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Maigret : première, vous avez dit première ?

Image1« La présence de Maigret au Majestic avait fatalement quelque chose d’hostile. Il formait en quelque sorte un bloc que l’atmosphère se refusait à assimiler. Non pas qu’il ressemblât aux policiers que la caricature a popularisés. Il ne portait ni moustaches, ni souliers à fortes semelles. Ses vêtements étaient de laine assez fine, de bonne coupe. Enfin il se rasait chaque matin et ses mains étaient soignées. Mais la charpente était plébéienne. Il était énorme et osseux. Des muscles durs se dessinaient sous le veston, déformaient vite ses pantalons les plus neufs. Il avait surtout une façon bien à lui de se camper quelque part qui n’était pas sans avoir déplu à maints de ses collègues eux-mêmes. C’était plus que de l’assurance, et pourtant ce n’était pas de l’orgueil. Il arrivait, d’un seul bloc, et dès lors il semblait que tout dût se briser contre ce bloc, soit qu’il avançât, soit qu’il restât planté sur les jambes un peu écartées. La pipe était rivée dans la mâchoire. Il ne la retirait pas parce qu’il était au Majestic. Peut-être, au fond, était-ce un parti pris de vulgarité, de confiance en soi ? Avec son grand pardessus noir à col de velours, il était impossible de ne pas le repérer tout de suite dans le hall illuminé où les élégantes s’agitaient parmi les traînées de parfum, les rires pointus, les chuchotements, les salutations de style d’un personnel tiré à quatre épingles. Il ne s’en souciait pas. Il restait en dehors du mouvement. Les bruits de jazz, qu lui parvenaient du dancing du sous-sol, se heurtaient comme à une barrière imperméable. Alors qu’il montait les premières marches d’un escalier, le liftman l’appela, voulut lui faire prendre l’ascenseur. Il ne se retourna même pas. » (Georges Simenon, Pietr le Letton, Paris, Le Livre de Poche, [1931] 2003, p. 17-18 )

L’extrait est célèbre : c’est la première description du commissaire Maigret dans Pietr le Letton, le livre considéré comme le premier Maigret. Pourtant, tous les lecteurs de Simenon savent que le personnage de Maigret était déjà apparu dans quatre textes écrits avant Pietr le Letton : Train de nuit, La Jeune fille aux perles, La Femme rousse, et La maison de l’inquiétude (les quatre textes sont publiés chez Omnibus, dans une édition établie par Francis Lacassin, sous le titre Simenon, avant Simenon : Maigret entre en scène).

Comment comprendre alors cette existence d’un « Maigret avant Maigret », et l’affirmation répétée de Pietr le Letton comme premier Maigret ? Dès 1966, dans son « Avant-propos » aux Œuvres complètes de Simenon, Gilbert Sigaux rappelle que les romans écrits avant Pietr le Letton ne doivent pas être « considér(és) comme des préparations (ou) des esquisses », qu’il ne faut surtout pas supposer que « Georges Simenon a peu à peu dégagé son personnage d’une masse primitive, comme un sculpteur travaillant la glaise (ou la pierre). Cette vue serait inexacte ». En réalité, « le nom de Maigret sert de support à des personnages différents. Les Maigret des romans cités plus haut ne se ressemblent pas entre eux et aucun n’est superposable au Maigret dont la personnalité se développera à partir de Pietr le Letton ».

Et Gilbert Sigaux de continuer son explication sur la « première des premières » :

« En fait, les premiers Maigret ressemblent à d’autres personnages imaginés par Simenon dans les années vingt et qui, aventuriers ou enquêteurs, ont des traits communs. Il y a du Maigret dans Jarry, et même dans le policier Torrence de quelques romans populaires : Simenon reprendra par la suite le nom de Torrence, qui deviendra un des adjoints de Maigret à la Pj ; mais certains des traits du premier Torrence seront transférés au Maigret définitif. Définitif ? Il est sans doute préférable de dire Maigret deuxième manière, et d’éviter de fixer le type du commissaire dès Pietr le Letton. En effet, au cours des années, à travers les dix-neuf romans de la première période, il évoluera, recevra des nuances, s’enrichira. Par contre il ne changera guère dans la seconde période, celle qui correspond aux Nouvelles Enquêtes de Maigret, à Maigret revient et à Signé Picpus. Mais, dans la troisième, nous le verrons se détacher de la chronologie (parfois implicite) des deux premières et évoluer dans un temps qui est d’abord, nous l’avons noté, celui de son créateur […]. Il est intéressant de considérer un personnage imaginaire comme s’il avait réellement vécu et de l’examiner objectivement, historiquement, de l’extérieur. Pourtant il s’agit là d’un jeu. Car la vie de Maigret n’est pas autre chose que les romans de Georges Simenon. Il faut finalement laisser la place à la fiction, pour retrouver, de roman en roman, une création à travers une créature. » (Gilbert Sigaux, « Avant-propos » aux Oeuvres complètes de Georges Simenon, 1966.)

On peut également consulter sur le réseau :

Une chronologie très détaillée des œuvres de Simenon sur le site des éditions Omnibus, toutsimenon.com.

Le Centre d’Etudes Georges Simenon et le Fond Simenon ; et sur ce site une biographie très détaillée et illustrée (près de 30 pages équivalent papier) par Bernard Alavoine.

Une page ressource de très grande qualité due à Steve Trussel ; et une autre page ressource due à Jean-Paul Corlin.

Le Magazine Littéraire consacre son numéro de Février 2003 à Georges Simenon. Intitulé « Sur les traces de Georges Simenon », la revue publie un dossier de présentation très complet de Simenon vu par les lieux : une « Chronologie » détaillée due à Jean-Baptiste Baronian, la republication du long entretien accordé par Georges Simenon à Francis Lacassin, et de nombreux articles sur les lieux où Simenon a vécu et travaillé (Liège, Paris, Porquerolles, Manhattan…).

Le site du Magazine Littéraire met également en ligne un article de Francis Lacassin, publié en décembre 1975 et intitulé « Maigret ou la clé des cœurs ».

La page d’accueil du Magazine Littéraire.

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« La présence de Maigret au Majestic avait fatalement quelque chose d’hostile. Il formait en quelque sorte un bloc que l’atmosphère se refusait à assimiler. Non pas qu’il ressemblât aux policiers que la caricature a popularisés. Il ne portait ni moustaches, ni souliers à fortes semelles. Ses vêtements étaient de laine assez fine, de bonne ...

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