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Sérendipité.

Si loin.

Trisuli, petite bourgade situĂ©e aux pieds des moyennes montagnes nĂ©palaises. Man Bahadur Tamang s’est invitĂ© pour ...

Lire (vraiment) Leibniz.

Gottfried Wilhelm Leibniz, Discours de métaphysique et Monadologie, 2004.

Image1Le philosophe allemand Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) n’est pas vraiment un inconnu pour les chercheurs en sciences sociales. NĂ©anmoins, il n’est « bien connu », le plus souvent, que pour des raisons qui ne sont sans doute pas les bonnes. Disons qu’il est souvent « bien connu », mais de seconde main (par Gilles Deleuze interposĂ©, ou par presse interposĂ©e), au point qu’on lui accole presque par automatisme les mots de « penseur baroque » ou de « philosophe des monades ». Aussi nous paraĂ®t-il important de rappeler que la pensĂ©e de Leibniz ne saurait tenir dans un tel cadre, trop Ă©troit, trop avantageux mĂŞme pour celui qui l’utilise parce qu’il colonise Leibniz sans favoriser la lecture de Leibniz.

Or, justement, la lecture des deux ouvrages rassemblĂ©s dans cette Ă©dition d’usage (et non pas acadĂ©mique) par le philosophe Michel Fichant remet les choses Ă  leur place. D’abord par des prĂ©cisions marginales, mais importantes : les titres usuels de ces opuscules ne sont pas dus Ă  Leibniz, qui ne les a d’ailleurs pas publiĂ©s lui-mĂŞme ; l’œuvre globale de Leibniz n’est pas homogène et on ne va pas sans heurt d’un opuscule Ă  l’autre. Ensuite, en faisant Ă©merger un dessin global de l’architecture de la pensĂ©e mĂ©taphysique (la partie de la philosophie qui traite des substances immatĂ©rielles) de l’auteur : les questions de Dieu (architecte et lĂ©gislateur), de la Grâce et de son concours avec les crĂ©atures, de la nature des miracles, de la cause des pĂ©chĂ©s, et de l’origine du mal. La cartographie de l’univers leibnizien implique un ĂŠtre (Dieu) qui est au principe de tous les ĂŞtres et dont l’idĂ©e est en nous l’origine première de toutes nos pensĂ©es, puis un ensemble d’ĂŞtres crĂ©Ă©s formant un système dans lequel aucune interaction causale physique n’intervient, mais seulement un rapport d’expression (qui est la vĂ©ritable loi de composition de l’univers leibnizien) entre des entitĂ©s qui reprĂ©sentent chacune le mĂŞme univers (les monades). Encore, rĂ©pĂ©tons-le, ce système subit-il des variations d’un ouvrage Ă  l’autre interdisant de lui prĂŞter une trop forte homogĂ©nĂ©itĂ©.

Qu’il s’agisse, pour Leibniz, de se consacrer Ă  l’Ă©tablissement des vĂ©ritĂ©s chrĂ©tiennes, cela va de soi. Qu’il s’agisse lĂ  d’une des variantes de la relation entre la foi et la raison (opposĂ©e Ă  la sĂ©paration cartĂ©sienne), cela ne se discute pas. L’ordre et la liaison qui s’observent dans le monde nous font connaĂ®tre la nature de Dieu et de ses perfections. Mais, il est aussi question d’autre chose : de montrer que le service du bien public (la politique et l’Ă©thique) a pour levier cet amour de Dieu. En somme, se conjuguent ici le plan religieux, les rĂ©sultats des sciences et un projet de politique.

C’est alors, et alors seulement, qu’on peut revenir sur le « baroquisme » de Leibniz. Sa source se trouve dans une question thĂ©ologique, pour autant qu’il s’attaque d’abord aux problèmes soulevĂ©s par la RĂ©forme et la Contre-rĂ©forme, notamment le problème du mystère de l’eucharistie (la transsubstantiation). Or, Leibniz refuse de rĂ©duire le corps Ă  l’Ă©tendue, selon la doctrine de Descartes. Il justifie ce refus par ses compĂ©tences en physique (moderne, celle de Christian Huygens), puisque cette dernière oblige Ă  renoncer Ă  l’idĂ©e que les corps ne sont que des masses Ă©tendues. Ils sont aussi force et liĂ©s par la loi gĂ©nĂ©rale de la conservation de la force (mv2). Le baroquisme de Leibniz se structure Ă  partir de cette notion de corps entraĂ®nĂ©s dans des mouvements constants et pourquoi pas ascensionnels (au sens des ellipses baroques). Il est ensuite prolongĂ© par la mise au jour d’une logique, dite « CaractĂ©ristique universelle ».

Ce n’est pourtant que plus tard, dans la Monadologie (et son point de vue cosmique), que s’expliciteront les concepts dĂ©sormais les plus connus de Leibniz. Ceux de « monade » et d’« harmonie prĂ©Ă©tablie » par exemple. Insistons sur le premier, identifiĂ© trop facilement par les sociologues, aux individus sociaux. La monade (ce mot est peut-ĂŞtre empruntĂ© Ă  Giordano Bruno, ou Ă  Henry More, mais il est plus sĂ»rement Ă  relier Ă  la notion de point chez Euclide) est une unitĂ© indivisible qui est le vĂ©ritable Ă©lĂ©ment (principe premier) de la composition de toutes choses, et prĂ©sente une unitĂ© organique enveloppant tous ses Ă©tats passĂ©s et futurs (selon l’ancien concept d’entĂ©lĂ©chie). Ce n’est pas l’atome du physicien, qui est une matière divisible, mais un ĂŞtre capable d’exprimer l’univers (susceptible de perception). La monade contient une activitĂ© originale.

Ce concept permet par consĂ©quent de penser la rĂ©alitĂ© et le tout de la rĂ©alitĂ©, tout en rĂ©futant le matĂ©rialisme. Pour Leibniz, l’erreur des matĂ©rialistes (Thomas Hobbes) tient Ă  ce qu’ils ont reconnu la nĂ©cessitĂ© de l’unitĂ© du monde dans la matière (atomisme). Or, Leibniz refuse d’attribuer un principe actif Ă  la matière, qui pour lui est passive (elle n’est qu’Ă©tendue). C’est cela qui lui permet de renforcer sa conception du monde monadologique. Tout l’univers des crĂ©atures ne consiste qu’en ces monades (esprit ou âme) douĂ©es de perception et d’appĂ©tit. Leur assemblage forge les corps, c’est-Ă -dire les phĂ©nomènes eux-mĂŞmes. En Ă©chappant ainsi au matĂ©rialisme, Leibniz Ă©carte aussi le mĂ©canisme (au sens cartĂ©sien du terme : l’explication des phĂ©nomènes physiques par la disposition spatiale, la configuration gĂ©omĂ©trique et les dĂ©placements des parties). Et Dieu s’installe au principe mĂŞme de l’harmonie gĂ©nĂ©rale, autorisant le prĂ©sent Ă  ĂŞtre dĂ©jĂ  gros de l’avenir (puisque Dieu voit tout).

Cette Ă©dition de ces deux opuscules de Leibniz a de nombreux mĂ©rites. Outre celui d’assortir les textes d’un appareil critique facilitant la lecture du nĂ©ophyte, elle les entoure d’informations scientifiques indispensables. Au passage, l’analyse de Michel Fichant restitue avec brio le rĂ©seau intellectuel de la philosophie de l’Ă©poque : les correspondances, voyages, Ă©changes et traductions qui ont donnĂ© corps Ă  la philosophie du 17e siècle, au travers des relations entre Cordemoy, Antoine Arnauld, l’Electrice Sophie, Christian Huygens, Pierre Coste, etc.

Cette lecture convaincra sans doute quelques chercheurs en sciences sociales du fait que les transferts de notions philosophiques (monade, par exemple) d’un champ Ă  un autre et leur nouvel usage en tant que concepts ne peuvent s’accomplir avec fruit qu’avec quelque rigueur.

Résumé

Le philosophe allemand Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) n’est pas vraiment un inconnu pour les chercheurs en sciences sociales. NĂ©anmoins, il n’est « bien connu », le plus souvent, que pour des raisons qui ne sont sans doute pas les bonnes. Disons qu’il est souvent « bien connu », mais de seconde main (par Gilles Deleuze ...

Bibliographie

Notes

Auteurs

Christian Ruby

Docteur en philosophie, Enseignant, ChargĂ© de cours sur le serveur audiosup.net de l’UniversitĂ© de Nanterre (Paris 10), ChargĂ© de cours Ă  l’antenne parisienne de l’UniversitĂ© de Chicago, Membre de l’Association pour le DĂ©veloppement de l’Histoire culturelle, membre du ComitĂ© de RĂ©daction des revues Raison PrĂ©sente, EspacesTemps et Les Cahiers de l’Education permanente (ACCS, Belgique). Derniers ouvrages : L’Etat esthĂ©tique, Essai sur l’instrumentalisation de la culture et des arts, Bruxelles, Labor, 2000 ; L’Art public, Un art de vivre en ville, Bruxelles, La Lettre volĂ©e, 2001 ; Les RĂ©sistances Ă  l’art contemporain, Bruxelles, Labor, 2002.

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