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Serendipity.

Un espace charnière.

Le Sud algérien et les migrations subsahariennes vers l’Europe.

Cette recherche fut possible grâce à une bourse du Centre Jacques Berque de Rabat, et à l’aide de mon cousin Adel qui m’accompagna lors de l’enquête.

[1]

300td.org, On the Way to the Sahara, Flickr[2], 04.08.2004, Creative Commons.

Par sa situation géographique entre Afrique noire et bassin euro-méditerranéen, par l’étendue et la perméabilité de ses frontières sahariennes, et par ses filières migratoires très organisées, l’Algérie représente une voie de passage privilégiée pour les populations africaines à destination de l’Europe, que celle-ci soit atteinte ou simplement rêvée. Le sud du pays, pris dans son sens large [1], constitue véritablement un espace charnière, notion qui renvoie à « la capacité d’une région frontalière à capter le migrant et à permettre en même temps la mobilité migratoire internationale » (Pellicani, Spiga, 2007, p. 278). En effet, le Sahara n’est pas seulement un obstacle à franchir, mais, de plus en plus, un territoire d’accueil et d’insertion pour les migrants qui, par choix ou par contrainte, décident de s’y établir de manière durable. Jusqu’alors pays d’émigration et de transit, l’Algérie est également devenue une terre d’immigration pour de nombreux Subsahariens ayant renoncé à traverser la Méditerranée (Bredeloup, Pliez, 2005). La mutation des anciennes configurations migratoires, l’intensification de la circulation des personnes à la charnière sahélo-saharienne, et les recompositions socio-spatiales que cela génère posent la question de l’émergence et du devenir d’un territoire de « l’entre-deux » au sud de l’Algérie. Nigériens, Maliens, Ivoiriens ou Ghanéens, les migrants qu’on y rencontre ne sont ni tout à fait de passage, ni tout à fait fixés. Ils attendent. Si une occasion se présente de reprendre la route, ils n’hésiteront pas à la saisir, mais s’il s’offre à eux une opportunité d’emploi sur place, ils sauront également en tirer profit, ne serait-ce que pour se constituer le pécule nécessaire à la poursuite du voyage. Les mois peuvent ensuite devenir des années, et l’étape intermédiaire se transformer en destination finale.

L’approche sécuritaire renforcée de l’Union européenne, rendant les lois relatives à l’entrée et au séjour des étrangers sur son sol plus restrictives, a contraint une grande partie des migrants subsahariens à abandonner leur projet initial. Cette nouvelle donne inquiète le gouvernement algérien qui refuse catégoriquement de régulariser les immigrés clandestins, même s’ils représentent une main-d’œuvre appréciable pour les employeurs locaux et contribuent au développement de territoires sahariens sous-peuplés, dont le potentiel économique s’est révélé notamment avec la découverte des gisements d’hydrocarbures. L’occultation officielle de l’immigration en Algérie témoigne de l’embarras des autorités qui oscillent entre répression et tolérance vis-à-vis de travailleurs dont la présence est somme toute utile, surtout dans le Sud. La minimisation, voire le déni de la présence africaine par le gouvernement, passe par une absence de communication sur les chiffres, ce qui rend difficile l’estimation précise de ces flux, que l’on sait toutefois en constante augmentation (Bensaâd, 2009b). D’autres problèmes méthodologiques se posent au chercheur qui enquête auprès de populations en situation irrégulière, dont la méfiance altère parfois le contenu de l’échange et rend délicate l’utilisation de questionnaires, limitant ainsi les informations qualitatives destinées à pallier l’absence de quantification. Les estimations avancées dans cet article proviennent de sources secondaires, mais l’essentiel du propos est fondé sur des observations de terrain réalisées durant deux mois en hiver 2011, un corpus de récits biographiques et une trentaine d’entretiens avec les migrants ainsi que des discussions informelles avec les populations locales vivant à leur contact au sud de l’Algérie [2].

Le Sahara algérien, un terrain difficile.

La traversée du désert.

Dans les récits de parcours des migrants subsahariens, la traversée du désert apparaît comme l’étape fondamentale, la plus longue, la plus dure, celle qui marque les esprits de manière indélébile. « Le Sahara ne donne rien, il prend tout », rappelait souvent Ahmed, un Targui hartani [3], ancien passeur devenu chauffeur pour touristes. Si certains chercheurs se sont attachés à déconstruire l’idée d’un Sahara hostile et cruel inspirant la peur et causant la désolation, pour le présenter comme un espace de contact parsemé de lieux mythiques chargés d’un symbolisme fort et entourés de mystère (N’gaïde, 2004), on estime cependant que la traversée du désert présente plus de risques que celle de la Méditerranée, dans la mesure où, pour déjouer les contrôles, les clandestins sortent des pistes habituelles et explorent des routes secondaires, souvent dangereuses (de Haas, 2006a). « Nous avons commencé le voyage à vingt, pour finir ici à Alger à sept seulement ! Cinq de mes compagnons ont été interceptés aux frontières, quant aux autres, ils ont tous péri dans le désert », confie un rescapé. Quand ce n’est pas la mort qui frappe, c’est la maladie, la fatigue, la soif et la faim. Les migrants interviewés affichent cependant une certaine pudeur à parler des difficultés rencontrées au long de leur périple. C’est souvent avec un sourire gêné qu’ils admettent ne pas être en règle, tout simplement parce qu’entrer en Algérie par la voie légale relève de la gageure.

S’il est quasiment impossible pour ces populations d’obtenir un visa Schengen, ce qui exclut de facto leur entrée sur le sol européen par la voie aérienne, l’obtention d’un visa auprès des consulats algériens en Afrique ne s’avère pas tellement plus simple, puisqu’il faut pouvoir produire une attestation officielle d’hébergement ou de réservation dans un hôtel, un relevé de compte bancaire qui devra contenir une somme « suffisante », une attestation d’assurance rapatriement internationale, et parfois un billet d’avion de départ d’Algérie (Brachet, 2009). Les ressortissants maliens sont exemptés de visa : il leur suffit d’avoir un passeport, tamponné dès leur entrée en Algérie où ils peuvent séjourner trois mois, renouvelable à condition de quitter le territoire pour obtenir un nouveau cachet. Ces conditions plus favorables, liées à des accords bilatéraux entre l’Algérie et le Mali, ont donné lieu à un important trafic de faux passeports maliens. Afin de démasquer rapidement les ressortissants de pays d’Afrique anglophone se présentant comme Maliens, les policiers algériens vérifient d’abord s’ils parlent français, puis bambara, une méthode contre laquelle s’insurge Bilal, un Ivoirien polyglotte, dans la mesure où de nombreuses langues sont parlées au Mali, et où la maîtrise de l’une d’entre elles ne saurait constituer un critère de nationalité. Certains obtiennent d’ailleurs avec succès la nationalité malienne, et voyagent ensuite avec de vrais passeports maliens, même s’ils sont originaires d’un autre pays. La part des Maliens au sein de la population immigrée en Algérie est donc surestimée dans les statistiques officielles, ce qui nécessite de les prendre en compte de manière critique.

L’entrée en clandestinité.

Pour les migrants subsahariens, la clandestinité n’est pas forcément une donnée de départ. Certains d’entre eux entrent légalement sur le territoire algérien, et se retrouvent en situation irrégulière à l’expiration de leur permis de séjour. Étant donné la difficulté de la traversée du désert, peu sont prêts à refaire le chemin en sens inverse pour renouveler leurs papiers. En outre, le voyage coûte cher. Le passage de la frontière algéro-malienne dans un véhicule tout terrain requiert à lui seul une centaine d’euros par personne quand il se fait sans documents valides. Les « lignes » (non officielles) pour l’Algérie sont le monopole des Touareg qui, ayant trouvé dans la fonction de passeurs une nouvelle source de revenus, assurent l’acheminement des migrants vers le nord du Sahara. Ces anciens pasteurs et commerçants nomades ont investi le créneau des migrations transsahariennes en mettant à profit leur connaissance du terrain et leur statut légal qui les autorise à circuler librement entre l’Algérie, le Mali et le Niger, dans le cadre de « l’économie de troc » (Musette, 2010). Lorsqu’ils transportent des clandestins, ils empruntent des itinéraires, souvent hors pistes, qui leur permettent d’échapper aux barrages routiers. Refusant de prendre le risque d’entrer dans les villes et de voir leur cargaison humaine contrôlée, ils déposent leurs passagers en plein désert, comme en témoignent de nombreux migrants.

Une partie de la traversée se fait donc à pied, en petits groupes pour éviter d’être remarqué, mais avec le risque de s’égarer ou de se faire détrousser en chemin. Bilal, l’Ivoirien rencontré à Adrar, se plaint de la manière dont les Touareg traitent les migrants. Après avoir payé au prix fort un passeur au Mali pour effectuer le trajet Gao-Tamanrasset dans un pick-up bondé, debout pendant les six jours de voyage au milieu de vingt-cinq autres passagers entassés dans un véhicule fait pour transporter neuf personnes, il dit avoir été « abandonné » avec ses compagnons à 80 km de Tamanrasset, une distance supérieure à ce qui était prévu dans les négociations de départ. En un seul voyage, le propriétaire du pick-up a pu empocher 2 500 euros. Les tarifs ont augmenté depuis 2007, avec le déclenchement d’une nouvelle rébellion touareg au Mali et au Niger. L’enrichissement des passeurs, lié à l’augmentation de la demande migratoire, a encouragé l’investissement dans l’achat de véhicules tout terrain, ce qui permet une offre plus grande, et par un effet de boucle rétroactive, une intensification des flux migratoires. Les sommes en jeu dans le transport illégal de migrants restent cependant inférieures aux revenus générés par la contrebande de cigarettes qui représente le plus important flux financier du commerce sahélo-saharien, et dont la ville nigérienne d’Agadez constitue la plaque tournante (Bensaâd, 2003). En termes d’organisation, de réseaux et de puissance financière, les petits passeurs sont donc loin d’égaler les gros contrebandiers, possédant chacun plusieurs 4×4, dont de luxueux Land Cruiser que l’on peut voir circuler dans les rues de Tamanrasset.

La peur des refoulements.

Si les populations touareg locales qui se livrent à des activités illégales parviennent à éviter les contrôles [4], les migrants subsahariens sont en revanche la proie privilégiée des traques policières dans le Sud algérien. Même lorsqu’ils séjournent en Algérie de manière régulière, ils sont employés au noir, dans la mesure où il ne leur est pas délivré de permis de travail. Cette situation s’avère avantageuse pour les locaux qui trouvent là une main-d’œuvre bon marché, souvent chargée des travaux les plus durs, délaissés par les Algériens. Les travailleurs clandestins sont à la merci du moindre contrôle d’identité, et font l’objet de refoulements répétés. Lorsqu’ils sont en possession de faux papiers, ils peuvent être arrêtés et incarcérés pour une période indéterminée, en vue d’un procès qui leur fera encourir plusieurs années de prison. Pour les autres, l’enfermement peut durer plusieurs jours, voire des semaines, dans l’attente d’une nouvelle rafle policière permettant un renvoi groupé par camion. Il arrive cependant que la Paf (Police algérienne des frontières) « sous-traite » en déléguant cette tâche aux Touareg, qui louent leurs services de transporteurs pour reconduire les clandestins à la frontière. Ces convoyeurs officiels sont parfois ceux-là mêmes qui effectuent illégalement le trajet en sens inverse. Il est de leur intérêt de participer aux refoulements, moins pour ce que la police les paye [5], que pour s’assurer une clientèle au retour, sachant que les migrants expulsés tentent de revenir, parfois le jour même. Les propriétaires de 4×4 qui font de ces allers-retours un business lucratif ont cependant besoin d’une escorte armée lors des reconduites à la frontière, afin que les migrants ne fuient pas.

Les opérations de refoulement sont loin d’être un jeu de dupes, puisque la police n’ignore pas que les expulsés reviendront, dès le lendemain si le retour se fait depuis le Niger, quelques jours après s’il se fait depuis le Mali. Dans ce dernier cas, en effet, la distance est plus grande, les pistes sont mauvaises et le terrain est miné depuis la dernière rébellion touareg. Les autorités algériennes tolèrent ces retours, car ils leur permettent de gonfler artificiellement le nombre d’expulsés par an, un bilan surveillé de près par l’Union européenne, qui aide financièrement l’État algérien à stopper les migrations de transit. En réalité, explique Mohammed, restaurateur nigérien installé à Tamanrasset, les mêmes personnes sont refoulées à plusieurs reprises, et cela compte à chaque fois comme une nouvelle procédure d’expulsion. Autrement dit, lorsqu’un capitaine de Gendarmerie affirme qu’« en 2005, pour la seule wilaya [6] de Tamanrasset, plus de 11 000 immigrés clandestins ont été accompagnés aux frontières » [7], on peut diviser ce chiffre par 3 ou 4, sachant que ce sont les mêmes migrants qui font l’objet de plusieurs procédures de refoulement à quelques mois d’intervalle. Il s’agit donc d’un cycle sans fin, dans lequel l’Algérie trouve son intérêt depuis qu’elle touche des subventions, dans le cadre de Frontex [8], pour toute reconduite de clandestins à ses frontières (Bourgeot 2011).

Mohammed, lui, n’a pas trop de soucis à se faire, car il a obtenu la nationalité malienne et ses papiers sont en règle. « Pour cela, admet-il, il faut de l’argent et des contacts, afin de faire avancer la procédure de naturalisation, et ce n’est pas à la portée de tous ». Ses amis, qui partagent sa petite chambre dans le quartier nigérien de Tamanrasset, vivent dans la peur quotidienne des rafles policières. L’Algérie n’accorde plus que des visas d’un mois aux Nigériens, et il y a bien longtemps que les leurs ont expiré. Ils peuvent être interpelés à tout moment, chez eux ou dans la rue. « Chaque semaine l’un d’entre nous est pris et expulsé. Quand on voit la police, il faut courir, sans jamais s’arrêter. S’ils nous rattrapent, ils nous menottent, car ils savent qu’on va s’enfuir ». À la question : « Vous frappent-ils ? », « Non, nous, nous sommes juste des clandestins, on travaille, ils nous connaissent, mais les trafiquants risquent gros ». À la fin de la discussion, Mohammed énonce une mise en garde : « Les gens qui sont impliqués dans des trafics louches refuseront de vous parler. Ils vont croire que vous êtes de la police. Honnêtement, même moi je ne vous aurais pas reçus chez moi si vous ne m’aviez pas été présentés par votre ami Brahim ». En effet, sans contact au sein de la population locale, il est plus difficile d’aborder les migrants. Hors de Tamanrasset, leur méfiance s’est avérée un véritable problème. Sur le marché de Béchar, la stratégie d’approche adoptée, qui consistait à acheter des articles aux vendeurs à la sauvette, puis à discuter avec eux sur leurs origines et leurs destinations éventuelles, provoqua la suspicion, car trop indirecte. Sur les trottoirs d’Adrar où les migrants africains attendent qu’on leur offre un emploi journalier, grande était la déception des personnes abordées pour autre chose que du travail, même si quelques-unes finirent par accepter de raconter leur itinéraire, parfois pendant de longues heures, autour d’un thé offert.

Les difficultés rencontrées par ceux qui traversent le désert dans la clandestinité modifient leur rapport à l’autre et les poussent au repli sur soi. Les traques policières, l’épuisement physique et moral, la nécessité de gagner de l’argent, ne laissent ni le temps, ni l’inclination de répondre à des questions posées par une personne inconnue, dont le travail ne présente a priori aucun intérêt pour eux, même lorsque l’objectif de la recherche est expliqué. En dépit de ces obstacles, des relations se nouent parfois, là où on les attend le moins, et l’humain refait surface. L’entretien est alors tout sauf un questionnaire, car celui-ci, pour des populations traumatisées par le harcèlement policier, risquerait de faire penser à un interrogatoire. L’échange se doit d’être un dialogue, celui de personnes qui désirent faire connaissance, et se posent avec curiosité et empathie des questions sur leurs vies respectives [9].

Les migrants africains au sud de l’Algérie, entre transit et installation.

Facteurs de migration et ampleur du phénomène.

Qui sont-ils ? Que font-ils ? D’où viennent-ils ? Où vont-ils ? Mais surtout : que veulent-ils ? Que fuient-ils ? À quoi aspirent-ils ? Les études migratoires distinguent traditionnellement les « push » et les « pull factors » (Lee, 1966), c’est-à-dire les facteurs répulsifs qui poussent les migrants à quitter leur région d’origine, et les facteurs attractifs qui les encouragent à partir vers des cieux plus cléments. Les pays dont sont originaires les migrants rencontrés, situés essentiellement dans la zone sahélienne et en Afrique de l’Ouest, ont subi de plein fouet les ajustements structurels et la dévaluation du franc Cfa, assortis d’une détérioration du pouvoir d’achat. Ces pays souffrent de maux communs, liés à la pauvreté, à l’endettement, aux sécheresses, au désengagement économique des puissances occidentales et aux guerres fratricides, certaines régions étant plus touchées que d’autres. La plupart migrent à cause d’un manque général d’opportunités, d’une crainte de persécution ou de violence, ou d’une combinaison des deux. Il est donc artificiel d’opposer systématiquement migrants économiques et réfugiés politiques. Bien qu’une enquête récente sur les migrants subsahariens en Algérie révèle que les demandeurs d’asile ne représentent qu’un dixième des personnes interrogées [10], les autres ne sont pas pour autant épargnés par les retombées humanitaires des conflits régionaux. En témoigne l’amplification des flux migratoires vers l’Algérie dans les années 1990, marquées par des guerres civiles en Sierra Léone et au Libéria, auxquelles s’ajoutent des violences systématiques au Nigéria, la chute du président Mobutu dans la République Démocratique du Congo et les guerres de la région des Grands Lacs. Par ailleurs, l’instabilité politique et le déclin économique associé en Côte d’Ivoire, jusque-là pays d’immigration, ont poussé les populations d’Afrique de l’Ouest à se diriger vers les pays du Maghreb (de Haas, 2006a).

La Libye a longtemps constitué la destination privilégiée des migrations de main-d’œuvre vers l’Afrique du Nord. Peu peuplée et riche en pétrole, ayant eu à sa tête un chantre du panafricanisme, la Libye a toutefois connu de violentes réactions xénophobes contre les Subsahariens en 2000, qui ont poussé Kadhafi à prendre des mesures migratoires répressives (Pliez, 2000). Les flux se sont alors réorientés vers l’Algérie, s’ajoutant ainsi à des mouvements plus anciens. Dès les années 1960, le sud du pays était le théâtre de mobilités de travail en provenance de ses voisins méridionaux, et celles-ci se sont intensifiées avec les sécheresses dévastatrices qui ont frappé le Sahel la décennie suivante. Aujourd’hui encore, les pays limitrophes que sont le Mali et le Niger figurent parmi les plus pauvres du monde, classés respectivement 160e et 167e selon l’Idh (Rapport sur le développement humain, 2010), alors que l’Algérie, 84e, jouit d’une rente pétrolière et connaît de ce fait une certaine prospérité financière avec 155 milliards de dollars de réserves en devises à la fin 2010. Ce différentiel de revenus et de richesses encourage les migrations économiques, même si la plupart des Subsahariens se rendent en Algérie avec l’idée de poursuivre ensuite leur chemin vers l’Europe. Bien que le pays ait traversé dans les années 1990 une période difficile, marquée par le terrorisme, le Sud, relativement épargné, a vu l’afflux de migrants augmenter durant cette « décennie noire », dans la mesure où la police était débordée dans sa lutte contre les réseaux terroristes [11]. Le durcissement de la répression contre les clandestins ces dernières années ne semble pas avoir découragé les candidats à la migration, toujours plus nombreux.

On estime à au moins 20 000 par an les migrants originaires du Mali et du Niger entrant en Algérie (Mebroukine, 2009), soit un cinquième des 100 000 Subsahariens qui transiteraient annuellement par l’Afrique du Nord, chiffre avancé pour les années 2000 [12]. Les statistiques fournies par la Gendarmerie nationale algérienne font généralement état du nombre de clandestins arrêtés, et non de l’ensemble des migrants présents sur le territoire. On sait par exemple qu’entre le 1er janvier 2000 et le 31 décembre 2007, près de 65 000 migrants, de 48 nationalités différentes, ont été interpelés. Le plus grand nombre provient du Mali, du Niger et du Nigéria, mais les gendarmes algériens ont parfois eu affaire à des clandestins venus de pays aussi lointains que le Pakistan, l’Inde ou le Sri Lanka [13]. En ce qui concerne le nombre total de migrants en Algérie, les chiffres officiels sont largement sous-estimés. Selon les services de Gendarmerie, ils étaient 22 000 en 2007, 32 000 selon le ministre de l’Intérieur, questionné sur cet épineux dossier par des députés à l’Assemblée nationale (Bensâad, 2008). Ces estimations sont bien en deçà de la réalité des chiffres, sans doute dix fois supérieurs, sachant que la seule ville de Tamanrasset, peuplée de 120 000 habitants, compte deux tiers de migrants selon les autorités locales, et ils représenteraient au moins le cinquième de la population dans les autres villes sahariennes, sans compter les milliers de ceux qui ont atteint les métropoles littorales. La plupart des sources journalistiques et académiques estiment à plus de 250 000 l’ensemble des migrants présents en Algérie (Labdelaoui, 2009). Si certains continuent vers l’Europe, de nouveaux arrivent et les remplacent, tandis qu’une partie décide de s’installer.

Projets migratoires.

Le terme de « migrants » s’avère commode lorsqu’on ne sait pas vraiment s’il s’agit de personnes en transit ou d’immigrés. Quand on les interroge sur leurs intentions, la majorité déclare se projeter en Europe dans un avenir proche, mais, de fait, un ensemble de facteurs rend ce rêve de plus en plus lointain et inaccessible. Si l’Algérie a longtemps été perçue comme une voie d’accès majeure vers le vieux continent, cette porte tend à se fermer avec le durcissement des politiques migratoires européennes, et la sévérité de la répression du gouvernement algérien qui utilise le passage de Subsahariens par son territoire comme une rente géographique et un outil de négociations avec ses voisins du Nord. Les responsables politiques refusent d’admettre que l’Algérie est bel et bien devenue un pays d’immigration, et non seulement de transit. Pourtant, l’État cherche à promouvoir les régions sahariennes, or le Plan spécial pour le développement du Sud n’exerce pas vraiment de séduction sur les Algériens vivant au Nord, tandis qu’il attire les populations frontalières du Mali et du Niger, prêtes à occuper des emplois qui ne trouvent pas preneurs auprès des locaux (Mebroukine, 2009). Parmi les migrants rencontrés, certains affirment qu’ils se satisferaient d’un travail à long terme en Algérie, à condition d’être régularisés, pour ne pas vivre dans la peur des refoulements. D’autres, au contraire, admettent que le pôle d’attraction majeur reste pour eux l’Europe, et que leur recherche d’activités temporaires en Algérie a uniquement pour but de financer la suite du voyage. Le projet de migration est souvent différé à cause de son coût, qui augmente à mesure que les frontières se ferment et que leur contournement requiert les services de passeurs de plus en plus exigeants en termes de rémunérations. En outre, le coût de la vie en Algérie est élevé, avec une forte inflation sur les produits de première nécessité [14], ce qui limite considérablement l’épargne que les travailleurs migrants parviennent à se constituer. C’est donc à la fois pour des raisons politiques, sécuritaires et économiques, que le Sud algérien, de simple étape migratoire, s’est transformé pour beaucoup en destination ultime « par défaut ».

Les migrants rencontrés à Tamanrasset ne semblent pas se plaindre de cette situation, ayant accepté bon gré mal gré de s’installer durablement dans une ville qui n’est pas trop éloignée de leur région d’origine. Mohammed, qui tient depuis quelques mois un restaurant africain avec son ami Brahim, un Algérien, a préféré laisser sa femme et son fils âgé d’un an au Niger, afin de limiter ses dépenses. « Je gagne mieux ma vie ici, explique-t-il, par contre si je veux faire des économies, il est préférable que la famille reste au pays, où la vie est moins chère ». Il paye sa chambre 3 000 DA par mois, un loyer qu’il partage avec deux autres nigériens. Tous se plaignent de Fatéma, l’Algérienne propriétaire du lieu, qui « se fait de l’argent sur le dos des Africains, et n’hésite pas à remplacer les refoulés par de nouveaux locataires, alors qu’elle sait qu’ils vont revenir ». La chambre voisine, dans la même maison, est occupée par de jeunes femmes célibataires. « Ce sont nos sœurs », affirme Mohammed. En réalité, il n’existe pas de liens familiaux entre eux, mais ce regroupement entre compatriotes des deux sexes est une manière de recréer un foyer, les femmes s’occupant de la cuisine, et les hommes veillant à leur protection. Les migrantes sont en effet des proies faciles pour les réseaux de prostitution, qui exploitent la nécessité où elles se trouvent de gagner de l’argent. Elles sont aussi la cible des discours xénophobes parmi les populations locales qui les tiennent responsables de la propagation du sida dans le Sud algérien, Tamanrasset faisant partie des premières wilaya touchées par la maladie [15]. Difficile de discuter de ce sujet avec Leïla, l’une des « sœurs » de Mohammed, même en tant que femme [16]. Interrogée sur ses activités, elle tarde à répondre, et finit par dire qu’elle « aide » au restaurant africain. Le calvaire vécu par les candidates à l’émigration tombées entre les mains de passeurs peu scrupuleux, puis éventuellement de proxénètes, explique qu’elles soient plus nombreuses que les hommes à vouloir rejoindre l’Europe, où elles espèrent être mieux traitées qu’en Afrique du Nord (Khaled, 2007).

Répression et illégalité.

La fermeture de l’espace Schengen et les contrôles de plus en plus sévères et efficaces aux frontières nord du Maghreb font qu’une partie de la population subsaharienne en transit se retrouve bloquée et vit dans une situation d’impasse. C’est ce qu’on ressent dans une ville comme Béchar, qui a priori n’a rien à offrir aux migrants, si ce n’est une halte précaire sur la route qui mène à Oran, métropole littorale d’où peut éventuellement se faire la traversée clandestine vers l’Espagne (très risquée du fait de la distance et du type d’embarcations, le passage par le détroit de Gibraltar, via le Maroc, étant préférable). Il s’agit en effet d’une région militaire, à la frontière marocaine, où l’économie s’est développée essentiellement du fait de la présence de l’armée. C’est pourquoi les migrants rencontrés à Béchar exercent majoritairement des activités temporaires, leur sédentarisation dans la ville étant plus ou moins forcée par la peur d’avoir à affronter les gardes frontaliers plus au nord. C’est surtout sur le marché central qu’on peut voir des « tabliers » nigérians ou soudanais vendre de menus objets (lunettes de soleil, montres, etc.), présentés sur des tables de fortune. On imagine mal comment ce genre d’activités peut leur permettre de rassembler les 8 000 euros nécessaires à la traversée clandestine de la Méditerranée, sans compter les pots-de-vin de plus en plus élevés exigés par les policiers et les douaniers (de Haas, 2006a). Il n’est donc pas étonnant que certains migrants, désireux de financer au plus vite leur passage vers l’Europe, cèdent à la tentation d’activités illégales en tous genres : trabendo (commerce parallèle ou marché noir), contrefaçon de documents de voyage et de billets de banque, trafic de stupéfiants, voire trafic d’armes (Mebroukine, 2009). Le discours officiel, souvent relayé par la presse nationale, tend à présenter l’ensemble des migrants africains comme des délinquants, voire des criminels. Ainsi, à l’occasion de la journée parlementaire du 2 juin 2009 sur « la protection de l’économie nationale et la lutte contre les diverses formes de crime organisé transfrontalier », le colonel Zeghida, de la Gendarmerie nationale, déclare que « l’immigration constitue une véritable menace pour la sécurité publique de l’Algérie » [17]. Pour la première fois d’ailleurs, ce même colonel reconnaît officiellement l’ampleur du phénomène de l’immigration, en estimant à 70 % la part des clandestins qui se fixent de manière définitive dans le pays.

La stigmatisation, voire la criminalisation des migrants n’a rien de nouveau, ni de propre à l’Algérie (Palidda, 1999). Elle est non seulement le fait des pouvoirs en place, de certains médias, mais aussi d’une partie de la population locale. Ce qui est frappant, dans une ville comme Tamanrasset, c’est qu’elle est reprise dans les discours des migrants eux-mêmes, notamment parmi les ressortissants des pays d’Afrique francophone, qui accusent ceux d’Afrique anglophone d’être des « voyous » et des « trafiquants ». Le fossé entre les deux communautés semble réel, ne serait-ce que dans leur inscription spatiale. Tandis que les Maliens et les Nigériens trouvent à se loger en ville, même s’il s’agit de quartiers périphériques, les migrants originaires du Nigéria ou du Ghana campent littéralement à l’extérieur, dans les montagnes environnantes, se réfugient dans des grottes ou près des oueds, car les locaux refusent de leur louer des chambres. Certains interlocuteurs y voient des raisons culturelles (les Algériens se sentiraient « plus proches » de leurs voisins immédiats, francophones et musulmans), mais il faut également souligner le fait que les migrants issus de pays plus lointains ne veulent pas s’attarder à Tamanrasset. Leur seul objectif est de gagner l’Europe, et pour cela, il est possible qu’ils se livrent à des trafics et préfèrent ne pas se fixer en ville afin d’éviter les contrôles. Par contraste, les migrants du Mali et du Niger se présentent comme des « honnêtes gens », qui vivent paisiblement aux côtés des Algériens et qui « travaillent dur » pour subvenir à leurs besoins et envoyer de l’argent à leur famille restée au pays. Beaucoup d’entre eux disent avoir définitivement abandonné leur rêve d’Europe, trop chimérique, et aspirent au contraire à retourner chez eux après avoir travaillé suffisamment d’années en Algérie.

Activité des migrants.

L’essentiel est de pouvoir faire des économies pour ne pas rentrer au pays les mains vides. Même les refoulés refusent de rendre visite à leur famille s’ils n’ont pas d’argent. Ils préfèrent emprunter à un compagnon d’infortune la somme nécessaire pour payer le passeur et tenter encore une fois l’aventure en Algérie, quitte à accepter des travaux qu’ils ne feraient pas chez eux. « Ici, ce n’est pas comme au village, les voisins ne sont pas là pour nous juger, donc on n’a pas honte de porter des pierres », explique à Beniouskout [18] un manœuvre employé au noir dans un chantier de construction, pour un salaire journalier inférieur au minimum légal de 500 DA. Cette main-d’œuvre sans papiers est mal rémunérée par les employeurs locaux, et parfois maltraitée par certains patrons, dans la mesure où il lui est impossible de porter plainte. « Nous sommes les nouveaux esclaves », soupire l’un d’eux. D’ailleurs, le mot (abd en arabe) n’est pas vraiment tabou chez certains locaux, qui l’emploient parfois à la place de celui, plus usité, de « noirs » (soudani).

Le secteur du bâtiment offre aussi du travail aux migrants qui préfèrent se replier sur les espaces oasiens, où il est plus facile d’échapper aux traques policières. Comme la plupart des ksour [19] du Sud algérien tombent en ruine, leurs habitants proposent aux Africains des travaux de maçonnerie pour les rénover. « Ils font du bon travail », assure un habitant de Timimoun qui a préféré rester vivre dans le ksar, dont les maisons en terre cuite gardent la fraîcheur, plutôt que d’accepter l’offre d’un appartement en ville par le gouvernement qui cherche à reloger les populations des ksour dégradés. Les migrants subsahariens contribuent également à l’économie locale des oasis en participant aux travaux agricoles dans les palmeraies. Les femmes sont sollicitées par les paysans pour la cueillette, le sarclage, ou pour piller le mil, tandis que les hommes sont employés à des travaux plus physiques, comme la restauration des barrages contre la dune (afreg) ou le curage des canaux de drainage souterrains (foggara). Par ailleurs, les Africaines sont souvent employées comme domestiques pour faire du travail ménager. Dans le centre de Ghardaïa, tous les cordonniers que l’on voit assis aux coins des rues sont africains, tandis que certains ont réussi à s’employer dans la confection. Ainsi, les migrants subsahariens occupent des niches spécifiques du secteur informel, et constituent une main-d’œuvre d’appoint appréciée des habitants et entrepreneurs du Sud algérien.

Pourtant, il ne leur est jamais délivré de permis de travail. En maintenant des conditions draconiennes pour l’obtention de celui-ci, le gouvernement algérien cherche à protéger la main-d’œuvre nationale qui ne parvient cependant pas à combler certains manques sectoriels dans les régions sahariennes souffrant de pénurie démographique, et dont l’économie est incontestablement dynamisée par les travailleurs africains. Cette absence de statut légal oblige les migrants à se séparer de leur famille pour ne pas faire subir à leurs épouses et à leurs enfants le traumatisme des refoulements. Beaucoup de trentenaires rencontrés sont encore célibataires, car ils hésitent à se marier tant que leur situation est instable. Une étude portant sur les profils démographiques et socio-économiques des migrants subsahariens en Algérie montre que, sur un échantillon de plus de 2 000 individus, la moitié est célibataire, les deux tiers des personnes interrogées ayant moins de 35 ans (Hammouda, 2008). 70 % sont d’origine urbaine, un tiers a fait des études secondaires ou supérieures, et 87 % exerçaient une activité professionnelle dans leur pays d’origine. Ce ne sont donc ni les plus pauvres, ni les moins instruits qui migrent. La migration requiert en effet de disposer d’un minimum de capital, à la fois humain, financier et social, ainsi que d’un accès à l’information (Skeldon, 1997). L’imaginaire migratoire, et le rêve d’Europe en particulier, se nourrissent des mirages de la société de consommation dont les jeunes Africains peuvent avoir un aperçu à la télévision ou sur internet. La thèse selon laquelle le développement est un frein à l’émigration peut donc faire l’objet de doutes, quand ce n’est pas tout bonnement l’inverse qui se produit [20].

Portrait croisé.

Ce sont généralement les plus jeunes et les plus entreprenants qui tentent d’atteindre l’Europe, même si on estime seulement d’un à dix le rapport entre ceux qui ont franchi le Sahara et ceux qui parviennent ensuite à traverser la Méditerranée (Pliez, 2006, p. 689). Les plus âgés et les moins instruits préfèrent quant à eux se stabiliser en Algérie, ne se sentant plus la force ni les moyens de « vivre la galère ». Un portrait croisé de Bilal, l’« aventurier » ivoirien, et Hassan, le père de famille malien, permet d’illustrer cette différence générationnelle. Célibataire de 30 ans à l’allure avenante, Bilal est à la recherche d’un éventuel « coup de main ». Sur une terrasse de café du centre-ville d’Adrar, dans un français ponctué de mots arabes (il dit connaître huit langues), il raconte qu’il a quitté la Côte d’Ivoire à 22 ans et a tenté de se rendre en Europe directement par voie aérienne. Ayant obtenu un visa de transit de 24 heures pour la France, il parvient à sortir de l’aéroport à Paris et prend un train pour Amsterdam, « ville des libertés ». Il y rencontre une Hollandaise avec qui il s’installe, jusqu’au jour où, quelques mois à peine après son arrivée, il est arrêté par la police à la suite d’une bagarre. N’ayant aucun document valide sur lui, il est immédiatement renvoyé en Côte d’Ivoire. « Je ne suis jamais retourné en Europe depuis, mais je connais l’Algérie comme ma poche ». Il est installé depuis plusieurs années à Alger, en colocation dans un appartement à 12 000 DA, un loyer qu’il partage avec deux amis. « La plupart des autres africains de la capitale habitent des squats ». Il parvient à se loger convenablement grâce à la « débrouille » et à de petits contrats de dessinateur. S’il cherche à « remonter sur Alger » depuis Adrar, c’est qu’il a dû partir au Mali renouveler le cachet de trois mois sur son (faux) passeport malien. « Je traverse souvent le Sahara, mais je ne m’y attarde pas. Ici, les gens sont durs. On n’ose pas leur demander de l’aide comme dans la capitale. Et puis j’ai vu la mort, dans le désert. Je ne veux pas revivre ça ». Il compte rester à Alger jusqu’à ce qu’une « bonne occasion » se présente de traverser la mer.

Hassan a lui aussi « presque réussi ». Il est parvenu jusqu’à l’enclave espagnole de Ceuta sur le territoire marocain, mais n’a jamais pu franchir le détroit de Gibraltar. Il s’est fait refouler vers l’Algérie avant d’avoir pu réaliser son rêve. Il a tenté sa chance une seconde fois, mais est resté longtemps bloqué à Maghnia, à la frontière du Maroc, où il a dû « camper dehors et dormir à même le sol pendant des semaines », avant de se faire refouler à nouveau par la police algérienne. C’était en 1997. Aujourd’hui, Hassan a 48 ans, père de quatre enfants, et il est « fatigué ». Après plusieurs tentatives infructueuses pour rejoindre l’Europe, il s’est résigné à se fixer à Tamanrasset, où il travaille depuis huit ans comme blanchisseur et arrondit ses fins de mois grâce à la récupération d’aluminium. Il habite une petite maison du quartier malien avec sa femme et ses enfants, tous nés et scolarisés à Tamanrasset, « une chance », admet-il, car les enfants de migrants clandestins ne sont pas admis dans les écoles algériennes. On peut imaginer que le destin de Bilal, s’il échoue à atteindre l’Europe, finira par rejoindre celui de Hassan. Pour ces Africains en transit, dont le projet migratoire initial a avorté en cours de route, l’Algérie devient une destination de second choix, qui reste cependant préférable au « retour à la case départ », dans leur pays d’origine. Il ne s’agit pas vraiment d’immigration « forcée », mais plutôt d’immigration « par défaut », sachant qu’il est toujours difficile, dans ce genre de situations, de faire la part du choix et de la contrainte.

Le Sahara algérien, trait d’union entre Afrique noire et monde méditerranéen.

Itinéraires des migrants.

« Le Sahara n’est pas de ces déserts qui ne mènent à rien », disait l’explorateur naturaliste Théodore Monod. « Il a facilité de tous temps les échanges de toute nature […]. À la question que nous nous étions posée “barrière ou trait d’union ?” l’historien ne peut donc faire qu’une réponse : indiscutable “trait d’union”. » [21] Malgré son rude climat et ses proportions gigantesques (5 000 km d’est en ouest et 2 000 km du nord au sud), le Sahara n’a jamais constitué une barrière infranchissable. Mer de sable et de pierres à première vue inhospitalière, cette « autre Méditerranée » (Côte, 2002) a pourtant vu fleurir pendant des siècles le commerce caravanier entre ses deux rives, sahélienne et maghrébine, et continue aujourd’hui d’être non seulement un espace d’échanges et de transit, mais une terre habitée permettant l’insertion des nouveaux arrivants. La vie relationnelle au Sahara s’inscrit dans une continuité historique, dans la mesure où les mouvements actuels de type méridien reprennent en partie le tracé des anciennes pistes caravanières et en réactivent les nœuds, lieux de halte et de repos (Côte, 2009). Toutefois, avec la naissance des États-nations et la création de villes neuves comme Tamanrasset ou Béchar, une territorialité nouvelle s’est peu à peu organisée autour de ces réseaux urbains modernes et des flux transsahariens qui les animent, se distinguant ainsi des « territorialités nomades d’antan » (Pliez, 2006). Ces flux d’un type nouveau, fondés sur un différentiel de développement plus que sur le commerce, et concernant des hommes plus que des marchandises, puisent vers le sud dans un vaste bassin migratoire qui n’est plus confiné aux seules régions sahéliennes, et se diffusent vers le nord jusqu’aux métropoles méditerranéennes, portes méridionales de l’Europe.

À défaut de pouvoir quantifier ces flux, il est possible de les spatialiser, car les itinéraires adoptés par les migrants subsahariens sont connus. Bien sûr, il ne s’agit pas de trajectoires fixes, balisées d’avance par des relais bien établis, avec un point de départ et un point d’arrivée. Les parcours transsahariens sont par essence incertains, trébuchants, voire chaotiques, se caractérisant avant tout par la flexibilité et l’élasticité du fait des bifurcations nécessaires pour se soustraire aux contrôles, et des retours en arrière imposés par les refoulements. Ces mouvements, circulaires plutôt que linéaires, s’appuient cependant sur un vaste réseau de villes et d’oasis qui sert de vecteur à ces flux et de support migratoire aux populations en transit. Celles-ci réinvestissent leur expérience de mobilité dans ce réseau et finissent par structurer des filières migratoires relativement durables, où s’insèrent d’autres acteurs (commerçants, transporteurs, passeurs ou agents de l’État). La cartographie de ces itinéraires et des points nodaux qui les jalonnent permet de rendre compte de la fonction véritablement transitoire de l’espace saharien, reliant les pays du Sahel aux régions sud- méditerranéennes.

[3]

Carte 1 : Les migrations subsahariennes vers l’Europe à travers l’Algérie. Sources : Labdelaoui (2008), Benbalaali (2011).

L’entrée clandestine en Algérie se fait principalement par le Mali et le Niger. Les migrants d’Afrique de l’Ouest ayant transité par la ville malienne de Gao traversent la frontière algérienne soit au niveau de Borj Baji Mokhtar, soit de Tinzaouaten. Dans le premier cas, ils suivent l’axe occidental, qui les mène au Maroc en passant par Reggane, Adrar, Béchar et Maghnia. Une fois au Maroc, ils peuvent tenter de pénétrer dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, sachant qu’il est risqué de traverser la Méditerranée depuis Oran, plus éloignée des côtes espagnoles. À partir de Tinzaouaten, ils rejoignent Tamanrasset, véritable plaque tournante qui accueille aussi les migrants venus d’Afrique orientale et centrale via Agadez au Niger, et d’où les flux se diffusent dans trois directions : vers Adrar, pour continuer ensuite sur l’axe occidental, vers In Salah, le long du grand axe central de l’autoroute Transsaharienne menant à Alger via Ghardaïa, ou vers Djanet, à l’est, pour gagner la Libye et tenter éventuellement la traversée vers l’Italie via les îles Lampedusa ou la Sicile. On peut aussi accéder à la Libye en bifurquant à l’est à partir de Ghardaïa et en passant par le Sud tunisien. Le transit par la Tunisie est également possible au nord à partir de la métropole littorale d’Annaba. La multiplicité des itinéraires ouvre donc un large champ d’options pour les migrants, qui peuvent modifier leur trajet en cours de route et se reporter sur d’autres couloirs migratoires en fonction des contraintes conjoncturelles.

Les carrefours migratoires constituent des étapes importantes du parcours et offrent des possibilités d’insertion aux migrants qui s’y attardent, principalement dans les wilaya du sud et de l’ouest de l’Algérie. Selon une enquête réalisée en 2005, leur présence serait la plus forte dans le sud, où l’on trouve 65 % des migrants subsahariens irréguliers, tandis que 20 % d’entre eux séjourneraient dans le nord-ouest du pays (Hammouda, 2008). La notion d’espace charnière s’applique plus particulièrement au Grand Sud, région frontalière qui permet une « mobilité circulatoire internationale », et non simplement une « mobilité transfrontalière banale » (Pellicani, Spiga, 2007, p. 278). L’espace saharien se caractérise également par un différentiel de développement de part et d’autre de la frontière algérienne, ainsi que par l’existence d’itinéraires migratoires, dont l’un des segments joue véritablement le rôle stratégique de charnière en ce qu’il « annonce la fin du passage que le migrant traverse avec un maximum de risques » (ibid., p. 282). Si la traversée du Sahara apparaît comme le segment le plus risqué en termes de pertes de vies humaines, l’arrivée à Ghardaïa, porte nord du désert, ne signifie pas pour autant la fin des difficultés. D’après les témoignages de migrants, cette ville est particulièrement dangereuse pour les clandestins à cause de patrouilles policières fréquentes et très vigilantes, sachant que Ghardaïa est le dernier grand carrefour migratoire avant de pouvoir accéder aux métropoles littorales. Oumar, cordonnier malien croisé dans une ruelle de la vieille ville, raconte qu’il doit changer tous les jours de trottoir pour ne pas se faire repérer. « Je vis dans la peur, mais je gagne mieux qu’à Adrar. Et puis il n’est plus question de redescendre maintenant ».

Plus ils s’approchent de la côte méditerranéenne, plus les migrants semblent gagner en statut social et en respect aux yeux de leurs compatriotes. C’est du moins ce qui ressort de leurs discours. Les Africains vivant dans de grandes villes comme Oran ou Alger sont considérés par ceux qui attendent encore dans le désert comme des métropolitains chanceux et presque « arrivés ». Du sud vers le nord, on passe successivement de la piste à la route goudronnée puis à l’autoroute, du village et de l’oasis saharienne à la ville de l’intérieur puis à la métropole littorale, mais surtout on passe de l’Afrique noire aux mondes arabe puis méditerranéen, c’est-à-dire, dans la perception des migrants, « d’un monde de misère à un monde de bien-être » (ibid., p. 278). Le Sud algérien s’inscrit spatialement et socialement comme un territoire hybride à la croisée de ces deux univers, dont l’articulation se fait moins sur le mode de la transition que de l’interpénétration. On assiste en effet à un « processus de “contraction” du monde, mettant des Suds de plus en plus “profonds” en confrontation directe avec l’Europe et rapprochant ces Suds entre eux » (Bensâad, 2009a, p. 10). À la jonction du Sahel et du Maghreb, le Sahara est par excellence un lieu de « transmigration », le préfixe « trans » évoquant les notions de « trans-versalité cosmopolite et trans-nationale », de « trans-gression de frontières géographiques, politiques et sociales », de « trans-lation de codes et de langages, de trans-actions symboliques et monétaires », mais aussi de « trans-formation de l’individu au contact des sociétés trans-itées » (Escoffier, 2009, p. 45). Les villes du Sud algérien apparaissent comme autant de points de rencontre entre populations locales et subsahariennes. Mieux que toute autre, Tamanrasset, véritable « tour de Babel africaine » où coexistent plus de vingt nationalités différentes, fait figure de symbole du cosmopolitisme né de cette transmigration.

Certes, la cohabitation ne se fait pas toujours dans les meilleures conditions, étant donné les rapports inégalitaires qui perdurent entre populations « noires » et arabo-berbères, et qui ne sont pas sans rappeler le passé esclavagiste de ces dernières, évoqué aujourd’hui encore par certains migrants. Toutefois, il existe une certaine communauté de destin entre migrants subsahariens et harraga [22] algériens qui aspirent eux aussi à quitter leur pays pour se rendre en Europe, souvent au péril de leur vie. Si ce phénomène touche peu les Touareg et les populations du Sud algérien, il ne cesse de croître dans les villes de l’intérieur et le nord du pays. Les jeunes Algériens qui partent pour l’Europe empruntent d’ailleurs les mêmes itinéraires que les Subsahariens, et tentent de traverser la Méditerranée dans les mêmes embarcations de fortune depuis les côtes algériennes ou marocaines. Enfin, ils subissent la même répression, cette fois de leur propre gouvernement, épinglé dans le dernier rapport annuel sur l’état des droits de l’homme en Algérie pour ses pratiques abusives s’apparentant à une « pénalisation du désespoir » [23]. La politique répressive du gouvernement algérien est inspirée en partie de ses partenaires européens qui l’encouragent et la subventionnent hors de leurs frontières, tout en feignant d’ignorer les dérapages qu’elle peut induire dans des pays non démocratiques, où ne règne pas l’État de droit.

Durcissement des politiques migratoires.

S’il existe des dissensions internes au sein de l’Union au sujet de l’externalisation du contrôle des frontières [24], les pays de l’espace Schengen semblent s’accorder dans leur volonté de protéger le sol européen en transformant les zones charnières de la migration en véritables barrières. Non contents d’avoir rendu la traversée de la Méditerranée quasiment impossible, ou alors de plus en plus périlleuse, ils souhaiteraient doubler l’axe méditerranéen d’un axe saharien faisant barrage aux migrants clandestins. Les pays d’Afrique du Nord subissent donc de fortes pressions, adoucies d’incitations financières, pour assigner à leurs territoires sahariens le rôle de zones tampons, voire de sentinelles avancées, visant à la rétention et à la répression des flux migratoires. En reportant ainsi ses frontières aux confins sahariens, l’Europe pousse les pays du Maghreb à « assumer à sa place les fonctions policières et humanitaires d’accueil et de régulation d’exilés dont ils ne sont pas toujours les destinataires » (Bensaâd, 2009b, p. 20). On assiste là à une modalité très particulière d’« insertion de l’espace maghrébin dans le processus de mondialisation », qui consiste à le projeter comme « cordon sanitaire » de l’Europe (ibid., p. 9). Ériger des barrières là où se sont toujours noués des échanges, creuser des fossés en lieu et place des zones de contact traditionnelles, semble pourtant aller à l’opposé d’une réelle mondialisation, ou du moins réduire celle-ci à son versant purement institutionnel et étatique, aux dépens d’une intégration « par le bas », favorisée par les mouvements de populations. L’émigration permet en effet aux « communautés transnationales » de tisser des relations de toute nature entre sociétés de départ et sociétés d’accueil, au-delà du cadre rigide des États-nations (Portes, 1999).

Les obstacles physiques qui divisent l’ensemble eurafricain en trois grands blocs (subsaharien, maghrébin et européen) apparaissent aux yeux des migrants comme des barrières dans la mesure où ils se doublent de frontières politiques étanches. Toutefois, la fonction de celles-ci est ambivalente, puisqu’en créant des discontinuités socio-économiques de plus en plus fortes, elles contribuent à alimenter des flux migratoires qui se nourrissent de ces multiples différentiels. Par définition, un espace charnière comporte une frontière, mais cette limite territoriale, « plutôt que de constituer une rupture, facilite les échanges, assure la continuité des relations entre territoires limitrophes, permet les déplacements des individus lorsque ceux-ci sont motivés par l’immigration, fût-elle clandestine » (Pellicani, Spiga, 2007, p. 278). S’il a longtemps répondu à ces critères, le Sud algérien est en voie de perdre sa vocation traditionnelle d’espace charnière pour se voir imposer — d’en haut et de l’extérieur — le rôle d’espace frontalier fermé. Ce cloisonnement, si tant est qu’il soit possible, risque de modifier profondément la nature des territoires sahariens, jusque-là marqués par leur caractère circulatoire [25]. D’abord modelé par les circulations des pasteurs et commerçants nomades, le Sahara a vu ses réseaux routiers, urbains et marchands revitalisés par les migrations contemporaines, qui ont généré une forte croissance démographique et une expansion de toutes les localités, villes comme oasis, tout en dynamisant l’économie locale. Beaucoup de petites entreprises, en effet, ont pu prospérer grâce à la main-d’œuvre africaine bon marché, tandis que d’autres se sont créées avec la mise en place d’une véritable « économie du voyage », liée à la fonction de transit de ces territoires (hôtellerie, restauration, transports). Le visage du Sahara actuel est largement façonné par ces mobilités et ces métissages culturels, qui font de lui le « trait d’union » dont parlait Monod, cet amoureux d’un désert dont la rudesse et l’immensité n’ont jamais, à ses yeux, constitué des barrières.

Conséquences de la guerre en Libye.

L’insurrection armée contre Kadhafi et l’intervention militaire de l’otan en Libye entre mars et octobre 2011 modifièrent considérablement la géopolitique régionale. Dès le début du conflit, on assista à des flux de migration inverses de Subsahariens en transit ou installés en Libye, fuyant les exactions des milices d’opposition qui assimilaient les populations noires à des mercenaires à la solde du régime. Tandis que certains migrants tentèrent de trouver refuge sur le territoire algérien, d’autres furent contraints de retourner dans leurs pays d’origine. N’ayant pas apporté son soutien au Conseil National de Transition libyen (Chena, 2011, p. 119), l’Algérie pouvait apparaître comme favorable à l’accueil de migrants essayant d’échapper à la guerre, alors que les départs précipités vers l’Europe par la Méditerranée s’avérèrent périlleux [26]. Après l’assassinat de Kadhafi, un autre type de réfugiés dut quitter la Libye pour le Mali, en passant par l’Algérie : il s’agit des Touareg maliens de l’armée nationale libyenne défaite par la coalition de l’otan, qui participèrent à la rébellion du Nord-Mali en janvier 2012, suivie d’un coup d’Etat militaire à Bamako au mois de mars [27]. Selon le leader de la junte putschiste, l’armée malienne n’avait pas les moyens suffisants pour combattre les rebelles du Mouvement national de libération de l’Azawad (mnla), dont l’objectif est l’indépendance de la région septentrionale du Mali [28]. L’irrédentisme touareg court le risque d’être instrumentalisé dans un contexte de recomposition des zones d’influence, générée par de très prometteuses industries extractives, les gisements de pétrole, de gaz et d’uranium du site de Taoudenni étant convoités par Total et par la société algérienne Sonatrach-Sipex (Augé, 2011).

Après avoir renversé le président malien, les mutins annoncèrent la fermeture de toutes les frontières, notamment la frontière algérienne, par laquelle transitent armes et combattants. En réalité, les militaires maliens et autres « mafias d’Etat » (Julien, 2011) furent longtemps eux-mêmes impliqués dans des trafics en tous genres et dans l’acheminement de drogues illicites grâce à la porosité des frontières. La rébellion touareg est désormais dominée par l’organisation fondamentaliste Ansar Eddin (« les défenseurs de la foi »), soutenue par des cadres algériens d’aqmi (Al-Qaïda au Maghreb Islamique) et souhaitant la création d’un Etat théocratique au Mali. L’Algérie, défavorable à une intervention militaire, joue cependant un rôle essentiel d’intermédiaire dans les négociations entre les rebelles touareg et le gouvernement malien [29]. Craignant les risques de contagion islamiste et de déstabilisation régionale due à la prolifération des armes lourdes depuis la guerre en Libye, elle cherche avant tout à sanctuariser son territoire face à la menace terroriste en renforçant la sécurité de ses frontières. Par conséquent, il devient très difficile pour les Maliens fuyant le conflit armé de se rendre en Algérie, la plupart d’entre eux ayant trouvé refuge dans les autres pays limitrophes [30]. Au niveau européen, l’amalgame entre migration clandestine et terrorisme conduit également à une pression accrue sur l’Algérie pour qu’elle ferme ses frontières sahariennes (Brachet et al., 2011). Les bouleversements régionaux induits par l’intervention militaire occidentale en Libye et la crise malienne remettent donc fondamentalement en cause la vocation d’espace charnière du Sud algérien, qui apparaît de plus en plus comme une barrière étanche, et de moins en moins comme un territoire de circulation.

Endnotes:
  1. [Image]: http://www.flickr.com/photos/300tdorg/2240890379/
  2. Flickr: http://www.flickr.com/photos/300tdorg/2240890379/
  3. [Image]: https://www.espacestemps.net//wp-content/uploads/2012/09/Sans-titre3.png

Abstract

Pays d’émigration et de transit, l’Algérie est également devenue un pays d’immigration pour les populations africaines qui entrent sur son territoire en suivant les itinéraires transsahariens. Le Sud algérien est un espace charnière, dans la mesure où il favorise la mobilité internationale grâce à la perméabilité de ses frontières et à ses réseaux de passeurs, tout en offrant des possibilités d’insertion pour les migrants en transit. La fermeture de l’espace Schengen et la répression des clandestins par le gouvernement algérien ont en effet contraint de nombreux Africains à se fixer dans le sud du pays, où ils trouvent à s’employer dans le secteur informel. Cette main-d’œuvre contribue au développement de territoires sahariens sous-peuplés et revitalise les anciens espaces de circulation grâce à sa forte mobilité. Celle-ci est cependant de plus en plus entravée par les refoulements systématiques opérés par la police algérienne en échange de financements par l’Europe. L’externalisation du contrôle des frontières européennes, reporté aux confins sahariens, porte atteinte à la vocation circulatoire de cet espace charnière entre Afrique noire et monde méditerranéen, trait d’union pluriséculaire que des gouvernements frileux voudraient aujourd’hui transformer en barrière.

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Notes

[1]  Le Sud algérien comprend l’ensemble des territoires sahariens qui commencent à partir de Ghardaïa, ville considérée comme la « porte » nord du désert. Le Grand Sud désigne plus spécifiquement la partie méridionale extrême du pays, autour de Tamanrasset.

[2]  Les enquêtes furent menées à la fois dans les grandes villes du Sud algérien (Tamanrasset, Adrar, Béchar, Ghardaïa) et dans les oasis (Djanet, Timimoun, Taghit).

[3]  Un Targui est le terme singulier désignant un membre de l’une des tribus touareg, constituées de populations berbères nomades vivant dans le Sahara central et sur les bordures du Sahel. Parmi elles, les Harratin occupent une position sociale inférieure car ils descendent de populations serviles.

[4]  La contrebande de cigarettes est cependant risquée car tout convoi repéré depuis les airs et suspecté de contenir de la drogue peut être pilonné par l’armée. L’État algérien emploie en effet les gros moyens dans sa lutte contre les narcotrafiquants qui transitent par le Sahara (Liès Mourad, Le Soir d’Algérie, 29 mars 2008), mais les transporteurs ont développé des stratégies d’évitement, en enduisant leurs véhicules de graisse, puis de sable, pour passer inaperçus, ou en roulant près des pipelines afin de ne pas être bombardés.

[5]  4 000 dinars algériens pour le trajet Tamanrasset-In Guezzam, à la frontière nigérienne, ce qui représente à peine 40 euros (1 € = 100 DA au cours officiel).

[6]  L’Algérie est divisée en 48 collectivités territoriales appelées wilaya.

[7]  Cité par Nacéra Benali, El Watan, 22 décembre 2006.

[8]  Dispositif de surveillance des frontières extérieures de l’Union Européenne, opérationnel depuis octobre 2005. Sur les subventions perçues par l’Algérie, voir TTU, Lettre d’informations stratégiques et de défense, 7 janvier 2010.

[9]  Pour une réflexion sur le rôle de l’empathie en anthropologie, voir par exemple la présentation d’un colloque sur ce thème par le Centre d’études des mondes africains.

[10]  Sur un échantillon de 2 134 personnes, la majorité des migrants déclare des raisons économiques, « le revenu insuffisant dans le pays de départ vient en premier rang de ce type de raisons avec 73,8 % des cas, suivi par le chômage et le manque de perspectives socio-économiques avec respectivement 43,1 % et 30 % des cas ». Pour ce qui est des réfugiés, qui représentent un dixième de l’échantillon, « il s’agit de ceux invoquant des problèmes de sécurité ou d’ordre public avec respectivement 4,1 % et 3,1 %. Tandis que les persécutions d’ordre politiques, ethniques ou religieuses sont citées auprès de 2,2 %, 0,7 % et 0,4 % respectivement » (Hammouda, 2008, p. 4).

[11]  Hakim Katek, L’Expression, 15 mai 2004.

[12]  Atlas de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest : « Les dynamiques migratoires ouest-africaines vers l’Afrique du Nord ».

[13]  En effet, comme l’explique Bensaâd (2003), « les réseaux pakistanais qui faisaient transiter leurs candidats à l’émigration clandestine en Europe par les pays de l’Est, commencent à utiliser le territoire algérien pour échapper à la surveillance de leur itinéraire initial très médiatisé ». Ce détour spectaculaire se fait généralement par avion via les pays du Golfe, puis les capitales d’Afrique de l’Ouest (Accra ou Bamako), et se poursuit par les voies terrestres utilisées par les Subsahariens en partance vers l’Europe.

[14]  En janvier 2011, le prix du sucre est passé subitement de 100 à 130 DA le kilo, celui de huile de 130 à 160 DA le litre (pour un salaire minimum journalier de 500 DA), ce qui a provoqué d’importantes émeutes et a obligé le gouvernement à prendre des mesures correctives (Chahrazed Lamrikène, Dernières nouvelles d’Algérie, 9 janvier 2011).

[15]  Hakim Katek, L’Expression, 15 mai 2004.

[16]  Plusieurs rapports d’études sur les migrations transsahariennes déplorent un manque d’informations sur les femmes, considérées comme difficiles d’accès pour les enquêteurs masculins (Khaled, 2007), alors qu’elles représenteraient plus de 15 % des migrants subsahariens en Algérie (Hammouda, 2008).

[17]  La Tribune, 2 juin 2009.

[18]  Ce quartier d’Adrar où vivent les migrants, et où se tient quotidiennement une sorte de « bourse du travail » permettant aux ouvriers et aux employeurs de conclure des contrats journaliers, signifie littéralement « construis et tais-toi ».

[19]  Un ksar est un village fortifié combinant greniers et habitations traditionnelles en terre cuite.

[20]  « The forces of globalisation and development in poor countries are likely to further increase people’s capabilities and aspirations to migrate. Persistent global disparities in social and economic opportunities combined with the increasing aspirations of people living in developing countries through the influence of media and education, are likely to maintain or augment their feelings of relative deprivation » (de Haas, 2006b, p. 30).

[21]  Théodore Monod, Causerie au Rotary Club de Dakar le 20 février 1937 (cité dans Marfaing, Wippel,  2004, p. 7).

[22]  Ce terme, qui signifie « brûleurs » (de frontières, de papiers d’identité), désigne les Algériens candidats à l’émigration clandestine ayant déjà tenté de passer à l’acte, un acte potentiellement suicidaire, étant donné le nombre de corps retrouvés inertes près des côtes méditerranéennes.

[23]  Farouk Ksentini,, président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme, cité dans Jeune Afrique, 29 décembre 2010. Une loi algérienne de juillet 2008 prévoit des peines de prison pour les harraga, y compris ceux sauvés in extremis d’une noyade dans la Méditerranée.

[24]  Lors d’une réunion du G5 en 2004, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Italie ont suggéré la mise en place dans les pays du Maghreb de camps de transit utilisés comme centres de tri pour « filtrer » l’immigration clandestine en provenance de l’Afrique, proposition rejetée par la France et l’Espagne à cause du risque de violation des droits humains que cela impliquait. L’Algérie a elle aussi fait savoir qu’elle s’y opposait (Amine Goutali, L’Expression, 25 octobre 2004).

[25]  Conceptualisée par Alain Tarrius, la notion de territoires circulatoires « constate la socialisation d’espaces supports à des pratiques de mobilité », et « habilite une démarche anthropologique étendue à la définition d’espaces relativement autonomes supportant des segmentations sociales, économiques et spatiales originales » (Tarrius et al., 2001, pp. 12-13).

[26]  Un rapport du Conseil de l’Europe rappelle que parmi les 1500 personnes ayant perdu la vie en 2011 en cherchant à traverser la Méditerranée, le naufrage d’une embarcation de 72 passagers subsahariens (50 hommes, 20 femmes et deux bébés), ayant quitté Tripoli deux semaines après les bombardements, aurait pu être évité si l’OTAN avait porté secours aux réfugiés dont les appels de détresse furent ignorés, ne laissant que 9 survivants à bord.

[27]  André Bourgeot, L’Humanité, 3 avril 2012.

[28]  André Bourgeot, Slate Afrique, 7 avril 2012.

[29]  Arezki Louni, L’Expression, 31 juillet 2012.

[30]  Selon l’Agence des Nations Unis pour les Réfugiés (unhcr), sur les 250 000 Maliens ayant fui le conflit entre février et août 2012, plus de 100 000 se trouvent aujourd’hui au Burkina Faso, 96 000 en Mauritanie et 53 000 au Niger.

Authors

Dalal Benbabaali termine une thèse de géographie à l’Université Paris Ouest sur « Migration et ascension sociale d’une caste dominante de l’Inde du Sud », après une maîtrise en Syrie sur « L’agriculture irriguée dans l’oasis de Palmyre ». Elle commence à présent de nouvelles recherches sur les migrations dans le Sud algérien. Elle a notamment publié: « Entre villages du delta et HITEC City : mobilité socio-spatiale des Kamma d’Andhra Pradesh » in Purusartha, n°28, Editions de l’EHESS, 2010; « Questioning the role of the Indian Administrative Service in national integration » in South Asia Multidisciplinary Academic Journal, 2008 ; « La gestion de l’eau dans l’oasis de Palmyre » in Villes et Territoires du Moyen-Orient, 2005.

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Serendipity.

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