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Quelle politique de cohésion dans une Europe élargie ?

Ce compte rendu a été publié dans la revue Pouvoirs Locaux n°61 de juin 2004. La rédaction d’EspacesTemps.net remercie Pouvoirs Locaux pour l’autorisation de publication de cet article.

La Commission européenne a présenté (février 2004) son Troisième rapport sur la cohésion économique et sociale. À quelques mois de l’entrée de dix nouveaux États membres, ce document dresse le bilan des actions de développement régional engagées par le biais de la politique de cohésion, et permet de faire le point sur les enjeux de l’élargissement au moment où planent de nombreuses incertitudes quant à la définition du budget européen (Jouen, 2004). Où l’Union européenne, faute de dynamique politique, semble hésiter entre les grands principes qui mettent en avant les priorités sociales, et les stratégies étatiques tentées par une limitation de ces aides…

À l’heure des restrictions budgétaires vantées par les bailleurs de fond de l’Union européenne (Allemagne, Royaume-Uni, France, Pays-Bas, Suède et Autriche) et de la publication du Rapport Sapir (2003) émettant des réserves sur la portée des fonds structurels dans les mécanismes de convergence économique, le Troisième rapport sur la cohésion met en avant l’impact bénéfique et conséquent de la politique de cohésion sur la réduction des disparités régionales. La Commission étaye cette analyse en mettant notamment en relief comment les différentes politiques communautaires (environnement, marché intérieur, agriculture, concurrence et aides d’État) peuvent accroître l’efficacité de la politique de cohésion. Dans cet esprit, la dernière partie du rapport aborde la question de l’impact et de la « valeur ajoutée » des politiques structurelles — en rappelant que les programmes européens ont contribué à promouvoir la convergence et l’emploi au niveau régional.

Au-delà d’un bilan jugé flatteur, l’intérêt central de ce rapport reste la présentation de la réforme d’une politique de cohésion dans une Union européenne élargie à 27 États membres pour la période 2007-2013. La Commission propose en effet une nouvelle architecture de la politique de cohésion autour d’une redéfinition des priorités et un système de mise en œuvre de la politique régionale européenne repensée. Tout cela dans un contexte politique, institutionnel et budgétaire incertain.

Une redéfinition des priorités de la politique de cohésion.

Trois grandes priorités sont dévolues à une politique de cohésion réformée : la convergence, la compétitivité régionale et l’emploi, la coopération territoriale européenne. L’idée est de renforcer la dimension stratégique des politiques de rattrapage socio-économique à l’échelon européen tout en accroissant leur visibilité.

En termes de convergence (« objectif 1 » dont l’ambition est de « soutenir la croissance et la création d’emploi dans les États membres et les régions les moins développées »), la Commission préconise un soutien aux régions dont le pib par habitant est inférieur à 75% de la moyenne communautaire. Ce programme s’adresserait pour les deux tiers aux nouveaux adhérents. Les régions ultra-périphériques continueraient notamment de bénéficier de ce fonds. Sur le plan de la pertinence de ces instruments, il est possible de s’interroger sur le choix de se focaliser sur des objectifs d’équilibre régional en direction d’espaces les moins développés, sans une modulation des instruments spécifiques à mettre en œuvre sur ces territoires. Car dans le même temps l’impasse est faite sur l’ajustement des espaces les plus productifs aux nouvelles conditions de marché qu’ils ont à affronter [1].

Simultanément, un soutien temporaire est proposé pour les régions dont le pib par habitant est inférieur à 75% de la moyenne communautaire de l’Ue des Quinze, afin de corriger l’« effet statistique ». Cette proposition écarte ainsi la tentation de limiter les aides structurelles aux nouveaux États membres et de recourir à une re-nationalisation en matière de rattrapage socio-économique. La modernisation et la diversification de la structure économique, le développement et la modernisation des infrastructures de base, l’environnement, le renforcement de la capacité administrative, l’amélioration de la qualité des institutions du marché du travail et des systèmes d’éducation et de formation, la valorisation du capital humain seraient les principaux thèmes de cofinancement des programmes nationaux et régionaux. En outre, les États membres dont le pib est inférieur à 90% seraient éligibles au Fonds de cohésion, continuant ainsi à financer des programmes dans le domaine des transports et de l’environnement.

La compétitivité régionale et l’emploi constituent la deuxième priorité de la politique de cohésion (« objectif 2 » dont la vocation est d’« anticiper et encourager le changement ») avec une double perspective. D’une part, par l’intermédiaire des programmes régionaux, la politique de cohésion aiderait les régions et les autorités régionales à anticiper et promouvoir le changement économique dans les zones industrielles, urbaines et rurales. D’autre part, à travers les programmes nationaux, la politique de cohésion aurait pour objet une meilleure prise en compte des évolutions économiques, en lien avec la Stratégie européenne pour l’emploi, développée au Conseil de Lisbonne en mars 2000 et transposée en objectifs par le Conseil de Nice en décembre 2000.

À partir de l’expérience acquise grâce à l’initiative Interreg [2], le rapport soutient comme priorité la coopération européenne (« objectif 3 » qui doit permettre de « promouvoir un développement harmonieux et équilibré du territoire de l’Union ») aux niveaux transfrontalier et transnational. La coopération transfrontalière concernerait en principe toutes les régions bordant les frontières extérieures et intérieures, qu’elles soient terrestres ou maritimes.

Un système de mise en œuvre repensé.

Si les grands principes de la politique de cohésion, c’est-à-dire la programmation, le partenariat, le cofinancement et l’évaluation, resteraient de mise, le rapport insiste néanmoins sur la nécessité de repenser le système de mise en œuvre des fonds. Ainsi la Commission estime que l’accent doit être mis sur une dimension plus stratégique et une implication plus large des partenaires (États membres, régions et autorités locales).

Cette tendance reflète une évolution allant vers une stratégie plus claire à l’échelon européen et une déclinaison des responsabilités plus lisible au niveau local. Dans ce sens, la Commission propose qu’une stratégie globale pour la politique de cohésion soit adoptée par le Conseil avant la nouvelle période de programmation et sur la base d’une proposition de la Commission, définissant des priorités claires pour les États membres et les régions. Cela exige en amont que chaque État membre prépare un document politique sur sa stratégie de développement, servant par la suite de cadre lors de la préparation des programmes sectoriels régionaux. Au final, ces propositions vont dans le sens d’un renforcement de la cohérence des instruments de la politique régionale européenne, le partenariat et la coordination étant incités entre les États membres, les régions et les autorités locales tant au niveau de la programmation que de la mise en œuvre.

Si la nécessité d’une plus grande coordination des politiques communautaires est abordée, force est de constater qu’elle n’est pas vraiment déclinée de façon opérationnelle. Le manque de coordination des politiques communautaires à forts impacts territoriaux (pac, transports, environnement) avec la politique de cohésion (celle-ci étant souvent réduite à la seule politique régionale européenne) induit pourtant des conséquences affectant l’efficacité de ces politiques [3].

Un budget subordonné à de nombreuses incertitudes.

Le rapport préconise un budget en augmentation de 30% sur la période 2007-2013 par rapport à 2000-2006. Ce budget atteindrait ainsi 336,3 milliards d’euros qui bénéficieraient pour 52% aux nouveaux venus, soit une répartition géographique généreuse. Concernant la répartition financière par priorités, l’objectif 1, dit de convergence, représenterait 78% de l’enveloppe, les objectifs 2 (« compétitivité et emploi ») et 3 (« coopération territoriale européenne ») représentant respectivement 18% et 4% de l’enveloppe.

Il reste que l’adoption d’un tel budget est subordonnée aux contributions des États membres au budget européen. Les tensions qui s’exercent sur la définition du budget européen depuis le début 2003 mettent en péril l’adoption des préconisations de la Commission. L’élargissement de la politique de cohésion à des objectifs d’intégration des nouveaux États membres s’opère dans un contexte budgétaire et institutionnel difficile. À cela s’ajoutent des revendications de la part de l’ensemble des autorités régionales de profiter de la « manne » communautaire. La politique de cohésion semble donc à la croisée à des chemins. Quel sens donner à la cohésion sociale dans une Europe élargie ? La Commission doit-elle jouer un rôle plus actif de redistribution ? Sans réelles perspectives politiques, l’Union européenne semble hésiter entre les grands principes qui mettent en avant les priorités sociales et les stratégies étatiques tentées par une limitation de ces aides. Plus que jamais les tensions à l’œuvre autour de la définition d’une politique de cohésion révèlent la fragilité de l’élaboration d’un modèle européen d’organisation économique et sociale.

Abstract

La Commission européenne a présenté (février 2004) son Troisième rapport sur la cohésion économique et sociale. À quelques mois de l’entrée de dix nouveaux États membres, ce document dresse le bilan des actions de développement régional engagées par le biais de la politique de cohésion, et permet de faire le point sur les enjeux de ...

Bibliography

M. Jouen, « La renationalisation est-elle évitable ? », Pouvoirs Locaux, n°60, 1/2004.

Notes

[1] On renvoie ici aux arguments de L. Davezies, « Notes de lecture du deuxième rapport sur la cohésion », Territoires 2020, mars 2002, n°5.

[2] Cette initiative finance des projets de coopération transfrontalière, transnationale et interrégionale axés sur l’économie, les infrastructures, l’emploi et l’environnement.

[3] Voir l’étude « Impact des politiques communautaires sur le territoire et coût de l’absence de coordination », Agence Européenne « Territoires et Synergies », juin 2001.

Authors

Nicolas Gaubert

Institut d’Urbanisme de Paris, Université de Paris 12.

Partnership

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