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Serendipity.

Une capitale pour le futur ?

Mike Davis, City of Quartz – Los Angeles, capitale du futur, 1997.

Image1De l’« American Dream » au désenchantement, Mike Davis nous offre une vision de Los Angeles peu commune. Cette mégalopole mythique de la Côte ouest américaine, hébergeant plusieurs millions d’individus, est représentée, paradoxalement, comme une ville symbole de l’enfer d’un capitalisme postmoderne. Los Angeles se découvre alors comme une dérive des villes modernes, « allégorie de la ségrégation socio-spatiale et de l’ultrasécuritarisme » (Bernard Aspe). Traitant de la conquête et de l’utilisation de l’espace los angelais, ce livre nous conduit à nous poser la question de savoir qui contrôle réellement la ville. Quels sont les différents pouvoirs interférents dans la gestion de la « capitale du futur » ? Comment ces pouvoirs structurent-ils cet espace socialement si complexe ? Aujourd’hui enseignant en sociologie urbaine à l’université, c’est grâce au succès manifeste de cette œuvre que Mike Davis s’est fait reconnaître internationalement. Publiée en 1990 aux États-Unis, elle est toujours une référence en termes de sociologie urbaine.

Sur fond permanent de bataille immobilière et de ségrégationnisme, l’auteur traite de cinq thèmes majeurs, organisés selon les chapitres (au nombre de six, le dernier étant dédié à l’exemple de Fontana, ville de la désillusion californienne).

Dans le premier chapitre, Mike Davis utilise la représentation de la « Cité des Anges » à travers la littérature et le cinéma hollywoodien, pour caractériser la ville selon la vision noire du milieu de siècle. Il nous décrit cet ensemble de discours comme une réalité à part entière, un « travail de sape produit sur le rêve sud-californien et l’idéologie de ses promoteurs » (p. 21). Parlant d’ « urbanité factice », Los Angeles est pour lui à la fois symbole et antithèse du rêve américain. À l’inverse de l’image d’Épinal que l’on a de L.a. comme étant une ville de tous les possibles, on y trouve un racisme exacerbé, des croyances extrêmes (l’Église de Scientologie), une « fausse » culture dissimulée sous des acropoles d’un nouveau genre (Bunker Hill et le Musée d’Art Contemporain), et des clivages de toutes sortes égratignant peu à peu la liberté de chacun. Mike Davis s’appuie dans ce premier chapitre sur la faiblesse culturelle de Los Angeles, ville « incapable de produire sa propre intelligentsia » (p. 18), pour illustrer le fait qu’elle est constituée de différentes strates, et que le « rêve américain » est la couche superficielle, qui occulte les autres. Cependant, il y est déjà question de pouvoir, avec la verve des promoteurs qui s’emploient à essayer de dominer la structuration de l’espace los angelais. Viennent donc ensuite « les jeux du pouvoir »

Au long de ce second chapitre, l’auteur démontre le lien prépondérant entre les magnats financiers et le pouvoir politique. La plupart du temps, ces pouvoirs sont concentrés entre les mains d’omnipotents, même s’il existe des lieux en Californie du sud où ils sont dénués de centre hégémonique. Ce sont donc souvent des « constellations de capital privé » (p. 88) qui dirigent L.a., avec l’aide de « villes satellites » détenant un certain pouvoir nécessaire au fonctionnement de la métropole. Davis note l’importance du rail dans l’extension urbaine. Il est une véritable colonne vertébrale de la ville. La colonisation de Downtown par les Japonais fait que L.a. dépend de plus en plus de Tokyo, notamment à cause des importations américaines. On assiste en parallèle à une « remonopolisation » (p. 119) du foncier » par la spéculation, comme le montre la Irvine Company. Tout cela en relation étroite avec les volontés politiques, déchirées entre le réaménagement de Downtown et l’expansion du Westside. Le développement du foncier sécrète un réseau de pouvoir au niveau régional, voire national. Sur le plan local, on voit s’accroître le phénomène des « nimbies ».

C’est de ce mouvement que traite le troisième chapitre. Le nimby (Not In My Back Yards, en substance : « pas chez moi ! »), c’est la volonté de chaque individu de ne pas voir son cadre de vie troublé par certains groupes ethniques, ou par des aménagements qui le dérangent. Ainsi, l’espace public devient un espace privé, sous la gestion d’associations de propriétaires, agissant selon une logique communautaire. De ces « revendications localistes, est né ce qu’on a appelé le mouvement pour une croissance lente (slow growth) » (p. 140), engendrant ségrégation résidentielle et ethnique. Mike Davis illustre ici le rôle déterminant des propriétaires dans la fragmentation de la métropole, en corrélation avec les logiques de séparatisme municipal (minimal cities), d’écologie de luxe, de polarisation sociale. La « Révolution des nimbies » met en jeu ici le pouvoir des propriétaires dans la structuration de la ville, et dans la détermination des priorités de gestion. Des propriétaires d’ailleurs peu enclins à laisser entrer n’importe qui dans « leur » espace, d’où les dérives sécuritaires et résidentielles, abordées dans le chapitre suivant.

Ce quatrième chapitre assimile Los Angeles à une forteresse surprotégée, « victime » d’une inflation sécuritaire qui combine urbanisme, architecture et dispositifs policiers, dans une vaste entreprise de sécurité. Davis nous fait remarquer un accroissement considérable de la paranoïa et, en corollaire, une hausse de la ségrégation résidentielle sur fond de guerre des classes sociales. Il compare la ville à celle présentée dans le film Blade Runner (réalisé par Ridley Scott en 1982, qui imagine L.a. en 2019 comme une cité décadente), avec ses policiers futuristes.

Le pouvoir politique de l’époque fait ainsi tout pour éviter les contacts entre les ethnies, sources de dangers potentiels. Il s’appuie sur un Lapd (Los Angeles Police Department) tout puissant qui se rend en partie maître de l’espace à gérer. Développant toute une panoplie de matériels de sécurité, blindant ses bâtiments (ex : la Goldwyn Library, bibliothèque régionale construite à Hollywood en 1984, décrite comme une véritable forteresse), les dirigeants de la Cité des Anges sont le Lapd, les politiciens, et le L.a. Times qui nourrit la peur avec des articles à scandale cyniques (son directeur, le Général Otis, fut le premier adepte de la militarisation de l’espace). La ville est marquée par la peur et le mal, elle ne compte pas moins de six prisons à moins de cinq kilomètres de la mairie, pour enfermer les membres des gangs tels que les Crisps ou les Bloods, ainsi que les trafiquants de drogue. Davis nous décrit un Los Angeles empreint d’ultrasécuritarisme, avec une volonté forte de contrôler l’espace pour mieux contrôler les foules. Le Lapd y est pour beaucoup. Tout au long de cet avant-dernier chapitre, l’auteur s’emploie à définir la police de la ville comme une organisation outrepassant ses droits pour faire régner l’ordre. En guerre contre la drogue, le Lapd est vu comme une organisation « pathologiquement » raciste et violente. Elle bafoue la Constitution pour éloigner les populations pauvres, souvent hispaniques ou afro-américaines, de la ville centre, les concentrant dans des quartiers ultra surveillés. Les diverses mesures mises en place, notamment la Step (loi sur la prévention et la répression du terrorisme urbain, élaborée par James Hahn), constituent selon Davis, des procédés profondément liberticides et anti-démocratiques. Cela débouche alors sur une guerre des gangs à caractère racial, un fossé qui s’élargit entre les ethnies, et une économie souterraine grandissante, seule manière de s’en sortir pour les minorités touchées par une ségrégation sans limite de la part de toute la communauté Wasp (White Anglo Saxon Protestant). Mike Davis assimile alors L.a. à « un océan d’argent sale venant de la drogue ». La ville est un véritable terrain de combat entre le LAPD et les gangs trafiquants de drogue.

Le dernier chapitre est consacré à l’exemple de Fontana, ville de naissance de l’auteur, à cent kilomètres à l’est de Los Angeles, représentant les différentes phases de construction de la métropole. Cette succession d’évènements, dictée par l’entreprise sidérurgique Kaiser Steel, a transformé la ville de Fontana d’un pôle agricole futuriste à un fossile des rêves américains. Passant successivement par le succès industriel puis par la déchéance d’une entreprise qui a perdu son avantage face à la concurrence japonaise, l’histoire de Fontana débouche sur un cataclysme social et économique, touchant toute la ville et sa périphérie, la gestion de l’espace étant ici assurée par une grande entreprise de sidérurgie de pointe (la firme s’effondrera le 31 décembre 1983, emportant avec elle toute la prospérité de Fontana).

En conclusion, l’auteur déduit que c’est dans le domaine urbain que se construisent les logiques d’affrontement les plus aiguës, que ce soit entre classes, ethnies, ou pouvoirs politiques… La ville du futur est celle de toutes les conquêtes… Qui contrôle aujourd’hui Los Angeles, la Cité des Anges… ?

Replacé dans son contexte, cet ouvrage est une description de la Cité des Anges avant la révolution de la net-économie ; la situation a sans aucun doute évolué depuis lors. Si Mike Davis analyse en profondeur la lutte des classes et des pouvoirs pour la gestion de la ville, nous pouvons toutefois faire remarquer le caractère assez tranché des arguments utilisés. Un certain nombre de préjugés émaillent le livre d’un auteur au passé somme toute peu anodin dans le contexte californien, marqué par une appartenance au Parti Communiste ainsi qu’à des cercles trotskistes durant ses études au Royaume-Uni. On comprend alors mieux son approche de la ville au travers de la lutte des classes, et certaines de ses probables exagérations lorsqu’il évoque le Lapd ou la guerre des gangs, de même que sa vision pessimiste des choses tout au long de son ouvrage. De plus, les nombreuses allusions à des personnalités ou des auteurs, sans qu’elles soient expliquées ou justifiées clairement, rendent le discours de Davis parfois un peu arbitraire. Par ailleurs, il est dommage qu’il n’y ait pas davantage de cartes ou de schémas pour illustrer cette organisation originale de la ville de Los Angeles, ce qui aiderait sans doute à mieux comprendre les analyses de l’auteur.

City of Quartz – Los Angeles, capitale du futur est un ouvrage qui explique la dynamique de la ville par la lutte de ses acteurs. Le Lapd violent et raciste, illustrant au mieux le proverbe « diviser pour régner », est autant responsable que les habitants repliés sur eux-mêmes, du Los Angeles dont Davis dresse le tableau. En effet, les habitants de L.a. se ségréguent de leur propre chef, et deviennent ainsi en partie responsables de la différenciation ethnique qui règne dans leur ville. Captivant son lecteur, ce livre, soulevant des problématiques majeures de la ville, nous angoisse et nous passionne. Quoique souvent partiale, l’œuvre de Davis est un livre fort, qui en mettant en cause, tour à tour, tous les acteurs de la ville, dévoile les ficelles de ce « théâtre » du futur qu’est la Cité des Anges.

Abstract

De l’« American Dream » au désenchantement, Mike Davis nous offre une vision de Los Angeles peu commune. Cette mégalopole mythique de la Côte ouest américaine, hébergeant plusieurs millions d’individus, est représentée, paradoxalement, comme une ville symbole de l’enfer d’un capitalisme postmoderne. Los Angeles se découvre alors comme une dérive des villes modernes, « allégorie ...

Bibliography

Notes

Authors

Jonathan Tourbier

Étudiant en licence de Géographie à l’Université de Lille 1.

Partnership

Serendipity.

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