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Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

Ils sont venus chercher le soleil, ils ont trouvé l’incendie.

Itinéraires individuels, pratiques spatiales et enjeux sociaux dans les lotissements périurbains méditerranéens.

Cet article vise à analyser les modes d’habiter — au sens de résidence mais aussi de pratique des lieux (Stock, 2004) — dans les lotissements périurbains des régions méditerranéennes françaises au contact avec la forêt à travers l’exemple des résidents permanents des lotissements du massif des Albères (Pyrénées-Orientales). Ce cas est révélateur de processus à l’œuvre sur tout le pourtour méditerranéen : l’attractivité des territoires, l’étalement urbain et le mitage, conjugués à l’avancée de la friche et de la forêt sous l’effet de la déprise agricole, mettent des populations urbaines au contact d’espaces naturels à risque. Ces évolutions, observées également dans d’autres contextes géographiques comme les États-Unis par exemple (Theobald et Romme, 2007), donnent donc naissance à des zones d’interface forêt-bâti : « en intégrant plus ou moins des massifs de végétation forêt, garrigues… avec des fonctionnalités liées aux systèmes urbains, elles constituent de nouvelles configurations spatiales qui forment des territoires plus ou moins complexes » (Lampin-Maillet, 2009). Ainsi, d’après Corinne Lampin-Maillet, dans la région située entre les agglomérations de Marseille et d’Aix en Provence (une soixantaine de communes), ces interfaces représenteraient environ 30 % de la surface et près de 56 % des bâtis résidentiels (Lampin-Maillet, 2009).

Ces phénomènes interrogent les pouvoirs publics alors que la périurbanisation est de plus en plus montrée du doigt pour son manque de durabilité : « elle serait un mode d’urbanisation peu économe de la ressource naturelle et qui induirait des coûts d’équipement et d’usage élevés pour les ménages comme pour la collectivité » (Berger et Jaillet, 2007). En effet, aux coûts inhérents aux lotissements périurbains (voirie, adduction d’eau, d’électricité, etc.), l’insertion de l’habitat dans un cadre forestier méditerranéen ajoute d’importantes contraintes et surcoûts liés à l’existence du risque d’incendie.

Alors que la mesure et l’évaluation du risque incendie font l’objet de nombreuses attentions, y compris la caractérisation du risque dans les zones d’interface forêt-bâti (Lampin-Maillet, 2009), les rapports entre le triptyque « habitat – forêt – incendie » et les pratiques habitantes restent moins explorés aussi bien en France qu’aux États-Unis où la question du risque dans les zones d’interface a émergé plus précocement (Reams et alii, 2005).

Notre objectif est donc de décrypter, à travers l’exemple du massif des Albères, les relations que les populations périurbaines entretiennent avec les espaces forestiers qui les entourent : quelles perceptions ont-elles des espaces forestiers ? Quels usages en font-elles ? Comment le risque d’incendie influence-t-il les modes d’habiter ?

Un travail d’enquêtes par entretiens semi-directifs mené auprès des résidents permanents, des élus et des services de l’État de 2004 à 2009 a permis de montrer que la plupart des habitants témoignent du même type d’itinéraire : une origine urbaine, des séjours de vacances, l’achat du terrain ou de la maison pour les vieux jours avec un coup de cœur pour le soleil, la vue et la forêt. Nous nous efforcerons de montrer comment ces habitants découvrent le risque et comment, sous l’effet de politiques publiques intrusives (plans de prévention des risques pour bloquer l’urbanisation et réduire la vulnérabilité du bâti existant, débroussaillement obligatoire autour des constructions, etc.), le feu, ou plutôt sa menace, prend une part croissante dans leur quotidien. Si « la configuration des espaces périurbains [y] conditionne, en quelque sorte, un mode de vie singulier » (Cailly, 2008), nous chercherons à montrer qu’ici le feu constitue un ingrédient supplémentaire qui, même en son absence, façonne les comportements et les pratiques spatiales. Par l’imposition de normes de plus en plus strictes, le feu modèle les espaces publics et privés tout comme les relations de voisinage.

Un terrain observé sur cinq ans : suivre la mise en place des plans de prévention des risques.

Les enquêtes par entretiens semi-directifs menées dans le cadre de ce travail se sont déroulées entre 2004 et 2009. Cette période, juste après des feux catastrophiques dans le département du Var en 2003 (Clément, 2005), a été marquée par une forte mobilisation des pouvoirs publics afin de mieux maîtriser le risque incendie dans les zones périurbaines méditerranéennes. Le cas des Pyrénées-Orientales est intéressant dans la mesure où les mesures engagées ont été particulièrement « offensives » (Bouisset, 2011). Elles se sont concentrées dans un premier temps sur le massif des Albères. Le travail d’enquêtes que nous avons mené couvre ainsi une période de cinq ans : elle correspond au délai accordé aux propriétaires pour mettre aux normes leurs habitations après l’adoption des premiers plans de prévention des risques d’incendie (PPRIF), qui imposent des normes de sécurité et règlementent la constructibilité dans les zones à risque [1].

Les enquêtes ont visé d’abord les acteurs institutionnels en charge de la protection contre l’incendie à l’échelle départementale : Service Interministériel de Défense et de Protection Civile (SIDPIC) qui pilote la politique préventive au niveau de la préfecture, Direction Départementale de l’Agriculture et de la Forêt, Service Départemental d’Incendie et de Secours, etc. Les entretiens se sont focalisés sur les orientations stratégiques de la politique départementale en matière de protection contre l’incendie, la méthodologie et le processus d’instruction et d’adoption des premiers PPRIF et, enfin, l’accueil fait par les élus et la population à cette politique et la gestion des conflits (notamment les procédures judiciaires) par l’administration. Certains acteurs, notamment le SIDPIC, ont d’ailleurs été rencontrés à différentes dates avant et après l’entrée en vigueur du premier PPRIF.

Ont ensuite été interrogés les élus des communes des Albères concernées par la première vague de PPRIF afin de reconstituer l’historique de leur commune en matière de risque mais aussi d’aménagement et d’urbanisation, de mesurer leur connaissance à la fois du risque et des dispositions réglementaires ainsi que leur perception de la politique des services de l’État.

Enfin, le dernier volet avait pour but de comprendre le rapport des habitants à la forêt et au risque d’incendie et les effets concrets de la politique préventive pour la population. L’enquête s’est donc déroulée en trois temps : une évaluation de la situation foncière et de la perception du risque (i) grâce à quelques entretiens tests dans les divers lotissements du massif des Albères avant la mise en place des PPRIF. Nous avons travaillé sur des lotissements forestiers construits dans les années 1960-70 avant que la Loi montagne n’interdise l’urbanisation des espaces forestiers du massif. Le travail a porté principalement sur quatre communes : Sorède, Laroque-des-Albères, Le Boulou et Céret (Carte1).

Carte 1. Les lotissements forestiers des Albères.

Une deuxième phase a ciblé Laroque-des-Albères, première commune dotée d’un PPRIF et en particulier le Domaine des Albères, premier lotissement classé en zone rouge, donc à haut risque (ii). Cette enquête a privilégié les propriétaires fonciers et résidents permanents, a priori plus intéressés et mieux informés que les vacanciers de passage. Le petit nombre de ménages (une quinzaine en tout, les quelques autres potentiellement concernés étant soit absents lors des périodes d’enquêtes, soit hors d’état de répondre car malades et d’âge très avancé) ne se prête évidemment pas à des enseignements statistiques. Mais ces entretiens approfondis (jusqu’à 3 heures pour les plus longs) permettent néanmoins d’obtenir des témoignages très convergents sur les itinéraires résidentiels et les motifs d’installation, le rapport entretenu avec l’environnement forestier, la connaissance et la perception du risque et des dispositions réglementaires ainsi que la prise en compte réelle du risque et de la législation dans les pratiques.

Enfin, un suivi de l’évolution paysagère des lotissements a été assuré (iii). Un travail d’observation dans les divers lotissements tout au long de la période d’étude a en effet permis d’évaluer le respect de la réglementation en matière d’urbanisme et la mise en œuvre des dispositions préventives à la fois sur les parcelles construites, sur les parcelles inconstructibles et sur les espaces publics.

L’objectif du présent article est donc de montrer comment le risque et les politiques de prévention dont il fait l’objet façonnent à la fois les politiques d’aménagement des espaces périurbains mais aussi et surtout les pratiques quotidiennes et le cadre de vie des populations résidentes.

Vivre dans un patrimoine forestier méditerranéen : pratiques et représentations des résidents.

Les lotissements étudiés se situent sur le versant nord du massif des Albères (Photo 1). Ils ont tous été créés dans les années 1960 et 1970 avant que la Loi montagne n’interdise toute nouvelle urbanisation du massif. Si la plupart des constructions datent de cette époque, certaines parcelles étaient encore à lotir au début des années 2000, formant des « dents creuses » au sein de certains lotissements. Ces lotissements se situent tous à bonne distance des noyaux villageois et, sans prendre véritablement l’apparence de résidences fermées, forment des entités clairement délimitées. Dès leur création, ils étaient clairement destinés à une clientèle extérieure à la région, ce qui ne manque pas encore aujourd’hui d’être source de certaines tensions. Les lots ont en effet été commercialisés via des petites annonces dans la presse nationale et dans des publications destinées aux Français expatriés. L’importance de cette clientèle spécifique explique, par exemple, qu’aujourd’hui encore le lotissement des Chartreuses du Boulou est parfois surnommé la « petite Afrique ». Si plus de quarante ans après la clientèle initiale a la plupart du temps cédé la place, la population des lotissements demeure particulière puisque majoritairement constituée d’étrangers à la région. Cela n’est en soi pas surprenant même si la proportion va au-delà des caractéristiques démographiques générales de la région Languedoc-Roussillon où, selon les chiffres de l’INSEE, un habitant sur deux n’est pas né dans sa région de résidence. Les retraités venus d’autres régions françaises sont particulièrement représentés dans la population permanente des lotissements étudiés. Beaucoup de logements sont toutefois des résidences secondaires et les acheteurs étrangers originaires d’Europe du Nord sont devenus de plus en plus nombreux, si bien que dans certains lotissements comme dans celui du Domaine des Albères, la population permanente est minoritaire.

Photo 1 : Le lotissement « Domaine des Albères » vu depuis le centre du village de Laroque-des-Albères (cliché Ch. Bouisset).

Ces résidents sont la plupart du temps aisés, même si cette aisance est parfois à nuancer dans la mesure où les lotissements ne sont pas totalement homogènes : les villas cossues possédées par de riches étrangers ou des cadres retraités coexistent en effet avec quelques pavillons plus modestes sur des parcelles plus petites, habités par des classes moyennes, souvent acquis avant l’explosion des prix immobiliers, ou reçus en héritage. Le phénomène, observé ailleurs dans le périurbain méditerranéen, contribue donc à « atténuer au plan statistique le contenu socialement très aisé de ces zones » (Pinson et Thomann, 2004, p. 6).

La plupart des habitants permanents proviennent du monde urbain et ont acheté un terrain ou une maison pour leur retraite. Ainsi ce couple bordelais : « Il y a 20 ans, on a pensé à notre retraite : on ne voulait pas rester à Bordeaux. On en avait marre de la pluie. Ici, c’est le calme, la verdure. Tous les avantages : la Corse sans les Corses ! » (Couple de retraités : femme puéricultrice, homme garagiste). Sans surprise, la quête d’un cadre de vie ensoleillé est sans conteste le facteur déclenchant la recherche d’un lieu de résidence en région méditerranéenne. Chez les catégories les moins aisées, le choix particulier du Roussillon tient à certains avantages comparatifs : « On cherchait le soleil et ici c’était abordable. Plus que sur la Côte d’Azur » (couple d’enseignants).

Comme mentionné par les retraités bordelais qui évoquent le calme et la verdure, l’ambiance joue un rôle essentiel dans le choix particulier des Albères. Le massif cumule en effet plusieurs avantages : une vue dominante sur la plaine du Roussillon, le massif du Canigou à l’ouest et la mer Méditerranée à l’est. « La vue, la tranquillité, j’aurai pas de HLM devant moi. Nous, on aime la nature : les crêtes, les vieilles pierres, les rochers. […] Il faut aimer la nature. C’est pour ça que je n’ai pas de rideau, je vois les nuages et le ciel… » (infirmière retraitée). La dimension esthétique est donc un critère essentiel de même que le rapport individuel à la nature. La référence aux HLM témoigne que la recherche d’un certain cadre de vie et d’une nature bienfaisante (Pinson et Thomman, 2004) ne va pas non plus sans le souci certain de l’« entre soi » voire, comme dans la citation précédente sur les Corses, un rapport difficile à l’altérité. Le goût pour la nature n’empêche donc pas la recherche de certaines formes de proximité à la fois sociales et spatiales avec le contexte sécurisant d’un lotissement proche des services urbains (les centres-villes sont à quelques centaines de mètres) : « Ici, le soir on a le Roussillon à nos pieds. Ici on est en forêt. Les maisons sont rapprochées : c’est bien car les gens aiment bien être seuls mais pas isolés » (gardienne du Domaine des Albères, elle-même résidente du lotissement). Les lotissements offrent donc bien « une retraite rurale en même temps qu’un appendice urbain » (Pinson, 2006, p. 56).

Les résidents interrogés témoignent ainsi tous de choix résidentiels guidés par les aménités et la recherche d’une certaine qualité de vie. La plupart des habitants possèdent d’ailleurs une assez bonne connaissance de cet environnement forestier, ils énumèrent principalement les arbres et les arbustes (chênes verts, chênes-liège, châtaigniers « bien malades » et arbousiers poussant sur leur parcelle) : « Ce chêne-liège, c’est quelque chose qui m’a fait acheter ! » (enseignante retraitée). Ils adorent donc leur « forêt », ils viennent en partie pour cela : « Quand on a quitté la région parisienne, on a acheté à Montbolo une maison neuve. Je ne me suis pas plu. J’avais été attirée par la Vallée Heureuse. On venait de la forêt de Rambouillet. J’ai recherché ce type de cadre » (femme au foyer). Sans nul doute, ces représentations et aménités constituent de véritables valeurs géographiques au sens de Vincent Berdoulay, où l’on voit bien les résidents « s’émerveiller devant l’harmonie et l’équilibre des phénomènes naturels » (Berdoulay, 1995, p. 384) de la forêt méditerranéenne tout en mettant l’homme en son centre. Si les résidents la définissent bien comme une végétation méditerranéenne : « c’est vert toute l’année » (retraité SNCF, ancien syndic), souvent ils sont moins tournés vers son côté naturaliste que vers ses utilisations traditionnelles ou de loisirs : « On a débroussaillé le terrain. Depuis 1996, on habite là. La bruyère, la blanche, elle est splendide, les abeilles les adorent (sic). On en faisait des pipes avec dans les années 1940-50.  C’est une végétation spéciale ici. On a vu que cela poussait trop. On l’a enlevée à la pelle, cela a fait du bois pour trois hivers. Cela fait un charbon magnifique, des braises top ! Les sarments, ils sont traités, la bruyère, non ! On a que des avantages sauf le manque d’eau » (retraité des travaux publics). Le discours est alors forcément contradictoire par rapport à l’idée même de forêt : ils en jouissent mais exploitent aussi le milieu et l’ont fortement aménagé.

En effet ces aménités donnent lieu à des pratiques récréatives dès que l’installation devient effective : l’environnement forestier apparaît ainsi propice à la promenade, à la cueillette des champignons, des châtaignes, etc. Mais ces pratiques tendent à évoluer au fil du temps soit par la banalisation de ce cadre de vie soit parce que l’âge ou la situation personnelle ne permettent plus certaines activités. Ainsi cette enseignante à la retraite qui n’ose plus se promener depuis son divorce et la disparition de son chien : « Au départ, je me promenais beaucoup, plutôt dans les bois […]. J’avais un chien et deux neveux, des petits Parisiens. C’est la merveille ici. J’ai arrêté car ce n’est pas très sécurisant, peut-être avec un portable ? Il y avait des choses que j’aimais bien : les champignons, les asperges, les salades à ramasser ».

Le rythme des saisons dicte aussi celui des pratiques et, assez rapidement, l’apprentissage de l’existence du risque d’incendie amène une mise entre parenthèses de la fréquentation de l’espace forestier pendant la période estivale. Le point commun de tous les résidents qui ne sont pas originaires de la région méditerranéenne est en effet l’ignorance du risque d’incendie lors de l’installation. Tous découvrent progressivement l’existence de ce risque : « Au début vous comprenez pas. On ne se rend pas compte quand on arrive là que c’est dangereux. Ça [le feu] court à une vitesse folle. Il faut le voir une fois pour s’en rendre compte » (infirmière retraitée). Même l’information lors de l’achat (y compris désormais par le dispositif obligatoire d’information des acquéreurs et des locataires lors des transactions immobilières) ne suffit pas à la prise de conscience. Tous les témoignages convergent pour confirmer que seule l’expérience réelle d’un feu permet d’en prendre la mesure : « En 1989 ou 1990 il y a eu un incendie [2]. Ma nièce était là, ça a été un moment terrible pour moi […] pour moi l’incendie est devenu une réalité » (enseignante à la retraite).

Les facteurs de risque dans ces lotissements sont en effet multiples : le climat méditerranéen, la densité de la végétation au sein de laquelle les maisons sont insérées, la pente et l’exposition au Nord, donc au vent dominant, font que l’aléa incendie est particulièrement élevé sur tout le massif des Albères. La configuration des lotissements les rend également particulièrement vulnérables : ils sont en effet isolés, desservis en général par une seule voie de circulation et caractérisés par l’existence de nombreuses voies sans issue qui peuvent constituer autant de pièges rendant l’évacuation impossible en cas de sinistre. La relation au risque des résidents est donc double : ils en sont au premier chef des victimes potentielles, mais les incendies étant pour l’essentiel d’origine anthropique, la présence d’habitats en forêt est également un facteur d’aggravation du risque. Ce risque est d’autant plus élevé que la population en présence (et c’est d’autant plus vrai pour les résidents secondaires et les touristes de passage qui louent des résidences à la semaine) méconnait à la fois les comportements à risque et ceux à adopter en cas d’incendie.

Comme souvent, les représentations du risque sont très ambiguës : son existence est à la fois reconnue et minorée. Cette reconnaissance passe par une adaptation des pratiques quotidiennes : on évite de se promener en forêt pendant l’été, on évite de jeter les mégots, on équipe les barbecues de dispositifs de sécurité anti-escarbilles, ou on préfère l’usage de barbecues électriques, etc. Mais ce risque est en même temps minoré car la plupart trouvent les mesures préventives qui leur sont imposées exagérées. L’argumentaire est d’ailleurs souvent identique : si le risque existe bien « en général », leur lotissement lui-même n’a jamais connu d’incendie.

Quand le risque façonne les pratiques et les paysages.

Jusqu’au début des années 2000, le problème du risque d’incendie n’affectait en effet guère la population résidente, mais le renforcement des politiques publiques de maîtrise du risque à partir de ce moment-là fait prendre à l’incendie une importance croissante dans le quotidien. Les graves feux qui ont affecté le Var en 2003 ont amené les pouvoirs publics à durcir considérablement les politiques de prévention du risque. Cette période marque en effet la mise en application plus effective de l’obligation de débroussaillement dans ou à proximité des zones boisées avec le développement des contrôles et des sanctions. Cette obligation s’applique sur l’intégralité des terrains bâtis et non bâtis situés en zone urbaine du Plan Local d’Urbanisme et dans un rayon de 50 mètres autour des habitations situées en zones « non urbaines » [3]. L’année 2003 donne également un coup d’accélérateur très sensible à la mise en place de plans de prévention du risque d’incendie de forêt (PPRIF). Ils interdisent l’urbanisation des zones les plus à risque, peuvent porter le débroussaillement obligatoire à 100 mètres, exiger une mise aux normes de l’habitat existant et le respect de mesures de sécurité lors de l’urbanisation future des zones à risque modéré. Fin 2010, 152 PPRIF étaient prescrits et 81 approuvés en France alors que le nombre de plans approuvés se comptait sur les doigts d’une main au début des années 2000 et que seuls une vingtaine avaient été prescrits (SOeS, 2011). Ces chiffres restent néanmoins modestes au regard des quelque 6000 communes françaises soumises à risque d’incendie de forêt, même si le niveau de risque et des enjeux humains ne sont pas identiques partout. Dans les Pyrénées-Orientales, les huit premiers PPRIF, qui concernent les Albères et englobent donc les lotissements étudiés, sont prescrits dès 2002. Le premier adopté est celui de Laroque-des-Albères qui est entré en vigueur en 2004. Dans certains départements comme les Pyrénées-Orientales, les permis de construire dans les zones à haut risque non encore couvertes par un PPRIF sont également refusés au titre de l’article R 111-2 du code de l’urbanisme qui prévoit qu’un permis de construire peut être refusé « si les constructions, par leur situation ou leurs dimensions, sont de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité du public ».

Les PPRIF peuvent également imposer divers travaux de mise en sécurité aux communes : celui de Laroque prévoit des voies d’accès, des bornes incendie, la création d’un héliport, etc. Les particuliers sont eux aussi concernés : les PPRIF des Albères exigent la « mise à une distance de 3 mètres minimum en tout point des bâtiments des premiers feuillages des arbres par la taille et l’élagage » et ce dès leur approbation. Ils imposent l’enterrement des citernes de combustible dans un délai d’un an. Dans un délai de cinq ans, les bâtiments devront être adaptés avec utilisation de matériaux ignifugés (menuiseries, gouttières) et

en cas d’impossibilité d’évacuation, chaque habitat devra disposer d’un local sécurisé permettant un confinement sécurisé de ses résidents en cas de sinistre. Il devra plus particulièrement être résistant au feu et disposer d’un dispositif susceptible d’éviter la pollution de l’air par les fumées, être équipé d’un moyen de communication téléphonique et d’eau potable (PPRIF de Laroque des Albères, p. 8).

Force est de constater qu’en 2009, soit à l’expiration de ce délai pour le premier PPRIF entré en vigueur à Laroque, aucun résident ne respectait les prescriptions relatives à l’habitat. Tous les propriétaires interrogés ignorent l’existence de la plupart de ces obligations, tout comme d’ailleurs le syndic du lotissement. Il en va de même pour la majorité des élus des communes concernées qui ne se sont guère penchés sur les détails du règlement des PPRIF. Comme le souligne l’un des commissaires enquêteurs du PPRIF de Laroque : « Dans les réunions publiques, les gens qui y ont assisté ont surtout retenu les obligations de débroussaillement et n’ont pas tellement retenu les aspects relatifs au PPR[IF], alors que les gens qui les ont organisées ont eu l’impression d’en parler ». La communication officielle sur le risque insiste en effet surtout sur la question du débroussaillement et on constate que les autres dispositions du PPRIF n’ont été que peu médiatisées, sans doute parce que jugées moins prioritaires mais aussi certainement parce que susceptibles de renforcer l’opposition déjà virulente aux PPRIF.

Dans les Pyrénées-Orientales, le durcissement des politiques préventives passe donc tout d’abord par une information des riverains sur l’existence du risque et surtout l’insistance sur leurs obligations en matière de débroussaillement. On observe ainsi dans tous les lotissements le développement d’un affichage informatif qui identifie le risque et précise la marche à suivre en matière de débroussaillement obligatoire. Dans les lotissements étudiés, le débroussaillement s’apparente à un véritable travail de Sisyphe qui marque le quotidien et les paysages. L’objectif de ce débroussaillement est de limiter la continuité verticale et horizontale du combustible pour freiner ou empêcher l’avancée du feu et sa propagation du sol vers les cimes et le toit des habitations [4].

Lorsque l’habitat se situe au sein d’une forêt dense, qui plus est en pente forte, comme cela est le cas dans les Albères, l’opération initiale de débroussaillement constitue des travaux importants qui impliquent le plus souvent l’abattage d’arbres et l’évacuation de gros volumes de déchets végétaux que les particuliers peinent parfois à effectuer eux-mêmes. L’obligation débouche donc sur la création d’un important marché sur lequel prospèrent de nombreuses entreprises spécialisées dans le débroussaillement et l’entretien des jardins. Le coût de ce débroussaillement est extrêmement variable selon la configuration des lieux et la possibilité ou non de mécaniser les travaux : il peut ainsi aller d’environ 1000 à 4000 euros à l’hectare selon les circonstances, sachant que le débroussaillement obligatoire de 50 mètres correspond au nettoyage d’environ un hectare et que la surface grimpe à trois hectares lorsque l’obligation est portée à 100 mètres. Le coût est d’autant plus élevé que le débroussaillement initial n’est pas suffisant : les riverains ont en effet l’obligation de maintenir en permanence l’état débroussaillé de leur terrain, l’obligation étant effective chaque année à partir du 15 avril. La croissance de la végétation (parfois d’ailleurs accélérée par le débroussaillement et l’ouverture du milieu…) implique donc un entretien permanent.

Cette obligation revient dans les faits à édicter des normes d’aménagement des jardins et se traduit par des injonctions parfois extrêmement contraignantes : ainsi les documents pédagogiques distribués dans les Pyrénées-Orientales recommandent-ils d’éviter les haies continues à moins de 10 mètres de l’habitation, de maintenir une distance de 5 mètres entre les pieds des arbres, eux-mêmes éloignés de trois mètres de l’habitation. Il est également préconisé de mettre en place une bande dépourvue de végétaux sur un mètre autour de l’habitat.

Le travail d’enquête et d’observation dans les lotissements étudiés permet de constater que cela contribue à façonner des paysages très particuliers, totalement artificialisés, y compris au-delà du strict périmètre des jardins puisque l’obligation de débroussaillement est indépendante des limites de propriété. Bien que les documents pédagogiques précisent que l’objectif n’est pas de supprimer tous les arbres, certains créent un périmètre totalement dépourvu d’arbres autour de leur habitation (Photo 2). Ailleurs l’élagage et l’éclaircie de la végétation génèrent un paysage qui relève davantage du parc ou du jardin que de la forêt.

Photo 2 : périmètre débroussaillé et déboisé autour d’une habitation en bordure du Domaine des Albères (cliché : Ch. Bouisset).

Malgré les contrôles, on constate également que toutes les habitations sont loin de satisfaire aux normes ainsi édictées. Ceci est particulièrement vrai pour les résidences secondaires dont certaines ne sont absolument pas entretenues. Dans l’immense majorité des cas, on constate que le respect de l’obligation de débroussaillement n’est que partiel. Ce non-respect relève de deux catégories d’explication : l’incompréhension des normes et une résistance plus ou moins active à leur application. Le premier cas de figure est observé dans quelques jardins : il témoigne de l’incompréhension de certains termes techniques employés dans les brochures d’information du public, notamment par des propriétaires étrangers. Ainsi, dans deux cas observés, l’obligation d’élaguer les arbres à deux mètres de hauteur a-t-elle été mal comprise et les arbres étêtés, laissant dans le jardin des « poteaux » de deux mètres de haut (Photo 3). D’autres difficultés tiennent à l’interprétation et à la transposition des consignes théoriques sur le terrain pour savoir, par exemple, quels végétaux éliminer ou quels sujets peuvent être conservés.

Photo 3 : Consignes mal comprises : arbre non pas élagué mais carrément étêté, en voie de régénération (cliché Ch. Bouisset).

Au-delà de l’incompréhension, les difficultés relèvent également de réticences que l’on pourrait qualifier de patrimoniales : « Les gens ont mal compris les directives. […] Le domaine est un endroit que je trouve agréable parce qu’il y a des arbres et maintenant il y a des poteaux dans les jardins. J’ai essayé de leur dire [au voisin] mais il l’a mal pris » (enseignante retraitée). À l’instar de ce qui a été observé dans certaines communautés américaines (Daniel et alii, 2003), le débroussaillement heurte en effet de plein fouet les valeurs, notamment esthétiques, qui ont justement présidé aux choix résidentiels. Comme souligné par Pinson et Thomann pour la région aixoise, les populations qui ont fait le choix de s’installer dans ces lotissements forestiers « y projettent un imaginaire et y défendent des valeurs qui pèsent de tout leur poids sur les choix ou nonchoix d’aménagement » (Pinson et Thomann, 2004, p. 5).

Au-delà de la pure dimension esthétique, le rapport émotionnel à l’arbre et à la forêt rend l’abattage particulièrement douloureux et explique bon nombre de réticences : « Je l’ai vécu comme une contrainte [le débroussaillement]. Beaucoup de gens de la copropriété aussi. Par manque de réflexion ils se plaignent des feuilles, mais dès qu’il faut couper un arbre “oh, non ! On a acheté pour ça !” » (enseignante retraitée).

Cela explique largement que toutes les obligations liées au débroussaillement ne sont dans l’immense majorité des cas que partiellement respectées. Ce non-respect prend deux formes principales : le maintien très fréquent d’arbres à faible distance de l’habitation d’une part (Photo 4) et le non-respect du périmètre réglementaire d’autre part. En effet, la zone débroussaillée n’atteint quasiment jamais le rayon de 50 ou 100 mètres imposé. C’est particulièrement vrai pour les habitations situées en périphérie des lotissements et donc en lisière de forêt.

Photo 4 : propriété débroussaillée mais avec maintien des arbres à proximité immédiate de la maison. Le danger vient tout particulièrement du contact des branches avec la toiture (cliché : Ch. Bouisset).

Débroussaillement et propriété : des conflits de voisinage inextricables.

Si la question du coût et de l’ampleur des travaux nécessaires peut expliquer en partie cet irrespect des distances de débroussaillement, l’essentiel est plutôt à chercher dans la question de la propriété foncière. La législation prévoit en effet que l’obligation de débroussaillement est indépendante des limites de propriété. L’obligation porte sur le périmètre qui entoure chaque habitation : c’est donc au propriétaire de l’habitation qu’il appartient d’effectuer les travaux, y compris si nécessaire sur la propriété voisine non bâtie. Le propriétaire immobilier doit solliciter le propriétaire foncier voisin pour obtenir le droit d’effectuer les travaux sur son terrain. En cas de refus ou de non-réponse, les brochures d’information distribuées aux habitants indiquent qu’« une procédure de référé auprès du Tribunal de Grande Instance peut être engagée afin de permettre l’exécution des travaux »

 Cette disposition, qui apparaît le plus souvent comme une atteinte au droit de propriété, est incontestablement la mesure la plus mal acceptée. Elle est évidemment source de nombreux conflits de voisinage, d’autant plus inextricables que, comme on peut le constater sur la Carte 2, dans les zones relativement denses, les périmètres de débroussaillement attachés à chaque habitation se superposent en partie, de sorte que les propriétaires sont fréquemment supposés débroussailler chez le voisin, voire s’entendre à plusieurs pour partager les travaux à effectuer chez un tiers [5].

Carte 2 : partie haute du Domaine des Albères : périmètres théoriques de 100 mètres que chaque propriétaire doit débroussailler. Légende : N’ont été représentés que les périmètres correspondant aux maisons situées en lisière du lotissement. Pour les autres, l’obligation légale se résume dans les faits à débroussailler l’intégralité de leur jardin.

Si l’idée de débroussailler sur une vaste surface pour protéger son habitation n’est pas forcément contestée sur le fond, l’obligation d’effectuer les travaux chez quelqu’un d’autre sans que ce propriétaire soit mis à contribution est particulièrement mal vécue, donnant le sentiment que l’on doit faire l’entretien au profit d’un autre : « Ce qu’on craint le plus, c’est l’incendie. À côté, il y a 4,5 hectares non entretenus. Je ne veux pas aller chez le voisin, c’est un type pas capable, il vit aux crochets de sa mère » (retraité des travaux publics). Tandis qu’une autre personne témoigne de la réponse qui lui a été faite :

Dans la mesure où on est obligé de débroussailler des endroits qui ne nous appartiennent pas, pourquoi les propriétaires ne seraient pas mis à contribution, parce qu’après tout ce sont leurs biens. Il y aurait cinquante mètres à débroussailler pour eux et 50 mètres pour nous. On m’a répondu qu’après tout, les gens qui possédaient des bois n’avaient pas demandé qu’on construise des maisons. (enseignante retraitée)

Le sentiment est encore plus vif si le propriétaire du terrain à débroussailler n’est pas un particulier. Ainsi, en 2005, l’Association syndicale libre des propriétaires des Hauts de Céret doit-elle faire face à la revendication d’un couple de propriétaires : « ces voisins prétendent une nouvelle fois au remboursement de leurs frais de débroussaillement effectués jusqu’à 100 mètres autour de leur maison… au prétexte qu’au-delà des limites de leur propriété, il s’agit d’espaces verts communs dont l’entretien doit être assuré par le comité syndical… !! … Une réponse sous forme de fin de non-recevoir leur sera faite pour leur rappeler leurs strictes obligations » (Compte rendu de la réunion du comité syndical du 29 mars 2005). De la même manière, dans la partie haute du lotissement du Domaine des Albères à Laroque, les propriétaires sont tenus de débroussailler des terrains domaniaux ou communaux, ce qui accentue le sentiment d’injustice en donnant l’impression que l’État force les particuliers à débroussailler des espaces que lui-même n’entretient pas. Impression renforcée quand les communes et le Conseil général eux-mêmes n’effectuent pas le travail de débroussaillement le long des voies de circulation qui leur incombe pourtant.

On ne s’étonnera pas, par conséquent, de constater que la plupart des propriétaires ne respectent pas la distance de débroussaillement. Beaucoup de propriétaires se contentent de débroussailler leur propre terrain, arrêtant les travaux à la limite de leur propriété. À notre connaissance, aucun n’a à ce jour été verbalisé pour cela. Comme si devant la sévérité de la législation et l’ampleur de la tâche à accomplir, les autorités elles-mêmes faisaient preuve de tolérance, préférant se concentrer sur ceux qui ne respectent absolument pas les normes plutôt que de sanctionner ceux qui les respectent partiellement.

La question du risque prend une tournure encore plus problématique à propos des permis de construire. La mise en place des PPRIF dans le massif des Albères entraîne en effet l’inconstructibilité des lotissements. Comme pour les autres risques, ces PPR interdisent l’extension des bâtiments existants dans les zones à haut risque (zones rouges) et bien sûr empêchent toute nouvelle construction. Dès la prescription des PPRIF, la Préfecture a d’ailleurs donné pour consigne de refuser tout nouveau permis par anticipation en vertu de l’article R-111.2 du code de l’urbanisme. Plusieurs contentieux judiciaires en ont découlé, surtout autour des dernières parcelles non loties : à Laroque-des-Albères une dizaine de parcelles sont concernées. Elles sont une vingtaine aux Chartreuses du Boulou. Des propriétaires ayant acheté au prix fort des parcelles constructibles, dotées de certificats d’urbanisme positifs au moment de l’acquisition, se sont ainsi retrouvés dans l’impossibilité de construire. Ce retournement est vécu par les intéressés comme une véritable spoliation puisqu’ils se retrouvent propriétaires de parcelles désormais inconstructibles et d’une valeur inférieure à leur prix d’achat. Certains ont engagé des bras de fer judiciaires avec l’État et les communes contestant à la fois le refus de permis de construire et les dispositions des PPRIF, mais sans succès jusqu’à ce jour. L’attitude des résidents à l’égard de ce problème est toutefois loin d’être univoque ; quelques-uns se réjouissent que le blocage des permis de construire leur garantisse l’absence de voisins immédiats. Dans un cas au moins, les déboires du propriétaire voisin ont permis à un foyer d’acquérir la parcelle concernée et d’agrandir à peu de frais son propre jardin.

Sous l’effet de politiques publiques intrusives, le feu, même en son absence, façonne les comportements, les pratiques spatiales et les paysages. L’incendie — ou plutôt sa menace, car les lotissements étudiés n’ont jamais été parcourus par le feu — prend une part croissante dans le quotidien. Par l’imposition de normes de plus en plus strictes, il modèle les maisons, les jardins, les espaces publics et privés tout comme les relations de voisinage : l’obligation légale de débroussaillement induit des normes d’aménagement et ignore les limites de propriétés obligeant chacun à entretenir le périmètre situé autour de son habitation indépendamment des limites parcellaires. Ces contraintes génèrent des conflits de voisinage ou des conflits avec les pouvoirs publics. Elles heurtent les valeurs esthétiques et naturalistes qui ont conduit la plupart des résidents à choisir ces lotissements comme lieu de résidence. Enfin, elles accélèrent les trajectoires résidentielles poussant à la vente les propriétaires les moins aisés ou qui, l’âge venant, ne peuvent plus assurer l’entretien de leur jardin ou n’ont pas les moyens de recourir à la multitude d’entreprises de jardinage et de débroussaillement qui prospèrent sur ce créneau.

Pour tenter de résoudre les inextricables problèmes du débroussaillement, les services de l’État préconisent la mise en place d’associations syndicales chargées d’effectuer les opérations d’entretien et de faire payer les propriétaires au prorata de la surface qui les concerne. Mais si ce type de mesure pourrait s’appliquer sans trop de difficultés dans les lotissements déjà dotés de syndics, ailleurs, comme dans la partie haute du Domaine des Albères, ce genre de dispositif heurte de plein fouet l’individualisme de résidents, qui refusent de se laisser entraîner dans ce genre de structure collective et y voient une atteinte supplémentaire à leur droit de propriété.

Alors que dans la première moitié du 20e siècle, l’État cherchait désespérément à contraindre des propriétaires forestiers, de plus en plus absentéistes en raison de l’exode rural, à entretenir leurs forêts (Bouisset, 2007), les processus actuellement à l’œuvre tendent à faire de plus en plus reposer le coût de la protection contre l’incendie sur les propriétaires immobiliers des marges périurbaines. Les enjeux ne sont en effet plus forestiers mais résidentiels. La multiplication des zones d’interface forêt-bâti sur tout le pourtour méditerranéen génère en effet des coûts croissants que les pouvoirs publics souhaiteraient voir porter davantage par les intéressés. On constate alors une interpénétration croissante des problématiques urbaines et forestières aux confins des villes méditerranéennes et le surgissement inattendu de la question du risque dans des modes d’habiter guidés par les aménités.

Cette évolution, conséquence de l’étalement urbain et de l’attractivité des territoires méditerranéens, témoigne aussi de la faible prise en compte de la question des risques en amont des politiques locales d’urbanisation, y compris dans des régions pourtant soumises à des risques multiples. La pertinence et la durabilité des formes prises par la périurbanisation ne sont guère interrogées et bien que la politique des PPR ait bientôt 20 ans (tous risques confondus), la réglementation de l’urbanisation dans les zones à risque est toujours davantage perçue au niveau local comme une contrainte que comme un motif de réflexion sur les modalités d’aménagement et d’occupation du sol. Il s’agit pourtant là d’un enjeu essentiel, a fortiori dans un contexte méditerranéen où la pression foncière ne semble pas devoir s’atténuer à l’avenir, bien au contraire.

Résumé

Cet article analyse les modes d’habiter dans les lotissements périurbains des régions méditerranéennes françaises confrontés au risque d’incendie de forêt. L’exemple du massif des Albères (Pyrénées-Orientales) permet de montrer l’interpénétration des problématiques urbaines et rurales aux confins des villes méditerranéennes et le surgissement inattendu de la question du risque dans des modes d’habiter guidés par les aménités : les lotissements étudiés sont largement occupés par des retraités aisés venus d’autres régions, voire de l’étranger et qui ont choisi ces lieux de résidence pour leur cadre naturel. La multiplication des zones d’interface forêt-bâti génère des coûts croissants que les pouvoirs publics souhaiteraient voir porter davantage par les intéressés. Depuis quelques années des mesures de prévention contre l’incendie de plus en plus strictes contribuent à façonner les pratiques quotidiennes, les relations de voisinage et les paysages.

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Notes

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