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Serendipity.

Villes : une démocratie à inventer.

Thierry Oblet, Gouverner la ville. Les voies urbaines de la démocratie moderne, 2005.

Ce compte-rendu a été publié dans la revue Pouvoirs Locaux n°67 de décembre 2005. La rédaction d’EspacesTemps.net remercie Pouvoirs Locaux pour l’autorisation de publication de cet article.

Image1Cet ouvrage de synthèse incite à suivre un parcours historique et problématique de la question du gouvernement des villes en France, en soulignant comment celle-ci est indissociable de l’histoire d’une relation restée asymétrique entre les villes et l’État. Certes, on notera dans l’ensemble une prégnance du vocabulaire de la fragmentation (« spectre », « violence », « entité en voie de décomposition »), manière souvent pessimiste voire partiale de considérer l’état de l’Urbain, mais ce travail contribue pour autant à clarifier efficacement une série d’évolutions et d’enjeux qui se posent au politique et à la démocratie dans les situations métropolitaines. Il rejoint plus fondamentalement ceux qui soutiennent que la ville constitue aujourd’hui l’espace à partir duquel doivent se repenser les conditions de notre expérience démocratique.

L’affaiblissement de l’autonomie politique des villes.

Entreprenant une généalogie du gouvernement des villes, l’auteur y entrevoit deux mouvements, celui d’une logique de contrôle et de réglementation à laquelle fait suite un urbanisme plus opérationnel et actif. Il avance l’hypothèse qu’après l’expérience inédite du mouvement communal et jusqu’au 19e siècle, les pratiques de gouvernement visent à discipliner les espaces urbains et neutraliser les rapports sociaux plus qu’à répondre à leurs attentes politiques. L’État moderne assujettit la ville pour rationaliser la gestion financière, les infrastructures (ville moderne) puis l’espace (ville haussmanienne) afin d’y permettre le déploiement des forces économiques. Cette normalisation de l’Urbain conduit doublement à sa dépolitisation. Socialement, avec l’apparition de ségrégations spatiales et de réduction des sociabilités urbaines (fantasme de la déviance ouvrière). Puis, sur un plan organisationnel, avec l’impossible mise en œuvre de stratégies urbaines, comme le souligne un chapitre sur « l’invention de l’idéologie de la politique du logement » (p. 41) ou un autre évoquant la résistance des compagnies privées lors de la construction du métropolitain. Dans ce mode de gouvernement, le maire conserve le statut d’un relais de l’administration centrale, celui qui assure l’ordre social plus que représentant une population.

La modernisation des Trente Glorieuses illustre alors un décrochage entre la ville et l’État : la planification n’insère pas de savoir (local) dans l’action, elle requiert plus l’assentiment que la participation. À rebours du mythe d’un âge d’or des politiques urbaines (années 60), Thierry Oblet souligne deux nouvelles orientations de la puissance publique : convaincue du rôle joué par le développement urbain dans la croissance économique, elle fait entrer la ville dans l’aménagement du territoire (métropoles d’équilibre). Irruption en trompe-l’œil : avec la prospective, il s’agit plus de « faire faire » que de « faire » ou « laisse faire », le contrôle de l’État persiste malgré d’apparentes ouvertures (incapacité des villes à financer les nouvelles zac…). Autre orientation, une modernisation sociale (équipements, associations, contrats) qui traduit une conception plus fonctionnelle que civique de l’espace public. Face à l’apparent désintérêt des populations pour la chose publique, la raison modernisatrice doit triompher, une nouvelle citoyenneté est promue dont l’équipement culturel et l’animation deviennent les vecteurs, une nouvelle rampe de lancement, aussi, pour les maires. Puis, le foisonnement du phénomène associatif illustre plus une recomposition du pouvoir que l’inauguration d’un débat sur les politiques urbaines ; souvent confisquée par les classes moyennes, l’association évolue en contre-pouvoir instrumentalisé. Enfin, l’auteur rappelle comment le contrat — de ville moyenne — se révélait être plus une adhésion à un modèle d’urbanisme, qu’un moment de production collective.

Politique et démocratie à l’épreuve contemporaine des situations métropolitaines.

L’autonomie politique des métropoles que la décentralisation fait apparaître comme des « villes-acteurs » est-elle désormais acquise ? L’auteur en doute. D’abord, parce que les lois de 1982 ont offert aux villes des capacités d’intervention dérisoires sur le secteur économique, les grands groupes étant seuls à même de prendre la place laissée par le retrait de l’État, d’où la multiplication des délégations de service public ou, désormais, une nouvelle génération de partenariats entre secteur public et privé. C’est moins le désengagement du secteur public qui pose problème, souligne-t-il, que la capacité des institutions locales à disposer d’expertises et des technicités suffisantes pour rester maîtres du jeu et surtout à rendre transparentes ces transactions. Deux évolutions menacent donc le gouvernement de territoires métropolitains : la « procéduralisation » et la professionnalisation de la gestion urbaine qui, par souci d’efficacité, verraient pointer les risques de corruption et de dépolitisation (nouveau décrochage dans la représentation).

On peut, certes, juger abusive la suspicion générale portée sur les dispositifs de participation : réduits à « une mise en scène de la démocratisation », ils entretiendraient davantage d’opacité sur les mécaniques de décision, contredit, plus loi, par le constat d’un rôle nouveau de véritable partenaires pour les associations dans la gestion des services publics locaux. Deux problèmes politiques se posent donc au gouvernement des métropoles : l’un tiendrait à l’impact de la mondialisation de la ville sur les attentes de ses habitants qui leur rend difficile de savoir ce qu’il est légitime ou non de réclamer ; l’autre concerne les logiques croissantes d’écart et de mise à distance (ségrégation). En ce sens, si « l’agglomération devient légitime dans la recherche d’une production de l’équité » (p. 256), elle ne doit pas se concevoir comme un micro-État mais l’instrument efficace d’une mise en œuvre de la solidarité dont l’État devrait rester, pour lui, le garant.

Image2Pour faire s’articuler et non se contredire les logiques de développement économique et de production de la solidarité, trois exigences se présentent au gouvernement des villes : l’une, organisationnelle, passe par la réduction de l’opacité et la constitution d’une capacité d’expertise, la seconde, stratégique, vise à ne pas faire du projet le masque d’une collection d’actions ponctuelles ou d’un renoncement à la planification à long terme ; enfin, la troisième, plus politique, est d’ouvrir la construction d’une raison démocratique qui offre des prises consistantes pour les classes moyennes en ne les cantonnant pas comme c’est le cas, exclues de la métropole mondialisée, à un rôle protestataire.

Le programme ouvert est vaste : abandonner les simplismes producteurs de décrochages (mixité, mythe des traversantes urbaines vertueuses), améliorer la représentativité condition de la gouvernabilité, affermir la légitimité des politiques publiques (transparence, évaluation sérieuse), introduire plus de pragmatisme dans les relations État/local (la ville avec et non contre l’État) et, plus largement, articuler de manière satisfaisante République (production du bien commun) et démocratie (exercice du pouvoir partagé par le plus grand nombre). Une liste conséquente à laquelle on ajoutera l’indispensable mise en œuvre de réflexions soutenues et non concurrentielles entre les métropoles sur leurs stratégies territoriales.

Thierry Oblet, Gouverner la ville. Les voies urbaines de la démocratie moderne, Paris, puf, 2005. 306 pages. 28 euros.

Abstract

Cet ouvrage de synthèse incite à suivre un parcours historique et problématique de la question du gouvernement des villes en France, en soulignant comment celle-ci est indissociable de l’histoire d’une relation restée asymétrique entre les villes et l’État. Certes, on notera dans l’ensemble une prégnance du vocabulaire de la fragmentation (« spectre », « violence ...

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