Une /

Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

Une mesure des inégalités de mobilité et d’accès au volant.

L’amélioration [1] continue des conditions de mobilité depuis plusieurs décennies s’est accompagnée de fortes transformations des échelles spatio-temporelles de la vie économique et sociale. Les individus entretiennent désormais une relation réticulaire au territoire : ils habitent dans un lieu, travaillent dans un autre, se distraient dans un troisième, etc. (Wiel 1999 ; Ascher 2001).

Au plan économique, les modifications structurelles du système productif (mutation technologique, tertiarisation, mondialisation…) ont largement affecté le marché de l’emploi donnant lieu à l’apparition d’une multitude de statuts plus ou moins exposés et fragiles (Cdd, intérimaires, temps partiels subis, précaires, travailleurs pauvres…). À ce contexte marqué par une fragmentation et une précarisation du marché de l’emploi, s’ajoutent les changements qui traversent la cellule familiale et qui se caractérisent par une polarisation de l’emploi au sein des ménages ainsi que par l’augmentation du nombre de foyers monoparentaux.

Ces transformations plus que transitoires, et qui ne sont pas totalement indépendantes les unes des autres, laissent apparaître de nouvelles exigences d’adaptabilité et de réactivité dont la mobilité est le vecteur (Kaufmann et Jemelin, 2004). Elles supposent des capacités de mobilité individuelle toujours plus étendues et performantes. La manière dont ces capacités peuvent être mobilisées influe ainsi sur toutes les dimensions de la vie des individus (professionnelle, familiale, personnelle). Dans un tel contexte, pouvoir se déplacer dans des conditions satisfaisantes en termes de coûts temporel et financier est indispensable à une bonne insertion sociale (Orfeuil, 2004). Les difficultés rencontrées dans ce domaine peuvent être source de discriminations. Dans cet article, nous tentons de donner une mesure quantitative des inégalités de mobilité telles qu’elles peuvent être appréhendées à travers les enquêtes de mobilité classique.

L’héritage des Trente-Glorieuses, la forte démocratisation de l’accès à l’automobile et la dynamique de rattrapage mise en évidence entre les deux dernières enquêtes transports (Gallez et al., 1997), expliquent probablement le relatif désintérêt de la communauté scientifique au repérage, à l’identification et à l’évaluation des diverses formes d’inégalités dans les pratiques de déplacement jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix. Cet effort de quantification permet pourtant d’asseoir sur des bases communes, des résultats parfois connus mais issus d’études disparates et portant sur des segments définis de la population (actifs, femmes au foyer, scolaires…).

Nous proposons dans un premier temps d’identifier et de mesurer les inégalités de mobilité quotidienne. Il est d’usage de distinguer deux types d’inégalités : les inégalités verticales liées à la distribution des revenus et les inégalités horizontales liées à la distribution des ressources et des contraintes à l’intérieur d’une même classe de revenu (sexe, génération, localisation spatiale du domicile…). Cette approche nous conduit à considérer des groupes de cycle de vie relativement homogènes (actifs, femmes au foyer, scolaires, retraités,…).

L’aptitude à la mobilité motorisée mérite une attention particulière dans la mesure où l’accès d’une proportion croissante de la population à la conduite automobile modifie la configuration spatiale des lieux et influe sur les temporalités de sorte que les territoires et les modes de vie s’organisent de plus en plus souvent autour de cette domination automobile (Dupuy, 1999). Une mesure des inégalités d’accès au volant sera donc proposée dans une seconde partie.

Enfin, l’analyse de la mobilité de fin de semaine présentée en dernière partie apporte un éclairage complémentaire sur les enseignements issus de l’examen des pratiques quotidiennes. La mobilité de semaine peut ainsi être cernée dans toute sa diversité et les résultats issus des jours classiques de semaine pourront être ou non confortés.

Comment identifier les inégalités en matière de mobilité ?

Quelle norme de mobilité ?

Pour mieux comprendre les difficultés qu’éprouve la socio-économie des transports à analyser les inégalités en matière de mobilité, il suffit d’envisager les problèmes que peuvent soulever l’identification, la mesure et la dénonciation de situations inégalitaires en l’absence de normes concrètes concernant les niveaux et les comportements de mobilité. En effet le déplacement n’est qu’exceptionnellement un but en soi, il s’agit d’un bien intermédiaire dont la consommation est nécessaire à la réalisation d’activités économiques et sociales, si bien que d’importants niveaux de mobilité peuvent être tout autant l’expression d’un mode de vie contraint par la dispersion spatiale des activités et un choix résidentiel limité, que l’expression d’un mode de vie non contraint par les ressources financières, voire l’expression de l’aspiration à un mode de vie valorisant fortement la capacité à se mouvoir dans l’espace [2]. Cette difficulté méthodologique, inhérente aux caractéristiques du bien transport, explique probablement que la plupart des recherches qui se proposent de prendre en compte la dimension sociale de la mobilité, circonscrivent souvent leur analyse à la mobilité d’individus rencontrant des difficultés dans d’autres dimensions de leur vie (précarité familiale et professionnelle, pauvreté, résidents des quartiers difficiles) et pour lesquels la mobilité peut être un obstacle supplémentaire (Mignot et al. 2001 ; Orfeuil 2004 ). Les inégalités sont assez rarement envisagées dans leur globalité et les comparaisons entre groupes socio-économiques distincts demeurent relativement peu fréquentes.

La « norme de mobilité », telle qu’il est possible de l’appréhender, résulte des pratiques sociales, dictées et structurées par les exigences de la vie professionnelle, personnelle ou familiale et par les aspirations de chacun. Aussi, s’il semble impossible de fixer des critères quantitatifs précis en termes de fréquence, de distance ou de vitesse de déplacement permettant de hiérarchiser les situations, on peut néanmoins se référer aux tendances lourdes concernant l’évolution des pratiques individuelles. La période de douze ans séparant les deux dernières enquêtes nationales transports (1982 et 1994) se caractérise par une augmentation de près d’un tiers des distances parcourues et des vitesses de déplacement par personne et par jour. Dans le même temps on observe une légère diminution du nombre de déplacements quotidiens et une stabilité du budget-temps de transport (Madre et Maffre, 1997). Cette période est également marquée par une forte croissance de l’usage de la voiture, au détriment de la marche à pied et des déplacements en deux-roues, la part modale des transports publics est restée stable (Orfeuil, 1999). Au cours des dix dernières années la part des ménages non motorisés s’est stabilisée autour de 20% tandis que la proportion de ménages bi-motorisés est passée de 24 à 28%. La part des ménages disposant de trois voitures et plus, en constante augmentation, est passée de moins de 2% en 1980 à plus de 5% en 2004. En allongeant la portée des déplacements, tout en maintenant constant le temps alloué au transport, l’automobile permet de desserrer la contrainte spatio-temporelle et participe ainsi activement au processus de dispersion de l’habitat. La conjugaison des stratégies de localisation aux logiques différentes entre ménages et entreprises conduit à une dissociation croissante entre lieu d’emploi et lieu de résidence (Talbot, 2001).

Ainsi la situation souhaitable en matière de mobilité pourrait être entendue comme la capacité à pouvoir se rendre en tous lieux désirés, même les plus éloignés, rapidement. Cette situation confère un avantage indéniable à l’automobile pour la plupart des déplacements.

Encadré 1 : Deux sources de données utilisées.

L’enquête ménages déplacements (Emd) de l’agglomération lyonnaise 1994-1995. Les inégalités de mobilité quotidienne et d’accès au volant ont été mesurées à partir de l’enquête ménages de l’agglomération Lyonnaise de 1994-1995. Cette enquête représentative recense l’ensemble des déplacements réalisés la veille du jour de l’enquête, obligatoirement un jour de semaine, par les individus de cinq ans et plus de près de 6000 ménages. Elle permet de calculer les indicateurs classiques de niveaux de mobilité : nombre de déplacements, distance parcourue, temps consacré à se déplacer au cours de la journée et vitesse moyenne de déplacement de manière agrégée et de manière plus désagrégée par mode, motif, origine-destination…

L’enquête nationale transports (Ent) Insee-Inrets 1993-1994. Les inégalités de mobilité de fin de semaine sont appréhendées à partir de l’enquête nationale transports. Cette enquête est la seule enquête statistiquement représentative qui fournisse des informations sur les déplacements réalisés le week-end, déplacements locaux (intervenant dans un périmètre de moins de 100 km autour du domicile) ou de plus longue distance. Une distance effective de 100 km (ou 80 km à vol d’oiseau) marque la limite, en partie conventionnelle, entre mobilité locale et mobilité à longue distance (non locale) (Orfeuil et Soleyret, 2003). La mobilité du samedi et du dimanche a été décrite par interview et non par carnet et les déplacements à pied n’ont pas été relevés pour cette période car ils sont souvent mal mémorisés. Notons que dans l’optique de limiter les risques de biais liés à la taille de l’agglomération et afin de maintenir une certaine « homogénéité » dans les contextes spatiaux, facilitant les comparaisons avec l’agglomération lyonnaise, les résultats présentés sur le week-end sont limités à la mobilité mécanisée, locale et non locale, réalisée par les individus résidant dans les agglomérations de province.

Des niveaux et des comportements de mobilité rapportés à la hiérarchie des revenus.

Dans ce travail, en l’absence de définition stabilisée, les inégalités de mobilité sont définies comme les différences de niveaux et de comportements de mobilité entre les individus situés en bas de l’échelle sociale et ceux qui se situent au-dessus. La position sociale est une caractéristique qui ne peut être mesurée qu’imparfaitement à l’aide de divers critères de substitution tels que le revenu, le degré d’instruction, la profession, le patrimoine…

Compte tenu des informations dont nous disposons, et des contraintes liées à la représentativité des échantillons issus des enquêtes de mobilité classiques (Encadré 1), la position sociale des individus sera appréhendée par le niveau de revenu par unité de consommation (Uc) du ménage de rattachement (Encadré 2). L’identification des inégalités de mobilité consistera donc à mesurer des écarts de mobilité entre des individus classés selon leur revenu par Uc et à mettre en parallèle le degré de concentration de ces niveaux avec la concentration des revenus. Pour ce faire deux types d’indicateurs seront mobilisés : le rapport entre quintiles extrêmes (Q5/Q1) et les indices de concentration calculés sur les niveaux de mobilité en classant les individus par ordre croissant de revenu par Uc (Encadré 2). Nous analysons comment les inégalités qui affectent la distribution des revenus se répercutent sur les niveaux et les comportements de mobilité les jours de semaine.

Une analyse de la mobilité effective strictement urbaine.

Le périmètre retenu pour analyser la mobilité quotidienne de semaine est celui de l’agglomération lyonnaise, élargi à quelques communes. Afin de ne pas introduire trop de variabilité dans les niveaux de mobilité, en particulier concernant les distances et les budget-temps, seuls les déplacements internes à ce périmètre ont été pris en compte. Il s’agit donc d’une mobilité strictement urbaine. On s’intéresse à la mobilité effective, c’est-à-dire aux déplacements réalisés et non au potentiel de mobilité qui peut ou non être exploité du fait des barrières financières mais également physiques ou psychologiques, qu’il nous est impossible de prendre en compte. L’attention est donc portée sur le résultat des arbitrages individuels ou collectifs conduisant à la concrétisation du déplacement.

Le système d’opportunités et de contraintes qui guide cet arbitrage dépend de facteurs individuels plus ou moins subjectifs (âge, activité, préférences, projets, habitudes et aptitudes de l’individu…) et de facteurs collectifs liés au fonctionnement des organisations (localisation et horaires régissant le système productif, l’école ou les activités commerciales et de loisirs…). Il existe ainsi un certain nombre de déterminants communs de structuration de la mobilité selon la position dans le cycle de vie et l’occupation : à chaque période du cycle de vie correspondent des schémas d’activités contrastés qui s’organisent dans le temps et dans l’espace de manière plus ou moins flexible, le plus souvent autour d’une activité principale. De même, à chaque période du cycle de vie correspondent des opportunités et des contraintes d’activités (travail, étude, intendance ménagère…), des opportunités et des contraintes de déplacements (motorisation du ménage, accès au volant, densité du réseau de transports publics…), des opportunités et des contraintes de localisation (localisation résidentielle, localisation de l’activité principale…) qui structurent très largement les niveaux et les comportements de mobilité.

En semaine, par exemple, les actifs comme les enfants scolarisés, ont une mobilité structurée autour de leur activité principale, celle-ci répond aux normes institutionnelles qui introduisent une forme de régularité dans les déplacements. Il serait donc a priori vain de rechercher des inégalités de mobilité quotidienne sans neutraliser, au moins dans un premier temps, les différences de mobilité liées à la position de l’individu dans le cycle de vie. Une telle démarche comporterait quelques risques, sauf à considérer que, au fur et à mesure que les niveaux de vie des individus augmentent, les individus sont en capacité de s’affranchir assez radicalement de ces contraintes et de s’ouvrir de telles opportunités que leur programme d’activités quotidien s’en trouverait profondément transformé.

Encadré 2 : Indicateurs utilisés.

L’indicateur d’accès au volant. La possession du permis de conduire de même que le niveau de motorisation du ménage ne donnent qu’une information incomplète des possibilités d’accès individuel et régulier à la voiture en tant que conducteur. Pour préciser ce niveau d’accès, un indicateur synthétique, combinant le niveau de motorisation du ménage, le nombre de détenteurs du permis de conduire dans le ménage et la fréquence individuelle des déplacements en tant que conducteur d’une voiture particulière a donc été construit. Ainsi en 1995 dans l’agglomération lyonnaise, 78% des ménages disposent d’au moins une voiture, 80% des adultes sont titulaires du permis de conduire et six adultes sur dix ont un accès personnel et régulier au volant.

Un indicateur de revenu : le quintile par Uc. Dans l’enquête ménages seul le revenu en tranche est disponible, nous avons donc procédé à une affectation théorique et aléatoire d’une valeur de revenu à chaque ménage, à l’intérieur d’une tranche considérée (Claisse et al., 2000). Ensuite, pour s’affranchir des problèmes de comparaison liés à des tailles de ménages différentes, le revenu a été pondéré par le nombre d’Uc du ménage, en choisissant l’échelle d’équivalence d’Oxford modifiée : le premier individu du ménage compte pour 1, les autres de quatorze ans et plus comptent pour 0,5 et les individus de moins de quatorze ans comptent pour 0,3. Les individus sont ensuite classés par quintile des 20% les plus modestes (Q1) aux 20% les plus aisés (Q5). Le revenu moyen s’élève à 8200 F (1250 €) par mois et par Uc, il varie entre 3113 F (474 €) pour le premier quintile et 16390 F (2500 €) pour le dernier quintile. La moitié de la population dispose de moins de 7000 F (1067 €) par mois et par Uc.

Les indicateurs de mesure des inégalités. Deux principaux types d’indicateurs sont utilisés : le rapport entre quintiles extrêmes (Q5/Q1) et les indices de concentration calculés sur les niveaux de mobilité en classant les individus par ordre croissant de revenu par Uc. Le premier type d’indicateurs mesure l’écart entre les individus les plus aisés et les plus modestes de la population, tels qu’ils ont été définis au niveau global. Il s’agit donc d’une mesure entre catégories extrêmes. La mesure proposée par les indices de concentration est relative à la population considérée. En effet ces indices mettent en relation les inégalités existant dans la répartition des revenus et l’incidence que cela a sur leur mobilité. Ces indices peuvent être calculés à l’intérieur d’un sous-groupe déterminé. Plus la valeur de l’indice est proche de 1, plus les inégalités sont importantes, à l’inverse une valeur négative signifie que la répartition de l’attribut considéré se fait en faveur des plus modestes.

Les inégalités de mobilité quotidienne.

Au niveau global, une mobilité peu différenciée selon le revenu.

Au plan global, c’est-à-dire parmi la population âgée de cinq ans et plus, l’évolution des niveaux de mobilité quotidienne des individus en fonction du revenu ne permet pas de constater d’importantes inégalités verticales (Tableau 1). Les individus rattachés aux ménages les plus aisés se déplacent légèrement plus (+14%) et parcourent quotidiennement des distances plus élevées que les plus modestes (+43%), tout en y consacrant un budget-temps tout à fait comparable. Les indices de concentration calculés sur le nombre de déplacements et sur les budgets-temps sont très faibles (respectivement 0,03 et 0,01), et bien que les distances augmentent entre quintiles extrêmes, les inégalités calculées sur l’ensemble de la population restent également faibles pour cet indicateur (0,08).

Tableau 1 : Niveaux de mobilité selon le revenu. Source : EMD de Lyon 1994-95. 1 Calculé sur les plus de dix-sept ans.

Tableau 1 : Niveaux de mobilité selon le revenu. Source : EMD de Lyon 1994-95. 1 Calculé sur les plus de dix-sept ans.

C’est essentiellement sur les comportements modaux que l’on constate en première analyse de fortes inégalités verticales. En effet entre les plus aisés et les plus modestes, les modes de transports sont sensiblement différents. L’usage de la voiture, surtout en tant que conducteur, est beaucoup plus fréquent parmi les individus aisés que parmi les plus modestes (respectivement 52% des déplacements contre 25%) ; inversement, l’utilisation des transports en commun et de la marche à pied est relativement moins fréquente (respectivement 9% et 26% des déplacements du dernier quintile contre 19% et 44% pour le premier). Cela tient assez largement à l’inégal accès au volant des individus en fonction de leur revenu. Ceci expliquant sans doute en partie cela, la mobilité des plus modestes est relativement plus centrée autour de la zone de résidence que celle des plus aisés. De même, les individus à bas revenu ont un accès au centre de l’agglomération, lorsqu’ils n’y vivent pas, relativement moins fréquent. En revanche la répartition des déplacements par grandes catégories de motifs reste assez stable quel que soit le quintile de revenu du ménage de rattachement. Afin de vérifier la validité de cette première analyse sur des groupes relativement homogènes au regard du cycle de vie et de l’occupation, nous présentons ci-dessous les résultats obtenus chez les actifs à plein temps et chez les femmes au foyer.

Des situations contrastées selon l’activité.

La mobilité des actifs [3], peu tournée vers les loisirs et les visites, est la moins variée de la population bien qu’ils soient financièrement les mieux dotés. Les déplacements quotidiens, pour rejoindre le lieu de travail et revenir au domicile, ainsi que les accompagnements (des enfants ou du conjoint), motifs qui admettent le degré de contraintes spatio-temporelles le plus important, représentent deux tiers de leurs déplacements. Chez les actifs, on observe une faible variabilité des niveaux de mobilité quotidienne aux revenus des ménages (Tableau 2). La principale inégalité réside dans la part des déplacements effectués au volant d’une voiture (de 58% des déplacements à 67% du premier au dernier quintile). En revanche, les ressources monétaires ne modifient pas la répartition des déplacements par motif.

Tableau 2 : Niveaux de mobilité selon le revenu chez les actifs et les femmes au foyer. Source : EMD de Lyon 1994-1995.

Tableau 2 : Niveaux de mobilité selon le revenu chez les actifs et les femmes au foyer. Source : EMD de Lyon 1994-1995.

À l’inverse parmi les femmes au foyer [4] les écarts de niveaux entre quintiles extrêmes sont très prononcés (Tableau 2). Mesurées grâce aux indices de concentration, les inégalités de niveaux de mobilité sont significatives, elles sont même importantes concernant les distances et les vitesses de déplacement. Ce sont les inégalités les plus fortes observées chez les moins de soixante ans. Les femmes au foyer les plus modestes se trouvent considérablement pénalisées dans leur mobilité. Elles se déplacent essentiellement à pied (62% des déplacements contre 37% dès le 2ème quintile et 23% pour le dernier), utilisent plus souvent les transports en commun et se font fréquemment accompagner en voiture. La part réduite de déplacements effectués au volant d’une voiture participe de l’enfermement social et spatial des plus modestes en les assignant à résidence et en les rendant dépendantes des accompagnements en voiture pour les déplacements les plus éloignés. Pour ces femmes, tout se passe comme s’il leur était refusé « l’autorisation morale à se déplacer » au-delà de l’environnement résidentiel, autorisation qu’elles ne peuvent trouver dans l’exercice d’une activité rémunérée (Coutras, 1993). Cette situation est d’autant plus difficile à surmonter que les déplacements « domestiques » laissent apparaître de nouvelles exigences de mobilité motorisée liée à la dispersion des lieux d’approvisionnement et aux « impératifs » de la mobilité enfantine (Coutras 1993 ; Chalas 2001 cité in Mignot et al. 2004).

L’accès au volant : un facteur clé.

Les différences de sensibilité de la mobilité quotidienne au revenu, entre individus situés en milieu de cycle de vie, tiennent selon nous à un niveau d’accès au volant qui, s’il reste toujours positivement corrélé au revenu, enregistre un écart entre quintiles extrêmes relativement limité chez les actifs (de 66% à 88% d’accédants du premier au dernier quintile), alors que chez les femmes au foyer, la part des accédantes passe de 17% à 89% du premier au dernier quintile.

Au niveau global, dès lors que l’on distingue les individus selon leur niveau d’accès régulier et autonome à la voiture particulière, les inégalités de mobilité, déjà faibles, repérées sur les niveaux de mobilité (notamment sur les distances parcourues) disparaissent (Tableau 3). Les coefficients de concentration obtenus sur les différents indicateurs de niveaux de mobilité quotidienne sont très voisins de zéro. Parmi ceux qui disposent d’un accès au volant, les comportements en matière d’utilisation des modes de transport des plus modestes et des plus aisés sont identiques. En d’autres termes, dès lors que l’on a accès à une voiture, on l’utilise aussi fréquemment quel que soit son niveau de vie. Quant aux comportements modaux des individus n’ayant pas la possibilité de conduire, ils apparaissent relativement indépendants de leur revenu. Enfin, qu’ils aient ou non accès au volant, les motifs pour lesquels les individus se déplacent en semaine ne varient pas selon leur quintile d’appartenance.

Tableau 3 : Niveaux de mobilité des adultes accédants et non-accédants au volant selon le revenu. Source : EMD de Lyon 1994-95.

Tableau 3 : Niveaux de mobilité des adultes accédants et non-accédants au volant selon le revenu. Source : EMD de Lyon 1994-95.

Le caractère homogénéisateur de l’accès au volant dépend du degré de contraintes pesant sur les schémas de mobilité.

Cette relative inélasticité de la mobilité quotidienne au revenu se vérifie parfaitement chez les actifs accédant au volant (81% des actifs) : leurs niveaux comme leurs comportements de mobilité sont complètement indépendants des revenus. Ce nivellement des pratiques renvoie vraisemblablement à des degrés de contraintes variables selon la position sociale. Celles-ci peuvent être appréhendées grâce aux coefficients budgétaires, mais également grâce à des approches plus qualitatives qui permettent de mieux cerner les multiples stratégies mises en œuvre pour garder et entretenir « l’automobile jusqu’au bout » (Chevallier 2001 ; Mignot et al. 2001).

En fait, s’il persiste des inégalités verticales de mobilité chez les actifs, c’est parmi la sous-population des actifs non-accédants (19% des actifs). La mobilité des actifs à bas revenu se distingue par le bas de celle des autres quintiles et accuse des contraintes de déplacement significatives. Lorsque les revenus sont faibles, les actifs non-accédants recourent plus fréquemment aux transports en commun, aux accompagnements et aux deux-roues, du fait d’une localisation plus excentrée et plus éloignée du lieu de travail. La connexion entre le domicile et le lieu d’emploi est plus facile à réaliser pour les plus aisés qui se caractérisent par un mode de vie citadin basé sur la proximité (des lieux de travail, de sorties, d’achats…).

Chez les femmes au foyer, on observe également une certaine uniformisation des niveaux de mobilité parmi les accédantes (43% des femmes au foyer), grâce à un rééquilibrage par le haut de la situation des plus modestes. Cependant dans ce sous-groupe, l’accès au volant n’efface pas toutes les inégalités puisque même lorsqu’elles accèdent de manière autonome à l’automobilité, les déplacements des plus modestes répondent essentiellement à une logique de devoir alors que la mobilité des plus aisées accorde plus de place aux loisirs et aux visites. On notera à titre d’exemple que les femmes au foyer motorisées et de revenus modestes, ont une mobilité à 90% contrainte par l’accompagnement de leur(s) enfant(s), les achats et les démarches liées à la vie quotidienne de leur ménage, tandis que la mobilité de leurs homologues rattachées à des ménages aisés est nettement plus diversifiée (28% de déplacements de loisirs ou de visites). L’homogénéité de niveaux et de comportements, permise par l’accès au volant n’est donc pas aussi parfaite que chez les actifs.

Parmi les femmes n’accédant pas au volant, qui représentent encore la majorité des femmes au foyer (57%), les niveaux de mobilité demeurent assez hiérarchisés selon le revenu. La situation est particulièrement handicapante pour les plus modestes qui se déplacent moins souvent et principalement à pied. Elles sont ainsi fortement soumises à l’offre urbaine de proximité pour l’ensemble des activités qu’elles réalisent. Celles-ci sont réduites aux plus essentielles. Leur mode de vie ainsi que leur sociabilité sont restreints à l’univers relationnel du voisinage dans un contexte où le quartier, comme support de l’insertion sociale, est de plus en plus dévalué (Rollier et Wiel, 1993).

Cette première approche permet donc d’avancer que les vertus « homogénéisatrices » de l’accès au volant sont d’autant plus fortes que les contraintes spatio-temporelles qui gouvernent l’emploi du temps des individus sont importantes. Chez les actifs, dès lors qu’ils accèdent au volant les niveaux et les pratiques de mobilités sont assez proches alors que la disposition régulière d’un véhicule s’intègre de manière différenciée dans la vie quotidienne des femmes au foyer. On a ainsi pu vérifier que chez celles qui accèdent au volant, les inégalités diminuent considérablement mais se maintiennent tant sur les niveaux, qui restent inférieurs chez les plus modestes, que sur les pratiques, puisque les plus aisées utilisent toujours plus fréquemment la voiture et ont une mobilité clairement plus diversifiée et moins tournée vers la sphère domestique. Cela tient pour l’essentiel à l’absence d’activité professionnelle qui rend possible plus de variabilité dans les activités de semaine.

Il semble que l’organisation plus « libre » des emplois du temps trahit de manière plus sensible le poids des appartenances sociales. C’est une hypothèse que nous tenterons de vérifier dans la partie consacrée à l’analyse de la mobilité de fin de semaine. Mais le premier résultat que l’analyse menée ci-dessus met très nettement en évidence est que les inégalités de mobilité quotidienne des adultes sont directement dépendantes des possibilités d’accès au volant. Nos travaux permettent de généraliser cette conclusion à l’ensemble de la population puisqu’ils montrent un net resserrement des écarts entre quintiles parmi les accédants au volant, quelle que soit leur position dans le cycle de vie et leur situation vis-à-vis de l’emploi (Paulo, 2006). Seule exception, les 75 ans et plus, car au sein de ce groupe, parmi les accédants au volant, se côtoient souvent des individus très peu mobiles et d’autres qui conduisent encore régulièrement. Parmi les non-accédants au volant, les inégalités de mobilité quotidienne sont toujours plus importantes. Le degré d’inégalités qui affecte la mobilité quotidienne des adultes est donc étroitement corrélé aux inégalités d’accès au volant que nous tentons d’appréhender dans la partie suivante.

Un accès inégalitaire à l’automobilité.

Des inégalités verticales et horizontales…

En matière de déplacements, l’indépendance permise par l’accès régulier au volant n’est pas encore garantie pour tous, elle est prioritairement attribuée aux hommes et elle reste très dépendante du revenu : mesurées sur l’ensemble de la population grâce aux indices de concentration, les inégalités sont significatives (0,144), elles sont faibles chez les hommes et très importantes chez les femmes (Tableau 4). Les différentiels d’accès au volant désignent trois types d’inégalités qui s’entrecroisent et se renforcent : une inégalité verticale de revenu, une inégalité horizontale liée au genre et une inégalité intergénérationnelle.

Tableau 4 : Niveaux d’accès au volant selon le revenu et le genre. Source : EMD de Lyon 1994-95. 1 Calculé sur les plus de 17 ans.

Tableau 4 : Niveaux d’accès au volant selon le revenu et le genre. Source : EMD de Lyon 1994-95. 1 Calculé sur les plus de 17 ans.

… qui varient selon le statut.

Dans l’agglomération lyonnaise, la part des hommes actifs accédants au volant n’est pas totalement indépendante du revenu, passant de 74% à 92% du premier au dernier quintile, mais chez les femmes l’effet du revenu est encore bien plus net de 50% à 81% du premier au dernier quintile. Les différentiels inter-genres se réduisent lorsque le revenu augmente, ce qui est en grande partie la conséquence du développement de la bi-motorisation chez les ménages aisés.

Les indices de concentration traduisent bien un effet différencié du revenu selon le genre (Graphique 1). Toutefois, chez les hommes comme chez les femmes qui exercent une activité professionnelle à plein temps, les inégalités restent faibles (respectivement 0,04 et 0,08).

Graphique 1 : Courbes de concentration de l’accès au volant. Source : EMD de Lyon 1994-1995.

Graphique 1 : Courbes de concentration de l’accès au volant. Source : EMD de Lyon 1994-1995.

Chez les femmes au foyer, nous l’avons vu, la conduite régulière d’une voiture est fondamentalement dépendante du revenu du ménage, passant de 17% à 89% du premier au dernier quintile. Les inégalités d’accès au volant sont du même ordre de grandeur que l’indice de Gini des revenus. Ce fort différentiel résulte pour partie d’un accès au permis de conduire différencié et encore loin d’être généralisé dans ce sous-groupe. En moyenne, 62% des femmes au foyer sont titulaires mais cette proportion varie entre 35% pour le premier quintile, 73% pour celles du deuxième quintile et 90% ou plus dès le troisième quintile. Néanmoins, si parmi les détentrices du permis l’écart entre les deux classes extrêmes de revenu par Uc se réduit, il reste cependant important (de 50% à 95%). Parmi les 25-59 ans, le niveau d’accès au volant des femmes au foyer est celui qui est le plus subordonné aux ressources financières du ménage.

Des inégalités qui se maintiennent et qui pénalisent plus lourdement les femmes.

Plus généralement, les analyses menées sur différents sous-groupes de cycle de vie montrent que les inégalités d’accès au volant sont bien réelles et qu’elles sont toujours plus prononcées chez les femmes. Par la diffusion de la voiture particulière, le renouvellement des générations contribue incontestablement à réduire les inégalités inter-genres, sans pour autant conduire à leur disparition (Graphique 2). Même parmi les plus jeunes, le différentiel homme-femme n’a pas disparu, car il demanderait une bi-motorisation généralisée des ménages puisque lorsque la voiture est en partage, les conventions qui règlent les modalités d’attribution au sein du foyer se font très nettement en faveur des hommes. Ces inégalités d’accès au volant modifient les capacités individuelles à se déplacer, contribuant à différencier les chances d’insertion ou de réinsertion professionnelle des chômeurs, à limiter le choix des actifs quant au type d’emplois exercés et participant au sentiment d’exclusion sociale et spatiale des femmes au foyer et autres inactifs.

Graphique 2 : Indices de concentration de l’accès au volant chez les différentes catégories d’hommes et de femmes. Source : EMD de Lyon 1994-1995.

Graphique 2 : Indices de concentration de l’accès au volant chez les différentes catégories d’hommes et de femmes. Source : EMD de Lyon 1994-1995.

Ces résultats peuvent-ils être généralisés au week-end ?

L’analyse des inégalités de mobilité de fin de semaine permet d’élargir notre propos en testant, dans un contexte différent, la robustesse du critère d’accès au volant, dont nous avons souligné le rôle homogénéisateur de niveaux et de comportements de mobilité les jours de semaine. Cette analyse permettra également de valider (ou non) l’hypothèse selon laquelle la moindre contrainte des emplois du temps introduit plus d’inégalités dans la mobilité des individus. Les résultats présentés ci-dessous sont issus de l’enquête nationale Transports (1993-1994) (Encadré 1).

Une mobilité de fin de semaine moins contrainte.

Du lundi au vendredi les activités professionnelles, scolaires ou domestiques limitent l’étendue des activités réalisables à l’extérieur du domicile pour la très grande majorité. Le week-end est marqué par une augmentation significative du temps libre, laissant plus de place aux loisirs et aux relations de sociabilité. Ainsi même si les motifs de déplacements répétitifs et contraints ne disparaissent pas complètement (ils représentent moins d’un cinquième des déplacements), ils s’effacent plus souvent devant les sorties occasionnelles ou récréatives, qu’elles soient individuelles ou familiales. Les visites sont le premier générateur de déplacements (31%) et les loisirs représentent 17% des déplacements alors que les déplacements que nous avons qualifiés de « semi-contraints » (21%), principalement des achats, sont les plus stables des jours ouvrables au week-end. Enfin, les motifs « autres » représentent une part non négligeable (15%), encore plus élevée le dimanche que le samedi. Alors même que la grille des motifs était tout aussi détaillée qu’en semaine, ce chiffre témoigne là encore du spectre plus large d’activités pratiquées le week-end, et aussi sans doute d’une plus grande difficulté de l’enquête à cerner les pratiques d’activités extérieures du week-end.

Mesurée en nombre de déplacements et rapportée à la journée, la mobilité moyenne de week-end est inférieure à celle des jours ouvrables (3-4 déplacements quotidiens). La fréquence des déplacements est loin d’être homogène au sein du week-end et l’on se déplace encore nettement moins le dimanche que le samedi (respectivement 1,7 et 2,5 déplacements). Mais cette mobilité plus faible le week-end provient en partie de la non prise en compte de la mobilité de proximité réalisée à pied [5]. En revanche, les distances mécanisées, ramenées à une moyenne journalière, sont supérieures aux distances mécanisées quotidiennes de semaine (41 km le week-end contre 32 km en semaine, soit un gain de 28%), du fait de la portée moyenne plus importante des déplacements le week-end.

Des écarts assez nets entre quintiles.

En première analyse, c’est-à-dire non décorrélé des autres facteurs explicatifs, la mobilité de fin de semaine est liée positivement au revenu du ménage, à la fois en termes de participation sociale (le nombre de déplacements locaux et non locaux sur le week-end reflète la fréquence des sorties) et d’autonomie spatiale (perceptible à la distance totale parcourue sur les deux jours). On enregistre bien un effet apparent du revenu par Uc sur la mobilité des individus qui est plus prononcé qu’en semaine (Graphique 3, Graphique 4). Par rapport au premier quintile, le nombre de déplacements est ainsi supérieur de deux tiers dans le dernier quintile et la distance parcourue y est 2,4 fois plus élevée. Cette mobilité plus faible des individus modestes provient d’une moindre participation à la plupart des activités à l’exception des visites, qu’il s’agisse d’activités contraintes comme le travail, les études, les accompagnements ou d’activités au caractère déjà moins contraignant comme les achats ou encore plus « libres » comme les diverses formes de sociabilité ou de loisirs. Le week-end, l’usage des modes de transport s’oriente très largement vers l’automobile, mais les déplacements en voiture sont encore plus fréquents parmi les plus aisés.

La plus forte sensibilité de la mobilité de fin de semaine au revenu se vérifie chez tous les sous-groupes analysés, parmi les actifs comme les inactifs. Pour résumer, nous dirons que l’empreinte du revenu se manifeste principalement de deux manières :

– sur les niveaux de mobilité non locale, c’est-à-dire sur les « grandes » sorties du week-end qui conduisent les individus à plus de 100 km de leur domicile. Celles-ci sont plus fréquentes lorsque les revenus augmentent. La part des voyageurs à longue distance, c’est-à-dire ceux qui se sont absentés à plus de 100 km de leur domicile, triple presque du premier au dernier quintile (respectivement 6% et 16%) tandis que la fréquence des déplacements à plus de 100 km est multipliée par 2,6 et les distances parcourues en non-local par 3,3 du premier au dernier quintile.

– sur l’importance qu’occupent les déplacements de loisirs, les plus modestes se caractérisent par la plus forte domesticité de leurs activités de temps libre alors que les loisirs se tournent plus volontiers vers l’extérieur lorsque les revenus augmentent.

Graphique 3 : Nombre de déplacements mécanisés et part des individus non mobiles selon le revenu. *Non mobiles : individus n’ayant réalisé aucun déplacement mécanisé lors du week-end. Source : Ent 1993-1994, agglomérations de province d’au moins 20 000 habitants (hors agglomération parisienne et rural).

Graphique 3 : Nombre de déplacements mécanisés et part des individus non mobiles selon le revenu. *Non mobiles : individus n’ayant réalisé aucun déplacement mécanisé lors du week-end. Source : Ent 1993-1994, agglomérations de province d’au moins 20 000 habitants (hors agglomération parisienne et rural).

Graphique 4 : Distances parcourues et part des voyageurs à longue distance selon le revenu. Source : Ent 1993-1994, agglomérations de province d’au moins 20 000 habitants (hors agglomération parisienne et rural).

Graphique 4 : Distances parcourues et part des voyageurs à longue distance selon le revenu. Source : Ent 1993-1994, agglomérations de province d’au moins 20 000 habitants (hors agglomération parisienne et rural).

Les écarts entre quintiles sont-ils toujours perceptibles, une fois décorrélés de l’accès au volant ?

Parmi l’ensemble des adultes ayant accès à la voiture en semaine, on observe un net resserrement des écarts et, pour schématiser, la seule inégalité verticale qui demeure aussi forte que celles observées au niveau global, porte sur les distances parcourues en non-local. Le nombre de déplacements gagne +17% du premier au dernier quintile et les distances +71%. Ce fort accroissement des distances globales est principalement issu des déplacements non locaux : les distances associées à ce type de déplacement sont multipliées par 2,6 entre le premier et le dernier quintile et la fréquence des déplacements par 1,5 (respectivement par 1,2 pour le local). Les écarts de mobilité non locale demeurent encore assez nets chez les accédants au volant. Ces résultats permettent d’avancer que la disposition régulière d’une voiture ne suffit pas à gommer les inégalités de mobilité, notamment celles observées sur la propension à réaliser des déplacements de longue distance. En revanche, l’accès au volant limite les écarts de mobilité locale. En termes de comportements modaux, les différences ne sont pas significatives. Quant aux motifs de déplacements, on constate que seules les activités de loisirs réalisées à l’extérieur du domicile durant le week-end sont croissantes du premier au dernier quintile (+89%).

Chez les catégories d’adultes non-accédants au volant considérées globalement, un effet du revenu plus important demeure sur les niveaux de déplacements, qui progressent de +65% du premier au dernier quintile pour le nombre de déplacements et de +91% sur les distances. La mobilité croissante avec le revenu provient alors d’un usage plus intensif ou plus répandu de la voiture comme passager mais également parfois comme conducteur. Il semble que les meilleures possibilités d’accompagnement ou de déplacement à plusieurs en voiture, pour les familles aux revenus élevés, jouent un rôle lorsque l’accès personnel au volant n’est pas assuré. Chez les non-accédants, tous les motifs de déplacements augmentent selon le revenu, à l’exception des motifs moyennement contraints qui font preuve d’une grande stabilité. Ce sont les motifs fortement contraints et ceux ayant trait aux loisirs qui sont les plus sensibles aux ressources financières du ménage, les hausses sont plus anecdotiques pour les autres motifs.

L’effet homogénéisateur de l’accès au volant sur la mobilité de week-end apparaît donc plus limité qu’en semaine.

Un temps libre vécu de manière très différente selon les revenus.

Outre l’impact plus nuancé de l’accès au volant sur les inégalités de mobilité de fin de semaine, les résultats du week-end mettent en évidence un clivage important dans la manière dont les individus gèrent leur temps libre selon les revenus familiaux. Ainsi « […] comme opératrice de différenciation sociale, la capacité de mobilité se fonde davantage sur la capacité de valorisation de la mobilité (qui sous-entend une dimension socio-culturelle) que sur les conditions de possibilité (matérielle, économique) de la mobilité », (Roch, 1998, p. 140). Durant le week-end, la diminution des activités professionnelles et scolaires est synonyme d’un temps libre et d’une vie relationnelle davantage tournés vers l’extérieur chez les plus aisés. Ce sont ceux qui sortent le plus pour un motif de loisirs. Cette valorisation différente du temps libéré des contraintes professionnelles et domestiques commence dès le plus jeune âge, les enfants des ménages aisés réalisant plus d’activités sportives, culturelles ou associatives et se poursuit chez les adultes jusqu’à la retraite (Paulo, 2006). Dans un contexte marqué par un rééquilibrage des temps en faveur des temps hors travail, l’impact de ces inégalités n’est pas à sous-estimer. Elles ne peuvent être appréhendées comme une simple inégalité de consommation puisqu’elles participent au bien-être des individus et au maintien des inégalités socio-culturelles qui traversent la société.

Conclusion.

Dans cet article nous avons cherché à apporter des éléments de réponse à quelques-unes des nombreuses questions restant encore en suspens dans le champ des inégalités socio-économiques de mobilité. En conclusion, nous souhaiterions revenir sur les principaux résultats.

Au quotidien l’inégalité de mobilité qui ressort le plus clairement a trait aux différentiels d’accès au volant selon le revenu et le genre. Le non-accès au volant est plus ou moins choisi et assumé selon le revenu : il apparaît comme un choix forcé pour les individus des ménages à bas revenu, et se traduit par des niveaux de mobilité faibles et inférieurs à la moyenne. Les déplacements sont souvent réduits aux activités les plus essentielles et qu’ils soient actifs ou non, les individus semblent plus souvent contraints à l’assignation territoriale. Cette situation est particulièrement pénalisante car la plupart résident en périphérie. En revanche, les individus les plus aisés n’accédant pas au volant se caractérisent par un mode de vie citadin basé sur la proximité et la centralité.

Une fois décorrélé des possibilités d’accès au volant, l’effet du revenu est modéré sur les niveaux et les comportements de mobilité de semaine. Les contraintes spatio-temporelles importantes des jours ordinaires de travail génèrent des niveaux de mobilité stéréotypés, voire complètement indifférenciés chez les actifs, dès lors que l’accès au volant est garanti. Cet accès induit une apparente homogénéisation des pratiques de mobilité qui est plus nuancée parmi les accédants au volant n’exerçant pas d’activité professionnelle. Dans cette sous-population, les inégalités de mobilité quotidienne plus faibles qu’au niveau global ne disparaissent pas complètement, du fait de la moindre contrainte des programmes d’activités qui introduit plus de variabilité dans l’organisation des déplacements. Les vertus homogénéisatrices de l’accès autonome et régulier à la voiture particulière varient donc selon le niveau de contraintes pesant sur les déplacements effectués. On retiendra néanmoins que la problématique des inégalités de mobilité conduit indéniablement à poser la question de l’accès à la voiture particulière des plus modestes, ce qui soulève également des interrogations quant à la durabilité d’un tel système.

Le week-end, l’accès au volant permet de réduire considérablement les inégalités portant sur les « petites » sorties du week-end mais le revenu reste très discriminant sur les « grandes » sorties, en particulier celles liées aux loisirs, que les individus aient ou pas accès au volant. Ainsi, outre l’effet du revenu du ménage sur les possibilités d’utiliser une voiture de façon autonome, il demeure donc a priori en fin de semaine, un effet du revenu sur la mobilité des individus accédants et non-accédants au volant. Le samedi et le dimanche, l’effacement des motifs de déplacements contraints au profit des visites et des loisirs a également fait émerger des inégalités liées au mode d’appropriation du temps « libre ». Le week-end, les individus à bas revenu se caractérisent par des activités de loisirs plus ancrées sur le domicile ou sa proximité, alors que les personnes les mieux dotées financièrement se distinguent des autres par l’importance des activités récréatives réalisées à l’extérieur.

Résumé

L’amélioration[1] continue des conditions de mobilité depuis plusieurs décennies s’est accompagnée de fortes transformations des échelles spatio-temporelles de la vie économique et sociale. Les individus entretiennent désormais une relation réticulaire au territoire : ils habitent dans un lieu, travaillent dans un autre, se distraient dans un troisième, etc. (Wiel 1999 ; Ascher 2001).Au plan économique, les modifications ...

Bibliographie

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Notes

[1] Contribution au Colloque « Mobilités spatiales et fluidités sociales », 21 et 22 avril 2005.

[2] De la même manière, une faible consommation de transport peut être tout autant l’expression d’un mode de vie contraint par de faibles disponibilités financières que l’expression d’un mode de vie non contraint, caractérisé par la centralité des lieux d’emploi et de résidence et organisé autour de relations de proximité.

[3] Dans ce groupe, nous n’avons considéré que les actifs travaillant à temps plein âgés de 25 à 59 ans et déclarés soit comme la personne de référence du ménage soit comme son conjoint, de manière à limiter les variations dues à des facteurs incidents.

[4] Seules les femmes âgées de 25 à 59 ans, n’exerçant pas d’activité professionnelle, déclarées soit comme la personne de référence du ménage soit comme son conjoint et ayant au moins un enfant à charge sont considérées comme « au foyer ».

[5] Si l’on ne compare que les déplacements mécanisés, les écarts se réduisent (en moyenne 2,1 déplacements par jour le week-end contre 2,6 sur une journée de semaine, soit un déficit de 24%).

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