À pied, vite.

Jacques Lévy

Image1Cette carte est en fait un cartouche annexé à un plan de la ville de Genève plutôt destiné aux touristes et s’inscrit dans l’objectif de promouvoir les « mobilités douces ». Elle donne des informations sur les temps de parcours à pied d’un quartier à l’autre. On peut la trouver en ligne.

La marche à pied est sans aucun doute le moyen de transport le plus fiable, peu risqué dans sa métrique propre (les collisions de piétons sont en général bénignes) et peu sujet aux limitations de vitesse en raison d’un excès de trafic. Elle est aussi moins lente que notre imaginaire ne nous le dit. La carte nous le montre : traverser le centre d’une grande ville en vingt minutes, l’essentiel de son espace bâti en une heure, ce sont des ordres de grandeurs comparables aux autres modes de déplacement. Plus la ville est dense, plus les atouts de la marche à pied se manifestent car la différence de vitesse nominale avec les moyens mécanisés s’atténue fortement au point parfois de disparaître ou de s’inverser. En outre, la marche bénéficie d’une porosité et d’une potentialité d’interactions bien supérieure vis-à-vis du territoire traversé. La possibilité d’interactions multisensorielles directes avec des individus ou avec les objets de la ville fait du déplacement à pied une composante non négligeable de l’avantage comparatif de la concentration urbaine, face aux autres modalité de gestion de la distance (mobilité et télé-communication). Enfin, et c’est essentiel du point de vue des cartes, la métrique piétonne est, grâce à ses hauts niveaux de couverture (zones desservies) et à son adhérence (nombres de points du parcours où la connexion avec le monde extérieur est possible), celle qui se rapproche le plus d’une configuration territoriale, avec sa contiguïté et sa continuité, puisqu’elle évolue sur un réseau finement maillé, plus capillaire encore que celui des automobiles. Le réseau de la marche à pied est en fait extrêmement voisin du réseau fortement territorialisé de l’espace habité, avec lequel il vit en bonne intelligence. Autrement dit, la métrique piétonne est le thème qui dans la ville se prêterait le mieux à une cartographie euclidienne car, quand on est à pied, on peut, en gros, partir d’un point dans n’importe quelle direction et parcourir effectivement et dans des conditions comparables une distance mesurable en mètres ou en kilomètres.

Le procédé choisi sur ce document consiste, tout au contraire, en réduisant les parcours possibles à un petit nombre, à imiter les plans de réseaux de transports publics ou les cartes des grands itinéraires routiers. Les informations portant sur le territoire de référence sont sommaires. On note que la localisation des parkings est fournie, ce qui place cette carte dans la même catégorie que celles qui tentent de convaincre les automobilistes de laisser leur voiture en périphérie et d’emprunter ensuite les transports publics (« Park + Ride »).

On comprend la visée pédagogique de ce vocabulaire et de cette syntaxe : donner à voir que justement la marche à pied est un moyen de transport comme un autre. On peut aussi supposer que d’autres procédés cartographiques auraient perturbé les lecteurs, qui, pour une bonne part, comme encore parfois les statistiques sur les transports, continuent d’exclure la marche à pied de l’univers des déplacements efficaces. On sait que les adultes d’aujourd’hui, en Europe, sont souvent les enfants ou les petits-enfants de personnes qui ont souffert de devoir faire de longs parcours à pied ou à vélo et qui n’imaginaient pas que la modernité urbaine pût être un jour associée aux moyens de transports non-motorisés. Cette révolution culturelle est sans doute en marche. La carte en est un indicateur et un levier.

Trouver le chemin le plus court exige souvent de longs détours.

Résumé

Cette carte est en fait un cartouche annexé à un plan de la ville de Genève plutôt destiné aux touristes et s’inscrit dans l’objectif de promouvoir les « mobilités douces ». Elle donne des informations sur les temps de parcours à pied d’un quartier à l’autre. On peut la trouver en ligne. La marche à […]

Jacques Lévy

Professeur de géographie et d’aménagement de l’espace à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, directeur du laboratoire Chôros. Il est aussi professeur à l’Institut d’études politiques de Paris. Il travaille sur la ville et l’urbanité, la géographie politique, l’Europe et la mondialisation, les théories de l’espace des sociétés, l’épistémologie de la géographie et des sciences sociales. Il a notamment publié Géographies du politique (dir.), 1991 ; Le monde : espaces et systèmes, 1992, avec Marie-Françoise Durand et Denis Retaillé ; L’espace légitime, 1994 ; Egogéographies, 1995 ; Le monde pour Cité, 1996 ; Europe : une géographie, 1997 ; Le tournant géographique, 1999 ; Logiques de l’espace, esprit des lieux (dir.), 2000, avec Michel Lussault ; From Geopolitics to Global Politics (ed.), 2001 ; Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés (dir.), 2003, avec Michel Lussault ; Les sens du mouvement (dir.), 2004, avec Sylvain Allemand et François Ascher. Il est le coordinateur des rédactions d’EspacesTemps.

Pour faire référence à cet article (ISO 690)

Jacques Lévy, « À pied, vite. », EspacesTemps.net [En ligne], Objets, 2006 | Mis en ligne le 3 février 2006, consulté le 03.02.2006. URL : https://www.espacestemps.net/articles/pied-vite/ ;