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Sérendipité.

Une ontologie par la théorie des ensembles.

Alain Badiou, L’être et l’événement, 1988.

Image1Ce livre part d’un triple constat, quant à l’ontologie, la science et le sujet. Badiou expose en effet que pour l’ontologie il faut admettre que Heidegger a raison d’exiger que la philosophie ne puisse se penser en l’absence d’une relation à l’être. Pour la Science il faut donner acte aux logiciens (surtout anglo-saxons) que les travaux de Cantor fixent « à la pensée des orientations nouvelles ». Pour le sujet il faut convenir qu’une doctrine moderne n’aurait pas de pertinence en dehors d’un lien à des « processus pratiques cliniques et politiques ».

L’originalité de la démarche de Badiou est d’aborder ces trois enjeux ensemble et de leur proposer une « solution » commune, sous la forme hautement originale d’une ontologie construite sur la base de l’ensemble vide et d’un sujet bâti sur une pratique militante au sein d’un indiscernable infini.

Le livre est donc construit par groupes de trois chapitres (appelés « méditations ») qui sont alternativement « conceptuelles », « textuelles » et « métaontologiques ». La base de sa pensée est exposée dans les méditations « métaontologiques » tandis que les méditations « textuelles » sont plutôt des illustrations et les méditations « conceptuelles » des traductions en langue non symbolique (littéraire) des résultats démontrés symboliquement dans le langage de la théorie des ensembles.

Badiou pose en principe que seules les mathématiques savent parler de l’être et qu’elles seules peuvent légitimement construire un discours sur la genèse de l’être. Selon lui, l’être échappe à toute présentation et à toute représentation, il est non dicible et il est simplement proche d’une « consistance déductive sans aura ». Les mathématiques ont cependant ce pouvoir d’être capables de prononcer « ce qui est dicible de l’être-en-tant-qu’être ». Elles seules savent parler de ce qui est en dehors de toute représentation. Les mathématiques peuvent, par exemple, penser le vide et le zéro comme existants sans confusion et sans tautologie. Quelque soit le prix subjectif que la philosophie doit payer, elle doit admettre que le discours ontologique est mathématique tandis qu’elle-même, (la philosophie) est « métaontologique ». À partir d’un tel principe, Badiou écrit une série de méditations qui, de façon très claire, utilisent les principaux théorèmes de la théorie des ensembles pour établir quelques notions simples et fondamentales. L’une des plus importantes est celle de multiplicité, objet indénombrable et parfois infini, mais « compté pour un » par un processus de rassemblement, ou de représentation. L’un est donc ce qui se déduit du multiple, et les opérateurs de déductions sont les symboles classiques d’appartenance et d’inclusion.

L’existence de l’ensemble vide permet alors de définir l’être dans son sens le plus exact (minimal). Badiou écrit que c’est « le nom propre de l’être ». Enfin l’« excès » est ce qui, dans un multiple, excède ce qui est compté pour un, à la façon dont l’ensemble des sous ensembles d’un ensemble est toujours plus grands que son nombre d’éléments.

Par la suite Badiou élabore une réflexion plus complexe : il cherche à penser « l’événement » comme ce qui est nouveau au point d’être impensable mais existant. Il construit ce concept à partir de la notion d’excès, en reprenant la possibilité pour un multiple de s’étendre jusqu’à des éléments nouveaux. Normalement, sont éléments du multiple les objets qui ont une caractéristique qui est dans la définition du multiple (avoir les yeux bleus, être un nombre premier..). Cette appartenance fait partie d’un savoir dont les règles sont fixées par une « encyclopédie ». Cependant face à un objet nouveau, face à un événement (qui sort du vide, dit Badiou), il arrive que l’état actuel du savoir ne sache pas trancher. Il faut alors décider, par un opérateur de fidélité, s’ils font ou non partie de la multiplicité. Les opérateurs de fidélités, qui permettent de choisir en dehors d’un savoir déjà établi sont la science, l’art, l’amour et la politique. Il s’agit d’activités qui impliquent un choix militant et qui proposent à la nouveauté un nom… et, à la longue, une possibilité d’entrer dans le registre du savoir.

Arrivé à cette étape, Badiou peut construire sa théorie du sujet. Le sujet est la procédure de discernement qui enquête sur l’événement et décide (ou non) de lui attribuer une appartenance à un multiple (savoir) déjà connu, ou qui décide de convoquer la mise en place d’un nouveau langage pour dire ce qui est actuellement encore indicible. Le sujet est donc spécifiquement limité à des actions militantes précises, a-réflexives, dont on ne sait pas si elles sont vraies ou pas, parce qu’on ne sait pas si le nom nouveau que propose le sujet pour l’événement aura, à la longue la possibilité d’être vérifiable par un savoir. Le sujet « force » un énoncé à propos d’un événement et fait ainsi une hypothèse sur la vérité. Le sujet est donc « rare » et « croit » qu’il y a une vérité, sans la connaître.

À la fin de son livre Badiou résume son propos en rendant compte de la façon dont il a transformé les enjeux qu’il avait posé en constat au début. Il déclare que la relation à l’être est, en fait, une pensée de la relation à l’événement et à l’indiscernable. Il ajoute que la rationalité contemporaine doit se réfléchir à partir de Cantor pour se défaire du positivisme logique et qu’une théorie du sujet devrait arriver à un croisement sans fusion avec la psychanalyse.

Bien que le texte soit très clair l’ensemble de ces thèses est d’abord difficile parce que Badiou est relativement économe en explications. Il faut suivre pas à pas les démonstrations et ne pas accepter de ne pas comprendre une ligne. Une fois que le lecteur pense avoir compris (ce qui est une bonne expérience de ce que Badiou appelle « forcer un énoncé ») il lui faut replacer cette nouveauté dans les savoirs déjà connus et mesurer ce qui est radicalement nouveau. Il ne va pas de soi que l’être soit construit sur l’ensemble vide plutôt que sur la notion d’infini ! Il ne va pas de soi que le sujet soit « rare », ni qu’un sujet « rare » soit facilement compatible avec des luttes politiques quotidiennes. Il est difficile d’admettre que la partie des mathématiques qui doive servir de fondement à la « métaontologie » soit la théorie des ensembles… alors que les procédures de choix, de discernement semblent plutôt fonctionner comme des mouvements browniens. Il n’est surtout pas du tout évident de voir penser sous la même enseigne d’opérateurs de fidélité des activités aussi variées que l’amour et la politique.

Mais rien n’est évident non plus qui pourrait passer pour une aporie dans le travail de Badiou. Sa théorie du sujet doit un peu au Deleuze-Guattari des machines désirantes et un peu aussi à Lacan, ce qui est un tour de force brillant. Sa conception de la recherche scientifique (créer un savoir nouveau à partir d’un événement indiscernable) pose de vrais problèmes épistémologiques, en particulier sur le statut de l’invention et donc sur la possibilité de breveter du nouveau…

Ce livre est donc un événement dont on ne sait pas encore s’il est seulement philosophique ou s’il finira par être reconnu comme un événement de la pensée scientifique en général. Il est, en tout cas, suffisamment nouveau pour qu’on souhaite suivre avec attention la réception de cette nouveauté chez les scientifiques, les artistes, les politiques et les amoureux.

Alain Badiou, L’être et l’événement (Tome 2 : Logiques du monde), Paris, Seuil, 1988. 561 pages. 30 euros.

Résumé

Ce livre part d’un triple constat, quant à l’ontologie, la science et le sujet. Badiou expose en effet que pour l’ontologie il faut admettre que Heidegger a raison d’exiger que la philosophie ne puisse se penser en l’absence d’une relation à l’être. Pour la Science il faut donner acte aux logiciens (surtout anglo-saxons) que les ...

Bibliographie

Notes

Auteurs

Hervé Regnauld

Professeur de géographie physique à l’Université de Rennes 2, il est responsable du Master et chercheur au laboratoire Costel, Umr 6465 du Cnrs. Ses travaux concernent la modélisation des comportements morphologiques littoraux par des approches quantitatives, essentiellement fondées sur des diagrammes des phases en 3d, quantité d’énergie, quantité d’espace, quantité de matière. Les sites étudiés sont en Nouvelle-Zélande, en Australie, en France et en Irlande. Il est responsable français du Programme International de Corrélation Géologique 495 qui étudie les « Quaternary Land-Ocean Interactions : Driving Mechanisms and Coastal Responses ». Il consacre, par ailleurs, une partie de sa réflexion à une approche théorique du concept d’espace en géographie physique.

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Sérendipité.

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