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Géohistoire.

Alain Reynaud, Une géohistoire. La Chine des Printemps et des Automnes, 2000

Image1La venue d’Alain Reynaud à l’Institut de Géographie de Paris a permis à quelques-uns et à quelques-unes de (re)prendre contact avec un ouvrage qui constitue une référence en géohistoire : paru en 1992, La Chine des Printemps et des Automnes montre clairement l’intérêt de croiser deux disciplines et propose une méthode de travail novatrice, reprenant en quelques dizaines de pages les résultats d’un lourd travail en trois volumes, publié en 1985 [1].

[2], si l’on veut vraiment rompre avec une conception de l’espace qui n’aurait plus rien à devoir à la géomorphologie, mais qui assumerait entièrement sa nature d’espace sociétal ? L’espace extrait par Reynaud de cette chronique ardue pourrait être remodelé selon d’autres fondements. La cartographie mériterait d’être anamorphosée et non pas seulement modélisée, évoquant ici les premiers modèles l’École de Chicago. Le traitement de l’espace comme un personnage, à l’occasion de l’étude de cas du dernier chapitre, est audacieuse et permet un discours qui met en valeur des logiques directes entre les espaces, mais peut-on se contenter de dire que « le Zheng pense que… » sans amorcer préalablement une solide réflexion pour justifier ce traitement par le personnel ? La considération d’un espace acteur est extrêmement séduisante, mais un espace dont les logiques s’expliqueraient en faisant appel à des mécanismes psychologiques (la double contrainte, étudiée par Gregory Bateson [3], p 179) perd de sa profondeur si l’on s’y arrête, même si cette technique est intéressante pour mettre en valeur les interactions simples entre principautés. La multiplicité de logiques superposées mériterait d’être étudiée à travers plusieurs modèles sur un même espace.

Dès l’introduction, quelques phrases pourtant bien senties sur la recherche montrent une pensée forte parce que simple, mais qui refuse la complexité : la recherche scientifique, armée de ce cadre de pensée qui est « la problématique, la théorie », procède selon Reynaud par une « imprégnation progressive » du corpus documentaire (p. 9). « L’imprégnation » évoquée ne masque pas cette évocation d’une dichotomie entre du matériau, connaissances à travailler d’un côté, avec l’aide d’une structure qui serait une problématique, de l’autre. « La géographie historique consiste à traiter des thèmes géographiques dans un compartiment du passé » (p. 12) : c’est dans cette juxtaposition de deux domaines préexistants que l’on trouve les limites de la réflexion de Reynaud. On observe à d’autres reprises cette séparation entre deux domaines : la problématique et le matériau, l’approche historique structurelle et l’approche événementielle (p. 33)– le secret consistant à doser de façon équilibrée les deux corps préexistants. Retrouver les logiques de l’évolution de l’espace revient alors trop souvent à donner au déroulement de l’action une dimension nécessaire, inéluctable : l’évolution du rôle de la « Fleur centrale » par rapport aux grandes principautés extérieures, est décrite a posteriori, sans arguments particuliers, comme une logique inhérente à l’espace même. On y cherche la présence des sociétés. Et l’on voit poindre le vieux débat qui oppose les historiens, hantés par la phobie du déterminisme et les géographes à la recherche de modèles et de vastes logiques. Reynaud pose avec clarté ce problème (p. 201 sq) mais ne propose pas de contours théoriques suffisants pour dépasser ce débat.

La simplicité même de sa méthode a permis à Reynaud de rendre accessible une démarche originale et la rend pédagogique. Mais cette « Géohistoire » n’est encore qu’une juxtaposition d’histoire et de géographie. Il manque la création d’outils conceptuels spécifiques, d’une sphère propre à cette discipline qui en deviendrait autonome, et qui permettrait de faire en sorte que cette « géohistoire » ne reste pas une curiosité marginale, peu connue des étudiants, pas du tout assumée par la plupart des historiens, et considérée comme un projet à part par les géographes.

Lecture fertile donc, stimulante pour la réflexion, évoquant de façon convaincante une étude de cas. Il reste cependant à développer la portée théorique de ce travail, afin de créer solidement une sphère disciplinaire attractive, qui deviendrait incontournable et non plus marginale, avec ses outils propres, ses méthodes adaptées, sa complexité et sa profondeur. Le nouvel espace créé par Reynaud est une fenêtre ouverte. La discipline géohistorique y figure en bourgeon, prête à éclore.

Une très courte présentation de l’ouvrage d’Alain Reynaud sur le site des éditions Belin.

Abstract

La venue d’Alain Reynaud à l’Institut de Géographie de Paris a permis à quelques-uns et à quelques-unes de (re)prendre contact avec un ouvrage qui constitue une référence en géohistoire : paru en 1992, La Chine des Printemps et des Automnes montre clairement l’intérêt de croiser deux disciplines et propose une méthode de travail novatrice, reprenant ...

Bibliography

Notes

[1] Alain Reynaud, Le polycentrisme dans la Chine des Printemps et des Automnes, Reims, Presses de l’Université de Reims, 1985.

[2] Patrick Poncet, L’Australie du tourisme ou la société de conservation, 2003, p 36 : « L’Australie est un petit espace ». Conception qui apparaît dans une cartographie par anamorphose.

[3] (1904-1980) Anthropologue, psychologue et spécialiste de la communication, cybernéticien, de l’École de Palo Alto. Le concept de « double contrainte » est lancé en 1956, il est exposé ensuite dans son ouvrage Steps to an ecology of mind, New York, Valentines’books, 1972.

Authors

Emmanuelle Tricoire

Historienne et géographe, elle est professeure d’Histoire, de Géographie et d’éducation civique dans le Secondaire ; elle a enseigné à Metz, à Marseille et à Paris. Elle fait partie du comité de Rédaction d’EspacesTemps.net.

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