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Serendipity.

L’historien-bataille.

Claude Mazauric, Un historien en son temps, Albert Soboul, 1914-1982. Essai de biographie intellectuelle et morale, 2003.

Image1Le 11 septembre 1982 disparaissait Albert Soboul, titulaire de la chaire d’histoire de la Révolution française à l’Université Paris 1 depuis la rentrée de l’année universitaire 1967-1968. L’énoncé de cette date rappelle que les débuts sorbonnards de Soboul ne furent pas placés sous le sceau du calme et de la simple recherche savante. Tous ceux qui, comme l’auteur de ces lignes, ont assisté à son cours d’agrégation en 1969 savent combien le magistère professoral pouvait être contesté et remis en cause vertement par des étudiants que l’évocation de la révolution de 1789 semblait galvaniser, au lendemain des journées parisiennes du printemps 68. Il fallait toute la science d’Albert Soboul et tout son art d’une pédagogie, dont on ne pouvait certes pas dire qu’elle était douce tant le personnage était rugueux, pour déminer les embûches et permettre au cours de continuer leur déroulement.

Homme de science, Albert Soboul était avant tout un homme d’action, un militant qui avait su retenir les enseignements anticolonialistes d’une jeunesse passée d’abord en Algérie, où son père, un paysan originaire de l’Ardèche, s’était installé en 1908, pour y devenir un petit propriétaire somme toute assez pauvre ; Lucien Soboul est victime de l’offensive d’Artois en novembre 1915, alors que son fils n’est âgé que de six mois. Le « petit blanc des colonies » qu’il était deviendra alors un pupille de la Nation qui, à ce titre, obtiendra des bourses d’étude lui permettant d’effectuer une scolarité brillante ; toute sa vie durant, il sentira une dette à l’égard de son père dont la mort au front lui avait permis, grâce aux institutions scolaires de la République, d’accéder à la connaissance. Lycéen à Nîmes puis à Montpellier, il prépare l’École Normale Supérieure au lycée Louis-le-Grand à Paris ; malgré un échec au concours d’entrée de la prestigieuse institution, il est reçu à l’agrégation d’histoire en 1938. Après la démobilisation de 1940, il est affecté au lycée de Montpellier. Mais son engagement auprès des communistes, et en particulier des intellectuels chargés de préparer le 150e anniversaire de la Révolution française (Henri Mougin, Georges Politzer et Jacques Decour par exemple), ainsi que sa participation à la manifestation anti-vichyste et anti-allemande du 14 juillet 1942 sur la place de la Comédie à Montpellier, le signalent aux bons soins de la surveillance de la police de Vichy. Ironie de l’Histoire, révoqué (sans traitement) par la signature du ministre de l’Éducation Nationale et historien de la république Romaine, Jérôme Carcopino le 21 août 1942, il est rapidement réintégré et nommé le 18 février 1943 au lycée de Valence. Mais il choisit de ne pas rejoindre son poste mais d’exercer des fonctions d’enquêteur-ethnographe au musée des Arts et traditions Populaires à Paris. Il est enfin réintégré dans son poste à la demande du ministre gaulliste René Capitant et affecté à nouveau au lycée de Montpellier en octobre 1945. Muté ensuite à Paris, il entreprend les longs travaux de recherches qui le conduiront à la soutenance de sa thèse de doctorat d’État le 29 novembre 1958. Parmi les pièces extrêmement précieuses que fournit Claude Mazauric dans cet ouvrage, il faut signaler une copie partielle du rapport de soutenance d’une thèse dont le jury était prestigieux : outre Marcel Reinhard, rapporteur de la thèse principale, et Georges Lefèbvre, rapporteur de la thèse complémentaire, on trouve aussi, p. 46-47, le nom de Pierre Renouvin. La suite du parcours biographique montre l’itinéraire classique d’un universitaire faisant ses premières armes à Clermont-Ferrand, de 1960 à 1967 avant d’occuper la chaire de la Sorbonne qu’il conservera jusqu’à sa mort. Au cours de ces années, le magistère de Soboul s’est imposé auprès de tous les étudiants qu’il lui a été donné d’enseigner. En effet, bien avant que des polémiques, largement amplifiées par la rumeur médiatique qui a accompagné le Bicentenaire de la Révolution française, aient opposé de façon caricaturale une histoire néo-libérale et conceptuelle, davantage fondée sur l’analyse des discours que sur l’examen des archives (illustrée surtout par François Furet et Denis Richet) et une histoire économique et sociale pointilliste, scrupuleuse de validation des faits à l’expériences des sources archivistiques, nommée « histoire marxiste » ou « histoire sorbonnarde », Albert Soboul n’a cessé de chercher à « Comprendre la révolution française » (1981), comme il a pu l’écrire en réponse au « Penser la Révolution française » (1978) de Furet. Fidèle à son engagement politique de jeunesse auprès du parti communiste français, il a cependant, comme nombre de ses pairs et de ses camarades, émis quelques réserves sur l’évolution de la politique de son parti. On peut aujourd’hui, comme l’a fait récemment l’historien américain Steven Kaplan dans son ouvrage La fin des corporations (2001, p. 572-582) critiquer les postulats historiographiques et de moquer de la sociologie brouillonne d’Albert Soboul, mais, pour Claude Mazauric, il y a autant d’hommages que de critiques de l’œuvre de Soboul dans le livre de Kaplan (p. 123-124).

Image2Livre d’hommage et d’amitié à la mémoire de celui qui fût à la fois son maître, son camarade et son ami, le livre de Claude Mazauric est aussi précieux parce qu’il nous offre des documents jamais publiés jusqu’à présent, comme les entretiens que Soboul a accordés les 4 mars et 5 août 1981 à Raymond Huard et Marie-Josèphe Naudin, et surtout cet article publié (en collaboration avec Pierre Vilar) en août 1939, dans le numéro 2 de la revue La Pensée. Traitant des différentes expositions artistiques qui se sont déroulées à l’occasion du 150e anniversaire de la Révolution française au Musée de l’Orangerie, au Musée Carnavalet, à Versailles ou au tout nouveau Musée d’histoire de Montreuil, les auteurs expliquent l’importance de la source iconographique dans l’étude de l’Histoire…. Je pourrais signer absolument et sans aucune réserve ce qui a été écrit il y a plus de soixante ans.

Enfin, le sous-titre choisi par Claude Mazauric pour son étude, « essai de biographie intellectuelle et morale » attire notre attention. Homme de science, Albert Soboul était également un militant actif et un enseignant passionné. C’est sur cette passion, passion des êtres humains et de ses étudiants en particulier, qu’il a eu le souci de guider (on ne disait pas « encadrer », à l’époque) que Mazauric attire notre attention, en doublant la brillante formule (très galvaudée ces temps-ci) de « biographie intellectuelle », qui ne prendrait en compte que des qualités scientifiques, de celle de « biographie morale », plus proche de l’humaine condition.

Photographie : Merci aux Éditions d’Albret.

L’ouvrage peut se trouver aux Éditions d’Albret, anciennement Les Amis du Vieux Nérac,

4, rue Mandrina, 40180 Narrosse. 03 83 30 44 93 – hubert.delpont@wanadoo.fr[1]

Il est livré en France pour 20 euros.

Endnotes:
  1. hubert.delpont@wanadoo.fr: mailto:hubert.delpont@wanadoo.fr

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Le 11 septembre 1982 disparaissait Albert Soboul, titulaire de la chaire d’histoire de la Révolution française à l’Université Paris 1 depuis la rentrée de l’année universitaire 1967-1968. L’énoncé de cette date rappelle que les débuts sorbonnards de Soboul ne furent pas placés sous le sceau du calme et de la simple recherche savante. Tous ceux ...

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