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Serendipity.

Quelle identité métropolitaine en Europe ?

Bernard Jouve et Christian Lefèvre (Éd.), Horizons métropolitains, Lausanne, 2004.

Image1L’intérêt de l’ouvrage dirigé par Bernard Jouve et Christian Lefèvre, Horizons métropolitains, est, qu’à partir d’une comparaison entre six métropoles ou agglomérations européennes, réparties sur quatre pays (Allemagne, France, Italie, Suisse), il propose, pour l’essentiel, une triple réflexion sur la transformation des relations entre métropoles et États, l’évolution des cadres opératoires des politiques urbaines et la recomposition des relations entre économie, politiques publiques et… politique. L’analyse est fortement appuyée sur une comparaison dans le temps, des années 50 à la fin des années 90.

Sur le premier point, il apparaît que s’il y a bien eu sur les dix à quinze dernières années une indéniable montée en puissance du phénomène métropolitain, sur des bases spatiales et démographiques élargies, cela ne signifie pas pour autant que ce soit nécessairement au détriment de l’État, puissant dans chacun des pays étudiés dans les années cinquante, pas plus qu’au détriment des unités constitutives, les villes. Les voies sont toutefois diverses, le cas suisse étant particulier : l’échelon fédéré, le canton, y est toujours essentiel, et le succès d’un projet peut aussi supposer l’appui de la Confédération. Le chapitre consacré par Brigitte Schwab à « la métropolisation politique du bassin lémanique » (Genève – Lausanne) montre bien, d’un point de vue institutionnel et politique, la faiblesse des agglomérations et villes constitutives comme niveau essentiel de gouvernement : elles sont toujours dominées par des logiques cantonales. Le chapitre sur Zurich (Daniel Kübler) illustre combien un canton peut se définir comme l’échelon métropolitain pertinent, réussissant là où une ville seule a échoué. À l’inverse, en Italie, la métropole n’a d’identité en réalité qu’au travers de la ville centre comme le montre le cas de Naples, qu’étudie Floridea Di Ciommo. Par contre, dans les cas étudiés pour la France et l’Allemagne, il y a bien une nette montée en puissance du niveau métropolitain en tant que tel, fût-ce de manière différentielle d’un site à l’autre, qu’il s’agisse de la métropole de Stuttgart, devenue le Regional Verband Stuttgart depuis 1994 (Marc Wolfram), de l’aire métropolitaine marseillaise (Rachel Linossier), ou encore de la métropole lyonnaise (David Guéranger et Bernard Jouve) ; on observera au passage que l’émancipation de l’aire métropolitaine est sans doute moins établie à Marseille, que ne le laisse supposer l’ouvrage, si on en juge par d’autres travaux récents qui lui ont été consacrés [Pinson, 2002 a,b]. Il n’en reste pas moins que si ces dernières métropoles ont aujourd’hui une autre dimension que dans les années 50, 60 et 70, elles doivent faire non seulement avec l’État, notamment parce qu’il reste le plus souvent un pourvoyeur important de fonds (Marseille, Stuttgart), mais aussi avec divers acteurs publics, au rôle accru, que ce soit le niveau fédéré ou régional, sans oublier pour autant les acteurs privés. Pour conclure ce premier point, on observera que, au delà des différences qui peuvent être fortes entre les six sites des quatre pays, le point commun est que les projets lancés dans les années 80 et 90, ont eu pour origine les villes et/ou des aires métropolitaines, et non seulement un acteur exogène, l’État, comme c’était le cas le plus souvent, dans les 50, 60 et 70 : celles-ci sont devenues des acteurs essentiels, sans être pour autant exclusifs, quant au pilotage des projets.

Précisément, quand les auteurs traitent des cadres opératoires de l’action publique, ils mettent bien en évidence combien la territorialisation de l’action publique urbaine, accrue par des processus amplifiés de décentralisation, voire de fédéralisation, a eu depuis les années 80 des impacts forts sur le policy making. Alors que dans les années 50, 60 et 70, les politiques publiques reposaient sur un pilotage politique d’États bâtisseurs et aménageurs, (construction du grand laboratoire d’accélérateur de particules, le Cern à Genève, en relation avec le milieu de la recherche scientifique, centre directionnel de Naples, opération de la Part Dieu à Lyon, opération de Fos-sur-Mer à Marseille, projets d’un réseau ferroviaire régional à Stuttgart), les évolutions ont été fortes ces vingt dernières années, sauf , dans une large mesure, en Suisse qui dispose d’un système institutionnel stable. Les auteurs insistent sur la fonction d’intégration qui revient désormais, le plus souvent, à la métropole, au rôle essentiel dans la mise en réseau des institutions et des acteurs, aux statuts très divers, agissant à différents niveaux territoriaux, qu’il s’agisse d’institutions publiques ou d’institutions privées, associatives, universitaires, patronales, syndicales….Hors l’aire métropolitaine Genève-Lausanne, les autres études de cas mettent en exergue le rôle essentiel de la métropole, qu’il s’agisse de la régénération de la fiche industrielle de Bagnoli à Naples, du projet technopolitain à Lyon, d’Euroméditerranée à Marseille, de « Stuttggart 21 », ou qu’il s’agisse pour Zurich de la réalisation du métro dans les années 80 et , plus encore, de la globalisation des structures de marketing urbain dans les années 90. Les chapitres donnent à voir cette transformation : on est passé du grand projet d’infrastructure générale à des projets le plus souvent plurisectoriels, et à la recherche optimale de synergies, en s’appuyant au besoin sur de nouveaux outils, notamment contractuels, (par exemple les « pactes territoriaux » dans le cas napolitain). L’échelle de référence a aussi changé : au delà d’un pays ou d’une grande portion du territoire national, c’est désormais une perspective européenne et internationale qui inspire dans les années 90 les projets de développement et leurs réalisations.

Pour ce qui concerne les relations entre les politiques menées, l’économie et la société, l’analyse éclaire de nombreuses recompositions. Pour les acteurs privés, si leur rôle n’est pas nouveau dans la réalisation de politiques publiques, il est autrement plus manifeste et plus légitime. La réflexion se situe bien dans un contexte où les États, disent joliment Jouve et Lefèvre, sont contraints de cacher un « vilain petit secret » (p. 5), celui de leur incapacité à réguler seuls une « économie monde », dominée par les firmes et la financiarisation du capitalisme. Dans ce contexte, la figure de la métropolisation, croisée avec l’évidence désormais partagée, tant chez les acteurs politiques (institutions, partis politiques,…) d’une internationalisation de l’économie, contribue à l’émergence de « coalition de croissance », selon la formule de J.R. Logan et H .L. Molotch, que reprend opportunément l’un des contributeurs. Les analyses sur la place des chambres de commerces et d’industrie (cci), aux statuts pourtant variables d’un pays à l’autre, sont à cet égard particulièrement éclairantes, même si, ici où là, cette place peut être complétée souvent, contestée parfois (Lyon, par exemple), par d’autres regroupements d’entrepreneurs privés. Un certain nombre de contributions insistent à juste titre sur le fait que le schéma de la gouvernance n’est pas toujours synonyme, contrairement à une présentation parfois enchantée de celle-ci, de « recherche de consensus », d’« apaisement des conflits » et qu’en particulier, les instances politiques peuvent être confrontées aujourd’hui à des partenaires économiques très revendicatifs, notamment du côté des entrepreneurs du secteur de la petite et moyenne entreprise (le canton vaudois, Lyon). La représentation des intérêts économiques oscille entre la prédominance d’une cci (Stuttgart, Genève et Lausanne, Zurich ou, à l’inverse, sur une sorte d’hyper-pluralisme conflictuel : à Lyon par exemple, la cci n’est pas reconnue par nombre d’acteurs économiques comme seul porte parole légitime des entrepreneurs.

L’ouvrage ouvre par ailleurs des pistes de réflexion sur la relation entre projet de développement métropolitain et citoyenneté. Le citoyen « ordinaire », pris en dehors de diverses organisations d’appartenance comme les regroupements professionnels, est relativement absent, sauf, — l’exception est de taille — dans le cas suisse, du fait d’un recours répété aux votations populaires. On peut certes constater que celles-ci interviennent, parfois, sur un mode réactif alors que les processus sont largement engagés, comme à Genève et Lausanne. Mais ce peut être aussi, comme pour le projet de métro à Zurich, et après de premiers échecs dans les années 60, une ressource pour la poursuite et l’amplification de ce projet de transport public et sa réalisation. Par le biais référendaire, existe alors un contrôle politique de la métropolisation des cantons. Il n’en demeure pas moins que c’est là une exception par rapport à un contexte assez général, de « démocratie mince » selon la formule de Benjamin Barber que Bernard Jouve et Christian Lefèvre rappellent avec pertinence dans leur chapitre introductif. On reste largement dans des modes de gouvernement et de gouvernances notabiliaires. Sur le personnel politique des agglomérations, dans le chapitre qui clôt l’ouvrage, David Guéranger et Daniel Kübler, au terme d’une analyse minutieuse, quantitative et comparative, font, à partir de deux cas français (Lyon, Chambéry) et du cas suisse (sur l’ensemble du pays), le constat que les métropoles ne génèrent pas de processus originaux de sélection du personnel politique : malgré une base sociopolitique plus diversifiée dans les espaces métropolitains, la représentation de celle-ci ne diffère point des espaces non métropolitains.

On pourrait certes déplorer quelques menues faiblesses au fil des pages. Les contributions à l’ouvrage, toutes intéressantes, sont toutefois inégalement maîtrisées et certains chapitres sont exagérément descriptifs, encore que l’on puisse y voir l’envers d’un travail très minutieux, On pourrait regretter qu’il n’y ait pas dans cet ouvrage, et notamment dans le chapitre introductif, une définition claire de la métropolisation ; on peut d’ailleurs discuter de l’emploi du terme de métropole pour quelques uns des cas étudiés, aux dimensions plutôt modestes, en particulier d’un point de vue démographique. Pourtant l’ouvrage est d’importance en ce sens qu’il apporte un éclairage très précis et des réflexions stimulantes à la question de l’existence d’une réalité européenne métropolitaine : la métropolisation est diverse dans les pays d’Europe et il n’y a pas d’évolution univoque dans la gouvernance des métropoles.

Bernard Jouve et Christian Lefèvre (Éd.), Horizons métropolitains, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2004. 288 pages. 47 euros[1].

Endnotes:
  1. 47 euros: http://ppur.epfl.ch/livres/2-88074-561-6.html

Abstract

L’intérêt de l’ouvrage dirigé par Bernard Jouve et Christian Lefèvre, Horizons métropolitains, est, qu’à partir d’une comparaison entre six métropoles ou agglomérations européennes, réparties sur quatre pays (Allemagne, France, Italie, Suisse), il propose, pour l’essentiel, une triple réflexion sur la transformation des relations entre métropoles et États, l’évolution des cadres opératoires des politiques urbaines et ...

Bibliography

Gilles Pinson, « Des villes et des projets. Changement dans l’action publique et institutionnalisation de nouveaux territoires politiques », in Joseph Fontaine, Patrick Hassenteufel (dir.), To change or not to change ? Les changements de l’action publique à l’épreuve du terrain, Rennes, Pur, 2002.

Gilles Pinson, Projets et pouvoirs dans les villes européennes. Une comparaison de Marseille, Venise, Nantes et Turin, thèse pour le doctorat de science politique de l’Université de Rennes 1, soutenue le 30 novembre 2002.

Notes

Authors

Joseph Fontaine

Professeur de science politique à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne, directeur de son Centre d’études sur l’administration Publique (CERAPSE) et de son Master Recherche « Droit public et politiques des territoires », il travaille sur les métiers d’élus et de fonctionnaires locaux, sur leurs relations, sur les diverses approches théoriques relatives à la nature de l’action publique ainsi que sur des politiques plus spécifiques, sur la relation entre action publique et expertise, celle-ci étant surtout approchée au travers de l’évaluation des politiques publiques territorialisées, sur l’engagement des chercheurs dans cette expertise. Sur ces thèmes, il a notamment publié Le métier d’élu local (dir.), avec Christian Le Bart 1994 ; To Change or not to Change ? Les changements de l’action publique à l’épreuve du terrain (dir.), avec Patrick Hassenteufel, et de nombreux articles dans diverses revues comme Journal of European Public Policy, Public Administration, Politix, Pôle Sud, ainsi que dans plusieurs ouvrages collectifs. Il est membre du comité éditorial de la revue Droit et Société.

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