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Sérendipité.

Une population sans espoir – Berlin sous le nazisme.

Hans Fallada, Seul dans Berlin, [1967] 2004.

Image1Cet ouvrage, paru à l’origine en 1947, est considéré par Primo Levi comme un « très beau livre » dans ses Conversations avec Ferdinando Camon (1987), et le seul selon lui qui permette de comprendre comment et pourquoi la population allemande a accepté le système nazi. En le lisant aujourd’hui, on ne peut que faire référence à Ian Kershaw d’une part, l’historien britannique qui a démonté les mécanismes de fonctionnement du système nazi, mais aussi à George Orwell : 1984 montre de la même manière l’intérieur d’un régime politique fondé sur la terreur ; 1984 (1949) et Seul dans Berlin (1947) sont d’ailleurs contemporains, et ces deux ouvrages sont parmi les derniers écrits par leurs auteurs avant leur mort. Autre ouvrage encore qui peut être rapproché du livre de Hans Fallada, mais en tant que témoignage de l’époque, Histoire d’un Allemand, où Sebastian Haffner, alors jeune magistrat stagiaire à Berlin, donne sa vision de la montée du nazisme ; cet ouvrage, écrit à la fin des années 30 ne fut publié qu’en 2000.

Une recherche superficielle avec le moteur de recherche Google donne 23 900 réponses pour Hans Fallada, mais seulement 273 en français (avant tout des libraires en ligne). L’auteur est aujourd’hui bien mal connu du public francophone. Son nom est un pseudonyme, emprunté à un conte de Grimm. Rudolf Ditzen est né en 1893 à Greifswald ; fils d’un juriste, il mène une vie assez agitée, passe sa jeunesse à Berlin et à Leipzig ; en rébellion contre son milieu petit bourgeois et sa famille, il est interné en 1911 après avoir provoqué la mort d’un ami dans un duel. Refusé par l’armée en 1914, il exerce les métiers les plus variés, libraire, agent immobilier, vendeur de pomme de terre… Il fréquente les milieux expressionnistes berlinois et publie ses premiers romans au début des années 20. Puis devenu morphinomane, il est incapable d’écrire et passe une grande partie de son temps en clinique. Son mariage en 1929 et l’aide de sa femme Anna Margarete Issel lui permettent de reprendre son travail d’écriture : Bauern, bonzen und bomben (1932), puis Kleiner mann-was nun ? qui est un succès international ; son livre Geschichten aus der murkelei reste un classique de l’édition enfantine. Inscrit sur la liste des auteurs interdits par les nazis (1935), il traverse un moment particulièrement difficile : divorce, alcoolisme, morphine… il est finalement interné quelques mois. Il se remarie en 1945 avec Ursula Losch qui comme lui a une assuétude à l’alcool et à la morphine. Après la fin de la guerre, lorsque la ville est occupée par les Soviétiques, il devient maire de Feldburg. Parmi ses derniers ouvrages figure donc Jeder stirbt für sich allein traduit en français sous le titre Seul dans Berlin. Installé dans le monde littéraire de Berlin-est, il meurt le 5 février 1947 d’une overdose de morphine.

L’ouvrage est écrit dans un style réaliste, direct et sans fioriture. Il raconte la vie de quelques familles dans le Berlin de la guerre. Le livre commence au moment de la capitulation de la France en juin 1940 et se termine à la fin de la guerre. Ses protagonistes font partie des classes laborieuses berlinoises et l’auteur s’attache particulièrement à la description d’un immeuble au 55 de la rue Jablonski, au nord d’Alexanderplatz. On y trouve la famille Persicke, dont tous les membres sont de fervents nazis, les fils faisant partie de la SS, le magistrat Fromm à la retraite depuis 1933 et quasiment reclus chez lui, les Quangel, le mari Otto étant contremaître dans une usine de menuiserie, puis, au dernier étage, la vieille juive Rosenthal, dont le mari a été interné à Moabit en raison des lois antijuives. Autour d’eux gravitent d’autres personnages, Eva Kluge la postière, son mari Enno dont elle est séparée et qui vivote de l’argent qu’il soutire aux femmes, le commissaire de la Gestapo Escherich et sa hiérarchie…

La vie des Quangel bascule le jour où on leur annonce la mort de leur fils unique. A partir de là, ils décident de s’opposer comme ils peuvent à l’Etat nazi en rédigeant des cartes postales qui critiquent Hitler et le IIIe Reich et qui sont distribuées dans tout Berlin. L’espace berlinois joue un rôle dans le roman : le commissaire Escherich place un petit drapeau sur le plan de la ville qu’il a dans son bureau à chaque fois qu’on lui indique la découverte de l’une de ces cartes postales. Cette révolte a priori dérisoire permet de comprendre le fonctionnement du système nazi fondé sur la terreur et qui annihile toute réflexion de la population qui vit dans la peur.

Le récit qui se déroule sur plusieurs années ne peut déboucher que sur la mort de la plupart des protagonistes, mais l’auteur termine son roman sur une note positive dans un village de Poméranie dans ce qui est alors en train de devenir la République Démocratique Allemande. La ville support du totalitarisme ? La réponse n’est pas si simple chez Fallada. Si Berlin ne peut échapper au regard inquisiteur de la Gestapo, les zones rurales sont présentées soit comme une société sous surveillance constante (pour la belle-fille des Quangel), soit comme un lieu de liberté (pour la postière en rupture du parti nazi).

Au final, un livre remarquable qui se lit d’une seule traite et qui permet au lecteur de comprendre le fonctionnement quotidien et banal du système nazi. Il présente la difficulté de la résistance et ses limites, mais aussi le danger de l’indifférence, premier élément qui permet la mise en place d’un tel régime. Un livre qu’il semble urgent de diffuser et l’on ne peut que louer Gallimard de proposer cet ouvrage dans une collection grand public. On ne peut aussi que regretter qu’il n’y ait aucun appareil critique qui accompagne ce texte pour le situer dans son contexte historique…

Un site sur Hans Fallada, en allemand

Le site d’un amateur finlandais Petri Liukkonen qui propose une biographie détaillée de Hans Fallada

Un article sur Fallada, dans la version allemande de l’encyclopédie gratuite Wikipedia

Un portrait de Hans Fallada

Résumé

Cet ouvrage, paru à l’origine en 1947, est considéré par Primo Levi comme un « très beau livre » dans ses Conversations avec Ferdinando Camon (1987), et le seul selon lui qui permette de comprendre comment et pourquoi la population allemande a accepté le système nazi. En le lisant aujourd’hui, on ne peut que faire ...

Bibliographie

Jenny Williams, More Lives Than One : A Biography of Hans Fallada, 1998.

G. Müller-Waldeck, R. Ulrich, U. Ditzen (dir.), Hans Fallada – sein Leben in Bildern und Briefen, 1997.

Cecilia von Studnitz, Es war wie ein Rausch: Fallada und sein Leben, 1997.

Notes

Auteurs

Isabelle Debilly

Enseignante de géographie à l’École européenne de Bruxelles 2, elle a une formation initiale en histoire médiévale des mentalités. Elle s’oriente à présent vers l’histoire des genres et la géographie. Elle fait partie de la Rédaction d’EspacesTemps.net.

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