« Les mondes urbains du tourisme ». Sur un colloque.

Avis d’une auditrice.

Fanny Letissier

Pour accéder à la présentation de ce colloque, ainsi qu’à la réaction de l’organisateur à cet article.

Image1Les journées des 13 et 14 janvier 2005 ont vu se dérouler, le colloque intitulé « Les mondes urbains du tourisme », dans le grand amphithéâtre de l’Institut de Géographie de Paris. Organisé conjointement par le pôle des sciences de la ville de l’Université Paris 7, l’Université d’Angers et l’école d’architecture de Paris-Val-de-Seine, le colloque a réuni majoritairement des géographes, quelques historiens, urbanistes et architectes autour de quatre questions structurantes : « fabriquer la ville touristique », « vivre touristiquement la ville », « le tourisme, un incontournable des politiques urbaines » et « l’urbanité des lieux touristiques ».

L’équipe Mobilités Itinéraires Territoires (Mit) qui était largement partie prenante dans l’organisation de ces deux jours a poursuivi son action de rétablir le tourisme à une place légitime (Mit, 2002), cette fois dans une perspective totalement urbaine. Trop longtemps ignorée, la consubstantialité du tourisme et de la ville a été d’emblée consentie par tous. Bien que le programme fût alléchant, un léger sentiment de frustration est inhérent à l’impression globale laissée à l’issue du colloque. Pas tant — comme le suggérait Rémy Knafou au sortir de ces deux journées — à cause de l’insuffisance du temps imparti pour chaque communicant, vu la pléthore de communications programmées (26 au total), que de la substantialité très inégale des communications entendues. Toutes ne s’agençaient effectivement pas sur un même plan. Ce sentiment de frustration n’est évidemment pas propre à ce colloque. Cette remarque pose toutefois d’importantes questions ; tout d’abord, celle du choix des communications : quel type de densité souhaite-t-on privilégier ? Cela pose ensuite la question du temps accordé au débat que suscitent les communications, qui découle d’ailleurs des précédentes interrogations : quelle place concède-t-on aux échanges entre participants et avec l’auditoire ? Si l’on entreprend de réunir un grand nombre d’intervenants sur un même thème, une alternative se présente. Soit, on choisit un petit nombre de communications conséquentes, soit on privilégie des communications davantage labiles, mais en nombre plus important. Il est patent que cette faible densité affaiblit l’ensemble du colloque. Comme le soumettait Knafou à l’auditoire en clôturant ces deux journées, ce colloque a permis d’apprendre beaucoup de choses. Certes, tirer une information factuelle dans chaque communication est possible, mais doit-on s’en contenter ? Sans doute, privilégier un nombre plus restreint de communications d’essence plus conséquente aurait été préférable.

Toutefois, certaines communications de grande qualité ont provoqué un vif intérêt. Plusieurs ont même marqué les esprits, notamment la conférence inaugurale présentée par Michel Lussault qui a lancé avec brio le fil rouge auquel se sont tenus par la suite, de nombreux communicants. Lussault a magistralement ouvert ce colloque en évitant les écueils relatifs à la recherche sur le tourisme urbain. D’emblée, le ton a été donné. Le tourisme est manifestement une dimension entrant dans la composition de l’urbanité. On comprend ainsi en quoi le « quotidien » et le « hors-quotidien » des individus se mêlent ; en ce sens, le touriste ne s’oppose pas (ou plus) à l’habitant. Certaines de leurs pratiques des lieux, analysables à partir de leurs usages, en sont la preuve. Il n’est en effet pas toujours aisé de distinguer ostensiblement le touriste du citadin, chacun habitant les lieux au moyen de comportements proches. L’activité consistant à cerner l’urbanité ne peut donc plus négliger le fait touristique. La stimulante métaphore de « l’infusion » du tourisme dans la vie urbaine qui a mis un terme à cette prestation, a finement précisé cette idée. De nombreux communicants ont fait écho à ce discours inaugural, en relayant cette formule laconique, reprise plusieurs fois, au cours de ces deux journées. Lussault a ainsi présenté des catégories dures et précises sur la façon dont les sciences sociales et particulièrement la géographie peuvent les utiliser afin de cerner pertinemment le fait touristique. Dès lors, il a anticipé sur les lacunes conceptuelles dont pouvaient souffrir certaines communications. Son intervention a donc été singulièrement perspicace et éclairée.

Une idée particulièrement importante a relié plusieurs discours qui se sont arrêtés sur l’opposition tourisme de masse / tourisme d’individus. Ces interventions ont tenté d’abolir l’idée reçue d’un tourisme de masse exclusif et tout puissant. En ce sens, cela a permis d’affranchir le touriste de son carcan, qui paraît souvent l’entraîner indubitablement à pratiquer un tourisme de masse. Le tourisme s’adresse d’abord aux individus. Lussault, le premier, a abondé en ce sens en restituant une place honorable au touriste, en l’installant dans son rôle plus légitime d’individu-acteur. Fort de son ressenti, le touriste approche la substance même du lieu. Il fait appel à ses émotions qui lui permettent de différencier un lieu touristique d’un autre. Cette idée écarte par la même occasion le spectre de la mondialisation qui homogénéiserait de manière inéluctable et préjudiciable les lieux touristiques. L’argument émotionnel de construction individuelle du lieu touristique paraît donc annihiler cette polémique. André Rauch a relevé la même opposition en l’illustrant à travers une brève, mais non moins intéressante, analyse de plusieurs guides touristiques s’adressant implicitement, mais directement au touriste en tant qu’acteur individuel. Ces livres cherchent ainsi à offrir aux touristes les clefs des lieux visités. Enfin, Vincent Coëffé a proposé une approche de « l’urbanité cachée du rivage touristique » à partir des plages de Waïkiki de Honolulu à Hawai. Le terrain n’a en rien supplanté son effort de catégorisation et de conceptualisation. Il a proposé un regard sur l’individu-plagiste, à partir de son corps, considéré de bon augure, comme une métrique à part entière. Dès lors, Coëffé appréhende le corps comme une catégorie pertinente d’analyse de l’espace de la plage. En ce sens, les comportements individuels qui y sont engagés sont révélateurs de l’interprétation de « signes corporels » qui génèrent des réactions, de la part des plagistes, dignes d’un espace public urbain ordinaire. Incontestablement, on ne fait pas « n’importe quoi » sur une plage, comme dans un autre espace public urbain. On peut s’essayer à un rapprochement avec la présentation de Jean-Pierre Augustin concernant Miami Beach. En effet, ces deux communications se rejoignent in fine. Dans les deux cas, les plages ont pu être catégorisées a priori comme des « lieux du tourisme de masse », mais à l’instar de ces deux démonstrations, elles nous apparaissent en fin de compte comme de véritables espaces publics accompagnés de leurs corollaires de règles à ne pas enfreindre et de rituels engendrés par la consistance de l’espace public. De fait, Miami Beach et Honolulu sont dotées d’une urbanité conséquente, contrairement à ce que le sens commun pourrait nous indiquer. La pratique touristique des lieux par les individus nous le révèle ainsi clairement.

Enfin, dans un autre registre, Philippe Duhamel a établi, une distinction spatiale opérante entre modernité et patrimoine à partir de ses recherches sur la production et le renouvellement de l’espace touristique des villes au 18e et 19e siècles. En effet, son intervention a été cristallisée par l’idée que « la patrimonialisation resserre la ville » en son sein, alors que la « modernité étend la ville ». En ce sens, comme Patrick Poncet l’a suggéré suite à la communication de Duhamel, on voit très bien apparaître l’image même du couple territoire / réseau (Lévy, Lussault, 2003). La patrimonialisation des lieux centraux se densifie tellement qu’elle paraît jusqu’à former un territoire. À l’inverse, la modernité semble fonctionner davantage sur un logique réticulaire qui déploie la ville hors de ses limites morphologiques établies, à partir de lieux naissants en périphérie.

Suffisamment conceptualisées pour en retenir des catégories fermement établies, ces communications ont permis d’établir des liens transversaux intéressants. Le bilan général reste largement positif, malgré les quelques lacunes soulevées. L’initiative était digne d’intérêt. On attend maintenant les écrits qui devraient être publiés d’ici une année.

Bibliographie

Équipe Mit, Tourismes 1. Lieux communs. Paris, Belin, 2002.

Jacques Lévy, Michel Lussault, (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003.

Résumé

Les journées des 13 et 14 janvier 2005 ont vu se dérouler, le colloque intitulé « Les mondes urbains du tourisme », dans le grand amphithéâtre de l’Institut de Géographie de Paris. Organisé conjointement par le pôle des sciences de la ville de l’Université Paris 7, l’Université d’Angers et l’école d’architecture de Paris-Val-de-Seine, le colloque […]

Fanny Letissier

Doctorante et monitrice en Géographie à l’Université de Reims, elle prépare une thèse sur les vitesses de patrimonialisation de la ville européenne.

Pour faire référence à cet article (ISO 690)

Fanny Letissier, « « Les mondes urbains du tourisme ». Sur un colloque. », EspacesTemps.net [En ligne], Dans l’air, 2005 | Mis en ligne le 1 février 2005, consulté le 01.02.2005. URL : https://www.espacestemps.net/articles/les-mondes-urbains-du-tourisme-sur-un-colloque/ ;