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Serendipity.

Noirs.

Image1Dans les années 80, le politiquement correct impliquait que l’on parle des « Africains », même si les personnes désignées étaient antillaises et se revendiquaient comme telles, même si cette désignation « d’Africains » excluait l’Afrique du Nord et, surtout, déniait la nationalité française de beaucoup. Puis on a commencé à parler des « blacks », comme si l’utilisation du terme anglais — avec un « s » tout de même — permettait d’éviter le chromatisme et lavait le locuteur de tout soupçon raciste ou racialiste. Ce fut la génération « black-blanc-beur » et la grande communion du football.

Depuis quelques années, on assiste à un tournant au sens où des personnes appartenant à ce que l’on appelle les « minorités visibles » revendiquent ce qui était auparavant présenté comme un stigmate : être Noir. Ceci n’implique pas forcément un repli communautariste comme s’en inquiètent certains, ni même l’existence d’une « communauté noire ». En 2002, le magazine De l’air avait pour couverture le titre : « Fier d’être Noir ». Stéphane Pocrain, ex porte parole des Verts, y expliquait que la création d’une « Black Pride » — inaugurée cette année-là en France — n’avait pas pour but de proclamer que « black is beautiful » mais de « dire que nous sommes là et que ça pose un sacré problème à la France ». Il ajoutait : « il n’y a pas de communauté noire en France, sinon dans le regard du Blanc. Ce qui nous unit, nous les Noirs en France, ce n’est pas une culture commune. Un Antillais, un Sénégalais ou un Malien n’ont pas la même culture. Non, ce qui nous unit, c’est simplement d’être Noirs en France, avec tout ce que ça signifie de ségrégation, de racisme et d’humiliation ».

Ce positionnement politique est celui du Cran, le Conseil Représentatif des Associations Noires, qui rassemble des intellectuels de tous bords et a organisé des États Généraux des populations noires de France les 28 et 29 avril, avec notamment une table ronde d’universitaires sur la situation des Noirs dans les sciences sociales de la France contemporaine. Selon Pap Ndiaye : « il existe plus de livres publiés en France sur les Noirs américains que sur les Noirs de France » (Ndiaye, 2006, p. 54). Le Cran se pose comme l’unique alternative à des groupes radicaux en voie de structuration. Mais, certains, comme Christiane Taubira, revendiquent aussi la possibilité de faire de la politique sans se cantonner à la « question noire », en reposant la question en termes d’égalité et de disparité sociale. Cette troisième voie — la voie républicaine classique — risque désormais d’être peu écoutée, peut-être même n’est-elle plus audible aujourd’hui.

Le mot « noir » est donc entré dans les médias français, ce qui implique que ce terme n’est plus considéré comme discriminant — au sens négatif du terme. Les médias se sont abondamment congratulés du choix d’un présentateur noir pour remplacer Ppda pendant l’été. La Revue L’Histoire consacre sa couverture et un dossier aux rapports entre Noirs et Blancs, avec ce titre : « Noirs et Blancs. Apartheid, ségrégation, discrimination ». Le Nouvel Observateur titre : « Nous, les Noirs de France » et décline les histoires de réussites de femmes et d’hommes noirs. « Noir de France » ou « Noirs en France », cette association focalise sur le fait qu’être Noir, ce n’est plus forcément être « africain », et c’est sans doute une très bonne chose. On notera toutefois que les médias parlent des « Noirs américains » et des « Noirs de France ». Est-ce parce que l’on veut s’intéresser à tous les Noirs qui vivent en France ou est-ce parce qu’il est encore difficile de parler des Noirs français ?

Subsiste également et surtout la question des catégories, de la catégorisation. Quand est-on « Noir » ? Dans On ne naît pas noir, on le devient, Jean-Louis Sagot-Duvauroux raconte comment son fils métis, est, pour les Français « blancs », un « Noir » (Sagot-Duvauroux, 2004). La couleur apparaît dans le regard de l’autre, c’est un poncif, mais c’est aussi une expérience toujours troublante. L’émergence d’une revendication à être « fier d’être Noir », la mise en avant des success stories et la politique de visibilité révèle la volonté de renverser le stigmate, comme ce fut le cas pour d’autres minorités. Peut-être cela impliquera-t-il la création par les chercheurs de typologies d’ordre chromatique. Même si elles sont basées sur les affirmations des personnes concernées, puisque l’on parle bien de représentations, ces catégories ne manqueront pas de rappeler certains tableaux des métissages, élaborés pendant l’esclavage.

Il reste enfin une question, sociale, celle-ci. La valorisation médiatique des élites issues des « minorités visibles » sera-t-elle un aiguillon qui poussera les politiques à agir en faveur des victimes des « discriminations raciales » issues de groupes sociaux défavorisés ? Ou sera-t-elle utilisée comme un alibi pour renforcer une politique de l’immigration choisie en toute bonne conscience ?

Nota bene : le 10 mai, la France commémore, selon le Bulletin Officiel du 20 avril 2006, la « mémoire de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions ». Le 10 mai, c’est la date anniversaire de l’adoption par le Sénat de la loi reconnaissant la traite et l’esclavage comme un crime contre l’humanité. De fait, l’État se commémore lui-même, plus qu’il ne reconnaît les luttes de ceux qui se sont battus pour leur liberté.

Image : « Chocolat 100% cacao, vanille ».

Abstract

Dans les années 80, le politiquement correct impliquait que l’on parle des « Africains », même si les personnes désignées étaient antillaises et se revendiquaient comme telles, même si cette désignation « d’Africains » excluait l’Afrique du Nord et, surtout, déniait la nationalité française de beaucoup. Puis on a commencé à parler des « blacks ...

Bibliography

Pap Ndiaye, L’Histoire (dossier : Noirs et Blancs. Apartheid, ségrégation, discrimination), février 2006, n°306.

Jean-Louis Sagot-Duvauroux, On ne naît pas noir, on le devient, Paris, Albin Michel, 2004.

Notes

Authors

Saskia Cousin

Maîtresse de conférences en sociologie à l’Université François-Rabelais (Iut de Tours), où elle enseigne l’épistémologie, l’anthropologie des sciences et la sociologie de la culture. Docteure en Anthropologie sociale, membre du Laios (Paris) et membre associée de Citeres (Tours), elle développe une anthropologie du tourisme centrée sur l’analyse des institutions et des politiques de tourisme culturel. Elle a enquêté sur plusieurs terrains et corpus en s’intéressant à l’articulation des discours et des actions touristiques à plusieurs échelles : village, petite ville, ministère français, Conseil de l’Europe et Unesco. Actuellement, elle met en place un groupe de recherche sur le tourisme et prépare une enquête sur les institutions touristiques franciliennes. Dernier article scientifique paru : « Le tourisme culturel exposé au Salon », Ethnologie française, 2005, 1, pp. 55-62.

Partnership

Serendipity.

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