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Serendipity.

Ritualiser l’éphémère.

Les cerisiers en fleurs au Japon.

Image1Le Japon vit au rythme des saisons, c’en est devenu un cliché. Mais dans ce rythme, le printemps correspond à une période très particulière, qui va bien au-delà de ces clichés. Comme dans beaucoup de lieux du monde, le printemps est associé à la renaissance. C’est ici pris très au sérieux : au 1er avril débute une nouvelle année académique, les écoliers retrouvent le chemin de l’école après une grande période de vacances, les entreprises et le gouvernement ouvrent une nouvelle année fiscale. On recommence tout, et les cerisiers en fleurs sont là pour le fêter : lorsque la floraison est à son apogée, tous s’arrêtent pour pouvoir se retrouver sous leurs branchages enneigés, boire et manger, assis sur de grandes nappes en plastique ou sur de larges bancs. Ce jour-là, les entreprises envoient dès l’aurore quelques employés réserver les meilleures places à l’ombre des plus beaux arbres, pour s’y retrouver ensuite tous ensemble.

La date de cette fête, Hanami, varie en fonction des années, du temps et des régions. Au printemps, les bulletins météorologiques s’accompagnent d’annonces précisant la fraction d’ouverture des fleurs pour chaque région, et indique la localisation du sakura senzen, le front des cerisiers en fleurs, qui remonte du sud du pays vers le nord, entre mars et mai.

La floraison provoque tous les émois, notamment des photographes, particulièrement bien équipés au Japon. Les pruniers, à la mi-février, annoncent ces ébats, mais ne reçoivent pas les mêmes gratifications. Les cerisiers, parmi lesquels on compte plus de 400 variétés – dont la sélection, durant des siècles au Japon, a notamment favorisé les arbres dont la floraison commençait avant la pousse des feuilles -, sont considérés par les japonais comme les plus beaux parce que leurs fleurs sont bien plus fragiles. Il suffit d’une bourrasque ou de quelques gouttes de pluie, et c’est la chute, le plus souvent après trois ou quatre jours de triomphe. Selon l’esthétique japonaise, cette beauté est plus appréciée parce qu’éphémère, mais aussi gratuite, les variétés locales ne produisant pas de fruits consommables.

Image2À l’époque médiévale, la chute des fleurs de cerisiers à l’apogée de leur beauté est un symbole fort que le bouddhisme et le Samouraï interprétèrent comme l’homme au sommet de son évolution se détachant du monde. La floraison des cerisiers deviendra l’expression même de la voie du Samouraï, et dont le symbole sera également associé aux kamikazes lors de la Seconde Guerre Mondiale. La tradition du Hanami s’est étendue à l’ensemble de la classe des guerriers et Toyotomi Hideyoshi, au 16e siècle, qui joua un rôle clef dans l’unification du pays, organisa de somptueuses fêtes du Hanami pour refléter l’étendue de son pouvoir.

Ces fêtes s’élargirent à l’ensemble de la population à l’époque Edo, vers la fin du 17e siècle, les paysans pour en célébrer le bon augure des futures récoltes de riz, et la noblesse pour sa quête esthétique. Cet arbre reste un symbole utilisé par le pouvoir : voici quelques mois, le gouvernement japonais a offert nombre de cerisiers au Viet-Nam pour célébrer le trentième anniversaire de leurs relations diplomatiques.

Image3La pluie de pétales est considérée comme la perfection de l’instant, mais dès les pétales au sol, on délaisse tant de réjouissance, on quitte les bancs préparés pour une brève contemplation. La photographie permet aujourd’hui d’immortaliser cette éphémère beauté, de la capturer pour lui faire traverser le temps, et la déplacer aussi dans l’espace afin de l’avoir toujours à portée de la main. Mais on peut alors se demander si du point de vue de l’esthétique japonaise, les fleurs, en perdant de leur fugacité, n’y laissent pas un peu de leur beauté…

Photos ©Blandine Ripert :

Cerisier nain et photographes japonais au temple de Ninna-Ji, Kyoto. (1)

Estampe de Kikugawa Eizan (1787-1867), représentative de la période d’Edo. (2)

La débâcle et l’abandon des bancs, Kyoto. (3)

Abstract

Le Japon vit au rythme des saisons, c’en est devenu un cliché. Mais dans ce rythme, le printemps correspond à une période très particulière, qui va bien au-delà de ces clichés. Comme dans beaucoup de lieux du monde, le printemps est associé à la renaissance. C’est ici pris très au sérieux : au 1er avril ...

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Authors

Blandine Ripert

Anthropologue et géographe, elle est chercheuse au Cnrs, au Centre d’Études de l’Inde et de l’Asie du Sud de l’Éhess. Elle enseigne à l’Institut d’Études Politiques de Paris. Ses recherches portent sur les dynamiques contemporaines en Inde et au Népal. Elle a travaillé sur des phénomènes de conversion religieuse et sur l’impact de la mondialisation parmi des populations rurales. Ses dernières recherches portent sur la diffusion des nouvelles technologies d’information et de communication en Inde du sud. Elle fait partie de la Rédaction d’EspacesTemps.net, où elle est responsable de La photo du mois.

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