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Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

La carte du Monde2.

Les vignettes qui parsèment le présent article donnent à voir l’allure générale de la quasi-totalité des éditions du Monde2 à ce jour, sans toutefois entretenir de rapport direct et explicite avec le texte.

Image1Qu’y a-t-il de commun entre les primaires américaines, l’eau sur Mars, le pétrole et les bases militaires au Moyen-orient, la piraterie moderne, le virus de la grippe aviaire, le mur israélien en Cisjordanie, les femmes en politique les zones sismiques, les ressources d’eau douce, le nucléaire iranien, le Commonwealth, les libertés publiques, le terrorisme depuis le 11 septembre, et les sites olympiques pour les jeux d’Athènes ? Voici trois réponses possibles.

Réponse 1 : Une carte, en forme d’éditorial.

la-carte-du-monde2-2Le 18 janvier 2004, le « quotidien de référence » français lançait un supplément hebdomadaire à son édition du week-end, sobrement intitulé Le Monde2. En pages 10 et 11, au dos de la rubrique Au vif, l’éditorial d’Edwy Plenel (rédacteur en chef), on trouve ainsi un éditorial cartographique : Carte en main.

 

la-carte-du-monde2-3Ce qu’il faut voir là, c’est un discours. C’est que la carte, à la fois langage et image, peut dire le Monde tel qu’il est vu, d’un certain point de vue. Cette façon de dire les choses va au-delà de la simple illustration, et au-delà aussi de la simple preuve. Il ne s’agit ainsi pas seulement d’associer à un texte une image, qui lui donnera de la profondeur en en démultipliant le sens. La carte n’a pas non plus ici valeur de preuve, dont le texte serait le commentaire ; un texte qui au demeurant n’existe pas à en dehors de la double page, mais qui y est au contraire intégré.

la-carte-du-monde2-4À ce propos, la composition retenue, qui associe une partie textuelle et une partie (carto) graphique, renforce l’autonomie de l’ensemble, et en particulier de l’objet cartographique, qui ne peut être ni ajouté ni retranché au texte qui l’accompagne. Cette carte comprend ainsi un texte, mais l’ensemble reste un objet fondamentalement cartographique. Toutefois, il convient de pointer aussi les limites du dispositif, qui demeure à bien des égards dans le registre de l’encart informatif, peinant, dans le détail (c’est-à-dire par opposition au choix éditorial du thème), à s’affirmer et à se présenter comme une prise de position, à la manière d’un authentique éditorial. Il faudrait, pour cela, une véritable pensée de l’espace, pour que celle-ci inspire cet espace cartographique.

Quoiqu’il en soit, la rubrique Carte en main, par son caractère systématique, consacre sans doute l’arrivée de la carte dans le domaine du discours légitime.

Réponse 2 : L’actualité, en vision zénithale.

Image5Les deux modes, illustratif et argumentatif, qui caractérisent les relations de la carte au texte de presse — et à beaucoup d’autres —, ne sont pas sans rapport avec les différences de temporalité qui distinguent la cartographie de la presse. Pour une grande part, la cartographie demeure un travail de bénédictin, dont le débouché le plus valorisant pour les cartographes est l’icône cartographique, celle qui orne les salles de classe, les manuels scolaires, les atlas, celle qui adopte des supports durables, tant au plan matériel que sur celui de la légitimité. La temporalité de la presse est toute autre, faisant du temps long une mise en perspective plutôt qu’une information en soi. Dès lors, on comprend que le commerce de la carte et de la presse relève d’un art difficile, et le plus souvent de l’échec à produire une véritable carte d’actualité, c’est-à-dire une « carte actuelle ».

Image6Au mieux, dans l’optique journalistique, la carte est la figuration d’une information neutre, un cadrage, territorial par exemple, du moins quand celui-ci n’est pas lui-même l’objet du débat. Comme réponse à la question « où ? », la carte s’impose souvent, faisant du même coup oublier la question bien mieux géographique du « pourquoi là ? ».

 

Image7Est-ce à dire que l’information d’actualité, à flux tendus, est contradictoire avec la problématisation spatiale, et par voie de conséquence avec les images qu’elle peut contribuer produire ? Non, sans doute. Il faudra plutôt chercher le problème du côté de l’offre, c’est-à-dire d’une cruelle absence, dans les médias, des penseurs de l’espace. Ceux qui, porteurs d’une approche spécifique des questions d’actualité, seraient à même de convertir les problèmes en problématiques renouvelées, et du même coup les gens des médias à une géographie innovante, performante, pertinente, en un mot — médiatique celui-là — « impertinente ».

Réponse 3 : Une imagerie, à résonance sociale.

Image8Il faut le dire, ces cartes n’ont rien d’académique. Certaines constituent même un affront à l’orthodoxie de la sémiologie graphique, telle que l’a fondée pour la cartographie Jacques Bertin. Mais d’autres ne sont pas si dédaigneuses de ces quelques règles simples qui, s’il ne faut pas qu’elles brident l’innovation ni occultent la pertinence de l’image finale, ont une fonction bien utile, à la fois de guide et de garde-fou, permettant d’éviter le nombre encore bien trop grand d’accidents de cartographie dont la presse est le première victime, quoique souvent consentante.

Image9Cette carte sur la culture du cannabis au Maroc (cf. annexe à cet article), parue dans notre quotidien de référence, à force de s’inscrire dans l’hérésie la plus affirmée en matière de sémiologie graphique, en devient radicalement inutilisable comme carte, ne servant que de faire-valoir en forme d’image cartographique à l’article, une sorte de formalisme graphique qui joue alors, comme souvent les formalismes, le rôle d’une preuve scientifique.

Image10Il serait par ailleurs naïf de percevoir dans l’usage d’images satellitales comme fonds de carte des réminiscences d’une vieille géographie périmée, opérant par superposition de données biophysiques et de données sociales, comme si les unes étaient a priori indépendantes des autres, et que de leur mise en regard allait sortir des conclusions en termes de causalité, du physique vers le social. Il n’y a rien d’extraordinaire à poser la question de l’influence du contexte biophysique tel que nous l’envisageons (en scientifique ou en chaman…) sur le fonctionnement des sociétés. La démarche est bien naturelle, et doit être menée vers sa juste place dans le raisonnement portant sur le social. L’option fréquemment retenue par Le Monde2, celle d’un fond satellital, est peut-être le moins mauvais des compromis, et ceci pour deux raisons.

Image11La première est que l’image satellite est bien moins partiale que d’autres fonds de carte, « physiques », « topographiques », « hydrographiques » ou encore « humains ». Cette quasi-photographie de l’étendue terrestre est une image de l’espace des sociétés, bien plus complexe que ne le sont d’autres images monothématiques, celle de l’archipel urbain ou du relief par exemple. Mais, s’il demeure une difficulté de taille, c’est celle de vouloir représenter des phénomènes souvent urbains sur un fond qui accorde structurellement si peu de place à la ville, et tant aux espaces vides, aux déserts par exemple.

Image12La seconde raison est que, depuis quelques années, l’image satellitale est devenue une image reconnue par la société comme étant celle de son propre espace. Si les spécialistes la manient avec toute la prudence que requiert sa technicité, le grand public, lui, l’a d’ores et déjà adoptée comme image légitime de l’espace, lui accordant le même statut que la carte. Désormais, chacun sait, peu ou prou, lire une image satellitale, leurs concepteurs prenant de plus en plus de soin à en faciliter l’interprétation par l’utilisation de gammes de couleurs rappelant celles du « réel ». Dans un monde d’images, tel qu’il s’impose avec de plus en plus d’insistance aux hommes — y compris dans les zones les moins développées —, celles qui, représentant l’espace à la manière d’une photographie zénithale, entrent dans le vocabulaire « esthétique » de tout un chacun, à la fois point de vue et image du monde tel qu’il est, c’est-à-dire tel que, d’une manière ou d’une autre, il nous apparaît.

Image13D’une manière plus générale, les cartes du Monde2 constituent autant une imagerie que des images. Elles sont porteuses d’une esthétique, celle de leur temps, celle qu’autorisent les techniques d’infographie les plus récentes, combinant sans complexe vues en plan et perspectives, photographies et dessins au trait. Elles sont les images de notre actualité, et peut-être les icônes cartographiques de l’époque. Dans quelques siècles , peut-être les révèrerons-nous tout autant qu’aujourd’hui celles des grands cartographes des 16e et 17e siècles (Ortelius, Braun & Hogenberg, Mercator, Jansson, Doncker, Blaeu, pour ne citer qu’eux). Car il arrive un moment où l’image, inactuelle, débarrassée de ses fonctions langagières et discursives destinées à ses contemporains et à eux seuls, n’est alors plus que l’image d’elle même et parle par elle-même, ce qui d’un patrimoine fait une œuvre d’art.

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Image15Parue dans Le Monde du 17 décembre 2003, la carte ci-dessus, illustrant un article sur la production de cannabis au Maroc, présentant à première vue tous les attributs de la carte scientifique (titre, échelle, légende, carton de situation valant pour orientation), est pourtant inexploitable, faute de respecter les règles minimales de la sémiologie graphique qui permet d’articuler le langage cartographique. Outre l’indication, pour chaque « province », du nombre de familles cultivant le cannabis à l’aide d’un nombre, alors qu’un figuré proportionnel aurait été plus efficace (mais c’est là un moindre mal), la faute rédhibitoire réside dans la figuration des superficies cultivées. Si l’on fait l’hypothèse que chaque « région » (« unité spatiale », comme disent les cartographes) présente la même proportion de sa surface agricole en cannabis, le mode de représentation retenu ne ferait que traduire les différences de taille entre les régions. Celles-ci n’étant en outre pas délimitées, il est impossible de savoir dans lesquelles de ces régions est concentrée la culture du cannabis, ni le degré de spécialisation de chacune d’elle en la matière.

Résumé

Qu’y a-t-il de commun entre les primaires américaines, l’eau sur Mars, le pétrole et les bases militaires au Moyen-orient, la piraterie moderne, le virus de la grippe aviaire, le mur israélien en Cisjordanie, les femmes en politique les zones sismiques, les ressources d’eau douce, le nucléaire iranien, le Commonwealth, les libertés publiques, le terrorisme depuis ...

Bibliographie

Notes

Auteurs

Patrick Poncet

Chercheur en sciences sociales, membre de l’équipe Mobilités, Itinéraires, Territoires (Paris 7) et du réseau VillEurope. Spécialisé dans l’étude de l’espace des sociétés, il est l’auteur d’une thèse intitulée L’Australie du tourisme ou la société de conservation, à propos des configurations et des processus géographiques de la conservation. Il est actuellement Ater à l’Université de Lille 1 en géographie. Il fait partie de la Rédaction d’EspacesTemps.net, au sein de laquelle il est responsable de la Carte du mois.

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Sérendipité.

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