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Serendipity.

Faiseurs de ville.

Élisabeth Dorier-Apprill et Philippe Gervais-Lambony, Vies citadines, 2007.

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Un titre séduisant, une couverture magnifique[1][1], un résumé pertinent et une belle collection… Vies citadines est un livre qui donne envie.

La lecture de l’introduction confirme que le moment passé en compagnie de quinze auteurs[2][2] emmenés par Élisabeth Dorier-Apprill et Philippe Gervais-Lambony sera bon. Amoureux des villes, ils souhaitent « décrire et comprendre la forme d’être au monde qu’est la citadinité » (p. 5). D’universités et instituts de recherches différents, travaillant sur des terrains variés, ils ont en commun de vouloir analyser ce qui fait la ville. Ce qui importe, ce sont donc les liens, les lieux, les mobilités, les réseaux d’ancrage, de sociabilités et de mobilisations, les interactions quotidiennes, en deux mots : la production de l’urbanité.

L’approche de la ville est résolument comparatiste, souhaitant ainsi dépasser un cloisonnement contraignant des recherches entre villes du « Nord » et villes du « Sud ». Les auteurs ont également la volonté de confronter les théories de l’urbain aux réalités du terrain, et réciproquement. Chaque chapitre est par conséquent construit autour d’une notion clé, qui fait systématiquement l’objet d’une analyse fine et critique. L’ouvrage est composé de dix chapitres[3][3] qui fonctionnent en résonance, « à l’image des rues de certaines de nos villes, le plan de l’ouvrage invite plutôt à la flânerie » (p. 13). Au sein de chaque chapitre, les développements théoriques sont mis en relation avec des exemples détaillés, qui constituent la grande force et la richesse de l’ouvrage. Chaque auteur apporte en effet des connaissances, des anecdotes ou encore des photographies, autant d’éléments originaux récoltés sur son terrain. Philippe Gervais-Lambony relate ainsi la fondation d’un lignage urbain à Lomé ; Sophie Didier raconte Leisure World, une gated community pour seniors de plus de 77 ans ; Virginie Baby-Colin expose les problèmes des habitants de la ravine de Catuche ; Claire Bénit-Gbaffou décrit les clubs de jazz de Johannesburg comme les lieux d’une mixité retrouvée ; Élisabeth Dorier-Apprill raconte les villes en guerre, comme Kampala, Brazzaville ou Beyrouth ; Boris Grésillon analyse les transformations du paysage culturel berlinois, …

L’ouvrage s’inscrit dans une approche récente et féconde de la ville. Dans la lignée directe de Liens et lieux de la mobilité, ces autres territoires[4][4], l’objectif est de comprendre qui fait la ville et comment se construit la citadinité. Font la ville ceux qui se mobilisent, voisinent, bougent, parlent, fêtent, flânent ou encore se souviennent. Deux chapitres ont particulièrement retenu notre attention : « Bouger, s’ancrer » et « Détourner ». L’un montre que l’ancrage urbain et l’identité urbaine se construisent par les mobilités ; l’autre détaille le processus de détournement d’un lieu par des citadins considérés comme des marginaux. On voit là deux exemples de cette manière d’approcher la ville autrement, par ses habitants.

Mais cette approche par l’habitant pose un problème majeur : qui est habitant et qui ne l’est pas ? Quels sont les critères discriminants utilisés pour définir l’habitant ? Cette question n’est anodine dans la mesure où celui qui n’est pas considéré comme habitant n’a pas sa place dans l’ouvrage. Nous pensons ici au cas précis du touriste. S’il est salutaire de s’interroger enfin sur ceux qui font la ville au quotidien, il serait bon de considérer une bonne fois pour toutes que le touriste est un habitant à part entière, qui participe pleinement à la production de l’urbanité. Lui aussi bouge, parle, pratique, détourne, s’ancre, fête et flâne, lui aussi construit la ville, lui aussi produit de l’urbanité. L’absence du touriste dans ce livre témoigne par conséquent d’une part de l’échec relatif de la démarche comparatiste (on ne peut plus ignorer les touristes dans l’étude des villes du « Nord ») : ressort principalement de l’étude la production de l’urbanité dans les villes du « Sud ». Cette absence témoigne d’autre part de la persistance du mépris de bon nombre de chercheurs « urbains » pour le tourisme et les touristes[5][5].

Au final, Vies citadines tient ses promesses : une approche riche et pertinente de la ville et de ses habitants, des va-et-vient féconds entre théorie et terrain, des exemples riches et variés.

La qualité de l’ensemble est cependant pénalisée par de multiples détails : des passages théoriques systématiquement coupés par le développement des exemples, une démarche comparatiste qui ne tient pas ses promesses. Enfin, l’absence du touriste comme faiseur de ville laisse un goût amer.

Élisabeth Dorier-Apprill et Philippe Gervais-Lambony, Vies citadines, Paris, Belin, collection Mappemonde, 2007, 267 p.

Endnotes:
  1. [1]: #ftn1
  2. [2]: #ftn2
  3. [3]: #ftn3
  4. [4]: #ftn4
  5. [5]: #ftn5

Abstract

Un titre séduisant, une couverture magnifique[1][1], un résumé pertinent et une belle collection… Vies citadines est un livre qui donne envie.La lecture de l’introduction confirme que le moment passé en compagnie de quinze auteurs[2][2] emmenés par Élisabeth Dorier-Apprill et Philippe Gervais-Lambony sera bon. Amoureux des villes, ils souhaitent « décrire et comprendre la forme d’être ...

Bibliography

Notes

[1] Photographie d’un immeuble d’Istanbul, par Élisabeth Dorier-Apprill.

[2] Par ordre alphabétique : Virginie Baby-Colin, Claire Bénit-Gbaffou, Isabelle Berry-Chikhaoui, Florence Bouillon, Guénola Capron, Élisabeth Cunin, Sophie Didier, Élisabeth Dorier-Apprill, Bénédicte Florin, Philippe Gervais-Lambony, Boris Grésillon, Sonia Lehman-Frisch, Christian Rinaudo, Cécile Van den Avenne, Dominique Vidal.

[3] 1. Fragmentations ; 2. Mobiliser ; 3. Voisiner ; 4. Bouger, s’ancrer ; 5. Parler ; 6. Imprévu, mixité, rencontre ; 7. Détourner ; 8. Fêter ; 9. Flâner ; 10. Mémoires.

[4] Guénola Capron, Geneviève Cortès, Hélène Guétat-Bernard, Liens et lieux de la mobilité. Ces autres territoires, 2005.

[5] Voir à ce sujet le très bon Tourismes 1. Lieux communs, Équipe MIT, 2002.

Authors

Maie Gérardot

Agrégée de géographie, doctorante à l’université Paris 1 sous la direction de Rémy Knafou, elle travaille sur les transformations de la métropole parisienne par le rythme, l’habiter et les pratiques touristiques. Elle est actuellement chargée de cours à l’université Paris 10 et à Sciences Po Paris. Elle assure également la préparation de l’épreuve de géographie au concours de l’Ena au CIPCEA (université Paris 1 et Ens Ulm). Elle est la secrétaire de l’Adrets, l’association pour le développement de la recherche et des études sur les tourismes.

Partnership

Serendipity.

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