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Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

La grande mode des petits crédits.

Microfinance au Kerala, entre mythe et réalité.

Image1La microfinance [1] semble ne plus rien avoir à prouver. De la fondation de la Grameen Bank au Bangladesh en 1976 à l’attribution du Prix Nobel de la paix 2006 à son fondateur le Professeur Muhammad Yunus, en passant par le Sommet du Microcrédit en 1997 et l’Année internationale du Microcrédit déclarée par l’ONU en 2005, le crescendo de sa popularité pourrait être comparé à un parcours sans faille. Les médias en ont relayé avec enthousiasme les promesses alléchantes : universalisation de l’accès des plus démunis aux services financiers (épargne, crédit, assurances, transferts monétaires), sortie du cercle vicieux de la pauvreté, « empowerment » [2] des femmes (principales destinataires de la microfinance), stimulation de l’entrepreneuriat local, le tout à moindre risque avec plus de 95% des microcrédits remboursés. Sur la scène de la coopération internationale au développement, la microfinance ― en particulier son volet microcrédit ― apparaît désormais comme un outil efficace et universalisable de lutte contre la pauvreté. Convaincues par la viabilité économique de cette stratégie, les institutions bancaires et financières ont rejoint le peloton de ses promoteurs. À l’échelle mondiale, les clients de services microfinanciers se comptent en millions d’individus et les montants globaux d’épargne et de crédit en milliards de dollars. Quant aux experts des sciences économiques, ils centrent principalement leurs analyses sur l’accroissement de l’offre de microcrédit et du nombre de bénéficiaires, les facteurs de réussite ou d’échec en termes de réduction de la pauvreté, ainsi que les possibilités de rendre financièrement viables les institutions de microfinance.

Devant un tel consensus, faibles sont les voix qui osent s’élever pour appeler à la vigilance et s’interroger sur les limites d’une stratégie aussi prometteuse. Le mythe, au sens de « mode d’organisation des représentations du réel », de « cadre mental permettant d’agir efficacement dans une société donnée à un moment donné » (Guérin, Servet, 2005, p. 85), appelle pourtant les interrogations. Présentée comme stratégie globale de lutte contre la pauvreté sur la scène internationale, comment la microfinance s’incarne-t-elle au niveau local ? Comment les populations défavorisées visées s’approprient-elle cette stratégie dans leurs pratiques quotidiennes ? Notre questionnement se réfère à la voie, ouverte par l’anthropologue Polanyi (1944), d’une appréhension historicisée des phénomènes économiques. Polanyi propose en effet d’aborder ces derniers non pas comme relevant d’une logique interne et universelle, mais comme étant « encastrés » (embedded) dans des structures sociales plus larges, rendant indispensable la prise en compte du contexte historique, politique, social et culturel particulier, au sein duquel les phénomènes économiques naissent et se transforment.

Image2Dans cette optique, nous proposons au lecteur (télécharger le mémoire de master) un éclairage socio-anthropologique sur un sujet majoritairement investi par les sciences économiques. Contrairement au discours dominant, nous argumentons que le bon fonctionnement des groupes de microfinance (« self-help groups ») n’est pas garanti a priori par le principe du « cautionnement solidaire » [3]. Sur la base de nos observations de terrain et entretiens qualitatifs réalisés au Kerala en Inde du Sud [4], nous argumentons que le fonctionnement de ces groupes ne va pas de soi mais est soumis aux difficultés de l’action collective et à la poursuite des intérêts individuels des membres du groupe. Dans leurs pratiques, les membres s’approprient et parfois détournent les objectifs et règles émises par les institutions de microfinance, avec des conséquences très variables. Pour certains, microfinance sera synonyme de prise de confiance en soi, de liberté de mouvement et de développement de réseaux de solidarité, tandis que pour d’autres, cette pratique rimera avec remboursements difficiles et cascades d’emprunts, détournements de crédits à des fins non productives ou émergence de conflits.

Les améliorations des conditions de vie promises par les promoteurs de la microfinance perdent dès lors leur caractère automatique et universel, pour retourner au rang du possible et du complexe. Face à cette stratégie susceptible du meilleur comme du pire, nous ne pouvons qu’encourager les organismes engagés dans la microfinance à prendre du recul. Il semble en effet urgent, dans le contexte d’engouement international en faveur de la microfinance, de garder à l’esprit que le mécanisme de cautionnement solidaire n’est pas garant de succès en soi. Prendre le temps de considérer de près les contextes locaux et s’interroger sur les mécanismes à combiner avec celui de cautionnement solidaire semblent incontournable, afin de limiter les effets pervers liés à la microfinance observés — tels qu’endettement, détournement de prêts pour le paiement d’une dot, surcharge de travail et remboursement de prêts au détriment des besoins de base des femmes bénéficiaires par exemple — et lutter réellement contre la pauvreté.

Crédits photographiques : © Mélanie Pitteloud, « Self-help group en réunion », « Tenue des comptes hebdomadaire », Kerala (Inde), 2005.

Résumé

La microfinance1 semble ne plus rien avoir à prouver. De la fondation de la Grameen Bank au Bangladesh en 1976 à l’attribution du Prix Nobel de la paix 2006 à son fondateur le Professeur Muhammad Yunus, en passant par le Sommet du Microcrédit en 1997 et l’Année internationale du Microcrédit déclarée par l’ONU en 2005, ...

Bibliographie

Isabelle Guérin, Jean-Michel Servet, « L’économie solidaire entre le local et le global : l’exemple de la microfinance », Recma, No. 296, pp. 83-99, 2005.

Elisabeth Hofmann, Kamala Marius-Gnanou, « Le microcrédit pour les femmes pauvres. Solution miracle ou cheval de Troie de la mondialisation? Etat du débat », in Jeanne Bisilliat (dir.), Regards de femmes sur la globalisation. Approches critique, Paris, Karthatla, pp. 215-238, 2003.

Karl Polanyi, The Great Transformation: The Political and Economic Origins of Our Time, Rinehart and Company Inc, 1944.

Jean-Michel Servet, « Modèles comparés de microfinance en Inde » in Isabelle Guérin, Kamala Marius-Gnanou, Thierry Pairault et Jean-Michel Servet (dir.), La microfinance en Asie : Entre traditions et innovations, Paris, Éditions IfpIrd-Karthala, 2005.

Notes

[1] La microfinance regroupe un ensemble de produits financiers proposés aux exclus du système bancaire formel. À ses débuts, la microfinance se résumait au microcrédit, soit la possibilité, pour des familles pauvres, d’accéder à de très petits prêts afin de pouvoir conduire des activités génératrices de revenus. Progressivement, les activités microfinancières se sont étendues à d’autres services financiers tels que l’épargne, l’assurance ou les transferts d’argent.

[2] Sans correspondant dans la langue français, le terme empowerment peut se traduire littéralement par un « accès à plus de pouvoir » pour les catégories vulnérables et marginalisées de la population (Hofmann, Marius-Gnanou, 2003).

[3] Le modèle du self-help group repose sur une approche collective de la microfinance, largement prédominante auprès de la clientèle féminine. Lors de réunions régulières (hebdomadaires en principe), les self-help groups (vingt personnes maximum en Inde, de niveau socio-économique le plus homogène possible) procèdent de façon autogérée à des opérations microfinancières. Après avoir débuté avec des activités d’épargne, le groupe peut contracter des crédits de plus en plus élevés grâce au principe de « caution solidaire », soit la responsabilité conjointe — à défaut de garantie matérielle — de tous les membres pour chaque prêt individuel contracté. Destinés à l’amélioration immédiate des conditions de vie, les premiers prêts sont supposés être rapidement remplacés par des prêts plus conséquents à visée productive (micro-entreprises), afin que le remboursement puisse s’effectuer sans encombre grâce aux revenus générés (Servet, 2005).

[4] Les observations et entretiens se sont déroulés sur une période de deux mois en été 2005, au sein de deux ONG indiennes soutenues par la fondation suisse pour le développement et la coopération internationale Intercoopération.

Auteurs

Mélanie Pitteloud

Socio-politologue de formation, elle a étudié à l’Université de Lausanne et dédié son mémoire de recherche à l’étude de groupes féminins de microfinance au Kerala en Inde du Sud. (2006). Depuis février 2007, elle coordonne le pôle éditorial d’EspacesTemps.net et gère la communication de l’Institut du développement territorial de l’EPFL. Elle a publié le texte « Des Routes », Revue Archipel, Vol. 27, Université de Lausanne, 2005. Intéressée à la vidéo, elle a réalisé un documentaire sur une association d’agriculture contractuelle de proximité L’Agrihotte (13’, mini DV, 2008).

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Sérendipité.

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