Carnaval.

Boris Beaude

Où et quand est le carnaval, populaire et subversif ? Plus qu’un moment, le carnaval est devenu un lieu. Rio, Venise, ou Nice sont le carnaval. Moment privilégié lors duquel l’anonymat fut prétexte à toutes les extravagances, le carnaval est aujourd’hui un moment de divertissement parmi d’autres. Le temps est passé, la mairie a remplacé l’église et le carnaval n’a gardé que ses apparats. Si la modernité en a terminé avec le carnaval et les bals masqués, la postmodernité semble l’avoir achevé. L’anonymat n’est plus la condition du défoulement et la fête est permise chaque jour et chaque nuit.

Alors, est-ce bien la fin du carnaval, des masques et de la liberté de se désincarner ? Cela n’est pas évident. À bien y regarder, il y a des lieux où les masques sont omniprésents et où l’anonymat est la condition de l’échange, du contact. Il y a aujourd’hui des centaines de milliers de personnes qui, le temps d’un instant, font fi des apparences, s’essayent à l’altérité dépersonnalisée. Dans l’anonymat le plus total, ils s’offrent la possibilité d’être elle ou celui-là, et de tomber les masques si affinités…

Le plus grand carnaval est permanent et il reste invisible et inconnu par le plus grand nombre. Le mois de mars est le mois du carnaval, comme le mois d’avril et aussi le suivant. Les magasins sont ouverts le dimanche et le carnaval a lieu toute l’année.

Pour cela, il a pris les formes de la modernité la plus radicale. Il n’en reste que sa nature la plus profonde, sa fonction la plus élémentaire. Il est épuré jusqu’au concept. Le carnaval n’est plus qu’un moyen de se défouler, d’exulter, d’extérioriser ses contrariétés et ses contradictions internes même inavouables. Tout simplement, il permet de se confronter à l’altérité dans l’anonymat et le contrôle le plus total. N’est-ce pas là l’acmé de la modernité ? Le temps d’une décennie, et le carnaval a changé de forme, comme s’il renaissait de ses cendres. S’il est maintenant permis à tout instant, s’il rassemble plus de monde qu’il n’en fut jamais espéré, jamais, pourtant, les masques n’ont été si transparents pour ceux qui se font toujours le devoir de le contrôler.

On le devine, Internet est le lieu de ce carnaval planétaire. Plus précisément, il est l’espace des multiples lieux de l’anonymat potentiel. Mais gare à ceux, trop formels, qui ne le voient pas. Certains le regrettent déjà et s’empressent de faire tomber l’anonymat. Bientôt, peut-être, le carnaval sera véritablement terminé.

Abstract

Où et quand est le carnaval, populaire et subversif ? Plus qu’un moment, le carnaval est devenu un lieu. Rio, Venise, ou Nice sont le carnaval. Moment privilégié lors duquel l’anonymat fut prétexte à toutes les extravagances, le carnaval est aujourd’hui un moment de divertissement parmi d’autres. Le temps est passé, la mairie a remplacé […]

Boris Beaude

Géographe, il est spécialisé dans la géographie d'Internet et enseigne à l'Institut d'Études Politiques de Paris. Il prépare une thèse sur la dimension spatiale d'Internet et plus particulièrement sur le piratage de ressources musicales. Il fait partie de la Rédaction d'EspacesTemps.net, où il est responsable du Site du mois.

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Boris Beaude, « Carnaval. », EspacesTemps.net [En ligne], In the air, 2003 | Mis en ligne le 11 May 2003, consulté le 11.05.2003. URL : https://www.espacestemps.net/en/articles/carnaval-en/ ;