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Serendipity.

Dé-placements.

Image1Image2 La première de ces cartes est une publicité suédoise pour les aliments surgelés Findus, photographiée en août 2001 à Stockholm. La seconde est une publicité pour la compagnie de téléphone mobile SFR visible en septembre 2005 en France. Toutes deux ont été construites sur le même principe : projeter des informations se référant à un espace sur un fond renvoyant à un autre espace. Ce décalage attire le regard et provoque un petit gag visuel. Dans les deux cas, la manipulation est cohérente avec le message de l’annonceur. La translation des toponymes scandinaves vers la Méditerranée suggère que le consommateur des plats cuisinés bénéficie, grâce à la gastronomie Findus, d’un merveilleux voyage au pays de la ratatouille. La transformation que présente la publicité de la SFR porte sur l’échelle : pour le prix habituellement pratiqué sur le territoire français, c’est à toute l’Europe (appelée ici « étranger », à moins que ce ne soit l’inverse) qu’on accède désormais avec son portable.

Dans les deux cas, pour que l’opération fonctionne, il faut qu’il y ait une reconnaissance spontanée, par le passant, des deux couches de connaissances, celle du fond de carte (l’Italie, l’Europe, pays représentés) et celle du thème (les noms de villes), afin que la distorsion s’impose immédiatement au regard. On remarque pourtant que l’interpellation du lecteur n’est pas identique dans les deux cartes.

L’image scandinave offre une sophistication cartographique non négligeable en jouant sur la ressemblance morphologique entre les ensembles Danemark-Suède et Italie-Sicile. Cette sensation est en partie obtenue par la mention du nom de Copenhague (en suédois) à la place de Messine. Cela crée un effet de vérité, comparable à celui d’une comparaison réussie. On se dit que « c’est pourtant vrai » que la Sicile fait face à l’Italie comme le Danemark à la Suède. Grâce à l’affiche, la métaphore cartographique peut alors être poussée un peu plus loin par le lecteur suédois, qui ne sera peut-être pas fâché qu’on l’incite discrètement à se représenter le rival danois sous la forme d’une pauvre petite Sicile. On sait que, en masse démographique, en poids économique et en niveau d’influence, le Danemark et la Suède sont tout à fait comparables et que, dans chacun de ces deux pays circulent sur l’autre des clichés péjoratifs très populaires. La différence de superficie, seul vrai « avantage » de la Suède, se trouve mise en valeur par la position dominée de la Sicile, simple région, mal lotie, d’un pays bien plus grand qu’elle à tous égards.

Rien de tel dans la carte française : la sélection et la localisation des villes sur la carte d’Europe paraissent n’obéir à aucun principe. On n’est plus dans la figure de style mais dans le shuffle. Les cartes sont battues au hasard et c’est sur les rencontres aléatoires que repose le comique attendu. À travers la surface des cercles et la graphie des noms, on a même pris soin de créer une hiérarchie arbitraire entre les tailles des villes françaises, comme pour sursignifier cette dé-géographisation de l’espace. Ce n’est donc pas une Europe devenue aussi petite que la France qu’on nous montre – ce qui aurait eu sa logique puisqu’il est question de diminution des distances tarifaires. On nous expose des morceaux de France éparpillés dans un territoire « étranger » réduit à l’imagerie stéréotypée de la carte scolaire murale.

D’un côté, une métaphore subtile, de l’autre, de la fantaisie plaquée sur de la convention : les langages cartographiques n’ont pas fini de nous montrer leur versatilité et leur malléabilité. On peut (presque) tout dire avec des cartes, et même, éventuellement, n’importe quoi.

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La première de ces cartes est une publicité suédoise pour les aliments surgelés Findus, photographiée en août 2001 à Stockholm. La seconde est une publicité pour la compagnie de téléphone mobile SFR visible en septembre 2005 en France. Toutes deux ont été construites sur le même principe : projeter des informations se référant à un ...

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Jacques Lévy

Professeur de géographie et d’aménagement de l’espace à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, directeur du laboratoire Chôros. Il est aussi professeur à l’Institut d’études politiques de Paris. Il travaille sur la ville et l’urbanité, la géographie politique, l’Europe et la mondialisation, les théories de l’espace des sociétés, l’épistémologie de la géographie et des sciences sociales. Il a notamment publié Géographies du politique (dir.), 1991 ; Le monde : espaces et systèmes, 1992, avec Marie-Françoise Durand et Denis Retaillé ; L’espace légitime, 1994 ; Egogéographies, 1995 ; Le monde pour Cité, 1996 ; Europe : une géographie, 1997 ; Le tournant géographique, 1999 ; Logiques de l’espace, esprit des lieux (dir.), 2000, avec Michel Lussault ; From Geopolitics to Global Politics (ed.), 2001 ; Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés (dir.), 2003, avec Michel Lussault ; Les sens du mouvement (dir.), 2004, avec Sylvain Allemand et François Ascher. Il est le coordinateur des rédactions d’EspacesTemps.

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