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L’essence du politique est dans le caractère insoluble des tensions.

Jean-Marie Donegani, Marc Sadoun, Qu’est-ce que la politique ?, 2007.

Image1En première approche, cet ouvrage semble renvoyer à une exploration philosophique, celle de l’essence de la politique, puisque la formule titre s’appuie sur la référence au mode de pensée socratique. La question est, il est vrai, traditionnelle dans ce champ, ce qui ne signifie pas pertinente. Mais que le lecteur ne s’y trompe pas, le titre n’énonce pas vraiment le contenu de l’ouvrage. En réalité, loin de s’appliquer à l’étude de l’essence de la politique (comment poser ce problème ?, quel type de discours peut saisir cette essence ?, comment l’énoncer ?), les auteurs entreprennent une vaste défense et illustration de la conception libérale, républicaine et socio-démocrate de la politique et de la démocratie. Du point de vue de l’histoire de la philosophie politique, ils défendent l’idée selon laquelle les termes grâce auxquels nous pensons la politique sont intemporels (des Anciens jusqu’au Modernes), seul changeant l’équilibre selon lequel ils sont proférés. En revanche, du point de vue de l’analyse philosophique de la politique, ils se placent d’emblée dans un cadrage spécifique, suspendant par conséquent de très nombreuses études dont il aurait été légitime d’entrevoir l’exploration sous un tel titre.

Cela donne finalement un ouvrage assez difficile à saisir et à approcher, malgré des développements qui ont de l’intérêt. Les auteurs aboutissent néanmoins à la défense d’une définition de la politique que voici : l’essence de la politique tient moins à la présence immuable de la domination (définition puisée dans Julien Freund) qu’au caractère insoluble des tensions ; elle ne doit pas être pensée sous la condition de la lutte et de la résistance, mais sous la condition de la désignation de l’autorité légitime. Pourquoi pas ? Effectivement de nombreux auteurs contemporains tentent de montrer que le concept de domination est désormais non-pertinent pour approcher notre époque. Mais, dans l’ensemble, le rythme du texte et le déroulement des propos reste très surprenant à suivre. Le style des auteurs consistant moins à construire des problèmes, qu’à tenter d’associer des auteurs et des thèses autour de leur perspective. De ce fait, les problèmes sont aussi peu établis que possible, aucune étude précise d’un ouvrage ou d’un auteur (indications et renvois mis à part) ne vient étayer la démarche, alors que les réponses, libérales, sont en revanche d’emblée affichées.

Au demeurant, le sommaire engagé pouvait donner lieu à une analyse précise des philosophies politiques classiques et modernes : individu et totalité, égalité et différence, pouvoir et domination, intérêt et volonté, eris et philia, vérité et opinion. Toutefois les auteurs donnent peu souvent aux lecteurs les moyens de saisir des problématiques complètes d’auteurs. Ils en utilisent les thèses, mais le lecteur doit connaître les démarches par ailleurs s’il veut garder à l’esprit la cohérence d’une pensée.

Et, en effet, comment s’engager dans une telle analyse : « qu’est-ce que la politique ? », qui renvoie d’emblée, nous l’avons signalé, à la question socratique de l’essence (de la politique) ? Dans un tel dessein, il eut fallu parcourir des définitions de la politique (Aristote, Machiavel, Hobbes,…) et souligner les divergences (penser la politique sous la condition de l’Un-Bien ou sous une condition juridico-étatique ou encore sous la condition d’une résistance à l’État) entre les auteurs (de Platon, par exemple, à Foucault et Rancière, pourquoi pas). Encore eut-il convenu de la dépouiller entièrement, ce que malheureusement les auteurs ne font pas. Ils projettent tout de suite, sur leur ouvrage, l’ombre d’une solution par avance choisie : l’essence de la politique tient moins, nous l’avons écrit ci-dessus, à la présence immuable de la domination (cf. Julien Freund) qu’au caractère insoluble des tensions du corps social et politique. Pourquoi ne pas, en effet, répondre à la question de l’essence par l’éternisation des phénomènes ? D’autant que les auteurs nous expliquent corrélativement que l’époque est en défaut de références : dans un monde, écrivent-ils, où s’affrontent les valeurs et où la part des certitudes se réduit, le savant ou le philosophe doit sans doute garder à l’esprit quelques principes clairs qui le protègent du risque d’anomie ». Même si nous ne disposons plus de boussole, de définition du bien, ou d’une idée de l’absolu, nous savons tout de même que notre société repose sur la pluralité des réponses.

C’est forts de ces principes, effectivement conciliables dans une version « prudentielle » de la politique, qu’ils annoncent alors ceci : en matière politique, il y a des catégories constitutives, des couples de notions qui font débat des Anciens jusqu’à nous, Modernes (ce sont les catégories qui constituent les chapitres du livre). Ce qui change, par contre, entre les Anciens et nous, c’est le mode d’agencement de ces catégories. À partir de là, chaque chapitre tente de montrer que la politique se pense toujours sous les mêmes catégories, mais qu’elle instaure pour chaque période un dialogue inédit entre elles. Avec des valeurs pour l’essentiel inchangées, elle compose une table originale qui trouble à ce point la lecture que l’observateur ne sait parfois plus bien comment caractériser ce qu’il observe. Le politique est-il, comme le pensaient les Anciens, le lieu d’affirmation de l’autorité légitime ou est-il, comme le dit une bonne part de la sociologie, le domaine où se déploie au plus fort la domination ?

Il reste cependant une chose importante à dire. Si du point de vue théorique cet ouvrage ne nous a pas convaincus, il nous paraît cependant utile pour des étudiants qui voudraient se faire la main (la tête) et se rompre à l’exercice de construire des perspectives politiques in abstracto, en utilisant le plus de matière sociologico-philosophique possible. En quelque sorte, les étudiants qui se préparent à un « grand oral », à la faveur duquel ils ont moins à construire et analyser des problèmes qu’à déployer leur habileté rhétorique dans l’enchaînement des théories. En ce sens, l’ouvrage manifeste des talents incomparables. Et ce n’est pas de l’ironie de notre part !

Voici par exemple, le genre de fiche que l’on peut tirer de l’ouvrage (un exemple, sans rédaction) :

Égalité. Pour les Grecs : soit l’égalité des conditions au sein de chaque classe (Platon), soit l’égalité des compétences au sein de chaque communauté (Aristote). Cela dit, l’égalité est le propre du cercle des citoyens. Quant aux modernes, l’égalité relève d’abord d’une déclaration. Elle n’est plus une identité de valeur, mais correspond à une commune dépendance (cf. Hobbes, et la question de l’égalité face à la mort) ; implique que l’égalité est la condition de la liberté, l’égalité est au fondement de la liberté. Ajouter à cela la question de l’égalité des conditions, telle que développée par Tocqueville : autrement dit, le sentiment d’une profonde similitude que les citoyens de la démocratie moderne éprouvent les uns par rapport aux autres. Entraîne la conviction qu’une même nature les rend comparables (ce n’est pas une égalité juridique, mais une représentation de soi). Le sentiment égalitaire pousse les hommes à se considérer isolément, mais cet isolement s’accompagne dans le même temps d’une concurrence généralisée entée sur l’obsession de l’égalitarisme (pousse à la fois au repli sur soi et à la comparaison sans fin). Enfin, la doctrine utilitariste fait de l’égalité un principe comptable, qui pose la commensurabilité des plaisirs et des peines et la possibilité pour la société d’établir la somme de ces plaisirs et de ces peines.

À cet égard, il nous a semblé que l’ouvrage était fort profitable pour prendre en charge les notions d’individu, d’égalité, de violence, ou de vérité. Moins pour éclaircir, par exemple, le débat concernant la différence, la domination, ou l’intérêt. Quant à la catégorie grecque de « Philia », si bien annoncée, elle a fini par échapper aux auteurs. Dommage. D’autant que cette catégorie donne de nos jours du fil à retordre dans la théorie comme dans la pratique. Enfin, quant à la catégorie de « public », qui émerge de temps en temps, dans le propos, elle ne fait malheureusement l’objet d’aucun développement spécifique.

Certes, il n’est pas question de reprocher à qui que ce soit de ne pas explorer la totalité d’un champ, cela n’aurait aucun sens. En revanche, il nous semble que la discordance entre le titre de l’ouvrage et le contenu pouvait se résoudre en titrant l’ouvrage : « Manuel d’analyse du politique, pour étudiants ».

Jean-Marie Donegani, Marc Sadoun, Qu’est-ce que la politique ?, Paris, Gallimard, Folio, 2007.

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En première approche, cet ouvrage semble renvoyer à une exploration philosophique, celle de l’essence de la politique, puisque la formule titre s’appuie sur la référence au mode de pensée socratique. La question est, il est vrai, traditionnelle dans ce champ, ce qui ne signifie pas pertinente. Mais que le lecteur ne s’y trompe pas, le ...

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