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Serendipity.

Agrandir la parole des habitants.

La Duchère, années 2000.

« Chantier interdit au public », Le Plateau, 2005. Photographie de l’auteure.

Immeuble 260, 2005. Photographie de l’auteure.

Les années 2000 inaugurent une nouvelle phase de l’intervention publique dans les quartiers d’habitat social en France : la rénovation urbaine. Le Programme National de Rénovation Urbaine (PNRU) est présenté en 2003 par le ministre de la Ville, Jean-Louis Borloo, comme une rupture par rapport aux politiques antérieures jugées inefficaces. Le programme privilégie l’aménagement urbain au développement des politiques sociales. Le problème du logement est traité par des démolitions-reconstructions de H.L.M, sensées rétablir une mixité sociale. Le programme vise à réduire les écarts territoriaux entre les quartiers d’habitat social et les autres territoires, d’une part en construisant des logements pour attirer les classes moyennes dans ces quartiers et, d’autre part, en favorisant l’implantation de logements sociaux sur d’autres sites moins stigmatisés. En outre, le PNRU vise la « banalisation urbaine » des grands ensembles, afin d’en améliorer l’image. Se rapprocher de la ville dite « traditionnelle » se traduit par différentes interventions urbanistiques, comme la restructuration de la voirie, l’amélioration des connexions au centre-ville, la constitution d’îlots de taille modeste, la revalorisation des espaces publics, le repositionnement de l’appareil commercial, la résidentialisation des immeubles ou encore la création d’équipements.

L’exemple du grand ensemble de la Duchère à Lyon, dans le 9e arrondissement, est emblématique de soixante années de politique de la ville. Sa construction dans les années 1960 répond à la crise du logement de l’après-guerre. En 1986, il est inscrit au Développement Social des Quartiers (DSQ), dans le cadre du 9e plan. Dès 1989, il fait l’objet d’un contrat de ville, renouvelé et intégré à partir de 1993 dans le dispositif du Développement Social Urbain. En 2001, le voilà inclus dans le Grand Projet de Ville (GPV) de l’agglomération lyonnaise. Ce projet urbain a été conçu par Alain Marguerit, urbaniste-paysagiste. Il se poursuit par une convention signée avec l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU), le 13 mai 2005 [1] .

Ce grand ensemble a été au cœur de mon travail de recherche pendant dix ans, de 2001 à 2011, d’un Master 1 à une thèse de sociologie et d’anthropologie. Cette temporalité a coïncidé avec celle de la rénovation urbaine. Je concentre cet article sur le début des années 2000, la période entre 2001 et 2006, qui correspond à une première phase d’annonces et de réalisations. Ces années sont marquées par une forte conflictualité entre, d’une part, la municipalité qui défend le projet et, d’autre part, des habitants organisés en collectifs. Les démolitions de logements sociaux, l’absence de concertation (« le projet est non négociable », martèlent les élus), les délogements, le profond remodelage des espaces publics cristallisent les oppositions. Pour le dire avec les mots d’une habitante, « ce grand bazar rajoute de la souffrance à une population qui n’avait de stable parfois que le quartier » [2].

Plus de dix ans après, je propose de reprendre le récit de mon enquête ethnographique, le récit d’une enquête incarnée [3]. Il ne s’agit pas de justifier a posteriori les orientations méthodologiques et théoriques prises dans la recherche. Ce récit ne prétend pas non plus entériner une sociologie de la rénovation urbaine. Largement subjectif, il pointe après coup quelques émergences issues d’un parcours de recherche.

Celui-ci s’est concentré sur des collectifs d’habitants, opposés au grand projet et engagés pour l’amender. Je voudrais donc par ce récit contribuer à pluraliser le sens des expériences de la rénovation urbaine, afin qu’il puisse faire résonance avec d’autres études qui ont éclairé des aspects différents, par exemple les politiques publiques en jeu (Epstein 2013), les trajectoires résidentielles (Lelévrier 2010) ou encore les transformations urbaines (Allen et Bonetti 2013) et architecturales (Hoddé 2014). Il ouvre surtout une série de questions relatives au statut de l’ethnographie : que peut faire l’ethnographe immergée dans une telle situation conflictuelle ? D’où parlais-je pour décrire ce conflit, et avec qui ? Comment raconter les forces en présence ? Comment rendre compte des ressources parfois minuscules dont disposent les habitants pour mieux appréhender le sens des grands projets, les contester et les améliorer ?

Au début des années 2000, la rénovation est à ses balbutiements. Quelques militants associatifs dans différentes villes de France font entendre leur voix contre les démolitions (par exemple, en Île-de-France, la Coordination Anti-démolition des Quartiers Populaires). Quelques rares chercheurs s’en saisissent, mais la parole des habitants bouleversés par ces projets de grande ampleur a du mal à porter.

Le déséquilibre des forces en présence est manifeste à la Duchère : l’équipe municipale est fortement mobilisée pour soutenir ce projet, annoncé comme l’un des axes forts du mandat à la mairie centrale de Gérard Collomb, ancien Maire du 9e arrondissement [4]. Dans ce quartier comme ailleurs, la démolition a « un parfum de dogme partagé » (Deboulet 2009, p. 119). Comment la démarche ethnographique peut-elle alors agrandir la parole des habitants ? Comment sensibiliser aux problèmes posés par la rénovation et ainsi modifier l’attention publique ? Autrement dit, comment l’ethnographie vient-elle réarmer la fonction critique de la sociologie ?

La lutte pour amender le GPV sera finalement perdue et les chantiers de démolition vites lancés. Dès lors, que puis-je encore dire des collectifs d’habitants mobilisés et de la rénovation urbaine ? À quoi peuvent bien servir mes textes, si les paroles vives des habitants n’ont pas su convaincre les institutions ? In fine, c’est le statut des textes ethnographiques dans le temps que nous devons considérer : entre actualité politique brûlante et temps long, ne constituent-ils pas des archives des quartiers populaires ?

Suivre un collectif, comprendre la rénovation urbaine de l’intérieur.

Au début de mon enquête, en Master 1 (on disait alors « maîtrise »), je voulais comprendre comment des habitants peuvent participer au développement de leur quartier et se saisir des problèmes qui les concernent. Je suivrai ce fil problématique jusqu’à la fin de ma thèse, qui vient documenter une vie publique trop peu analysée dans les grands ensembles (Madec et Murard 1995) (Kokoreff 2003). Je mène donc mon enquête à partir d’un collectif d’habitants, au statut informel, puisqu’il n’a quasiment jamais eu d’existence associative : le Groupe de Travail Inter-quartiers (GTI). Sur fond de rénovation urbaine, ce collectif fait surgir une question laissée en berne : « qu’est-ce que veut dire habiter là, précisément ? ». Parce que c’est dans l’acte d’habiter que la participation citoyenne s’enracine, je m’attache à décrypter les multiples liens qui se tissent entre des habitants et leur milieu de vie.

Le travail ethnographique a consisté à observer les pratiques du GTI, via de multiples scènes. J’ai assisté aux réunions publiques mensuelles du collectif, participé aux temps forts de la vie du quartier : j’ai marché aux côtés des habitants pour la veillée aux flambeaux d’un immeuble, la veille de sa démolition, et lors d’une marche silencieuse après l’incendie d’une église. J’ai pu observer de l’intérieur des pratiques moins visibles, en me mêlant à une discussion entre habitants dans un centre social lors d’un moment d’attente, en assistant au dénouement d’un conflit entre voisins au pied de leur immeuble, ou encore en partageant un pique-nique pour fêter l’été dans le parc du Vallon.

J’ai aussi saisi les effets de la rénovation, à l’aune de discussions plus intimes nouées avec quelques habitantes avec lesquelles une relation privilégiée s’est construite. À l’occasion d’un repas d’anniversaire, d’une cérémonie religieuse, d’un dépannage d’ordinateur, d’un déménagement, de courses au supermarché ou d’une visite à l’hôpital, d’autres dimensions ont pu se dire : les difficultés à boucler les fins de mois, la solitude, l’épuisement de la mobilisation : « avoir fait tout ça pour rien », les fils adolescents trublions, les crises d’asthme aggravées par les poussières des chantiers. Ces femmes ont rencontré mes parents et mes amis. Avec certaines, nous continuons à nous donner des nouvelles.

Étendue dans la durée, la recherche se fait chronique. Mes carnets ethnographiques sont remplis de notes qui consignent les événements au jour le jour. Ils rassemblent celles prises sur le vif (quelques mots échangés en aparté d’une réunion, lors d’un trajet en voiture, devant le guichet de la Poste), les retranscriptions des réunions et des entretiens enregistrés. Pour autant, l’ethnographie n’est pas encapsulée dans le présent. Elle remonte le temps, reconstitue des chaînes chronologiques d’événements et s’alimente de données historiques. De fait, mes carnets tiennent la chronique des événements liés à la rénovation urbaine. Ils restituent des paroles et des activités dans le temps, et de la sorte reconstituent un cours d’action.

Tenir la chronique.

1986-2006. En 1986, quelques habitants créent le Groupe de Travail Inter-quartiers pour faire entendre leur voix dans le projet de réhabilitation du quartier. Ce collectif constitue, avec les techniciens de la politique de la ville, des ateliers de travail consacrés aux interventions sur le bâti. La réhabilitation achevée, ce groupe continue à se réunir, chaque mois, autour de différents thèmes tels que la propreté des espaces publics, l’animation pour les jeunes, les écoles. Le GTI est présenté par l’un de ses fondateurs comme une « caisse de résonance de tout ce qui se passe dans le quartier ». Les participants viennent exposer des problèmes et interpeller différents responsables invités (bailleurs, municipalité, chef de projet). Animé par trois ou quatre habitants bénévoles, le collectif prévoit l’ordre du jour, invite les acteurs institutionnels et distribue la parole en réunion. Chaque mois, entre vingt et cinquante habitants se réunissent, des habitués mais aussi des personnes qui viennent pour la première fois parce qu’elles ont un problème à soulever [5].

En novembre 2001, le directeur du GPV vient se présenter dans une réunion du GTI ; il est accompagné de l’ancien chef de projet de la politique de la ville, qui quittera ses fonctions quelques mois plus tard, en mars 2002. Le directeur explique que le projet reste en cours de définition et se contente d’annoncer que des démolitions-reconstructions sont à prévoir, sans préciser ni plan ni calendrier.

Au cours de l’automne 2002, les locataires de l’emblématique « barre des mille » sont informés de la démolition de leur immeuble par tranches successives (d’abord le 210, puis le 220 et, enfin, le 230). Les bailleurs organisent des réunions par allée d’immeuble pour informer les locataires des procédures de relogement. En novembre, les animateurs du GTI commencent à s’inquiéter des démolitions. En décembre, la mission GPV s’installe dans un local au Plateau, l’un des quatre sous-quartiers que compte la Duchère : la maquette du futur quartier est désormais exposée au public. Les immeubles promis à la démolition sont représentés avec des petits segments de plastique transparent, les constructions futures sont en rouge, bien que leur localisation, leur nombre, leurs caractéristiques ne sont pas encore précisément déterminées. Des locataires de l’immeuble 260 situé sur le Plateau viennent voir la maquette et découvrent que leur bâtiment va être démoli : leur bailleur, la SACVL (Société Anonyme de Construction de la Ville de Lyon) ne les avait pas avertis. Cette démolition concerne 312 logements.

En janvier 2003, lors de la réunion du GTI, plusieurs habitants se disent scandalisés par cette bévue et demandent à ce qu’une réunion soit consacrée à ce projet. Celle-ci se tient le mois suivant et donne lieu à une première confrontation, très vive, entre les habitants concernés par les démolitions et l’équipe municipale. Près de 100 personnes sont présentes. Plusieurs habitants exposent leur désarroi à devoir quitter le quartier, à l’instar de cet ouvrier retraité, habitant son immeuble depuis quarante ans qui se sent « foutu dehors comme un malpropre ». Il se trouve dans une incertitude totale : où vivra-t-il l’an prochain ? D’autres contestent : le quartier n’est pas enclavé, comme le prétend le directeur du GPV. La maire explique qu’elle comprend la colère qui s’exprime. Très vite, une dizaine d’habitants quittent la salle. La réunion se poursuit bon an mal an, scandée par de nombreux brouhaha.

Le GPV prévoit de passer de 80 à 60 % de logements sociaux [6], en en démolissant 1700 sur un parc social de 4000 appartements. Le centre commercial central est remplacé par des commerces situés en pied d’immeuble ; une halle d’athlétisme et une grande place sont prévues sur le Plateau.

Dès 2003, des collectifs d’habitants s’organisent par immeuble pour défendre les locataires. Ils font du porte-à-porte et relaient informations et plaintes au GTI, qui joue en quelque sorte le rôle de « collectif des collectifs ». La critique des démolitions rejoint la position des associations mobilisées dans d’autres quartiers : une critique sociale des politiques de l’habitat, qui dénonce des démolitions massives dans un contexte de pénurie de logements sociaux et la déstabilisation financière des locataires relogés qui voient leur loyer augmenter ; une critique de la pensée spatialiste sensée lutter à elle seule contre les problèmes sociaux des banlieues ; une critique du gaspillage de l’argent public investi pour rénover des immeubles aujourd’hui en bon état, mais qu’on décide néanmoins de démolir ; et, enfin, une critique liée au déficit de concertation (Deboulet 2009, p. 106-108).

Dans une première phase, entre 2003 et 2004, le GTI s’engage dans une lutte offensive : l’objectif est l’abandon du projet, ainsi que l’établissement d’un diagnostic avec les habitants pour envisager un autre projet. La mobilisation continue sous d’autres formes, quand chacun comprend que les élus ne reviendront pas sur les grands principes du projet. Les immeubles 210 et 260 sont démolis en 2005, le 220 en 2010, et le 230 est implosé en 2015. Pendant ce temps, le GTI et les collectifs organisent une solidarité de voisinage (aide au déménagement/emménagement, visites, aide administrative) et dénoncent sans relâche les nuisances des chantiers, les augmentations de loyer, les pannes d’ascenseurs, les malfaçons. Chaque nouvelle opération de logement est passée au crible (cf. encadré n°1).

Encadré n°1 : Extrait d’un compte rendu d’une réunion du GTI, juin 2006 [7].

Ex-gendarmerie (25 appartements OPAC du Rhône – relogement du 210 et 410)

*Augmentation des loyers (+ 50 à + 80 euros), sur les contrats il est annoncé seulement + 20… (pétition signée par tous les résidents)

*Ascenseurs : pannes trop fréquentes et huit jours d’attente pour les réparations

*Travaux inachevés ou mal faits dans les appartements

*Pas de terrain de jeux pour enfants, donc vélos et foot sur le parking

*Nuisances dues aux incivilités

Il est envisagé avec le 1er adjoint (…) une rencontre des habitants avec l’OPAC.

Réflexions générales (…)

*On perçoit une tension dans le quartier. Les populations se croisent moins… Certains disent que l’on fait tout « pour les faire partir »… (…)

Sont aussi dévoilées les multiples failles des acteurs publics, qui n’ont par exemple rien prévu pour accompagner le déménagement des personnes âgées (Overney 2014). Le GTI relaie ces critiques en prise avec la vie matérielle et s’inquiète de l’ambiance installée par le grand projet : incivilités, sentiment d’exclusion, petites mises à distance quotidiennes. Par ses comptes rendus mensuels, il continue d’alerter les pouvoirs politiques.

Ne pas parler à tout le monde.

Lorsque je débute le travail de terrain, j’assiste aux réunions, je fais des entretiens avec les habitants, sans chercher à rencontrer ni les élus ni l’équipe du GPV, un contact qui n’aura finalement jamais lieu. La première année, en Master 1, l’explication est très simple : le temps d’enquête est court et je souhaite me concentrer sur la mobilisation des habitants. Après, au fur et à mesure du travail, je crains que circuler dans l’espace institutionnel ne vienne mettre en cause la relation de confiance établie avec les habitants, dans un contexte de forte conflictualité avec la municipalité [8]. Ne serait-ce que dans l’espace qui les réunit, les réunions mensuelles. Comment et à qui dire bonjour sans brouiller les uns ou les autres ? Faire le tour des salutations pour le sociologue, c’est faire le tour des points de vue sur la politique urbaine. C’est une opération de « symétrisation des acteurs » chère à la sociologie pragmatique (Benatouil 1999). Or, celle-ci court toujours le risque de reconduire la fiction d’une démocratie pacifiée et de jouer sur tous les tableaux.

Parfois, en situation conflictuelle, il vaut mieux ne pas parler à tout le monde. Ce n’est pas (qu’) un problème moral de relations interpersonnelles sur le terrain. Cette position « exclusive » a aussi une incidence sur le type d’analyse produite. Concrètement, je voulais saisir les choses de l’intérieur, comprendre les alertes, les conflits, les mouvements d’affects et les contre-propositions que suscitait le nouveau projet urbain. Il me fallait entrer dans un point de vue, celui de ces collectifs, pour que les habitants m’ouvrent leurs propres perspectives sur leur quartier en transformation, que je puisse en comprendre les détails, les ambiguïtés et les nuances. Qu’est-ce qui les animait ? J’ai cherché à recueillir le plus large spectre de témoignages des habitants mobilisés et leurs critiques à l’égard des collectifs (distension du lien avec les plus pauvres et les jeunes, discussions parfois trop calées sur le calendrier du projet et qui délaissent les problèmes du quotidien). Comprendre cette mobilisation, retracer les sensibilités ne pouvait passer que par une attention resserrée. J’ai donc passé tout le temps de l’enquête avec les habitants qui participaient aux collectifs.

Ceux-ci me voyaient comme une étudiante qui s’intéressait à la Duchère et au GTI. Ils me parlaient volontiers et longuement de ce qu’ils faisaient, sans nourrir d’attente particulière (un quelconque apport du sociologue !) : le temps était à l’urgence dans les années 2000, le calendrier du GPV imposait son rythme au collectif. La priorité était à l’action, ce qui ne nous empêchait pas d’échanger de temps à autres sur le plan Borloo, tel article de Libération sur les sans-papiers hébergés dans des appartements surchargés, ou encore le logement social en Angleterre. Mais la plupart du temps, avant les réunions, nous bavardions de la pluie et du beau temps. Je n’étais pas identifiée comme « une sociologue », ce qui me permettrait d’être plus facilement conviée à des discussions ordinaires sur le nettoyage des allées, la couleur des façades ou les délais de péremption des boîtes de conserve. Avec les femmes que je fréquentais régulièrement, les discussions dépassaient largement le GPV pour s’aventurer sur le terrain de la vie familiale.

Mon engagement dans l’enquête ne correspond pas à un attachement personnel militant. C’est une « prise de parti » au contact du terrain. Petit à petit, prise dans ces liens collectifs, je suis devenue sensible aux choses auxquelles tenaient les habitants [9]. En revanche, il était exclu pour moi de prendre la parole en réunion publique, en m’adressant aux élus ou techniciens. Assise à côté des habitants, je me limitais aux interactions avec mes voisins, répondant à leurs sourires complices. Jusqu’à ce jour de novembre 2005.

Témoigner d’une parole critique et d’une historicité.

Novembre 2005. Extrait de mon journal de bord :

[L]a maquette du Grand Projet de Ville est présentée dans le cadre d’une exposition – « Lyon La Duchère, demain… 600 nouveaux logements » – à la Galerie des Terreaux, au cœur de la presqu’île lyonnaise. L’occasion d’exposer les nouvelles constructions et de diffuser les dépliants des promoteurs immobiliers. Un urbaniste de la Société d’Équipement de la Région Lyonnaise (la SERL, maître d’œuvre du projet) présente la maquette à un jeune couple. Il insiste sur les jardins privatifs prévus autour des futurs immeubles.

Tandis que l’aménageur parle, je repense à ce que disent les habitants sur la gestion des espaces. Au moment de la construction du quartier dans les années 1960, les espaces extérieurs étaient gérés par l’ASPED (Association Syndicale des Propriétaires des Espaces de la Duchère). Une gestion collective de tous les bailleurs sociaux et syndics de co-propriété. Plusieurs habitants qui participent au GTI ont défendu, en réunion publique, ce système, qui avait permis d’amortir les inégalités de traitement entre les HLM et les immeubles en co-propriété, puisque tout aménagement extérieur devait s’effectuer partout de la même façon. « Quelque chose que l’on a un peu oublié », s’alarme une habitante en réunion, en 2003. Elle défend la libre circulation d’un immeuble à l’autre, à travers les pelouses dépourvues de barrières [10].

Au bout d’un moment, j’interpelle l’urbaniste sur l’existence d’un statut particulier pour les espaces extérieurs, s’il a connaissance des revendications d’un collectif d’habitants qui défend cette organisation équitable de l’espace et s’oppose à sa privatisation. Il est visiblement un peu embarrassé et répond qu’il n’en a pas eu connaissance, avant de reprendre sa discussion avec le jeune couple.

Ce qui me décide à prendre la parole, c’est la facilité avec laquelle l’urbaniste – en surplomb sur la maquette – fait totalement disparaître l’existence d’une critique du GPV et de la résidentialisation des ensembles HLM (Lévy-Vroelant 2007), (Lelévrier et Guigou 2005). Il me semble alors important de témoigner d’une parole critique, de « faire entendre des histoires englouties dans le passé (…) ignorées parce qu’en apparence insignifiantes » (Katz 2010, p. 40), pour les remettre en mouvement (Barthe et Lemieux 2002). Au moins le temps de cette discussion, avec des effets certes limités, si ce n’est le léger embarras de l’urbaniste et, peut-être, la perplexité momentanée des futurs acheteurs…

Mon enquête m’a permis de saisir l’exemplarité de la Duchère dans son historicité, une dimension que l’on tend à oublier lorsque l’on met l’accent sur l’ampleur des réalisations de la rénovation urbaine. Il y a du « déjà là » et il est d’importance. L’enjeu est de restituer au quartier son épaisseur historique. D’autant que celle-ci est une ressource qu’active le collectif GTI pour mettre en critique la politique de table rase du nouveau projet. C’est pourquoi, en mai 2003, il diffuse un texte de six pages : « Le GTI (…) se réunit depuis 1986, date des premières réhabilitations, et il jouit d’une véritable reconnaissance. (…) Nous avons le regret de devoir dire que tout se passe aujourd’hui comme si la Duchère était un terrain ”vierge”, à construire, comme s’il n’y avait pas d’habitants… et des habitants qui depuis 18 ans ont connu et obtenu, dans les diverses phases de réhabilitation, des procédures de concertation… » (Le GTI prend la parole sur le grand projet de ville de la Duchère). Ainsi, l’action du GTI depuis les années 1980 et l’expérience militante dès les premières années du grand ensemble sont régulièrement rappelées en réunion.

Quels effets de sens peut produire cette chronique ?

Premièrement, elle vient documenter une densité et une continuité de l’action habitante. Le GTI et ses trente ans d’existence font figure d’OVNI. En effet, le milieu associatif dans les quartiers populaires est marqué par des actions éphémères, au gré des saupoudrages des financements de la politique de la ville (Sandrier 2001). En outre, la mobilisation contre les démolitions a été vive dans ce grand ensemble, et le souffle de la critique ne s’éteint pas avec l’échec de la lutte contre les démolitions. C’est une caractéristique remarquable dans un contexte français où les mobilisations contre les démolitions et les débats autour des injonctions à la mixité sociale du PNRU ont eu du mal à se développer (Carrel et Rosenberg 2011). Pourquoi là plus qu’ailleurs ? La mobilisation peut s’appuyer sur un collectif actif depuis de longues années, légitime auprès des habitants et des institutions, et dans lequel s’activent des habitants attachés à la Duchère, des médiateurs informels en quelque sorte, pris dans les réseaux de parole du quartier (associations, voisinage, équipements collectifs, écoles).

Deuxièmement, la chronique produit une sismographie sensible aux moindres secousses qui ont ébranlé le quartier au début des années 2000. Pris dans la chronologie de quinze ans de projet, on aurait tôt fait d’oublier certains de ces événements. Par exemple, la réunion du GTI de février 2003, la première grande confrontation entre les habitants et l’équipe municipale, est, à l’époque, un événement très fort. La bévue de l’immeuble 260 également. Ces événements, au regard du déroulé du projet, pourraient aujourd’hui paraître insignifiants : les démolitions et les constructions ont bien eu lieu. Pourtant, ces événements ont eu une incidence sur la suite de la contestation, attisant le scandale des démolitions. Le texte ethnographique trie et hiérarchise les événements, et peut ainsi en faire ressortir certains qui contrarient et font dévier les chronologies officielles.

Rassembler du disparate.

Pour prolonger la réflexion sur l’apport critique de l’ethnographie à la compréhension de la rénovation urbaine : comment restituer les prises de parole et les activités des collectifs contestataires ? Comment se faire « ouvre-regard et porte-parole » de ces mouvements dans l’espace public (Cefai 2010, p. 591) ? La question a une portée politique : quelle place pour les habitants des grands ensembles dans la transformation de la ville ? Comment prendre en compte les questions urbaines et sociales qui importent pour eux ?

J’aborderai le rôle de l’ethnographe d’abord dans le temps de la recherche et de sa publicisation, puis dans le temps long, après dix ans et plus, en formulant quelques hypothèses sur le statut que prennent alors le texte et les données ethnographiques.

Miroir grossissant.

Comment font les ethnographes par rapport aux personnes qui n’ont pas ou peu la parole dans l’espace public ? Comment connaître et faire connaître, rendre compte avec justesse de ce que font celles et ceux que l’on rencontre ? Ces questions ne cessent de me tirailler au cours de mon enquête. Si le GTI bénéficie d’une légitimité aux yeux des élus et des techniciens de la municipalité – lesquels répondent aux sollicitations des habitants et viennent assister aux réunions –, le collectif peine à faire entendre son opposition au GPV et aux démolitions. À l’inverse, l’équipe de la mission GPV excelle dans la communication et rivalise d’inventivité en la matière : de multiples brochures en papier glacé, communiqués de presse, panneaux d’information « ici le GPV réalise… », des bandes dessinées expliquant le projet aux enfants, en passant par un site Internet et, dès 2009, un facebook très alimenté, rejoint ensuite par un compte twitter…

Dans l’enquête, j’ai voulu voir de très près ce que faisait le GTI, entendre les détails des plaintes. J’enregistrais, je décryptais les réunions pour consigner les événements, les prises de parole, j’essayais de décrire les émotions en jeu (cf. encadré n°2).

Encadré n°2 : Retranscription, réunion du GTI, 7 novembre 2006.

La discussion s’est engagée sur les relogements entre Valérie, une habitante, et un élu de la Mairie du 9e.

Valérie : « On a l’impression d’être des laissés pour compte, je suis désolée. Moi, quand on nous a posé des questions, quand on nous a demandé quand est-ce qu’on voulait déménager, moi j’ai dit “ne me contactez pas pendant juillet et août je ne suis pas là”. Bin, on ne m’a proposé des appartements que dans cette période-là. Pour me proposer des choses qui coûtaient 250 euros de plus, même avec des salaires moyens on n’y arrive pas. J’ai dit non. Moi, ma paie c’est 1200 euros par mois, bin, je ne pourrai pas. Comment voulez-vous que les gens fassent ? Des gens qui ont un salaire encore plus bas que moi, comment faire ? Comprenez bien que ce n’est pas possible pour nous ».

L’élu : « Personne ne se retrouvera à la rue. Si vous avez des problèmes faites-nous le savoir à nous ou au GPV, de façon à ce qu’on puisse parler de ces problèmes dans les réunions de régulation ».

Valérie : « Ben je le fais là. Parce que déjà là, nous n’avons pas de chauffage. Moi, là, j’ai 13°C dans mon appartement. Et puis l’ascenseur, hein, toute une partie du mois d’octobre, je me suis tapée les 15 étages à pied à 5h du matin pour partir au boulot. Et après neuf heures de boulot, je me retape les 15 étages dans l’autre sens. Alors vous comprenez qu’il y en a marre, quand vous avez aucun des deux ascenseurs qui fonctionnent ».

L’élu : « C’est quelle allée ? »

Valérie : « 221 ».

L’élu prend note.

Valérie : « Et aujourd’hui, mon appartement est à 13°C ».

Mariline : « Au Château, c’est pareil ».

Mathieu : « Oui, il y avait dans Le Progrès justement un article sur le chauffage au Château. Dalkia a reconnu qu’il y avait une panne. Au niveau des barres de co-propriétaires… »

Jeannie : « Au niveau des barres HLM au Château c’est pareil, pas de chauffage, pas d’ascenseur, alors je vais te dire… »

Mathieu : « Oui, je veux dire, les travaux de recherche de panne ont été interrompus vendredi à midi et n’ont repris que ce matin [lundi]. Je veux dire, c’est quand même de l’urgence quand il y a des nuits à moins deux degrés ».

Valérie : « Mais y’a pas que ça, ça fait deux mois qu’on n’a pas d’entretien, alors on nous fait payer des charges pour l’entretien. Et ça fait plus de deux mois que y’a personne qui passe ; donc c’est inadmissible de nous faire payer dans les charges des nettoyages qui ne sont jamais faits. Moi, j’ai eu nettoyé mon palier et mes escaliers qui descendent. Mais je pars du principe que du moment où je paye des charges, quelqu’un doit passer. Alors bien sûr, du moment où les ascenseurs sont en panne, les gens qui font le ménage ne veulent pas se taper avec les seaux d’eau pour monter au quinzième, et je le comprends, hein. Ça, je le comprends tout à fait ».

Anna : « Et il n’y a pas que ça, il n’y a pas que ça. Il y a quinze jours les ascenseurs marchaient tous les deux. Et j’ai regardé les mouches mortes. Sur le palier, il y avait des mouches mortes, j’ai regardé le temps qu’elles y restaient. Et ben, plus d’une semaine, hein ! Des grosses mouches mortes en pagaille ! »

Valérie : « Oui, la dernière fois où ça a été nettoyé, c’est moi qui l’ai fait. Ça fait plus de deux mois ».

Anna : « Moi aussi ».

L’élu : « Oui, sur le chauffage, des barres n’ont pas été chauffées ce week-end. Moi, je suis d’accord avec vous, dans tous les cas je comprends mal qu’on ait interrompu les travaux pour qu’il y ait un minimum de chauffage le week-end. On est là dans un dysfonctionnement, et le maire du 9e a convoqué en mairie mercredi matin tous les bailleurs sociaux, Omnitherm et les services de la Ville de Lyon pour qu’on trouve rapidement un certain nombre de procédures qui permettent et d’améliorer la qualité du service et d’avoir une réactivité beaucoup plus forte en cas de panne ».

Les habitants tiennent le calendrier précis de la vie quotidienne. Dans ces plaintes exprimées, ce sont les détails qui comptent le plus : les 13 degrés dans les appartements par -2 degrés dehors depuis plus de trois jours, l’effort à fournir pour parcourir 15 étages à 5 heures du matin et après 9 heures de travail pour 1200 euros par mois, les 72 heures d’interruption des travaux sur le chauffage, ces grosses mouches mortes dans les recoins des cages d’escalier ou encore la bévue du service des relogements. Dans ce bref extrait, certains détails sont répétés plusieurs fois, comme martelés aux oreilles de l’élu.

Ces paroles consignées, il me fallait ensuite écrire au ras des (micro)événements avec un miroir grossissant, comme lorsque je fais le récit de cette autre réunion :

Novembre 2002. La soirée est consacrée à la propreté du quartier, en présence de l’élu municipal chargé de la voirie et du deuxième adjoint au maire. Ce soir-là, c’est une litanie de plaintes qui s’exprime. Les habitants égrainent les problèmes. Un bailleur qui n’assure plus rien : le ménage n’est plus fait régulièrement dans les parties communes, les boîtes aux lettres et les poignées de porte sont cassées depuis des mois, un arbre a même trouvé le moyen de pousser contre le mur de l’allée, des logements sont vides mais on ne répond pas aux personnes en attente d’un appartement. Une place du quartier est couverte de détritus qui restent des semaines entières. Le parking d’un immeuble est truffé de trous, un habitant qui se déplace avec des béquilles n’en peut plus. Face à ces prises de parole, un élu demande aux habitants de « faire attention avec ces propos », de ne pas porter « une mauvaise image du quartier ». Il avertit : « arrêtons, le quartier est entretenu à peu près comme tous les autres quartiers de Lyon », « il suffit de sortir à l’extérieur pour s’en rendre compte ». À cette intervention, les habitants réagissent par un bruyant chahut, une habitante prend alors la parole : « Ça serait bien de prendre en considération les habitants. Faut pas dire ”ça, ça se passe ailleurs, alors taisez-vous, acceptez cette réalité”. Ne nous comparez pas trop Monsieur, il y a une dure réalité ici à la Duchère ».

C’est parce qu’elles se veulent être un reflet de la vie ordinaire que les prises de parole des habitants bousculent et mettent en défaut les élus. L’exemple de la saleté est emblématique, c’est un rappel implacable de la réalité quotidienne des habitants.

Le texte ethnographique fait ressortir – au sens de souligner – ces prises de parole du flot des résignations du quotidien et de réunions publiques plus monotones, où l’on parle peu. C’est l’effet miroir grossissant. Le récit rehausse une parole qui n’est pas audible. Les moments presque invisibles sont consignés dans le texte. On voit émerger, par exemple, le regard d’une animatrice du GTI pour soutenir deux jeunes femmes, qui viennent pour la première fois en réunion parler d’un problème à l’école et qui s’impatientent, prêtes à quitter la salle en écoutant le long exposé technique du responsable de la chaufferie, venu rendre des comptes sur les pannes à répétition. Un petit geste que le texte ethnographique a retenu.

Décrire avec détails les activités du GTI permet de montrer comment les expériences quotidiennes sont des ressources essentielles à la participation, prenant ainsi le contre-point des chercheurs qui qualifient trop vite ces actions de « démocratie des bouts de trottoir ». On comprend mieux ainsi comment surgissent des résistances à des projets urbains bouleversant le territoire habité, l’intime et les sociabilités.

Ces récits viennent largement contrarier une représentation dominante depuis le 19e siècle, déjà bien identifiée par Guerrand (Guerrand 1966) : l’indifférence supposée des classes populaires à leurs conditions d’habitat. L’ethnographie met en lumière de multiples attentions, certes partielles, discontinues, ambivalentes, émaillées de surprise et de méprise, de choses auxquelles, blasés, les habitants ne font plus vraiment attention. Ceux-ci ne sont pas démunis de ressources pour critiquer les projets urbains. L’ethnographie peut alors servir de support pour défaire la place assignée aux habitants dans la définition de la ville et les diagnostics posés sur les problèmes des quartiers.

Ethnographies et archives des quartiers populaires.

Prenons maintenant un peu de recul sur cette recherche, à partir d’une situation récente vécue dans le cadre d’un enseignement : un autre temps, un autre lieu.

École Nationale Supérieure d’Architecture Paris-Belleville, novembre 2016. Dans un cours, je projette à des étudiants en Master 1 d’architecture un documentaire, UC 7, bientôt le printemps (52′), réalisé par Cyril Peyramond en 2006 et auquel j’ai contribué. Le film chronique la lutte d’un collectif d’associations contre la démolition d’un immeuble HLM dans le quartier de Bron-Parilly (69). Ces étudiants semblent très étonnés et troublés du sort qui est réservé aux locataires qui vivent dans les logements concernés : cet homme qui dit que les habitants sont « des laissés pour compte » parce qu’ils ne sont pas reçus par la maire, cet autre, les larmes aux yeux, qui suit seconde par seconde « le grignotage » par l’énorme pince démolisseuse de l’appartement de son enfance, ou encore ce locataire qui raconte son « déménagement-tiroir » : deux fois, il a été délogé pour cause de démolition et il n’a pas pu remettre ses meubles dans le dernier appartement attribué, faute de place. Les étudiants sont visiblement peu renseignés sur les opérations de démolition-reconstruction, et encore moins sur les mobilisations qu’elles ont soulevées. Ils avaient 11-12 ans en 2006. Un étudiant, lyonnais d’origine, voit très bien aujourd’hui où est la médiathèque qui a remplacé l’UC7, mais de l’immeuble : aucun souvenir.

J’ai vu et revu ce film, j’ai lu et relu mes notes de terrain sur la Duchère. À chaque fois, je replongeais directement dans une situation sociale que j’avais vécue. À la réaction des étudiants, je prends conscience de la distance que le temps a creusé : ce documentaire est devenu une archive. Par ricochet, mes notes ethnographiques aussi.

Que peuvent alors ces archives ?

On connaît les perspectives ouvertes à partir des archives des sciences sociales. Une première consiste à prendre l’archive pour reconstituer une histoire sociale des disciplines et de leurs méthodologies (Laferté 2006). Une deuxième encourage « la revisite » des terrains, plusieurs années après (Burawoy 2003), afin de mieux cerner les points aveugles des enquêtes sur le présent (Laé et Murard 2011). Les travaux qui ne s’intéressent qu’aux méthodes des sciences sociales discréditent les matériaux recueillis par le passé. Ils en appellent à la distanciation, décortiquent ce que furent les boîtes noires théoriques des chercheurs, débusquent les biais, interrogent la personnalisation des données, mais font finalement peu de cas des réalités sociales décrites. Or, si les archives sont, certes, construites par le regard d’un chercheur profondément marqué par une époque, cela n’annule pas pour autant les faits exposés.

Je voudrais donc esquisser ici une troisième approche, plus simple, qui consiste à extraire de ces archives des données brutes, des informations de première main, des traces de la vie matérielle. Il faut bien sûr avoir en tête le contexte de production des données, pour redresser le regard. L’idée est surtout de ne pas verrouiller « ce que l’on voit et entend » dans ces archives par un discours théorique qui les écraserait. Comme l’affirme Colette Pétonnet, « certains des faits observés sont aujourd’hui vieillis ou disparus. Mais, plutôt que d’invoquer la péremption à leur encontre, il semble que l’on puisse, à bon droit, leur accorder une valeur historique » [11] (Pétonnet 1982, p. 10).

Les faits observés à la Duchère n’ont pas dépassé la date de péremption, mais ils ont pris une valeur historique, que ce soient les retranscriptions in extenso de plusieurs dizaines de réunions, avec les passes d’armes entre habitants, élus et techniciens, les interpellations et les émotions qui s’expriment, la description des coulisses de ces scènes publiques ou encore les ressentis individuels des habitants. Parce que j’ai voulu voir et entendre de très près, j’ai pu enregistrer, décrypter et consigner par écrit les prises de parole fragiles des habitants, celles de Nesrine qui explique à sa fille en réunion que leur « logement social ce n’est pas chez [elles] », celle encore de cette vieille dame qui raconte être restée une journée entière dans l’escalier de son immeuble, ascenseur en panne.

Dans mes notes, il y a aussi le décryptage de cette vidéo filmée par TF1 en caméra cachée, en 2005 : elle montre une scène de harcèlement policier qui avait ému nombre d’habitants, provoquant une rencontre entre le GTI et des jeunes habitants.

Que dire encore de ces 200 pages d’entretiens décryptés, qui donnent à voir la réflexivité, le sentiment d’urgence à agir et parfois la perplexité des animateurs du GTI face à certaines situations (cf. encadré n°3).

Encadré n°3 : Extrait d’entretien avec Bruno, animateur du GTI, janvier 2006.

Quelques mots sur le contexte de l’entretien. Fin octobre 2005, pour manifester sa solidarité avec les délogés et son opposition aux démolitions, le GTI organise une marche aux flambeaux, la veille de l’implosion d’un immeuble. C’est une occasion réussie de renouer avec le quartier : « les gens sont là » me dit Bruno à la fin de la manifestation. Des émeutes secouent les quartiers populaires en novembre. À la Duchère, le mois reste relativement calme : quelques voitures sont brûlées, mais il n’y a ni affrontement avec la police ni bâtiment incendié. Pourtant, à la réunion de novembre, Bruno explique que des gens lui ont dit « vous faites des manifestations pour les immeubles, vous feriez mieux d’en faire pour les jeunes qui pour l’instant sont poursuivis par la police ». L’alerte est confirmée quelques jours plus tard avec la diffusion d’un reportage télévisé qui montre une scène de violence policière, filmée en caméra cachée avec un policier qui menace un jeune de le faire « griller dans un transformateur avec (ses) copains ». Des personnes âgées, se plaignant du comportement de la jeunesse, sont également interviewées. Deux animateurs du GTI ont organisé des visionnages du reportage dans un centre social avec des habitants. Bruno y revient dans notre entretien :

« Alors, il y a eu une remarque critique qu’on n’avait pas vu venir au sujet des violences policières. (…) Ce qui était pointé à ce moment-là, c’était en fait que le GTI était complètement absent, ne soutenait absolument pas, ne disait rien vis-à-vis de ce harcèlement qui était bien là. (…) Et il y a eu ce reportage. (…) On en avait discuté ensemble avec Camille pour mettre une discussion en place. (…) Mais c’est vrai qu’une fois qu’on en a parlé, on n’a pas trouvé l’énergie à droite à gauche pour aller plus loin. On n’a pas eu la possibilité de continuer à s’interroger sur le mal être, les difficultés que connaît la jeunesse. (…) On a pu dire quand même que ces événements ont manifesté une difficulté de communication au sein du quartier, je veux dire quand on parlait de la 260 on pouvait bien avoir ce discours qu’on entend toujours ”nous, on est une grande famille, on se connaît tous dans le bâtiment, jamais on ne pourrait vivre ailleurs parce que y’a qu’ici qu’on connaît ça, etc.”. L’image tout d’un coup que prenait la Duchère à travers ces événements montrait les clivages, les trucs. La belle unanimité du vivre-ensemble foutait le camp bien vite. Alors comment rebondir sur cette difficulté-là, (…) donc l’idée de rebondir, c’était de faire des petits groupes, se dire que finalement les gens ne se déplacent pas dans un centre pour aller causer, c’est au groupe de s’éclater, d’aller vers les gens, de faire la démarche inverse. Après bin ça fait partie des engagements, des priorités pour que ça se cause, ça se parle (…).

[Par rapport aux émeutes nationales] moi, je me suis dit, bin, encore un jour et puis ce sera fini. Et puis, ça a duré trois semaines. Je me suis planté ! Je me suis dit aussi qu’un train en cachait un autre. Je veux dire par là que les discours qui ont pu être faits par rapport à la jeunesse, l’idée que ce sont des enfants qui traînaient dehors, ont sans doute une part de réalité mais ils ne donnent pas de sens à ce qui s’est passé. Ce n’est pas la peine de parler de polygamie pour expliquer le phénomène, bon, ce genre de propos loufoques… (…) C’est pour dire aussi que ma grande déception est par rapport à l’analyse qu’en ont fait les journaux et par rapport à la capacité de réponses des élus. Les élus municipaux, je ne sais pas si tu as entendu quelque chose toi, moi, non (…).

J’ai essayé de voir avec des gens, notamment ceux qui ont été déplacés de la 260 et de la 210 [et qui habitent la 310 à proximité du foyer], voir comment il y avait la possibilité de faire des choses ensemble, de récupérer les morceaux parce que des fois c’était des gens qui étaient très déprimés par la chose. Donc on essaie d’avoir là plusieurs temps où les gens se retrouvent, trouvent des activités à faire, discutent, mangent. Donc ça, c’est toujours ça de pris. En ce qui concerne mon analyse de la politique du GPV, des effets produits, je cherche dans le cadre du GTI à faire remonter des choses qui me semblent importantes, qui font du sens. Mais la situation m’invite guère à un optimisme sans borne, hein ».

Ces paroles constituent une part d’histoire des quartiers, de la rénovation urbaine et de l’éducation populaire. Elles expriment à chaud des sentiments et des réflexions face aux événements vécus de l’intérieur à l’automne 2005, à l’échelle locale et nationale : des violences et des démolitions. Elles disent avec plus de précision que bien des commentaires de l’époque l’incompréhension, l’incertitude, les scrupules et les hésitations à agir, ainsi que l’épuisement et la mobilisation des ressources pour tenter de faire face.

J’ai aussi transcrit le fou-rire de ces femmes me racontant comment des jeunes avaient introduit une voiture dans la piscine du quartier pour protester contre l’imposition de « la petite tenue », à la fois irritées mais aussi amusées par le geste, me disant : « quand même une voiture dans une piscine, ça ne se voit pas tous les jours ! ».

Je garde ce texte de la chanson écrite à l’occasion du départ en retraite d’une des fondatrices du GTI, qui traduit, avec tant de justesse, ce que les sciences sociales appellent le travail social communautaire (cf. encadré n°4). Celui-ci croise engagement politique, ouverture culturelle et religieuse, attachement au quartier et solidarités familiales. Il s’exprime tout à la fois dans l’intimité du logis et à travers les équipements et associations.

Encadré n°4 : Chanson écrite par des collègues et des usagers du centre social pour le départ en retraite de Jeannie, animatrice dans la structure et co-fondatrice du GTI.

(Sur l’air de La ballade des gens heureux)

À la Duchère tu t’es installée

Voilà maint’nant quelques belles années

On vient te chanter la ballade

La ballade d’une retraitée (bis)

De l’enfance au troisième âge

Avec toi nombreux furent les voyages

Si t’as commencé au ménage

Tu as aussi ouvert des cages (bis)

D’la MME au centre social

Tu as poursuivi ton idéal

Rassembler des quatre coins tes ouailles

Pour terminer l’année au bal (bis)

Du Maghreb, d’Afrique ou de France

Pour toi toute rencontre est une chance

La parole a son importance

Tu l’as donnée sans différence (bis)

Avec ton âme de militante

Désir de justice toujours te hante

Ta passion pour l’autre est débordante

Et la fraternité t’enchante (bis)

L’heure d’la retraite ayant sonné

Tu n’vas certainement pas rouiller

Grand-mère tu seras demandée

Dans ta famille et dans le quartier (bis)

À moins qu’tu passes à la télé

Que tu prennes la suite de l’abbé

Ou en politique t’engager

Mais sur l’quartier reste branchée (bis)

Bravo pour toutes ces années

Et merci pour ton amitié

On vient te chanter la ballade

La ballade d’Jeannie retraitée (bis)

Plongé dans cette archive, on voit bien comment se trament là des liens forts, des relations de toute une vie : un esprit de quartier qui pourrait échapper à l’observateur de passage, lequel ne verrait à la Duchère que traces de dé-liaisons, dissemblances et conflits.

À réviser ainsi mes matériaux, je comprends le sentiment d’urgence de Pétonnet, qui m’a animé pendant dix ans à rendre compte des réalités sociales. Lorsque l’on lit aujourd’hui les travaux d’ethnologie urbaine des années 1970 et 1980, par exemple Colette Pétonnet sur les cités de transit et les bidonvilles (1968) (1979) (1982), Paul-Henry Chombart de Lauwe (1959) (1960) et Pierre Mayol (1990) sur les quartiers populaires anciens, ou encore Gérard Althabe (1985) et Monique Sélim (1985) sur les ensembles HLM, on comprend qu’ils consignent dans les détails des mondes et des pratiques qui n’existent plus, des histoires englouties dans le passé. Néanmoins, ces textes ethnographiques nous donnent accès à une matière vivante. Ne prenons qu’un seul exemple, les travaux de l’équipe de Chombart de Lauwe, en particulier le documentaire Rue du Moulin de la Pointe [12]. L’archive rend palpables les conditions matérielles de vie dans les courées du 13e arrondissement de Paris : la vétusté des appartements, l’équipement domestique, réduit à l’essentiel, dans l’unique pièce que comprend le logement, l’organisation spatiale de la vie sociale, la prégnance des liens familiaux, l’esprit de quartier de la courée. Par la richesse des détails, le spectateur voit aujourd’hui bien au-delà de ce qu’a voulu montrer l’ethnologue : la présentation et la manière de se tenir des ouvriers (encore systématiquement habillés en costume en 1959), la sollicitude des femmes, la fixation des ménages au quartier…

Des décennies plus tard, les perdants des projets urbains, qu’ils aient vécu rue du Moulin de la Pointe à Paris, à Stains, à la Duchère ou sur les pentes de la Croix-Rousse à Lyon, nous parlent. D’une rénovation à l’autre, les questions politiques qui sont posées restent brûlantes : la place des habitants dans la fabrique de la ville, les inégalités sociales.

Les textes et données ethnographiques devenus archives interrogent au présent une théorie des espaces et de la ville : qu’est-ce que veut dire habiter un quartier en rénovation ? Qu’est-ce que signifie le statut de locataire du logement social, une propriété sociale qui protège (Laé 2012) – le relogement est assuré – mais qui n’annule pas pour autant le sentiment de ne pas être chez soi et d’être « foutu dehors » avec la démolition ? Qu’est-ce que cela signifie que d’habiter une ville en chantier, avec les nuisances, le paysage en perpétuelle transformation, un espace public semé d’embûches, l’incertitude sur les années à venir ? Où et comment s’inscrivent les sociabilités et les liens aux institutions ?

Est-ce à dire que le sociologue a un rôle à jouer dans la construction des mémoires des quartiers populaires ? Avec quelle responsabilité ?

Heureusement, lorsque l’on commence à travailler sur un terrain, on ne cherche pas toujours « ce qui va périr », mais quelques années après l’enquête la question se pose. Il me semble que l’ethnographie peut venir compenser un très grand déséquilibre des traces de la rénovation urbaine.

D’un côté, la force d’expression des institutions est illimitée, notamment dans l’espace numérique. Le site internet de la mission GPV Duchère ne cesse de s’alimenter chaque jour de nouvelles contributions montrant les actions entreprises. En outre, des pratiques mémorielles ont été instituées par l’ANRU, pour amortir le choc des démolitions [13].

De l’autre côté, les traces des associations et collectifs sont d’une très grande fragilité. Le blog de la Coordination Anti-démolition des Quartiers Populaires a disparu de la blogosphère. Plus aucune trace. « Le blog a été supprimé », nous informe la plate-forme blogspot. Le GTI n’a jamais eu de site internet, tout au plus quelques tracts – les comptes rendus des réunions mensuelles, imprimés sur des feuilles A4, sont consignés dans quelques cartons duchèrois. L’écart avec les missions communication des institutions est gigantesque.

Le sociologue a une responsabilité face à « la parole-“événement” » (Farge 2006, p. 42), la parole rare et faible qui pointe dans la rénovation urbaine. Il doit en retransmettre l’intensité, raconter par le détail les activités et les affects, les micro-histoires et leur imbrication. De toutes parts, ces quartiers populaires demandent un surcroît d’attention.

Contre-traces des grands ensembles.

À se centrer sur les collectifs d’habitants, la recherche produit des contre-traces des grands ensembles. Les restituer, cela n’est pas un simple principe de respect de la parole de tous. Puisque si cette parole des habitants n’est pas rendue publique, elle manque dans le débat sur les politiques de la ville. L’enjeu est de pluraliser le sens des expériences et d’en éclairer un contour social et politique : l’absence de concertation, les prises de parole et mouvements collectifs qu’elle a suscité.

Que puis-je retenir de cette revisite de mes archives ? Que dire des résistances des années 2000 et de ces existences bousculées ?

Tout d’abord, ces prises de parole ne sont pas restées sans effet pour les personnes. Certes, la mobilisation a échoué, mais par-delà le GPV s’est forgée une capacité de résistance qui peut s’exercer quel que soit le lieu. Ainsi, Marie-Line, qui doit déménager et rembourser une forte somme au bailleur social, sait se tourner vers une association de locataires pour contester. Lorsqu’elle est hospitalisée plusieurs mois, elle n’aura pas peur de hausser la voix contre des soignants qui la maltraitent. D’autres vont retrouver du travail en faisant valoir leur expérience d’engagement.

Ensuite, si l’on regarde au-delà des tentatives de participation à la rénovation urbaine, des solidarités se sont constituées. Les collectifs créés à l’occasion des démolitions ont prolongé leur dynamique dans un centre social. L’association de soutien aux personnes âgées, créée par l’une des fondatrices du GTI, se développe considérablement depuis les années 2000. Elle obtient un partenariat avec des bailleurs pour soutenir les personnes âgées délogées. Elle organise des repas collectifs ; des salariés sont embauchés, et l’association peut compter sur un réseau solide de bénévoles (visites à domicile, coups de téléphone pour prendre des nouvelles, accompagnements chez le médecin, etc.). Les réseaux d’interconnaissances continuent de jouer à plein. Lorsque Marie-Line se trouve en difficulté pour meubler son nouvel appartement, elle peut compter sur la solidarité de voisins qui lui donnent des affaires. D’autres appels à la solidarité sont lancés quand un décès frappe une famille, lorsqu’une personne est emprisonnée ou quand il faut garder un animal de compagnie.

Dans le même temps, le rapport au quartier et au voisinage reste très ambigu. Depuis dix ans, environ quatre fois par an, Marie-Line m’annonce qu’elle veut déménager parce qu’elle n’en peut plus, du bruit des voisins, de l’urine dans la cage d’escalier, du loyer trop élevé. La rénovation ne lui a pas profité. Elle aussi voudrait être relogée, loin de la Duchère. Quelques semaines plus tard, le ton a changé, elle apprécie finalement les transformations du parc du Vallon, me parle des rencontres entre voisines et de la prochaine fête au centre social.

Les contre-traces des grands ensembles, ce sont ces multiples jeux d’attention, fragiles mais continus depuis les années 1960, visant à amortir l’effet des crises successives. Ces réseaux mériteraient aujourd’hui une enquête plus approfondie.

Abstract

This paper proposes a return visit. It describes an ethnographic field investigation in La Duchère, a public housing estate in Lyon concerned by an urban renewal programme, during the 2000s. Taking a position on the conflict situation between the public authorities, who defend the urban project, and the inhabitants’ mobilizations to amend it : how to do it ? Making the inhabitants’ voices and activities public : how to do it ? Ten years later, the ethnograph reads again her fieldnotes : do they became archives of working-class neighborhoods ?

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Notes

[1] La Duchère reçoit le label national EcoQuartier en 2013.

[2] Extrait d’une lettre envoyée par une habitante en 2005 à Zoé Varier (France Inter), productrice de Nous autres, pour proposer une émission.

[3] Je me retrouve dans la définition de l’ethnographie proposée par Daniel Cefaï : « une démarche d’enquête, qui s’appuie sur une observation prolongée, continue ou fractionnée, d’un milieu, de situations ou d’activités, adossée à des savoir-faire qui comprennent l’accès au(x) terrain(s) (se faire accepter, gagner la confiance, trouver sa place, savoir en sortir…), la prise de notes la plus dense et la plus précise possible et/ou l’enregistrement audio ou vidéo de séquences d’activités in situ. Le cœur de la démarche s’appuie donc sur l’implication directe, à la première personne, de l’enquêteur (…) en tant qu’il observe, en y participant ou non, des actions ou des événements en cours. Le principal médium de l’enquête est ainsi l’expérience incarnée de l’enquêteur » (Cefaï, 2010, p. 7) – Je souligne.

[4] En 2001, c’est Pierrette Augier (Parti Socialiste) qui est maire de l’arrondissement, remplacée à son décès en 2003 par Hubert Julien-Laferrière (Parti Socialiste). En 2008, Alain Girodano (Les Verts) devient maire.

[5] Aucune inscription n’est nécessaire aux habitants pour participer aux réunions.

[6] Le lecteur peut consulter la convention ANRU pour le quartier de La Duchère ici. L’objectif est actuellement de 55% de logements sociaux, en 2019 – comme le lecteur peut le constater sur cette page.

[7] Depuis les années 1980, les comptes rendus sont réalisés par les animateurs et envoyés aux participants et aux institutions qui interviennent dans le quartier.

[8] Le travail de Marion Carrel se situe à cette interface entre habitants et institutions, et peut ainsi retracer de manière remarquable le jeu de relations réciproques (Carrel, 2004).

[9] Cette prise de parti correspond au sens qu’Antoine Hennion donne de l’attachement, une « technique collective pour se rendre sensible aux choses » (Hennion, 2009, p. 55).

[10] Pour un développement des arguments mobilisés pour défendre cette organisation, voir Overney (2006).

[11] En 1982, Colette Pétonnet publie Espaces habités. Ethnologie des banlieues, un texte écrit en 1975 : « [À l’époque de l’enquête], il y avait pourtant urgence – pour autant que le rôle de l’ethnologie soit d’explorer ce qui va périr – à examiner l’implantation des groupes avant d’en disperser les hommes, ou mieux – et rôle exemplaire – à s’efforcer de dégager les formules d’équilibre de leur construction » (Pétonnet 1982, p. 10).

[12] La Rue du Moulin de la pointe, 25’, 1957 (INA). Le film, qui appartient à la série À la découverte des Français, est réalisé par Roger Benamou et Jacques Krier, avec le concours de Chombart de Lauwe et du groupe d’ethnologie sociale du CNRS.

[13] L’article 17 des conventions avec l’ANRU, intitulé « archives filmographiques et photographiques », incite à « promouvoir toutes les initiatives locales de productions et de réalisations filmographiques ou photographiques dits “travaux de mémoire” ». Le lecteur, on le rappelle, peut consulter la convention ANRU pour le quartier de La Duchère ici. Pour une critique de ces opérations mémorielles, voir Morovich (2014).

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