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Serendipity.

Un quartier à « visages multiples ».

Jean-Yves Authier, Marie-Hélène Bacque et France Guérin-Pace (dir.), Le Quartier : Enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques sociales, 2007.

Ce compte-rendu a été publié dans la revue Pouvoirs Locaux n°75. La rédaction d’EspacesTemps.net remercie Pouvoirs Locaux pour l’autorisation de publication de cet article.

Cet ouvrage a par ailleurs fait l’objet d’un autre compte-rendu dans la rubrique Confluences.

Image1Au-delà des images médiatico-politiques largement véhiculées ces dernières années, que représente le quartier ? Outre le fantasme très présent dans l’imaginaire collectif, notamment à la suite des émeutes de 2005, qu’est-ce que le quartier ? Quelle consistance revêt-il ? Comment appréhender ce territoire non seulement à l’échelle locale mais aussi sur un plan national, voire international ? Qui y habite ? Quelles en sont les caractéristiques ? Quels sont ses atouts, ses faiblesses ? À toutes ces questions (non exhaustives), l’ouvrage collectif intitulé Le Quartier : Enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques, dirigé par Jean-Yves Authier [1], Marie-Hélène Bacque [2] et France Guérin-Pace [3] donne un éclairage d’ensemble, confrontant plusieurs approches. Ce recueil de contributions est le fruit de recherches menées par des chercheurs issus de disciplines diverses mais complémentaires. Il constitue à la fois un outil de réflexion et un bilan critique des travaux sur le quartier, en articulant débats théoriques et travaux empiriques récents. L’interdisciplinarité du sujet d’analyse qu’est le quartier et sa capacité à faire interagir plusieurs sciences entre elles sont intéressantes à plus d’un titre. Tout d’abord, la manière d’aborder le « statut » du quartier proposée ici permet d’éviter l’écueil franco-français : celui d’enfermer le débat dans une rhétorique discriminatoire et de ne focaliser l’attention que sur le problème des banlieues. Les questions abordées dans ce recueil traitent ce territoire dans sa complexité, et reste ouvert à la variété des situations. Trois axes de réflexion se dégagent.

Contours flous.

Le premier se propose d’étudier la problématique de la représentation du quartier dans les sciences humaines et sociales. Sociologues, démographes, urbanistes et politistes sont les observateurs privilégiés du « phénomène quartier » qui est vu, selon la majorité des disciplines, comme échelle d’analyse et non en tant qu’objet à proprement parler. Cette vision du quartier et l’absence d’une définition précise de son « statut » alimentent inévitablement les débats. En d’autres termes, le quartier en tant qu’objet ne peut être disséqué isolément. Il sert de tremplin à l’étude de sujets connexes. Le quartier est avant tout associé au territoire et donc à une délimitation physique, comme par exemple une circonscription administrative. En présence de contours flous, c’est alors les caractéristiques propres aux habitants qui servent à différencier un quartier d’un autre, lui conférant ainsi sa physionomie propre. Par cette approche, c’est un espace de proximité, un milieu de vie qu’on valorise, à savoir un espace dans lequel des usages et pratiques propres à ses habitants sont érigés en tant que valeurs de ce quartier. Dans le discours politique, le statut du quartier en tant qu’objet n’est guère plus considéré. Longtemps absente des discours en raison d’un État centralisateur, cette notion s’est progressivement imposée à la fin du 20e siècle. L’avènement de la Politique de la ville et la décentralisation dans les années 1980 ont permis un coup de projecteur sur ce territoire sans pour autant en faire un « objet » ou en cerner les contours. Si bien que le quartier, en politique, revêt un aspect connoté. Du côté des géographes, cependant, l’analyse peut paraître plus pertinente dans le sens ou, par un travail historique de longue haleine, la notion de quartier est désormais appréhendée en tant qu’objet. Espace longtemps mal défini, son approche par la géographie a considérablement évolué. Elle prend comme premier point de repère un territoire identifié selon une morphologie spatiale et sociale commune à toutes les habitations. L’homogénéité est alors le critère retenu. Le support identitaire est un second critère qu’il faut prendre en considération, fondé sur la solidarité, l’échange et les liens entre individus. Il convient cependant de s’interroger sur le rapport qu’entretient le quartier avec la ville : œuvre-t-on pour une certaine homogénéisation ou se dirige-t-on vers l’émergence de petits territoires en rébellion vis-à-vis du centre ville, animés de revendications identitaires ou communautaires ?

Terme générique, le Quartier recouvre des réalités très variées. C’est ce qui ressort des différentes contributions. Bien entendu des dénominateurs communs subsistent : la caractérisation sociale du territoire, la solidarité, etc. Cependant, de multiples aspects distinguent les quartiers, même les plus pauvres. Les favelas en sont le parfait exemple. Souvent pensée au singulier, la favela est en réalité plurielle. Chacune est dotée d’une spécificité. Le raccourci rapide opéré par les politiques pour qualifier le quartier selon une certaine dénomination est donc erroné la plupart du temps. Notion fourre-tout, le quartier est aujourd’hui déconsidéré par les politiques qui le réduisent à un ensemble d’habitat caractérisé par la pauvreté ou se greffent des problèmes sociaux et raciaux. Dans la bouche de nos gouvernants, ce type de quartier est marqué par le négatif alors qu’on assiste, d’un autre coté, à l’émergence de « nouveaux » quartiers sous l’appellation de quartier village. Souvent construits sur les fondations d’anciens quartiers populaires, ces derniers, à l’instar du village de Charonne et Goutte d’Or à Paris, attirent une nouvelle population beaucoup plus aisée souhaitant recréer une vie communautaire sur des airs du passé. En somme, un quartier où il fait bon vivre, à la croisée des chemins entre le fabuleux destin d’Amélie Poulain et le vieux Paris des années 50.

Une fonction socialisante essentielle.

La transition est alors toute faite avec la problématique des modes d’habiter du quartier. Plus globalement, ce sont les différents rapports qu’entretiennent les individus avec ce territoire qui sont analysés dans un second temps avec en filigrane l’émergence d’une dualité : celle entre mobilité et attachement au quartier. Ces questionnements, sur la base de comparaisons internationales, participent néanmoins d’un consensus. En effet, le quartier serait déterminant quant à la construction de l’identité des individus qui y habitent. La conscience de soi se révèlerait au travers du quartier, de ses usages, coutumes et pratiques. Si bien que ce territoire, auquel on s’identifie, a une fonction socialisante contribuant à forger une personnalité propre à chacun. Signe de reconnaissance avec ses semblables, « être de tel quartier » permet aussi de se distinguer vis-à-vis des étrangers, à savoir ceux qui ne sont pas du territoire défini en tant que tel. C’est ainsi que se nouent des liens affectifs, que se créent des espaces de solidarité parce qu’on est du même quartier, et donc de la même condition. Ce sentiment de quartier se retrouve à tous les étages de la société. Les constats dressés peuvent néanmoins être nuancés. L’attachement au quartier ne signifie pas pour autant l’immobilisme des individus qui y résident. Il est vrai que celui-ci est plus ou moins fort en fonction des moyens économiques mis à disposition : plus on est riche, plus on a la capacité de se mouvoir. Toutefois, ne nous perdons pas dans des conclusions trop hâtives qui viendraient à opposer mobilité et attachement. Les contributions recueillies montrent combien il est possible de faire coexister ces deux notions dans un monde sans cesse en mutation.

Enfin, forces et faiblesses du quartier sont étudiées du point de vue de ses effets. Territoire ressources d’une part, il est aussi connoté, de l’autre, par la négative, souvent associé à la pauvreté vecteur de déviances sociales : prostitution, drogue, délinquance, chômage, zones de non-droits. Quand bien même ces territoires bénéficient de programmes spécifiques de réhabilitation, on observe aussi bien aux États-Unis qu’en France que de tels quartiers souffrent d’inégalités flagrantes, de ségrégation sociale et raciale. Les locaux en pâtissent, souffrant de la mauvaise réputation de leur quartier. Il n’en reste pas moins qu’au-delà des pathologies sociales qui ont pour effet de stigmatiser un quartier, ce dernier offre en son sein des ressources, notamment en termes de vie culturelle et d’investissement associatif, vecteur d’une citoyenneté retrouvée.

Dans ce contexte de reconfigurations des territoires, quel est l’avenir des quartiers ? L’idée même de quartier est aujourd’hui discutée (du moins sa pertinence) dans un monde pris de vitesse par la mondialisation. Va t-on alors assister à l’émergence d’une ville dans la ville ? Au développement de quartiers bien spécifiques au sein desquels telles valeurs seront véhiculées, ou telle population sera acceptée ? À la fin du rêve de la mixité sociale ? À une vision unitaire d’une ville autour de ses quartiers se distinguant par leurs caractéristiques propres ? Autant de défis qu’il faudra relever, notre mode d’habiter étant au cœur des préoccupations sociétales !

Jean-Yves Authier, Marie-Hélène Bacque et France Guérin-Pace (dir.), Le Quartier : Enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques sociales, Collection « Recherches », Éditions La Découverte, Paris 2007.

Abstract

Au-delà des images médiatico-politiques largement véhiculées ces dernières années, que représente le quartier ? Outre le fantasme très présent dans l’imaginaire collectif, notamment à la suite des émeutes de 2005, qu’est-ce que le quartier ? Quelle consistance revêt-il ? Comment appréhender ce territoire non seulement à l’échelle locale mais aussi sur un plan national, voire ...

Bibliography

Notes

[1] Jean-Yves Authier est professeur de sociologie à l’université Lumière-Lyon-2 et directeur adjoint du Groupe de recherche sur la socialisation (GrsCnrs).

[2] Marie-Hélène Bacque est professeur de sociologie à l’université d’Evry et membre du Centre de recherche sur l’habitat (CrhUmrlouest).

[3] France Guérin-Pace est géographe à l’Institut national d’études démographiques (INED) et chercheuse associée à l’Umr-Géographies-cités.

Authors

Michel de Carvalho

Ancien élève du 3e cycle « Décision et stratégie publique et politique » de l’Ismapp (Institut Supérieur de Management Public et politique).

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Serendipity.

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