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Serendipity.

L’échangeur au dragon.

Image1Shanghai, 24 août 2005, sous le pilier dort un dragon.

Sous quatre niveaux de doubles ou triples voies enchevêtrées, et de quelques passages pour les rares piétons qui oseraient traverser, il dort.

Quel chaos s’il se réveillait. Le béton volerait en éclat et les élégantes rangées de jardinières blanches s’éparpilleraient aux quatre vents comme les perles d’un collier brisé. Est-ce que la fragile caméra, suspendue au bout d’une mince perche, aurait le temps d’immortaliser l’instant où, s’ébrouant de siècles de sommeil et de miettes de macadam, le dragon prendrait son envol ?

Mais, pour l’instant, dans le brouhaha de la trépidante métropole chinoise, protégé par un pilier à son effigie, il dort bel et bien. C’est d’ailleurs pour cela qu’il a fallu construire ce pilier dont le design particulier apporte une touche artistique au sein de cet univers de béton lisse et monochrome. Une cohorte de dragons et d’oiseaux dorés, tout juste échappés de la mythologie orientale, s’élève vers le ciel en un tourbillon fantastique. Elle rappelle que le cliché a été pris en Chine.

Pourtant, ici, nul souci d’esthétique. C’est l’ordonnance qu’un moine bouddhiste a édictée aux ingénieurs désespérés de voir s’écrouler sans cesse les ordinaires piliers de béton blanc qu’ils construisaient là. Leurs piliers gênaient le dragon. Celui-ci lui convient, il peut dormir.

Pas comme Shanghai.

L’angle et l’heure de la prise de vue donne une étrange impression de vide. L’infrastructure semble surdimensionnée. Quatre niveaux de doubles voies superposés pour onze voitures, un bus et deux vélos ? Aucun piéton ne se risque sur le passage. Au pied d’un pilier, une minuscule silhouette solitaire, les deux pieds sur la chaussée, souligne l’envergure de la construction : une femme assise, tranquillement, sur le terre-plein central.

Mais on ne distingue pas la circulation des niveaux supérieurs et, surtout, il est 13 heures.

Aux heures de pointe, matin et soir, la ville est encombrée, congestionnée, embouteillée, figée dans le ronronnement des moteurs. Il fallait donc bien le construire, ce Yan’an Road Interchange, à la croisée de deux voies express surélevées qui traversent la ville du nord au sud et d’est en ouest. Il faillait bien le régler, ce problème de dragon endormi. Les lacets de routes suspendues peuvent enfin déverser leurs flots de voitures dans toutes les directions. Autour de ces blancs rubans, les buildings multicolores aux formes folles peuvent grimper jusqu’au ciel.

La voie express, celle qui va d’est en ouest, du Bund des européens à l’aéroport d’Hongqiao, trace au passage une limite nette entre deux quartiers qui, peu à peu, vont finir par se ressembler. Au nord, le long de Nanjing Road West, se dressent des buildings extravagants. Ils abritent des malls luxueux, des hôtels internationaux et des boutiques de luxe au design soigné et aux enseignes familières : Bulgari, Gucci, Cartier, Dior, Versace, Burberry, Swarowski et même une « Brasserie Flo ». Au sud, c’est l’ancienne avenue Foch, aujourd’hui Huaihai Road, le cœur de l’ancienne concession française. Les élégantes des années 1930 allaient y acheter leurs manteaux de fourrure chez les tailleurs russes. Le quartier abritait alors tout ce que Shanghai comptait d’aventuriers, de révolutionnaires, d’écrivains et de prostituées. Désormais, les centres commerciaux, débordant de produits standardisés, se construisent les uns à côté des autres.

Il devait donc bien être construit coûte que coûte, ce pilier. Maintenant, les gens peuvent aller et venir, s’affranchissant des lois de la circulation terrestre, filant au dessus de la mêlée, à la poursuite de leurs rêves de fortune et de consommation dans le respect du dragon endormi.

Le moine, lui, a payé son indiscrétion de sa vie. Nul ne divulgue impunément les secrets des dragons.

Une question demeure : combien de temps dorment les dragons ?

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Shanghai, 24 août 2005, sous le pilier dort un dragon. Sous quatre niveaux de doubles ou triples voies enchevêtrées, et de quelques passages pour les rares piétons qui oseraient traverser, il dort.Quel chaos s’il se réveillait. Le béton volerait en éclat et les élégantes rangées de jardinières blanches s’éparpilleraient aux quatre vents comme les perles ...

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