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Serendipity.

Les pratiques touristiques : transgression normalisée ou norme transgressive ?

L’exemple des touristes allemands sur le littoral du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale.

Figure 1 : Scène balnéaire sur une portion de plage FKK à Binz. Source : Lauriane Létocart, 2016.

Il est 14h28, ce 20 juillet 2016. La fréquentation de la plage de Binz, la plus grande station balnéaire de l’île de Rügen, située dans le Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, bat son plein. Une scène de vacances des plus banales se déroule sous nos yeux : des enfants, munis de tout l’équipement nécessaire, se livrent à la construction de châteaux de sable ; les bouées attendent d’être mises à l’eau ; des vacanciers, allongés ou assis sur leur serviette, profitent du soleil et bronzent ; des touristes se promènent, d’autres s’apprêtent à se rendre au bar de la plage pour un rafraichissement ou un encas ; des nouveaux arrivants s’installent pour passer l’après-midi à la mer… Les équipements sont aussi communs à ceux d’une plage de la Baltique allemande : tentes de plage Strandkörbe (fauteuils de plage) loués pour s’abriter du soleil et du vent, etc. Cette scène de plage apparaîtrait alors des plus communes, si ce n’était qu’elle a lieu sur l’une des plages naturistes, ou FKK (FreiKorperKultur, « culture du corps libre »), de Binz, espace balnéaire situé certes à la périphérie nord de la station, mais néanmoins intégré à l’espace urbain, proche d’un parc, d’une promenade très fréquentée et d’un grand complexe touristique appartenant au groupe IFA.

Cette scène de plage, jouée par les touristes allemands – le tourisme du Land est essentiellement national, avec, en 2016, plus de 95 % des nuitées réalisées par des Allemands –, témoigne d’une certaine tolérance vis-à-vis des pratiques naturistes, alors que l’espace balnéaire est normé, délimité en plages textiles, FKK, canines… Les limites normatives des plages sont alors transgressées (Becker 1985), ce qui invite à s’interroger sur le rôle et la fonction de ces normes imposées par la municipalité. Cette scène de plage est aussi à replacer dans son contexte géographique. Elle se déroule dans le Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, ancien Land de l’Allemagne de l’Est, où la pratique du naturisme, perçue comme une garantie de liberté dans un régime autoritaire, a connu un essor particulier.

Ainsi, que dit le rapport au corps des normes ? Que révèlent les normes des pratiques balnéaires allemandes ? Que disent-elles aussi du rapport au corps dans un contexte touristique baltique et est-allemand ? Leur mise en place et leur transgression par les pratiques interrogent la dimension politique du tourisme et sont une entrée de lecture de la société allemande en général – et est-allemande en particulier.

Des normes pour réguler l’espace et les pratiques balnéaires ?

La norme peut être considérée comme une règle transcendante, imposée par un acteur institutionnel pour rendre compatibles au moins deux sociétés incompatibles. Elle a alors un fort pouvoir régulateur (Ruby et Lussault 2003). Dans la pratique touristique de plage, la norme sociale et spatiale apparaît nécessaire. En effet, appréhendé comme un déplacement temporaire et une activité hors du quotidien et du temps de travail (MIT 2008), le tourisme génère des pratiques de relâchement des mœurs et des contraintes. La plage est alors la scène de ces pratiques touristiques déviantes des normes sociales quotidiennes (Coëffé, Jaurand et Taunay 2014) : les corps s’y dénudent selon des degrés autorisés par les valeurs morales et les normes sociales imposées par les pouvoirs publics. En Allemagne, normaliser les pratiques balnéaires, et plus particulièrement celles relevant de la FreiKorperKultur, peut paraître paradoxal, face à la tolérance dont font preuve les Allemands vis-à-vis du naturisme. En effet, comme le rappelle Emmanuel Jaurand (Jaurand 2007), la fédération allemande du naturisme, fondée en 1918, est la plus ancienne du monde et la pratique du naturisme est légalisée depuis 1942. De plus, bon nombre d’espaces publics sont ouverts à cette pratique, les plages mais également les parcs urbains, comme le Tiergarten à Berlin ou les bords de l’Isar à Munich. La nudité publique est ainsi autorisée par la loi, dans la mesure où elle ne se confond pas avec des pratiques exhibitionnistes (article 183 du Code pénal allemand), et relève d’un « phénomène de civilisation [qui] repose sur une conception mythique de la nature, vue comme bienfaisante et incarnation de l’œuvre divine, et se traduit par une pratique du nu collectif […] dans ces lieux permettant un contact direct avec l’environnement “naturel”, en tout cas apparemment peu artificialisé » (Jaurand 2007, p. 1). Cependant, les plages n’échappent pas à une certaine forme de normalisation, passant notamment par la délimitation des plages naturistes, textiles ou canines. Ces limites définies par les municipalités peuvent être analysées comme une forme de norme spatiale, dans la mesure où elles visent à réguler des pratiques balnéaires qui relèvent d’un rapport au corps, à la mer et au soleil différent, intime. Leur intégration à l’espace public et partagé est alors un enjeu (Barthe-Deloizy 2003) (Granger 2009), répondant à une exigence de « civilisation des mœurs » (Elias 1973). Cette normalisation de l’espace passe par des aménagements communs à la plupart des stations balnéaires allemandes. Les plages FKK sont ainsi indiquées par toute une série de panneaux : panneau à l’entrée de la plage, qui mentionne le type de plage et la distance des autres plages, panneau implanté sur la plage et visible depuis la promenade de front de mer, qui indique la zone FKK, panneau sur la plage qui marque le début et la fin de la plage FKK (figures 2 et 3).

Figure 2 : Panneau d’entrée de plage mentionnant la plage FKK. Source : Lauriane Létocart, 2016.

Figure 3 : Panneau de délimitation des plages FKK et canines sur la plage d’Ahlbeck. Source : Lauriane Létocart, 2016.

Tout un ensemble d’aménagements visibles est ainsi mis en place pour réguler les pratiques de plage. En outre, les touristes ont aussi connaissance de ces différentes zones balnéaires via les plans des stations, qui mentionnent clairement les types de plage ou les guides de voyage. Par exemple, le guide touristique Baedeker, consacré aux îles de Rügen et d’Hiddensee, présente, avant chaque description de station, un tableau pratique indiquant les numéros des plages FKK et canines. Le guide peut aussi être plus précis. Par exemple, le guide Baedeker sur le Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale précise pour la station de Boltenhagen : « pour les adeptes du FKK, il y a une portion de plage séparée, et les propriétaires de chiens ont le choix entre deux plages canines »[1][1]. À travers les limites des plages, la norme vise alors à favoriser la cohabitation entre les touristes.

En outre, si ces limites sont présentes sur l’ensemble des plages allemandes, leur mise en place et leur multiplication dans le Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale révèlent l’histoire singulière du Land. Pour quelles raisons établir des limites de plage alors que le naturisme est une pratique tolérée ? Que disent ces normes spatiales du tourisme balnéaire dans ce Land de l’ex-Allemagne de l’Est ?

En Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, cette normalisation des pratiques balnéaires et de l’espace est à la fois ancienne et récente. Le Land a connu deux périodes de normalisation de la pratique naturiste, qui répondent à la définition institutionnelle de la norme. Sous la RDA, le naturisme, considéré comme une forme de sectarisme dangereux, symbole de la décadence impérialiste, était perçu comme contraire à la morale et à l’idéologie socialiste. Les plages étaient régulièrement surveillées par la police. Néanmoins, la pratique se développe, se diffuse sur les rivages de la Baltique, à tel point que les autorités, débordées, ne peuvent l’interdire. En 1956, elles accordent l’autorisation de se baigner nu, mais sous certaines conditions : la pratique naturiste doit être soumise à l’autorisation des autorités locales et les plages doivent être signalées par des panneaux. Une régulation spatiale se met alors en place, afin de répondre à l’idéologie socialiste et de rendre compatible une pratique déviante vis-à-vis de la morale marxiste. La norme prend alors un sens de régulation de l’espace et des pratiques balnéaires. Après la réunification de l’Allemagne, une seconde phase de normalisation a lieu. La seconde moitié des années 1990 correspond à une prolifération des limites de plages et des panneaux de signalisation aux entrées des plages. En effet, l’effacement de la frontière favorise la fréquentation touristique de ce littoral de l’ex-Allemagne de l’Est par les Allemands de l’Ouest. Même si le Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale possède 40,2 % des plages homologuées FKK du pays, l’espace dédié au FKK, aux yeux des naturistes, se réduit au profit des plages textiles et canines. La plupart des adeptes de la FKK interrogés déplorent ainsi la réduction des plages naturistes à l’avantage des plages textiles et canines, à l’instar du couple Fieber, quinquagénaires rencontrés sur la plage d’Ahlbeck, qui affirme : « Avant il n’y avait pas de chiens. Aujourd’hui, la FKK ne convient plus »[2][2]. Quel sens donner alors à la mise en place de ces limites ? Pour quelles raisons limiter et réguler une pratique de plage qui s’est largement diffusée en Allemagne, et plus particulièrement en ex-RDA, et qui a été légalisée par le droit allemand depuis 1942 ? Une première explication vient de la volonté d’attirer les touristes de l’Ouest sur les rives de la Baltique. En effet, pour beaucoup d’Allemands de l’Ouest, la confrontation au naturisme a été vécue comme un choc culturel, témoignant d’un rapport plus pudibond au corps. Or, dans un contexte de redynamisation économique du Land et des communes balnéaires, via le tourisme, les autorités publiques, et notamment les municipalités, ont décidé de délimiter les plages et les pratiques afin d’attirer une clientèle de l’Ouest au pouvoir d’achat souvent élevé. Cette stratégie a également abouti à la création d’un nouveau type de plage, la Hundstrand ou plage canine, qui constitue un critère pour les touristes : « Nous avons choisi de séjourner à Bansin parce qu’il y a des maisons de vacances et des plages qui acceptent les chiens », témoignent un père et sa fille originaires de Nord-Westphalie[3][3]. Si le développement des normes spatiales se fait afin de favoriser la cohabitation de touristes aux pratiques différentes de la plage et de la mer, la recherche du profit économique est aussi un point central. Ces deux phases de régulation de l’espace répondent à la définition institutionnelle de la norme et révèlent aussi la dimension conjoncturelle de la norme. En effet, imposer une norme des pratiques touristiques répond ici à des objectifs différents : motifs idéologiques au temps de la RDA, motifs économiques après la réunification.

La norme face aux pratiques : une norme plus formelle qu’effective ?

La plage FKK de Binz est certes située à la périphérie de la station, mais n’est pas un espace de relégation, en marge des aménagements touristiques. En effet, l’observation de la photographie met en évidence des aménagements similaires aux autres plages de la commune, textiles et canines. L’alignement des Strandkörbe en fond de plage, louées au bar voisin, et un terrain de beach volley révèlent un niveau d’équipement et une organisation semblable à la majorité des plages du Land, voire plus élevé par rapport à d’autres plages FKK. De même, la présence de promeneurs au bord de l’eau fait de cette portion de plage un espace intégré aux pratiques touristiques des vacanciers. La pertinence des délimitations des zones balnéaires peut alors être interrogée.

En effet, la limite spatiale apparaît transgressée par les pratiques. Le terme transgression est, au sens de Becker (1985), préféré à celui de déviance, dans la mesure où il n’y a pas de volonté affichée et revendiquée de s’affranchir des normes établies. La plage FKK est ainsi rendue mixte par les pratiques balnéaires, les textiles côtoyant les nudistes. L’absence d’appréhension vis-à-vis des naturistes est aussi un fait marquant, comme en témoigne la présence des deux fillettes en maillot de bain au premier plan, ainsi que celle de l’adolescent en short. À ces observations s’ajoute aussi mon propre vécu de la plage : en la parcourant, il est souvent difficile de voir le passage d’un type de plage à un autre ; d’une part, parce que les panneaux, généralement situés en fond de plage, ne sont pas forcément toujours bien visibles des promeneurs au bord de l’eau ; d’autre part, la proximité des pratiques ne crée pas de rupture nette entre les plages, comme cela est le cas pour une plage française. La norme, créée par les limites, apparaît alors plus formelle que contraignante. Une divergence existe entre les aménagements visant à réguler les pratiques et l’espace balnéaires et les pratiques des touristes. Les limites sont ainsi poreuses, d’autant plus que les plages naturistes sont à la vue de tous les passants, qu’ils marchent au bord de l’eau ou déambulent sur la promenade de front de mer. Cette transgression des normes témoigne d’une certaine tolérance des touristes, allemands essentiellement, vis-à-vis du naturisme, tolérance qui révèle une certaine règle de la coprésence qui régit les pratiques balnéaires. Cette règle, commune à la plupart des plages de la Baltique, suscite néanmoins l’étonnement de touristes étrangers. Par exemple, une première expérience de terrain a pu être déroutante, tant les plages FKK étaient situées en plein espace urbain des stations et facilement accessibles, comme à Binz ou Warnemünde, obligeant alors le chercheur à ôter tout son habit culturel et à questionner la relation du corps à l’espace public, pour appréhender au mieux son terrain. Cet étonnement est aussi partagé, comme en témoignent les propos d’un couple de touristes français, originaires du Havre, rencontrés à Wismar et interrogés sur leurs impressions de vacances : « […] et il y a plein de plages naturistes aussi. Elles sont bondées et ils ne se cachent pas. Pas comme en France. Les Allemands sont comme ça ! »[4][4]. L’étonnement peut aussi prendre des allures de conflits d’usage, comme à Ahlbeck, station de l’île d’Usedom située à la frontière polonaise, où les plages FKK proches de la frontière sont indiquées par des panneaux plus grands que dans les autres stations, afin de signaler clairement aux Polonais les zones FKK. Ainsi, lorsqu’un touriste polonais, pris pour un naturiste, parle de la pratique FKK, il met en évidence un rapport pudibond au corps nu des Polonais, forgé par le catholicisme qui canalise les pratiques balnéaires. Sa présence sur une plage FKK ne relève alors que de l’expérience ludique : « Je me suis déshabillé comme ça, pour voir, parce que je me trouvais sur une plage FKK. Mais je ne suis pas naturiste, ah non ! En Pologne, ce n’est pas possible, c’est interdit. Il n’y a pas de plage naturiste. Le catholicisme l’interdit. Là, c’est juste pour voir ce que ça fait. Tout le monde est tout nu, donc je me suis dit, moi aussi ! »[5][5] La tolérance vis-à-vis du naturisme et la règle de la coprésence qu’elle génère revêtent donc toute une dimension culturelle, engendrant des pratiques balnéaires et une proximité des touristes sur les plages loin d’être universelles. En outre, la transgression des limites interroge aussi sur la pertinence des normes en contexte touristique, hors des contraintes de l’espace et du temps du quotidien, et met en évidence une certaine manière d’habiter touristiquement la plage (Lazzarotti 2006), lieu synonyme d’un relâchement des contraintes par rapport au corps, où une certaine liberté prédomine.

Si les conventions imposées par les acteurs politiques sont transgressées, la scène balnéaire révèle une autre organisation de la plage de Binz, normalisée par les pratiques. Quatre zones apparaissent nettement : la zone des Strandkörbe louées et alignées en fond de plage, dont le déplacement est seulement envisagé pour suivre l’orientation du soleil, la zone plus large des tentes et des paravents, une zone « libre » de serviettes ou de tentes utilisée pour la promenade au bord de l’eau et, enfin, la mer, lieu de baignade et de jeux. Ces délimitations fixées par les pratiques semblent plus respectées. Ce n’est alors pas le rapport au corps nu ou habillé qui dicte l’occupation de la plage, mais la cohabitation des différentes pratiques balnéaires (promenade, sport, être sur une plage aménagée ou non). L’usage de la plage comme espace public se fait alors de manière harmonieuse. La norme de la coprésence s’impose d’elle-même.

De l’utilité des normes : des pratiques touristiques qui interrogent les normes et les déviances.

Face aux pratiques balnéaires qui attestent d’une coprésence sur les plages de la Baltique, l’efficacité et l’utilité des limites de plage définies par les autorités publiques posent question. À quoi servent-elles alors ? Pour qui sont-elles mises en place ? Leur développement, qui s’est accéléré après la réunification allemande, est en lien avec la recomposition sociale, culturelle et économique de l’ex-Allemagne de l’Est, qui a cours depuis les années 1990. Le Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale s’ouvre à différentes échelles. À l’échelle nationale, la réunification du pays a entraîné une hausse de la fréquentation des plages du Land par des Allemands de l’Ouest, qui ont trouvé scandaleuse la pratique libre du naturisme. Celle-ci est en partie héritée de l’interdiction des associations privées sous la RDA, ce qui a conduit à une pratique du naturisme beaucoup moins réglementée qu’à l’Ouest. À l’échelle européenne, l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne ouvre ce littoral aux touristes polonais, pourtant peu enclins au naturisme en raison de leur culture catholique. Les délimitations des zones de plage peuvent alors être analysées comme une adaptation des lieux à d’autres pratiques balnéaires, à des cultures et des rapports aux corps différents. Mais les transgressions observées précédemment interrogent aussi ce qui fait norme. Les aménagements suffisent-ils ? Dans cet exemple, les limites n’empêchent pas la mixité des plages, qui peut être lue comme une manière allemande de pratiquer la plage. Dès lors, que dit la transgression du rôle de la norme ? Celle-ci est-elle définie pour réglementer les pratiques naturistes, les délimiter dans l’espace, ou est-elle établie à destination des « textiles », ouest-allemands d’abord puis polonais, afin de leur réserver des plages qui correspondent à leurs mœurs et les attirer dans ce Land de l’ex-Allemagne de l’Est, et de permettre ainsi le développement touristique de ce territoire, qui connaît un certain essor depuis la fin des années 1990 ? C’est ainsi toute la dimension politique du tourisme qui peut être mise en exergue, d’autant plus que les réticences à l’égard du naturisme perdurent, témoignant ainsi de la force des représentations dans les pratiques touristiques. En effet, un sondage réalisé en 2015, par l’agence de voyage en ligne Expedia, sur la pratique et la perception du naturisme en Allemagne révèle que les Länder les plus distants par rapport à la pratique naturiste sont situés à l’Ouest du pays : la Bavière (31 % des sondés), le Bade-Wurtemberg, la Hesse et la Rhénanie-Palatinat (26 % des sondés). La mise en place de normes est alors un outil pour réglementer le naturisme et développer le tourisme.

D’autre part, la transgression des conventions peut aussi faire figure de modèle, devenir et faire norme. En effet, le naturisme, pratique déviante, considérée comme une sorte de « révolution silencieuse » pendant la RDA, est devenue une pratique recherchée, faisant du littoral baltique du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale une destination touristique singulière. Ainsi, la plupart des naturistes interrogés choisissent ce littoral en raison de sa longue tradition naturiste et pour son environnement encore préservé. La beauté des plages et le littoral faiblement aménagé sont ainsi des motifs récurrents et propices à la pratique du naturisme, association affirmée parfois de manière excessive, comme le révèle le témoignage d’une touriste originaire de Saxe, adepte du naturisme, qui estime que la FKK ne se pratique que sur cette portion du littoral baltique et qu’il n’y a pas d’autres plages naturistes en Allemagne ![6][6]

Enfin, dans sa relation au corps et au tourisme, la transgression de la norme nous renseigne aussi sur le tourisme. La présence de limites plus formelles qu’effectives met en évidence un modèle touristique oriental allemand, développant de manière généralisée le naturisme en plein espace public. La transgression des limites correspond alors à une forme d’appropriation culturelle de la plage, liée à l’héritage de la RDA. La pratique du naturisme relève alors souvent d’une tradition familiale.

À travers cet exemple du littoral baltique de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, et plus particulièrement de la plage de Binz, la norme peut être analysée comme un outil de gestion des pratiques balnéaires et des rapports au corps des touristes, qui met en évidence la dimension politique du tourisme mais aussi des manières allemandes, voire est-allemandes, de pratiquer, voire d’habiter, les plages de la Baltique.[7]

Endnotes:
  1. [1]: #_ftn1
  2. [2]: #_ftn2
  3. [3]: #_ftn3
  4. [4]: #_ftn4
  5. [5]: #_ftn5
  6. [6]: #_ftn6
  7. : #_ftnref1

Abstract

By examining the Baltic coastline of Mecklenburg-Western Pomerania, a culturally and spatially highly standardized tourist area, this paper aims at analysing the relationship between norms and tourism practices. Spatial planning, like boundaries between nudist and non-nudist beaches, or those tolerating pets, demonstrates the public stakeholders’ intention to regulate tourism practices, which therefore proves the political dimension of norm. If German tourists are aware of these spatial norms, the latter appear more formal than efficient. Indeed, tourism practices tend to overtake and even divert the norms. The transgression of these norms, as meant by Becker, explores the relationships between norms, tourism practices and body. Does normalising space necessarily affect spatial practices ? Are spatial arrangements sufficient criteria to create a standard ? What does this spatial normalisation, imposed by public authorities and infringed by tourists from German society, reveal about the relation to the body and the touristic dynamics in a Land of the former GDR ?

Bibliography

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Notes

[1] « für FKK-Fans gibt es einen separaten Strandabschnitt, und Hundebesitzer haben die Wahl zwischen zwei Hundestrände » (Berger 2013, p. 207).

[2] Entretien réalisé sur la plage FKK d’Ahlbeck, proche de la frontière polonaise, le 5 juillet 2016.

[3] Entretien réalisé sur la promenade de front de mer à Bansin, le 5 juillet 2016.

[4] Entretien réalisé sur le port de Wismar, le 22 juin 2016.

[5] Entretien réalisé sur la plage FKK d’Ahlbeck, proche de la frontière polonaise, le 5 juillet 2016.

[6] Entretien réalisé sur une plage FKK de Binz, le 10 mai 2016.

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