables. D’abord, le constat d’un dysfonctionnement structurel à plusieurs échelles : Hartmut Rosa le résume dans la désynchronisation de l’individu et du monde, dont les composantes évoluent à un temps que le premier ne peut suivre qu’à condition d’en souffrir. De la même façon, l’intérêt pour le développement personnel peut dériver d’une indignation face à des phénomènes identifiés comme des conséquences de l’accélération et de l’intensification de processus globaux (capitalisme, mondialisation, occidentalisation, taylorisation, mécanisation, artificialisation…), ou bien d’un sentiment d’incompatibilité vis-à-vis de son environnement. L’école de Francfort est elle-même née de l’idée que la philosophie devait servir à la critique et à la transformation de l’ordre capitaliste établi : le développement personnel ne fait qu’étendre la pratique intellectuelle aux pratiques physiques et sociales, entre autres, de l’individu. Enfin, comme les auteurs relevant de la littérature du développement personnel, le sociologue fournit une théorie permettant d’expliciter l’ensemble des causes et des conséquences du problème, de façon à pouvoir proposer une solution.

Pour traiter la question des écarts entre les différents temps, Rosa adopte donc un régime de progression logique consistant en une démarche de résolution d’un problème ciblé à l’aide des outils des sciences humaines et sociales. Ce faisant, il apporte une légitimité aux auteurs qui, situés hors du champ scientifique, tentent de pratiquer cette démarche sur ce même objet. Autrement dit, le sociologue donne aux préoccupations qu’il partage avec le développement personnel les lettres de noblesse qui lui manquent, tout en incitant les sciences sociales à s’intéresser aux problématiques que ce domaine signale. Rosa porte ainsi au jour le poids de la perception d’un fossé grandissant entre temps externes et temps internes à l’individu, que Kairos représente dans la littérature du développement personnel. Celle-ci abreuve des sociétés d’individus dont le « souci de soi » (Foucault 1984) – comme expression d’une « fatigue » (Ehrenberg 1998) – se traduit par un recours de plus en plus fréquent à des lectures, voire à des pratiques ou à des thérapies telles que celles proposées par Linda Kohanov. Le succès de Hartmut Rosa auprès du grand public – et ses traductions, publications régulières, interviews, conférences en Europe – n’est donc pas étranger à celui de la littérature du développement personnel intéressée par la question du temps. La limite apparaît à vrai dire de plus en plus brouillée entre ce large champ et celui des sciences sociales.

Un professeur des universités avait fait à des élèves de Master 2, dont j’étais, une présentation acerbe de Hartmut Rosa (« pour moi, il n’a rien compris [à l’accélération] ») et de Paul Virilio (« pour moi, c’est quelqu’un qui croit un tout petit peu au Père Noël »), au terme de laquelle il qualifiait l’ouvrage La France à vingt minutes (Benoît et al. 2002) [4] et le mouvement slow food de « mêmes bêtises » [5]. Les universitaires que j’ai pu côtoyer, chercheurs en sciences sociales de surcroît, comme Rosa, apprécient peu ce dernier, qu’ils assimilent plutôt à un auteur de développement personnel, en attribuant à cette fonction un sens péjoratif. L’intérêt n’est pas de trancher sur cette question d’opinion, mais plutôt, à ce stade, d’évaluer les apports d’une étude de Linda Kohanov à un adepte de lectures académiques (Virilio, Rosa, l’école de Francfort). À leur différence, Linda Kohanov se saisit des termes Kairos et Kronos : il faut donc commencer par comprendre leur usage.

Chevaux, développement personnel et archéologie du temps : comment Linda Kohanov fait résonner Kairos.

L’entrée dans la notion de Kairos par l’interprétation que Linda Kohanov en fait, plutôt confidentielle au-delà du cercle des professionnels et des initiés à l’approche Eponaquest, présente un triple intérêt. Le premier réside dans l’hétéronomie de la définition choisie par l’auteure. À l’origine, Kairos est en effet représenté sous la forme d’un petit homme coiffé d’une touffe de cheveux, à attraper tant qu’il est temps. Les représentations picturale et littéraire, dans Way of the Horse, de Kairos, ne dérogent pas au mythe, qu’elles ne font qu’inscrire dans un cadre susceptible de correspondre à des sensibilités esthétiques et affectives plus contemporaines. En l’intégrant à son propre système de valeurs, Linda Kohanov opère simplement deux changements : l’un, de l’ordre de la conversion, du mythe vers l’« archétype équin », d’abord qu’enclenche sa remarque comme quoi « [Kairos aurait été] parfois nommé temps du cheval » (Kohanov 2007, p. 134, ma traduction). L’autre, de l’ordre de l’invention, consiste à introduire une forme de hiérarchie entre les trois modes d’être-au-temps grecs. Le contraste entre la place importante consacrée à Kairos et les quelques mots donnés à Kronos, les deux temps décrits et opposés chez Kohanov, retient particulièrement l’attention.

Kronos, temps apparemment dominant des sociétés contemporaines, se voit donc remis en cause par Linda Kohanov dans son rôle social même. Le deuxième atout de Linda Kohanov est de ne pas être la seule à tenir cette position. Il est intéressant de remarquer que l’auteure ne semble pas s’inscrire dans le courant du développement personnel en tant qu’ensemble de pratiques éditoriales et sociales, en ce que les codes de langage employés pour remettre en cause les mécanismes fondamentaux des sociétés (Marquis 2014) en sont absents : ainsi, elle ne dénonce aucunement une mise au pas chronologique des sociétés, citant à peine Kronos. En revanche, qu’elle contribue à un questionnement général des modes de vie relayé par plusieurs médias, se réclamant notamment du marketing, se vérifie aisément. Kairos, quand des auteurs n’incitent pas à en faire « le maître, et Kronos le serviteur » (Outils du manager 2017), est ainsi mobilisé comme un outil pour optimiser ses théories et stratégies managériales – mais aussi pour « Vivre en rythme » (Charbonnel 2012) et, précisément, « se reconnecter à ses rythmes internes » (Proulx 2015, p. 9).

L’ubiquité de Kairos supposée, il conviendrait d’analyser sa résonance, ou plutôt sa validation sociale, ne serait-ce que parmi les destinataires privilégiés des théories qui l’invoquent. Or, Kohanov signe, avec Way of the Horse, son ouvrage le plus facile d’accès. Auteure d’ouvrages relativement volumineux, il s’agit là de celui qui, lors des stages ou des formations menés selon l’approche Eponaquest, est de loin le plus utilisé, à des fins pratiques notamment. Dans les exercices individuels et collectifs, le tirage de cartes est proposé ; Kairos est ainsi susceptible, parmi les quarante cartes du jeu, d’infuser dans la communauté formée pendant la période de formation. Voilà donc la troisième raison de s’intéresser au Kairos kohanovien : il dispose, pour ainsi dire, d’une société d’accueil. Elle même accueille, parmi les chevaux et les animateurs de la formation, des personnes aux histoires individuelles particulières. Certaines disent notamment souffrir de burn-out, ou bien de dépression, ou bien d’anorexie. Le public se trouve ainsi, aiguillonné par sa sensibilité équine, bien disposé à la réception et à la mise en pratique de Kairos. Car à la recherche d’un alignement de sa vie sur d’autres temporalités, dans le temps du stage au moins, à moins que ce ne soit, comme le propose le titre d’une des formations françaises Eponaquest, d’une totale « transition de vie ». Si le stage se déroule dans le ranch ouest-américain de Linda Kohanov, son propre cheval Kairos accompagnera peut-être le participant.

Quelques acteurs (auteurs, praticiens cherchant à améliorer la vie des individus) de la réflexion autour de la dimension temporelle de l’existence formalisent donc leur pensée à l’aide des notions Kronos et Kairos : c’est le cas de Kohanov, qui par là donne à Kairos ses lettres de noblesse face à un Kronos envahissant dans les sociétés occidentales, qu’elle veut ainsi éclairer. Les rôles sociaux respectifs des actants Kronos et Kairos sortent donc bouleversés de ce coup de force symbolique. D’autres acteurs alimentent cette binarisation des temps en cherchant à donner du contenu à ces deux signifiants. Prélevons par exemple la définition de Kairos, supposant qu’il s’agisse de l’ensemble des temps internes (aux actants) ; cela supposerait qu’il existe, par opposition, des temps externes, pouvant être rassemblés sous le nom de Kronos. À externes, on peut ajouter d’autres qualificatifs : le coach Rémi Renouleau propose, lui, physique, pour le différencier du métaphysique Kairos (Renouleau s. d.). Kohanov donnait, elle, des compléments : « temps des horloges… » (Kohanov 2007, p. 134, ma traduction). Elle m’inspire, à moi, l’épithète métrisé : Kronos, c’est peut-être simplement le temps pour lequel on a trouvé des instruments de mesure – et de partage dans une forme politiquement admise. Par contraste, Kairos est le temps qui échappe à la mesure. Kairos et Kronos viennent ainsi désigner deux ensembles d’idées antinomiques en constant procès. Pour vérifier cette hypothèse, on peut observer des lieux de réflexion – et de mise en œuvre de ces réflexions – autour des « bonnes » temporalités de vie de l’individu. Les hôpitaux et les cliniques psychiatriques constituent à ce titre d’excellents terrains.

Kairos, Kronos : une polémosociologie médicale.

Le 26 avril dernier, le diététicien-nutritionniste Nicolas Sahuc, spécialiste des troubles du comportement alimentaire, travaillant particulièrement à Montpellier, publie sur les réseaux sociaux deux extraits de messages privés qui lui furent envoyés par une personne se présentant comme ambassadrice d’une start-up proposant des repas « healthy, minceur et sportifs ». Il se lance alors, relayé par ses amis ou followers, dans un lynchage public de l’émettrice, soulignant qu’elle n’est pas une professionnelle et met la vie des personnes qui l’écoutent ou la lisent en danger sans le savoir, prône des pratiques insensées et devrait, elle-même, se préoccuper de sa santé mentale et de son rapport à l’alimentation, la soupçonnant empêtrée dans les affres de la chrononutrition et de ses terribles déviances (Le Guen 2017).

Depuis près d’un an, Sahuc a fait de la lutte contre les fake diet sa principale activité médiatique : tantôt dénonce-t-il les prétendus praticiens ou les régimes mensongers circulant sur le web, tantôt tente-t-il de mettre fin à des idées reçues sur la nutrition. Dans une récente publication, il démontre qu’aucun aliment ne fait grossir, quel que soit le temps de prise. Prenez un mille-feuille à la fin du repas : tout sera mélangé, et l’estomac ne distinguera pas le profil nutritionnel de tel ou tel aliment. Prenez-le isolément, parce que c’est le moment, et il ne surpassera sans doute pas les besoins quotidiens. Écoutez-vous donc, et vous ne grossirez pas : telle est la parole rassurante du diététicien, qui fait aussi le fonds de commerce d’une application telle que Feeleat, développée à destination de personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire. 

Sur ses différents médias, l’application fait sa publicité par quelques infographies illustratives de situations-types, opposant deux images de deux groupes d’aliments, ainsi titrées : « certains jours, j’ai envie de… », « d’autres jours, j’ai envie de… ». Il s’agit bien pour les adeptes de l’application de se reconnecter à leurs sensations « internes » et à saisir les envies quand elles passent, telles des opportunités kairétiques, des moments opportuns, des manifestations du Kairos. L’application s’impose stratégiquement face à la bien connue Yuka, qui depuis 2017 permet d’évaluer la qualité nutritionnelle [6] de tout produit dès lors qu’on le scanne, et lui assigne, selon une sémiologie graphique très signifiante, une bonne ou une mauvaise note. L’application raisonne ensuite l’usager, sur la base d’une période déterminée par lui, pour lui montrer, sous forme de camembert, le pourcentage de produits classés « vert », « rouge » ou « orange » consommés au cours de la période choisie. Comme en témoigne le développement d’un guide Yuka des bonnes pratiques culinaires et alimentaires, cette application s’érige en maître moral, quitte à défendre le jeûne dans un billet de blog, en fonction d’un décompte horaire précis. Kairos, Feeleat, et Kronos, Yuka, se feraient donc la guerre, en tentant de déterminer les bonnes pratiques alimentaires des individus, sous le contrôle de leurs diététiciens-nutritionnistes respectifs.

Les professionnels de la santé prennent l’affaire très au sérieux. Les hôpitaux et les cliniques prenant en charge les troubles du comportement alimentaire invitent leurs patients (des jeunes filles, pour la plupart) à trouver ou à retrouver le sens de ce qui est présent – autrement dit, la capacité à saisir, en particulier, l’opportunité de manger au moment où on a faim. J’ai moi-même participé à un groupe de méditation de pleine conscience, expérimenté par une interne en psychiatrie à la clinique où j’étais hospitalisée, et où l’expression « être au présent » a été plusieurs fois répétée. Toutes les deux semaines, de façon presque complémentaire, l’animatrice d’un « atelier philo », ancienne infirmière, nous donnait des lectures dont la plupart, issues des ouvrages récents du psychiatre Christophe André, connu pour ses interventions dans les médias de grande écoute en faveur de la méditation, incitaient à s’installer dans le rythme de son propre corps. Je peux encore citer l’atelier hebdomadaire de remédiation cognitive de l’hôpital Lapeyronie de Montpellier, auquel se présentent patients anorexiques pris en charge dans l’une des unités ou des cliniques rattachées à l’hôpital. À la différence des deux ateliers évoqués précédemment, celui-ci est obligatoire pour les personnes qui y sont inscrites par l’équipe médicale. Elles répondent à des critères psychologiques, mais aussi physiques : qu’elles aient franchi le seuil de l’IMC (Indice de Masse Corporelle) 16 est nécessaire [7]. D’après un diagnostic réalisé en amont, elles souffriraient de troubles du comportement alimentaire associés à des troubles de la personnalité relevant d’un perfectionnisme lourd, suscitant chez elles des impulsions maniaques par exemple. Dans le cadre de l’alimentation, cela se manifeste surtout par des obsessions de manger ou de ne pas manger à des heures particulières et à une vitesse particulière – très lentement, le plus souvent. Ces patients sont pour ainsi dire des addicts à Kronos, suivant un temps réglé qui est chaque jour le même, sans possibilité aucune de s’en écarter au risque de se détester – ils pratiquent un absolutisme temporel. De ce fait, cet atelier vise à réparer les connexions brisées entre l’action et ce que les médecins nomment le bon sens, afin de retrouver une certaine flexibilité, ce qui revient, en somme, à instaurer chez les patientes une kairologie. L’existence des trois ateliers dans un même parcours de soin manifeste, d’une part, l’importance de la question du temps, kairétique ou chronologique, dans les troubles du comportement alimentaires de type anorexiques et dans leur prise en charge psychiatrique et psychologique. D’autre part, elle traduit l’importation des apports conceptuels et pratiques du développement personnel par les professionnels de la santé mentale dans leurs activités.

Une thérapie qui m’a été proposée me fait toutefois douter de ma dernière affirmation. La Stimulation Magnétique Transcrânienne (SMT) a la particularité d’être une thérapie par la pulsation. Elle est proposée dans le cadre du traitement de plusieurs maladies. Le centre de la dépression, dans le 7e arrondissement de Paris, l’utilise ; et l’association qui le pilote est aussi maîtresse d’un autre centre, dans le 6e arrondissement voisin, celui de SOS-Anor, spécialisé dans les troubles du comportement alimentaire. Deux strates, voire deux régimes de temps doivent être distingués ici : la fréquence des séances, d’une part, définie avec le patient en fonction de ses disponibilités et de ses ressources (même si ces séances sont prises en charge par la Sécurité sociale) et, au cœur de la séance, la fréquence des impulsions données par la machine sur le crâne du patient. Cette fréquence des impulsions, comme leur intensité, peuvent varier au cours de séances qui durent de 12 à 20 minutes selon le protocole, mais aussi en fonction des jours : le soignant adapte ces deux paramètres selon la sensibilité du corps du patient aux stimulations magnétiques ponctuelles préalablement émises. La thérapie s’appuie sur le temps chronologique : secondes, minutes. Lorsqu’elle se destine aux personnes atteintes d’anorexie, la SMT vise à calmer l’hyperactivité neuronale, aussi chronophage que chronogène, d’un cerveau [8] encrassé d’idées compulsives, d’idées marquées par les pensées du « je dois manger ou je ne dois pas manger cela à telle heure » – un cerveau malade de Kronos. Si l’anorexie fonctionne à la façon d’un cercle vicieux, la SMT promet donc de lever les blocages – neurologiques – empêchant que le régime de croisière du corps, kairétique, reprenne ses droits. Il est donc paradoxal qu’une telle fin ait pour moyen l’usage du temps chronologique.

C’est dire que dans ce même milieu médical, et parfois au même stade du soin, Kronos résiste encore. Dans l’unité des troubles du comportement alimentaire on scrute attentivement l’horloge. Les patients de l’unité prennent leurs trois à six repas à heures très précises, sonnées par une cloche. C’est l’installation dans une chronologie rigoureuse qui s’instaure donc, au bout du compte, pour l’anorexique en rémission. Et cela se comprend tout à fait aisément : le maintien de Kronos correspond au souci de conserver du commun, et a fortiori du temps commun – à la clinique, il est midi pour tout le monde au même moment. L’isolement social est fréquent chez les anorexiques : il est donc tout à fait logique, pour les soignants, de vouloir ré-acclimater les individus aux partitions collectives et consensuelles du temps. Pourtant, au sortir de l’hôpital, ces personnes rencontrent un monde en pleine fabrication d’une idéologie fortement articulée contre Kronos, à travers, on l’a vu, les théories managériales ou les manuels de développement personnel qui font aujourd’hui florès dans les librairies. Comment s’y préparer, sinon en acquérant, des temporalités de l’individu et de la société, sa propre capacité critique et de figuration ?

Au cours de ce parcours, j’ai souhaité suivre la montée en sophistication de l’opposition entre « temps internes » et « temps externes », expression d’une pensée binaire se donnant à vrai dire pour principaux objets la différenciation entre le temps « naturel », sans notion chronologique ou métrique, et le temps de « la société », imposant en retour ces notions. Leur dénomination par les termes grecs Kairos et Kronos fait prendre à ce rebond réflexif collectif un tournant particulier, en ajoutant des acteurs dans le champ de la détermination du « bon » mode de vie. Le premier aspect de ce tournant est alors de l’ordre de la singularisation, voire de la dissidence de ce nouveau type d’acteurs face aux professionnels de santé. Que leurs réflexions et leurs œuvres trouvent un grand écho auprès d’individus lourds de questions quant à leurs temporalités personnelles et en recherche d’une bienséance temporelle [9] donne lieu à des situations que nous serions en mesure de qualifier, si nous les observions, de faits sociaux totaux. Le tournant pris, une veille stratégique attentive aux acteurs des courants du développement personnel et à la « société du développement personnel » (Marquis 2014) à laquelle ils participent me semble bien indiquée, y compris dans une perspective critique : après tout, l’éviction de Kronos par un Kairos caracolant questionne le devenir des communs, dont le premier, les temps sociaux – les calendriers, les horloges, les livres d’histoire – permet en partie l’organisation.

Ouvertures.

Plus soucieuses que jamais des individus (« l’individu est plus grand que le Monde » [10] !), mais restées sociales, les sciences sociales me semblent situées au cœur de la contradiction que résument les termes grecs Kairos et Kronos. D’une part, le temps des opportunités, propres à chaque individu, à chaque corps, qui peut être, dans une certaine acception, le temps du temps pour soi. D’autre part, le temps compté, à travers lequel se perçoit le changement, qu’il est plus agréable de maîtriser : c’est pourquoi de nombreux dispositifs permettent de le représenter, d’une façon commune à un ensemble d’individus partageant une même temporalité (un fuseau horaire, une religion, ou une histoire). Ces dispositifs sont précisément les outils qui permettent aux individus de se réunir à une heure convenue, de définir des horaires de travail et des heures de repos pendant lesquelles la capacité de l’individu à interagir avec les autres se recharge [11]. Kronos permet au social d’advenir. Des individus en souffrent pourtant, les injonctions à être dans le temps social étant de plus en plus difficiles à respecter : c’est ce qu’affirme Rosa. Les chercheurs et enseignants-chercheurs en sciences sociales, fatigués et critiques vis-à-vis des temporalités institutionnelles de la recherche (nombre d’heures d’enseignement et/ou d’administration ; rythme effréné des publications dans le cadre de la bibliométrie), semblent valider son raisonnement : il est de plus en plus difficile pour tous les individus de vivre au temps du social tel qu’il va.

 Entrée à l’université en troisième année de Licence, j’ai eu la chance, ou le contraire, qu’un professeur me partage sa perception des dysfonctionnements du laboratoire, ses rapports tendus à la recherche telle qu’elle s’y pratiquait et son pessimisme quant à sa probable évolution. Il n’est peut-être pas anodin qu’ensuite, dans mes propres recherches, je me sois particulièrement intéressée aux chercheurs et à leurs pratiques (Le Guen 2018). Ma sensibilité aux interactions entre vie intérieure et vie publique des chercheurs s’est accrue après ma maladie – comme mon empathie vis-à-vis des difficultés qu’ils peuvent évoquer. Des chercheurs, jeunes et expérimentés, réclament ainsi de l’espace, écrit, oral, pour discuter de leur réflexivité, de leur individualité, de leurs failles, pour donner une présentation de leur cadence épistémique structurée d’après des événements ordinairement passés sous silence, et ainsi les accueillir, comme des constituants légitimes de leurs personnes. Cette année 2019-2020, le séminaire « Géographes en déroute » se tient à l’École Normale Supérieure : prolongeant le temps prévu de plus d’une heure, la première séance fut, pour nombre d’entre les participants, un exutoire des épreuves traversées ou des complications de l’acte de chercher. Que le paradigme de « l’accueillance » [12] (Le Guen 2018) soit à la mode en sciences sociales – au point que l’on puisse imaginer la naissance de kairologies et autres frises kairosystémiques adaptées à ces préoccupations réflexives et critiques, on peut l’expliquer en partie par l’introduction, en France, des théories et des pratiques anglophones du care et du self-care, au croisement du développement personnel et des courants critiques des sciences sociales, eux-mêmes d’origine anglophone. Le chercheur en sciences sociales aujourd’hui semble plus à l’écoute de son temps personnel (Kairos) que du temps social (Kronos) qui lui est imposé – ou, du moins, soucieux de souligner les contradictions entre ces deux temps, à l’origine de souffrances de degrés multiples.

Observatrice des géographes partisans du développement des courants critiques, j’ai eu une attention particulière pour les spécialistes des migrations, des migrants et de leur accueil. La tribune co-écrite et signée par des géographes grenoblois quelques mois après la mort de Matthieu Giroud se terminait sur l’affirmation que « ses travaux […] nous invitent à créer des espaces urbains hospitaliers, lieux d’expression de nos créativités individuelles et collectives et d’expérimentation de citoyennetés réelles » (Mekdjian et al. 2016). Les auteurs appellent, en somme, à l’aménagement d’espaces urbains dégagés du temps technocratique : celui de la « caméra de surveillance », régulatrice des présences dans l’espace public, mais aussi, dans le temps long, des processus de marchandisation et de gentrification de la ville auxquels participent les institutions. La tribune envisage ainsi la possibilité de créer du commun – ici, des espaces communs – à partir d’un autre temps que celui des institutions. À partir de « créativités individuelles et collectives » plurielles, d’un assortiment de plusieurs Kairos, donc, naîtrait un espace urbain – l’espace même du social ! Il est bien paradoxal qu’il puisse venir au jour dans l’opposition à une tentative, celle des acteurs politiques de la ville, d’instaurer un temps social, normalisant, chronologique.

Il faut donc à ce titre dire un mot de cette « ville accueillante » (Hanappe et al. 2018), conçue après mon Master par un groupe interdisciplinaire notamment pour accueillir les flux migratoires. Elle ne peut être, en théorie, que kairologique : une ville accueillante de toutes les temporalités individuelles, à n’importe quelle heure, à n’importe quel rythme, quelle que soit la longueur du séjour envisagé. Voilà ce que serait la cohérence parfaite entre l’urbanisme et la prise au sérieux – au-delà, donc, du « chrono-urbanisme » (Gwiazdzinski 2014) – de cette nouvelle mise au pas conceptuelle de l’individu : un kairo-urbanisme ? Une action paradoxale devrait dans ce cas se faire jour : autoriser toutes les temporalités de l’individu dans un espace de co-construction de l’habitation humaine, in vivo et en abyme. Mais plus qu’un conflit cognitif, il me semble que les concepteurs de cette « ville » et, avec eux, les spécialistes, chercheurs ou acteurs opérationnels de l’accueil des migrants en contexte urbain ont à résoudre une contradiction à mon avis fondamentale dans les courants critiques des sciences sociales. Elles s’avèrent en effet sensibles à une rhétorique de l’urgence, invoquant la dignité et les droits humains des plus lésés, pour émettre des propositions proches du chrono-urbanisme, qui ont présidé à la construction, entre 2016 et 2017, de trois centres d’accueil temporaires, dont le processus d’aménagement a pu être critiqué par les riverains (Le Guen 2017b). Malgré cette prédilection pour les groupes d’individus qu’elles jugent devoir aider, elles se montrent préoccupées par le vivre-ensemble, en tant que produit de la prise en compte respectueuse de tous les individus, d’une part, et en tant que résultat du bien-être individuel, d’autre part. C’est bien de lui que les chercheurs se préoccupent lors de leurs diverses entreprises réflexives, mettant l’individu en exergue, pratique individualiste même, proche de la société dite du « développement personnel ». Kronos symbolise le souci des courants critiques des sciences sociales de donner aux groupes sociaux sans reconnaissance institutionnelle, un espace-temps à eux ; Kairos, leur désir de réfléchir non plus à l’échelle des groupes, mais des individualités, gage du vivre-ensemble, qui découle de la capacité individuelle à vivre avec soi.

Ce détour par le milieu de la recherche me permet, en fin de compte, d’éclairer ma compréhension de la lutte pour le pouvoir que Kairos et Kronos se livrent. Pour cela il faut admettre qu’il se joue, entre eux, plus qu’un conflit d’échelle entre l’individu et le collectif ; il convient encore de refuser, ce qui n’est pas évident, la dichotomie manichéenne entre un Kairos libérateur et un Kronos dictateur. Le sens de Kairos se révèle aussi fin que difficile à saisir, sans doute parce qu’il est tout autant difficile, à travers la lecture des auteurs de développement personnel qui l’emploient et le critiquent peu, de ne pas l’utiliser comme fourre-tout de toutes les vertus du monde. On pourrait dire que la « limite » de Kairos réside dans son caractère transitoire, changeant, et à chaque fois singulier ; mais le fait qu’il ne dure pas peut être aussi vu comme un avantage, par les partisans de l’urbanisme temporaire, par exemple. Je ne trouve pas de faille à Kairos – dois-je en conclure que le terme désigne, pour moi, peut-être pour d’autres, le paradigme qui m’enferme, les limites, les principes irréductibles de ma pensée – New Âgiste ? Il est possible que l’hybridation des sciences sociales et du développement personnel altère les capacités d’analyse par les premières du deuxième – à moins qu’elle ne finisse par questionner leur pertinence.

Abstract

The actors, tools, discourses, practices related to the field of self-development have thrived since the early twenties in the United States and in Europe, as a response to societies’ will to live better lives. Time, especially as far as the many possible temporalities are concerned, is one of the main themes of self-development. Thus, Kairos and Kronos materialize the idea that contemporary Western societies live in relation to two temporal regimes – one being chronological, and the other kairetical. The research itinerary, which essentially enhances the multifaceted stakes of the temporal dimension of the tackled phenomena through these concepts, leads to questioning the role of self-development in the development of the social sciences themselves.

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Notes

[1] Une version française de l’ouvrage est parue en 2016.

[2] Kronos, Kairos et Aion sont les trois mots grecs pour dire une même réalité : le temps. Ils en expriment cependant des fonctions et des dimensions différentes. Kronos (ou Chronos), d’après la divinité du même nom, désigne le temps mesurable, fractionnable, appréciable du point de vue des humains au présent. L’adjectif chronologique en dérive. Kairos, comme le définit plus haut Linda Kohanov, est communément traduit par « instant opportun » : hautement irrégulière, cette dimension du temps insiste sur la capacité humaine à saisir le « bon moment » pour agir, en dehors de toute obligation liée au partage chronologique du temps. Aion, qu’incarne dans la mythologie le dieu Eon, est décrit par l’helléniste Marcel Detienne comme « la force de vie » (Detienne 2007, p. 58) : on peut le définir autrement, en continuité avec Gilles Deleuze qui l’opposait à Kronos (Deleuze 1969), comme un temps extra-sociétal en ce qu’il se déploie en dehors de toutes les actions et représentations humaines. Cet article s’intéressant principalement à celles-ci, il s’agira ici de la dernière mention d’Aion.

[3] Les humains pourraient en effet trouver dans la résonance une voie de sortie du temps emballé du « monde » du sociologue, qui désigne l’ensemble des systèmes politiques, productifs, sociaux, et biophysiques (car l’auteur accorde une certaine importance à la relation à la « nature ») dont l’individu est un élément autonome. En choisissant d’entrer en résonance avec lui, il s’offre la possibilité, en s’y confrontant, de prendre conscience de sa propre temporalité – celle-là même qui se fait jour dans l’expérience et l’observation attentive de l’écart entre les différents temps du monde et le sien. Dans un entretien à Philosophie Magazine, Rosa évoque une expérience proche des exercices relevant de la pratique de la mindfulness : pleine conscience, à l’ensemble des (divers) temps présents, et reconnaissance de l’existence de sa propre temporalité dans le réel. Sa proposition est bel et bien différente de celles relevant du développement personnel, en ce qu’elles convoquent souvent les principes de ralentissement et de déconnexion.

[4] Les auteurs de l’ouvrage y définissent, pour toute la France, les durées de déplacement acceptables pour atteindre différents services. Selon sa nature, la durée acceptable pour l’individu peut varier de vingt à soixante minutes.

[5] Ces citations sont issues de notes de cours. Si elles s’attachaient à transcrire précisément le discours du locuteur, je suis l’auteure des transformations éventuelles qu’il a pu subir dans le processus de prise de notes.

[6] Les critères d’appréciation de la qualité des aliments sont disponibles à cette adresse.

[7] Les structures prenant en charge les troubles du comportement alimentaire et particulièrement l’anorexie proposent, pour la plupart, des parcours aménagés en fonction, entre autres critères, de l’IMC des patients. L’atteinte d’un IMC entre 14 et 16 constitue la condition sine qua non d’une prise en charge à composante psychothérapeutique : ainsi, les protocoles de soin décrits et analysés ci-après ne concernent pas les patients aux IMC inférieurs à ce seuil, soumis presque exclusivement à des protocoles de renutrition. Puisque l’intensité des différents symptômes varie selon les malades sans pour autant définir des degrés dans la gravité de la maladie, cette remarque ne vaut en aucun cas relativisation ou négation des souffrances de certains cas par rapport à d’autres.

[8] La présentation faite par l’équipe de SOS-Anor utilise cette phrase : « le cerveau freine plus qu’il n’accélère ».

[9] Littéralement : être bien assis dans le temps, dans ses dimensions chronologique et kairétique. La bienséance temporelle permettrait ainsi de vivre avec le temps des sociétés, c’est-à-dire le temps (en) commun, et avec sa propre temporalité.

[10] Cette phrase est tirée du discours prononcé par Jacques Lévy à sa réception du prix Vautrin-Lud, en octobre 2018. Sa transcription est disponible en intégralité à cette adresse.

[11] Sur l’importance du sommeil, temps de « blancheur » régulier, on pourra lire David Le Breton (2015).

[12] « Accueillance » se propose ici de désigner la situation rencontrée lorsque les dispositions favorables à l’accueil d’un ou de plusieurs représentants de l’altérité sont réunies pour un individu ou pour un groupe. L’expression paradigme de l’accueillance fait l’hypothèse que l’ouverture à l’altérité semble devenir une injonction et, au-delà, que cette injonction prend forme dans des règles, des déontologies, des méthodes suivies, dans les sciences sociales en tout cas.

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