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Serendipity.

Cartographier le temps, l’espace d’un moment.

Comment représenter le temps sans avoir recours à l’animation ? La figuration du temps est présente sous des formes variées dans la cartographie depuis toujours et partout dans le monde. Si aujourd’hui le temps est figuré principalement par des cartes animées — ce qui correspond aux possibilités offertes par les techniques informatiques —, d’autres modes de représentation ont existé. Dans cet article, nous souhaitons raviver la possibilité de figurer le temps par une succession d’images fixes.

Une recherche, un atlas.

Durant trois ans, nous avons mené une recherche intitulée Cosmographies. Sources et ressources pour la cartographie contemporaine dirigée par Jacques Lévy et Elsa Chavinier au laboratoire Chôros de l’École Polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Celle-ci se basait sur un double constat : (1) les cartes euclidiennes « standard » se sont imposées en Europe depuis le 16e siècle, mais ont épuisé leur langage ; (2) le développement foisonnant des cartes en ligne et des SIG requiert une analyse des effets produits par ces technologies sur la cartographie. Aussi avons-nous pris le parti de constituer un corpus de cartes qui permette la recherche d’autres chemins de représentations de l’espace. Trois altérités ont été identifiées : les cartes de « l’avant » (les cartes antiques et médiévales) ; les cartes de « l’ailleurs » (cartes amérindiennes, cartes chinoises, japonaises, coréennes, indiennes, aborigènes) ; les cartes « autres de maintenant » constituées par les représentations conçues par les artistes d’art contemporain durant ces deux dernières décennies. La recherche a permis d’explorer des ailleurs cognitifs, en les faisant communiquer avec des problématiques scientifiques actuelles pour tenter de résoudre certains défis lancés à la cartographie contemporaine, comme la représentation des individus, de la société, des stratégies spatiales, des flux, du mouvement, des fictions.

À l’heure actuelle, 59 cartes ont été identifiées, collectées et documentées. Elles révèlent un éventail de variétés et de diversités en termes de techniques, d’impressions, de supports, de contextes et d’intentions cartographiques. Certains documents de notre corpus (cf. annexe) sont bien connus. Abondamment commentés, ils font même partie des jalons d’une histoire de la cartographie telle qu’on pourrait l’écrire après les travaux au long cours de John Brian Harley et David Woodward[1][1]. D’autres ont été exhumées des archives ou repérées dans des ouvrages et des expositions. Tous se sont signalés par la manière singulière dont ils proposent — chacun à leur façon — une représentation originale de l’espace. Selon les questions posées à la carte contemporaine, ce corpus est inlassablement convoqué, sollicité autant que nécessaire, soumis à écrémage, puis organisé et réorganisé à souhait, manipulé par une démarche de « l’atlas à l’œuvre » : les images fixes s’animent par montage, conciliant la méthode et le geste. L’une des planches de cet atlas, celle dont la thématique est le récit, a été explicitée lors de notre conférence Cartographier le temps, l’espace d’un moment[2][2], et fait l’objet de cet article.

Quels sont les techniques, les outils ou encore les fictions qui génèrent une pensée et une expérience de l’écoulement du temps ? Nous faisons l’hypothèse que l’atlas[3][3] — entendu à la façon d’Aby Warburg[4][4] — peut être le dispositif idoine pour interroger la production du temps dans l’histoire de la cartographie. En créant un espace de commensurabilité pour les œuvres, l’atlas devient le procédé heuristique grâce auquel les images fixes s’animent par montage. La planche Récit offre un espace de connaissance et permet d’énoncer, dans le jeu des manipulations, des avancées dans le domaine des représentations cartographiques de l’espace et du temps. Le regard que nous posons sur cette planche insérée dans l’atlas cherche à se transformer en ressource pour (re)penser la cartographie contemporaine et répondre aux enjeux actuels de visualisations spatio-temporelles et dynamiques.

La figuration du temps.

Les cartes aiment à parler du temps. S’il est admis que la carte figure de l’espace, rappelons que le mot latin spatium intègre autant l’espace que le temps. L’espace est à la fois étendue, ce qui nous rassemble, et intervalle, ce qui nous tient à distance. Aussi, cet espacement induit de l’écart, donc du temps, un laps de temps entre deux faits successifs. De la durée s’insinue dans l’étendue et fait qu’il existe un rapport entre eux. Ce rapport est d’abord un lien, une proposition, une correspondance, une relation portée dans toute entreprise cartographique et justifiée dans le projet de réduction de l’environnement spatial à un modèle intelligible en même temps que visible. L’espace décrit en cartographie est par définition temporel ; il accueille le moment, l’instant, le « maintenant ».

Si le temps est cette présence paradoxalement toujours absente, il convient de reconnaître que ce n’est point un objet ou une substance, et qu’il ne connaît aucune existence en soi. Aristote puis Saint Augustin l’ont très largement établi : le temps est fiction et il n’existe que par ses effets (écoulement, érosions, battements réguliers, cycles, etc.).

C’est tout ce que sait faire le temps : passer. Il faut l’apprécier comme il est. (Naga 2008, p. 37)

Alors qu’il ne fait « que » passer, le temps laisse des traces dans l’espace et marque le résultat d’un passage. Son mouvement peut laisser croire qu’il est spatial ou local, et permet l’intuition de rythmes et la comparaison de durées (Janicaud 1997). Communément, l’espace serait l’ordre des co-existences et le temps celui des successions relativement à un situs, à un point de vue et de temps (Ru 2012). Ce n’est qu’au cours d’une longue histoire que le temps se transforme en un a priori — non seulement de la perception, mais aussi de l’action humaine, en déterminant les échéances, les formes et les objectifs de l’action humaine. C’est également au cours de cette histoire du temps que le temps linéaire influence de plus en plus le temps humain et finit par le rendre stérile.

Partant du constat d’une véritable fragilité de la cartographie contemporaine face à la représentation du temps, de récentes tentatives[5][5] peinent à convaincre : trop concentrées sur les techniques de mesure, trop centrées sur le tracé du trajet ou de l’espace parcouru et bien souvent trop analytiques aussi. S’il convient néanmoins d’admettre qu’il n’y a pas de temps sans mesure, comment saisir alors cet horizon mesurable du temps en cartographie ? Alors que la temporalité résulte d’une mise en relation, celle-ci ne peut ni se réduire à des dispositifs ni se satisfaire de mesures quantitatives qui se sont incroyablement développées avec les chronométries modernes, car elle suppose également l’appréciation d’une perspective qualitative. Le temps n’est pas seulement nombre, malgré l’assertion d’Aristote déterminant le temps comme nombre de mouvement ; il est déjà présent dans le moment, dès que nous appréhendons un rythme permettant de scander la fluidité temporelle, de le dé-limiter et ainsi de faire apparaître le mouvement (Janicaud 1997).

Ainsi, toute tentative d’exprimer le vécu du temps dans son immédiateté débouchant sur une aporie, nous allons « tenir le récit pour le gardien du temps » (Ricoeur 2000, p. 435) et mieux cerner sa mise en intrigue. Par le battement et la (re)mise en jeu de « notre » collection de cartes dans la planche Récit proposé ici, nous présentons un travail collectif (nécessairement) en cours et cherchons à en déduire, par montage successif, les enseignements idoines à tout projet cartographique ayant pour visée une figuration du « temps raconté ».

Méthode : monter des cartes.

La constitution, puis l’analyse d’un corpus hétérogène et diachronique, regroupant des cartes du passé, provenant d’ailleurs (autres cultures) et appartenant à un autre champ que celui de la cartographie (art contemporain), ont nécessité l’élaboration d’une méthode capable de faire dialoguer les cartes entre elles. Les cartes ont été observées en tant que cartes, mais aussi en tant qu’images recelant des qualités esthétiques et sémiologiques particulières. Nous avons construit les planches d’un atlas avec des cartes qui ne « se connaissent » pas.

La production de chacune des planches a procédé d’un double geste : comparer et monter. Pour cela nous avons convoqué deux auteurs : Marcel Détienne (2000), helléniste et anthropologue, pour la comparaison, et l’historien de l’art Georges Didi-Huberman (1995, 2002, 2011) pour le montage.

Suivant la leçon de Marcel Détienne, nous avons construit des comparables de manière expérimentale sans chercher à établir des lois générales. Chaque carte a été analysée pour elle-même. Nous avons décrit son contexte de production, sa finalité, ses commanditaires, sa forme, son esthétique, son efficacité, son pouvoir. Toutefois, il ne s’agissait pas de juxtaposer les cartes, mais de les étudier en fonction d’une question problématisée. Détienne insiste sur la question qui permet de construire des comparables (par exemple, « qu’est-ce que fonder ? »). Pour l’établissement du corpus, notre question a été la suivante : qu’est-ce qui fait carte ? Aussi avons-nous élaboré un comparatisme qui complexifie plutôt qu’il ne simplifie, qui problématise plutôt qui ne s’exprime en termes de résultats, qui mette finalement en évidence le goût des transversalités plutôt que le lissage des homogénéités et des ressemblances. Nous avons voulu « comparer au plus proche » et « comparer au plus loin » (Détienne 2002, p. 73). Ce comparatisme « pluriel », comme le nomme Détienne, a rendu visible la projection de « configurations dissonantes » (ibid., p. 77).

L’opération de montage de nos planches de cartes a pour modèle l’atlas Mnemosyne d’Aby Warburg. Aujourd’hui bien connu grâce à l’analyse fondamentale de Georges Didi-Huberman, cet atlas, qui dispose de manière éphémère et interchangeable des images sur des fonds sombres, a servi de source d’inspiration méthodologique, épistémologique et esthétique. Les cartes récoltées, assorties des questions qu’elles posent et des lectures spatiales qu’elles proposent, ont été montées ensemble, telle une greffe de notions et d’images. Un montage procédant par frottements et attractions est instauré, composant une forme de pensée figurale, une pensée en images.

Le montage[6][6] joue de l’effraction, il pratique la décomposition et la recomposition. Il fonde les contrastes, il renouvelle les rapports, il provoque les contacts et engendre des significations. Issu de collisions, il compose le choc des rencontres. Par la technique du rapprochement, il marque et souligne le conflit et les contrastes (Didi-Huberman 1995, p. 304). Ce type de montage, où les cartes et les questions entrent et sortent du champ, crée une composition kaléidoscopique, un assemblage fait d’attractions et de ruptures. Il offre moins à voir une permanence qu’il n’indique une relation. Animées par le jeu qui consiste à enlever les cartes, à les remplacer ou à changer leur position sur la planche, les planches ainsi constituées sont d’ici et de là-bas, de maintenant, d’avant et d’après. S’élabore la construction de planches par anachronismes et analogies. Ce type de rapprochement crée un nouveau milieu pour les cartes réunies. Nous pouvons le nommer un espacement. La planche n’est pas qu’une succession d’emplacements (un lieu pour chaque carte), mais plutôt un espacement, c’est-à-dire un lien entre chaque carte. Dans l’espacement, ce n’est pas l’espace occupé par chaque carte qui est déterminant, mais le rapport qui peut exister entre elles.

Ainsi le montage des cartes ruine-t-il tout recentrement autour de certitudes ou de concepts balisés, et impose-t-il une pensée du dehors et de l’ex-centricité, flottante parfois et ouverte à l’imagination. La planche cartographique devient pensive et ses significations ressortissent d’un impensé immergé dans les relations provoquées par le montage.

L’accent est mis sur la relation et l’espacement ainsi que sur le geste de déplacement des cartes pour reconfigurer les planches. Cela induit une mise en mouvement des cartes. La notion de « montage » au sens cinématographique entre ici en ligne de compte : expérimenté de manière simple et « primitive », il permet un déplacement et un remplacement des cartes. Se produit un phénomène d’apparition des images qui entrent dans le champ de la planche et qui en sortent pour revenir plus tard dans une autre configuration. Les cartes sont invitées à se présenter selon un ordre donné par l’orientation de la planche (planche Itinéraire, planche Grille, planche Corps, planche Récit) pour signifier entre elles et créer les significations possibles de la planche, des significations remises en jeu à chaque manipulation de cartes. Le mouvement engendré par la déconstruction et le remaniement des planches constitue la pleine opération du montage de cet atlas en mutation. La planche est ainsi une combinatoire qui, à chaque remaniement, produit une nouvelle configuration de sens. Ce simple mouvement de déplacer et de remplacer actionne non seulement un dispositif visuel, mais la réflexion elle-même qui se met en mouvement, en état d’invention.

Notre association de cartes vise moins à juxtaposer des cartes disparates qu’à les multiplier. Démonter et remonter les logiques cartographiques, bousculer la chronologie ont engendré des réactions et des articulations insoupçonnées, des questions inédites et des formulations qui peuvent ouvrir la discipline cartographique.

Planche Récit.

Dès que nous temporalisons, nous imaginons. Notre rapport à l’espace est à la fois perceptif et imaginaire, « nous nous racontons des histoires ». Denis Wood (1987) a très brillamment pressenti et démontré la dimension narrative qui est inscrite dans la tradition des atlas géographiques. De son côté, Paul Ricoeur, dans sa trilogie Temps et Récit, insiste sur la mise en intrigue logée au cœur du dynamisme temporel. Selon lui, la narrativité est souvent livrée par la comptine, le conte, la fable, ou les mythes. C’est la narration qui transforme le temps en temps humain, et le récit parviendrait à résoudre les apories de l’expérience et de la phénoménologie du temps.

[L]e temps devient temps humain dans la mesure où il est articulé sur un mode narratif, et […] le récit atteint sa signification plénière quand il devient une condition de l’existence temporelle. (Ricoeur 1983, p. 85)

En optant pour une planche explorant les conditions d’élaboration du récit en cartographie, nous sommes parvenus à donner de l’épaisseur au temps. Bien souvent, lorsque l’on évoque le temps ou encore la temporalité, il est aisé de s’en tenir à une unicité du temps, comme allant de soi. Pourtant, Dominique Janicaud nous le rappelle explicitement : « Si le temps se dit de manière unique (ou résulte d’un dire excessivement unifiant), il se fait multiplement. Des modes de temporalisation adviennent » (1997, p. 171). Il existerait ainsi une pluralité de temps, visible sur notre planche grâce à des combinaisons de cartes fertiles et évocatrices.

Illustration n° 1 : Planche Récit. Source : Carole Lanoix et Véronique Mauron (Chôros, EPFL).[7]

Illustration n° 1 : Planche Récit. Source : Carole Lanoix et Véronique Mauron (Chôros, EPFL).

Illustration n° 1 : Planche Récit. Source : Carole Lanoix et Véronique Mauron (Chôros, EPFL).[8]

Illustration n° 2 : Planche Récit. Source : Carole Lanoix et Véronique Mauron (Chôros, EPFL).

La planche Récit rassemble 24 cartes de notre corpus et les répartit sur le fond noir en différentes zones, dont nous détaillons ci-dessous les types tel un voyage à l’intérieur de ladite planche.

Chronologie.

De façon évidente, la chronologie exprime le temps continu de l’histoire, la succession des événements. Car l’événement est ce qui se détache obligatoirement de la temporalité, de l’indifférenciation des unités élémentaires du temps pour se faire signifiant. Couramment exploitée sous la forme d’une ligne de temps, la timetable (Rosenberg et Grafton 2010) travaille l’épaisseur de la bande et se déploie en frise, diagramme, calendrier, ou journal. Il s’agit en effet de ne visualiser qu’un extrait, qu’une partie d’un tout que l’on imagine plus vaste, un segment, une période, un moment pris dans le fil continu, dont on devinera l’antériorité et la postériorité, de façon soit cumulative, soit hiérarchisée. Par superposition ou accumulation, le récit chronologique convoque à l’aide de traces l’Histoire autant que la mémoire personnelle en des occasions reliées entre elles d’une façon déterminée.

Dans l’Atlas of Movements, Christoph Fink, artiste belge, enregistre sans relâche ses moindres déplacements au cours de la journée et entreprend ainsi un inventaire de ses expériences réalisées « en chemin ». Telle une archive, il consigne sous des modes de restitution toujours innovants, ici sous la forme de bandes de papier enroulées en spirale, le journal de ces trajets. Il fait pourtant prévaloir l’expression de la durée sur l’espace parcouru, puisque la succession chronologique de faits donne une lecture à la durée et fait naître l’histoire.

Cheminement.

Temps téléologique de l’histoire, le cheminement en cartographie explore le tracé des itinéraires suivis, des parcours empruntés, les routes desservies. Dans son voyage, le cartographe enregistre le temps par son mouvement. Linéaire est sa recension, la carte suit le fil de son cheminement, puisque les corps sont les premières — et toujours sourdement présentes — signalisations qui vont au-devant de la temporalité, la retiennent et l’indexent. Le corps prend la mesure du temps dans la suite de séquences mises en carte. Il est principalement question de lignes augmentées par la suite des déambulations de leurs naissances à leurs destinées.

À l’image du récit des expéditions de Zheng He (1371-1433) de Nanjing au détroit d’Ormuz, la séquence narrative développée sur 40 pages dans le traité militaire Wubei Zhi (1621) informe sur le paysage parcouru et le temps pris pour la traversée. Dans l’assemblage d’une série, chaque page est un tableau qui compose le trajet de l’explorateur. L’enchaînement des pages donne sens à la lecture de son propre point de vue (la ligne en pointillé servant de guide de lecture). La narration se délie sur le fil de la trajectoire.

Scène.

Temps diégétique généralement enclos dans un environnement éloquent, la scène propose un cadre chronologique et spatial des événements d’un récit. Des dramaturgies se mettent en scène dans l’espace d’un plan unique, fixe, surfaces résolument closes ou du moins délimitées. Les actions humaines soulignées par des représentations souvent figuratives des personnages qui y prennent place engagent une trame narrative nouée dans une étonnante contraction de l’espace et du temps. La co-présence et le cumul de motifs figurés dans le cadre défini mettent en jeu une narration à l’œuvre, l’évolution du cours d’un récit connaissant de nombreux détours et péripéties à l’intérieur de l’espace de la carte.

C’est par cette manifestation de la co-spatialité que la carte sur Mandarka excelle dans l’art de figurer une scène de chasse, exprimant également le calendrier des événements dans la péninsule du peuple tchouktche, dont provient cette peau de phoque blanchie. La succession de motifs figurés aussi divers que variés (baleines, morses, ours, phoques, troupeaux de cerfs, individus, chamans, villages, habitations, kayaks) évoque autant d’activités maritimes que terrestres. Des scènes de vie, dont l’instantané d’un lieu est pris dans le temps d’un récit par la juxtaposition de figures, transfigurent le récit. Ce dernier naît à la fois de l’environnement de l’action qui raconte et de la mise en ordre arbitraire et spécifique des faits d’une histoire sur une même surface.

Mythologie.

Temps discursif par excellence, la chrono-fiction connaît son pendant mythologique et se révèle avant tout par l’apanage de l’imaginaire et de la mémoire. Éloignées dans le temps et dans l’espace, les mythologies s’inventent et se spatialisent en potentialisant les digressions. Elles se temporalisent également. Peut-on imaginer sans temporaliser ? Notre rapport à l’espace est à la fois perceptif et imaginaire, si intimes se révèlent les liens entre imagination et mémoire. Il n’est pas étonnant que l’Histoire et les histoires, la recherche des événements avérés tout comme les récits de fictions exploitent les variantes de la présence/absence du passé, son statut intentionnel spécifique. Qu’elles soient collectives ou individuelles, ces fictions mises en carte explorent la (ou les) mémoire(s) et les visions du monde des cartographes conformément à leurs idéologies. La mémoire collective, souvent convoquée en cartographie, dessine et déforme les traits d’un monde mythique, imaginaire ou cosmologique, (d)écrivant l’Histoire d’une civilisation et ayant pu influer son cours, alors que des images oniriques surgissent des tréfonds de mythologies personnelles.

À l’instar de l’énigmatique carte d’Opicinus de Canistris extraite d’une série élaborée entre 1335 et 1338, dont le style anthropomorphe est révélateur des tourments psychologiques de l’auteur[7][9], son imagination va bien au-delà des constructions symboliques de l’époque et s’incarne dans une personnification des images au contenu géographique. Ainsi, l’Afrique masculine aux habits ecclésiastiques murmure-t-elle à l’oreille d’une Europe incarnée en femme, entourée de démons maléfiques, une gueule de monstre mordant son épaule sur la côte Atlantique, tandis qu’un diable à bonnet s’immisce entre elle et l’Afrique sur la mer Méditerranée. Un univers enchanteur et habité nous est conté à l’aide d’une cartographie qui se décline par le concours d’illusions d’optique avec ségrégation figure-fond, discriminant le premier de l’arrière-plan par de subtiles déformations du champ visuel.

Transmission.

La carte qui se transmet ne connaît plus de temps. Atemporelle, immuable, infinie, la transmission en cartographie est toujours le résultat d’une tradition soit reproductible dans des paroles lorsqu’elle est orale, soit cristallisée dans un objet lorsqu’elle est matérielle. Embarqué dans son voyage, il est nécessaire de se rappeler que la carte tire son origine du latin charta, signifiant le papier ou un ensemble de feuilles tenues ensemble par un morceau de carton. La carte est aussi objet, véhicule, servant tour à tour d’amulette, d’objet transitionnel, de relique transmise de main en main dans le temps long d’une génération, d’une transhumance, d’un rite de passage ou tout simplement d’une correspondance.

Dans le projet cartographique de l’artiste suisse Hélène Gerster, 120 mouchoirs ont été envoyés par la poste, représentant en sérigraphie un plan de la ville de Genève, brodés d’une croix rouge à l’endroit où le destinataire réside. L’œuvre Tu prononces Venise et un tas de signaux s’allument (2007) nous rappelle à juste titre que le temps s’exprime notamment sous la forme du don. Le temps est donné et nous donnons notre temps, nous rappelle Jacques Derrida (1991). Cette carte envoyée sous les plis brodés de l’étoffe témoigne de ce moment donné, comme d’un vide ou d’une distance à combler.

Sur le plan formel.

Les cartes réunies sur la planche Récit sont pour la grande majorité d’entre elles des cartes denses, remplies, saturées. Se multiplient les figures, icônes de petite taille représentant des personnages, des animaux, des maisons, de la végétation, des montagnes, des architectures, des campagnes. Ces cartes relèvent de la figuration, un peu comme des bandes dessinées ou des miniatures. On peut avoir une première attitude de méfiance vis-à-vis de ces cartes trop bavardes donnant à lire un message pauvre et superficiel, car marqué par un caractère anecdotique. Toutefois, ces cartes montrent qu’une conception « narrativiste » (Ricoeur 1983) de l’espace est possible, conception qui recèle un potentiel de significations.

Comment lire une carte Récit ? L’aspect visuel de ces cartes guide l’approche des significations. Dans les cartes Itinéraires, ce sont les lignes qui sont prépondérantes et qui organisent la représentation de l’espace. Dans les cartes Récit, ce sont les surfaces animées de pictogrammes qui ordonnent la composition. La carte Récit met ainsi en évidence les notions et les figurations du lieu, de l’étendue, du territoire, des environs, de la position. Elle propose une traduction visuelle de l’étendue. Agençant un ensemble de surfaces qui combinent entre elles des relations spatiales, la carte Récit définit l’espace comme des ensembles qui sont reliés, qui s’empiètent et s’espacent. Les pictogrammes forment un ensemble d’icônes qui se répondent et tissent des relations, d’une surface à une autre. Le récit s’organise sur le plateau des surfaces reliées par les motifs figuratifs.

Si l’on regarde la carte sur Mandarka (Extrême-Orient russe), la carte indienne Shrinathji Temple Complex, la peinture aborigène Aralya, la carte d’Opicinus de Canistris, la mappemonde d’Ebstorf, la carte indienne de Kasi Darpana (Bénarès), la carte ronde de Kuitca, on doit adopter une lecture non linéaire. Ces cartes ne sont pas dominées par la notion de trajet, suite de points traçant une ligne qui induit un phasage temporel déroulant une action en train de s’accomplir. La carte Récit est une histoire qui résulte des actions qui ont eu lieu ; elle est davantage de l’ordre du souvenir et du témoignage, convoquant la durée et non l’instant. Elle n’implique pas un trajet fixe à suivre. Avec elle, nous pouvons errer, sauter d’une icône à une autre, créer notre propre cheminement. On peut dire que la carte Récit se situe du côté du type pictural défini par Heinrich Wölfflin (1952) plutôt que côté du type linéaire qui est représenté par le dessin.

La carte indienne Shrinathji Temple Complex (fin 19e siècle) raconte l’embellissement d’un temple lié à une secte dévolue à Krishna. Nous sommes face à une peinture, plutôt que face à un dessin, une peinture qui se donne à regarder comme une miniature. Grâce à ses représentations de surfaces peuplées de figures, il n’y a plus de proche ni de lointain, tout semble accessible. La carte Récit raconte un épisode en image. Ce n’est pas pour autant une illustration, car elle est elle-même récit. Elle crée un espace vécu. L’interprétation des faits ainsi que la convocation de la mémoire priment. On pourrait parler, à propos des cartes Récit, de cartes historiées.

Ces cartes présentent moins des choses et des faits qu’elles ne mettent en scène de possibles interprétations de ces choses et de ces faits. Cette interprétation procède de la fiction. Ainsi, lire une carte Récit consiste à voir les pictogrammes de manière relationnelle et à en décoder les symboles et les analogies. Les motifs figuratifs connotent et dénotent. Ils informent, mais aussi font signe au-delà de leur littéralité. Ils impliquent fortement le lecteur de la carte, qui doit relier les motifs et les surfaces pour en articuler une narration. Celui-ci refait l’histoire : celle de la chasse aux animaux marins (phoques, baleines, morses, ours) de la carte russe ; l’histoire de la recherche-poursuite d’Aralya par les femmes ayant mis à l’abri leurs enfants dans une grotte (carte aborigène) ; l’histoire de la frontière extérieure d’Israël passant par la Ligne verte dessinée en 1948 par Moshe Dayan d’un trait de crayon vert sur une carte et peinte sur le territoire par Francis Alÿs. Une lecture diachronique s’instaure.

Une seconde remarque formelle s’impose dans les cartes Récit : la juxtaposition d’image et de texte. Il va de soi que les cartes contiennent des lettres sous la forme des toponymes. C’est le cas ici dans de nombreuses cartes. Mais certaines d’entre elles adoptent une autre présence textuelle. Dans les cartes comme le lienzo de Zacatepec, la carte d’Opicinus de Canistris, la mappemonde d’Ebstorf, la carte marine militaire du Wubei Zhi, la carte militaire de Minard et la carte Atlas of Movements de Fink, on voit que les textes sont importants et qu’ils occupent différents espaces des cartes. Ils en sont des légendes historiées.

La mappemonde d’Ebstorf, dont l’original date de 1235, présente le corps divin (tête, mains, pieds) qui a aussi la forme de la lettre O. Ce corps contient le monde ; telle une encyclopédie, il rassemble les connaissances de l’histoire, de la cosmographie, des sciences naturelles, de l’histoire religieuse (le paradis, l’arche de Noé, la tour de Babel). L’organisation de la carte est décrite dans les textes occupant les marges. Cette carte ressemble à une miniature du Moyen Âge, image montrant une lettre ornée en son intérieur de motifs iconiques variés.

Dans les différentes cartes qui intègrent une large présence de mots et de phrases, les textes et les images composent des surfaces planes distinctes ou intégrées les unes aux autres ; textes et images dialoguent, font jeu presque égal, renforçant ainsi la construction d’un récit.

La planche Récit montre qu’une large part de fiction fonde la carte. S’entrecroisent des données mesurables, objectivables et des éléments appartenant à la fiction et à l’imaginaire. C’est ce montage de savoir et de fiction que la planche Récit permet d’inventer.

Du partage temporel à la discontinuité narrative.

Devant l’impossibilité de penser le temps comme présence en soi, le temps devient et passe, mais il n’est pas. De cette différence ontologique du temps, de sa non-présence résulte la nécessité de penser sa représentation sémiotique. Le temps met en relation plusieurs continuums — rien que deux événements présupposent l’existence d’un continuum —, l’un servant toujours de référence à l’autre. Comme les deux continuums sont éphémères, on ne peut les mettre directement en relation ; pour établir un rapport entre eux, il faut opérer une synthèse sous le crédit d’un système de signes. Cette synthèse ou configuration peut se stabiliser pour devenir une forme du temps, qui structure une temporalité insaisissable en elle-même. Au cours de ce processus, la forme que prend ce continuum est celui du changement, ce qui est et reste visible, et peut se transposer en mouvement. Nous avons ainsi pu constater que le lecteur de cartes Récit convoque largement ses sens et son attention. Il est impliqué dans l’épreuve de l’appréciation du temps autant qu’il est actif dans la lecture de sa durée.

Saint Augustin formulait déjà au livre XI des Confessions : « nous avons la perception des différents intervalles du temps (sentimus intervalla temporum) » (2007, p. 321). Il serait tentant de traduire de manière plus suggestive par « nous percevons des rythmes » (Janicaud 1997, p. 143). Le passage même du temps permet l’instauration de rythmes et la comparaison de durées. Qu’éprouvons-nous ? Qu’il y a du mouvement, que « quelque chose » passe, permettant de distinguer et de confronter des intervalles, à apprécier et à mesurer les différentiations. Le temps est la mesure du mouvement.

Au centre de l’expérience du temps se trouve toutefois un paradoxe selon lequel ce qui était censé produire l’harmonie des différents moments vécus comme disparates et hétérogènes produit en réalité leur dissolution et leur décomposition. C’est à ce moment décisif qu’intervient le récit. Car lui seul est capable de créer la concordance entre les différents moments discordants de l’expérience vécue et de constituer le temps humain (Ricoeur 1983). Le temps devient temps humain dans la mesure où il est articulé de manière narrative.

Cette appréciation peut être traduite en cartographie selon les enseignements issus d’une certaine histoire anachronique de la cartographie relue à la lumière de l’assemblage instable et néanmoins fécond, tel qu’il a pu apparaître dans notre planche Récit :

a) inventer un langage : la narration en carte nécessite, comme tout type d’écriture, l’invention de figures servant à distinguer le propos. L’articulation d’une riche sémiologie graphique, souvent à caractère figuratif et mêlant habilement le texte, repose sur plusieurs registres de signes, sous la forme de pictogrammes, de glyphes figuratifs ou bien stylisés, symboliques — signes conventionnels comme l’empreinte de pied pour évoquer le voyage —, des idéogrammes — le lion pour exprimer l’idée de force — ou encore de glyphes phonétiques (Lienzo de Zacatepec 1, 1540-1560). Il s’agit d’établir un code graphique, sous la forme de figures, réunissant images et textes et traduisant des données distinctes d’une parole accompagnée de stratégies pour privilégier la lecture. Par l’invention de la figure (Christin 2011), un geste fait signe.

b) écrire un scénario : la gestion de la continuité par une mise en séquence est l’une des formes usuelles de narration cartographique. L’assemblage d’une série en suite narrative, où, par exemple, chaque page est un tableau, compose le trajet de l’itinéraire (Wubei Zhi, Zheng He) et assure un déploiement du temps en acte. Il s’agit de lire les images comme dans un livre, de manière successive ou dans une spirale sans fin (Christoph Fink, Atlas of Movement, 2000). La mise en séquence pouvant aussi être radiale ou concentrique à l’instar du cadran indiquant la circonvolution de la procession lors du pèlerinage à Kashi, dans le sens d’une aiguille d’une montre (Kasi Darpana, 1876), il s’établit un sens donné à la lecture. La succession chronologique de faits se rapportant à un sujet donné fait naître l’histoire et donne une lecture à la durée dans un mécanisme fractal[8][10].

c) générer le mouvement : la contraction de l’espace et du temps est un dernier leitmotiv de la narrativité cartographique. L’instantané d’un lieu est pris dans le temps d’un récit par la juxtaposition de figures (Carte sur Mandarka) et l’accumulation de figurés (Shrinathji Temple Complex à Nathdwara), au point de devenir elle-même surface, comme en témoigne le subtil jeu de points élaborés par les aborigènes australiens dans leurs « songlines » (Rêve Aralya, Damien & Yilpi Marks). La succession des empreintes des parcours-itinéraires chantés suggère le continu par la discontinuité de la technique du dot painting[9][11]. Le récit naît alors de la préséance de la co-spatialité au sein de l’espace clos de la carte. Il émane directement d’un travail sur les intervalles (alternance de sinusoïdes et de densité de points), d’une distance, d’un étirement ou d’une extension[10][12] du fameux partage temporel sur un même plan.

Loin de considérer le temps comme univoque, immuable et essentiellement physique, la présence/absence inhérente au temps se décline en modes de temporalisation, qui connaissent tous le caractère distinctif du temporel, soit le partage : cet écart qui est l’espace d’une détente, d’un rapport, d’une tension entre deux événements. Alors que le temps ne peut être figuré en une suite de « maintenant » sur une ligne, il procède plutôt d’un réseau d’intentionnalités. Cette construction de rapports de simultanéité, de succession et de durée s’appuie sur un contexte cinématique ; le montage successif en est le fruit puisqu’il repose sur cette rupture de la régularité qui scande le rythme, accueille la mise en intrigue et exhorte de ce fait la trame narrative du récit. Le partage temporel est fait de discontinuités narratives, comme autant de césures et de découpages de l’espace à l’intérieur d’une surface plane unitaire qui donne la mesure du temps en cartographie. L’une des caractéristiques de la carte Récit réside dans l’originalité de sa dé-stabilisation : les figures convoquées dans la carte échappent à leur destinée, entrent en collusion, excitées telles des particules en mouvement qui s’attirent, puis se détournent, entrent en contact sans se toucher, feignent de se rencontrer pour donner de l’espace au temps qui se tient à distance. Reste au spectateur d’en dénouer les fils, d’y percer la trame…

Endnotes:
  1. [1]: #_ftn1
  2. [2]: #_ftn2
  3. [3]: #_ftn3
  4. [4]: #_ftn4
  5. [5]: #_ftn5
  6. [6]: #_ftn6
  7. [Image]: https://www.espacestemps.net/articles/cartographier-le-temps-lespace-dun-moment/20141120-planche-recit/
  8. [Image]: https://www.espacestemps.net/articles/cartographier-le-temps-lespace-dun-moment/20141120-planche-recit-2/
  9. [7]: #_ftn7
  10. [8]: #_ftn8
  11. [9]: #_ftn9
  12. [10]: #_ftn10

Abstract

How can one represent time without resorting to animation ? Still images have inhabited cartography for a long time and it is only recently that the trend has changed in favour of dynamic representations. In the light of this development, we propose to revisit the use of a succession of still images to represent time. Continuing the research entitled Cosmographies, conducted at the Chôros laboratory (Swiss Federal Institute of Technology Lausanne, EPFL), we interrogate the techniques, tools and fictions that trigger the idea and experience of time flow. We do so through the reading of a “Narrative plate”, composed on the occasion of the symposium « Time, Art and Cartography », which was held in Milan in December 2014 and organized by the French Committee of Cartography and the Polytechnic University of Milan. Our research is based on two observations: (1) euclidean or « standard » maps, which have been used as the main cartographic representation in Europe since the 16th century, have exhausted their potential of communication ; (2) the burgeoning development of Geographical Information Systems (GIS) elicits the study of the effects these technologies have on cartography. We have thus set out to establish a corpus of maps that facilitates the research of alternative representations of spaces. Three cartographic orientations were identified: « ancient maps » (antique and medieval maps), « non-Western maps » (Native American, Chinese, Japanese, Korean, Indian and Indigenous maps), and « contemporary artwork » created by artists over the past two decades. Our method involved the creation of an atlas based on the arrangement of those maps. The plate with a narrative thematic will be explained here in more detail. We postulate that the atlas — following Aby Warburg’s approach — may be a suitable device for exploring the production of time in the history of cartography. By creating a space where maps can be assessed, the atlas becomes a heuristic method that transforms still images into an animation, simply by way of their arrangement. The “Narrative plate” uncovers innovations in cartographic representations of time and space through a set of experiments that have to do with the organisation of images. Our observation of this plate seeks to become a resource for (re)thinking contemporary cartography and confronts perceived challenges of space-time and dynamic visualizations.

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Annexe : Le corpus du projet Cosmographies, par ensembles géographiques et dans l’ordre chronologique. En gras sont indiquées les cartes ayant été convoquées dans la planche Récit présentée dans la communication au colloque « Temps, Art & Cartographie. Nouveaux regards, nouvelles compétences et nouveaux outils pour représenter des mondes et des sociétés en mouvement ».

Europe/Occident

  1. Mosaïque de Madaba, fin du VIe s.
  2. Mappemonde d’Ebstorf, c. 1239 (30 parchemins, 358 x 356 cm).
  3. Carte de la Grande-Bretagne, Matthew Paris, c. 1252 (33 x 22.9 cm).
  4. Table de Peutinger, copie c. 1265 (11 parchemins, 682 x 34 cm).
  5. Carte Pisane, c. 1290 (manuscrit sur parchemin, 103 x 48 cm).
  6. Mapa Terre Sancte, Pietro Vesconte, c. 1320 (encre et peinture sur vélin, 65 x 25 cm).
  7. Carte d’Opicinus de Canistris, c. 1335.
  8. Ébauche appartenant au corpus Vienna-Klosterneuburg, c. 1426 (58.6 x 39.4 cm).
  9. Mappemonde de Fra Mauro, c. 1450 (parchemin monté sur bois, 239 x 229 cm).
  10. Plan de Rome, Pietro del Massaio, c. 1450 (51.5 x 40 cm).
  11. Carte de l’Isle de Machian, Jacques Nicolas Bellin, c. 1750 (18 x 9 cm).
  12. Campagne de Russie, Charles J. Minard, 1869 (lithographie, 62 x 30 cm).
  13. Carte de la vallée du Mississippi, Harold Fisk, 1944 (15 planches mises en couleur à la main).

Monde arabe/Perse

  1. Mappemonde de Tulsi Slamani, c. 1170, copie du XIVe s. (32 x 23 cm).
  2. Mappemonde d’Ibn Al Wardi, XVe s.
  3. Carte du Sind, Al-Istakhri, Xe s. copie perse du XIXe s.
  4. Cartes d’Al Idrisi, c. 1154, copie et assemblage K. Miller, 1928 (encre et peinture sur papier).

Chine

  1. Carte Garrison de Mawangdui, Chine méridionale, c. -202 av JC -9 ap JC (28 pièces de soie assemblées, 98 x 78 cm).
  2. Yu ji tu, 1136 (imprimé xylographique, 560 x 20 cm)
  3. Carte de Mao Kun incluse dans le Wubei Zhi, 1621 (imprimé xylographique, 560 x 20 cm partitionné en 40 images).

Corée

  1. Kangnido de Ryûkoku, Corée, 1402 (peinture sur soie, 171.8 x 164 cm).
  2. Ch’onhado, Corée, reproduction du XVIe-XIXe s. (encre sur papier).
  3. Tosongdo, Corée, XVIIIe s. (impression jet d’encre, 92 x 67 cm).
  4. Taedong Yojiko par Kim Chongho, Corée, 1861, reproduit en 1936 (impression au bloc, 28 x 21.5 cm).

Japon

  1. Dai Nihon Koku Zu, Japon, 1291 (encre noire sur papier).
  2. Tokaido Michiyuki no Zu, Japon, 1654 (130.7 x 57.7 cm).
  3. Meireki Shinpan Settsu Osaka, Kono Dosei, Japon, 1655 (119.4 x 77.5 cm).
  4. Shokoku Dochu Oezu, Japon, 1683 (63 x 38.3 cm).
  5. Toshidama Ryomen Dochu Ki, Japon, 1744 (16.5 x 7.3 cm).
  6. Denzu, XVIIIe s.

Arctique

  1. Planches Tchouktches, Extrême-Orient russe (9 planches de bois, 425 cm de long).
  2. Carte sur Mandarka, Extrême-Orient russe, XIXe s. (peinture sur peau de phoque, 119.3 x 114.3 cm).

Asie du Sud

  1. Route de Shahjahnabad à Kandahar, Inde, c. 1770 (rouleaux de papier, 2000 x 25 cm).
  2. Carte moghole du Nord Ouest de l’Inde, copie de 1795 (79 x 69 cm).
  3. Kasi Darpana – Mirror of Kashi, Varanasi, Inde, 1876 (impression au bloc sur coton, 92 x 79 cm).
  4. Shrinathji Temple Complex, Nathdwara, Inde, fin du XIXe s. (peinture sur papier, 67 x 47 cm).
  5. Carte Ngaju Dayak, Indonésie Bornéo, c. 1905 (encre noire, crayon de papier, 138 x 69.5 cm).

Afrique

  1. Luba lukasa, République du Congo, Afrique, XVIIe s. (planches de bois, coquillages et perles, 20-25 x 13 cm).
  2. Carte du royaume de Bamum par King Njoya, 1912 (encre et crayon sur papier, 93 x 87.5 cm).
  3. Carte de transhumance Touareg, Kili Kilu Ag Najim, c. 1910 (observation et dessin d’E. Bernus).

Monde amérindien

  1. Khipu Inca, Chulpaca, Pérou, 1425-1532 (cordes de coton, 72 x 39 cm).
  2. Lienzo de Zacatepec 1, c. 1540-60 (facsimilé, manuscrit sur tissu, 325 x 225 cm).

Océanie

  1. Corde Papua Iatmul, Nouvelle-Guinée (facsimilé, original en fibres végétales, 6 à 7 m).
  2. Stick Chart des Îles Marshall, Micronésie (nervures de feuilles de cocotier, baguettes de bois ou bambou, coquillages).
  3. Coquille de nacre gravée, Péninsule Dampier, Australie (coquille de nacre gravée).
  4. Rêve Serpent Arc-en-ciel à cornes, John Mawurndjul, Terre d’Arnhem, Australie (acrylique sur toile, 176 x 72 cm).
  5. Rêve Aralya, Damien & Yilpi Marks, Désert central, Australie (acrylique sur toile, 122 x 91 cm).
  6. Rêve Tingarri, Marlène Mitchell, Désert central, Australie (acrylique sur toile, 133 x 123 cm).

Art contemporain

  1. Guillermo Kuitca, Diarios, 1994 (peinture sur toile tendue sur table ronde).
  2. Francis Alÿs, The Loser/The Winner, 1998 (performance, vidéo).
  3. Moshekwa Langa, Stage, 1997-1999 (installation, techniques mixtes, objets, dimensions variables).
  4. Marie Christine Katz, Mapping Memory, 2001 (techniques mixtes).
  5. Christoph Fink, Atlas of Movements, Studies of Continental Europe (bicycle) – a selection, 2000 (encre sur papier découpé).
  6. Julie Mehretu, Immanence, 2004 (encre et acrylique sur toile).
  7. Kim Jones, Blueshirthorns, 2005 (sérigraphie sur coton).
  8. Rachel Khedoori, Cave Model, 2009 (plâtre, aluminium et bois, 244 x 244 x 162 cm).
  9. Sohei Nishino, Diorama de New York, 2009 (impression jet d’encre, 172.2 x 134 cm).
  10. Cannelle Tanc, Cut Map, Paris, 2009 (carte évidée, 90 x 60 cm).
  11. Hélène Gerster, Tu prononces Venise et un tas de signaux s’allument, 2007 (mouchoirs sérigraphiés et brodés).

Notes

[1] La somme des trois volumes du projet de l’History of Cartography est en la matière une référence incontournable.

[2] La communication a été présentée lors du colloque international « Temps, Art et Cartographie » le jeudi 4 décembre 2014, qui était organisé par le Comité Français de la Cartographie et la Politecnico di Milano au Piccolo Teatro de Milan en Italie.

[3] La dimension épistémologique de l’atlas est parfaitement documentée et analysée dans l’ouvrage de Lorraine Daston et Peter Galison, Objectivité (2012).

[4] Entre 1924 et 1929, l’historien de l’art Aby Warburg, reconnu pour avoir fondé l’iconologie, se lance dans la constitution d’un atlas nommé Mnémosyne, qu’il va étayer sans relâche de reproductions d’œuvres d’art, de coupures de journaux, de timbres, de pages de livres, de cartes postales ou de photographies d’origines diverses issues de sa bibliothèque personnelle K.B.W (Kulturwissenschaftliche Bibliothek Warburg) à Hambourg, à la recherche de ce qui a pu fonder la survivance des images de l’Antiquité et la décomposition des cultures dans l’Histoire de l’art.

[5] Pour ne citer que les plus populaires : les mentals maps de l’École de Chicago, la time geography suédoise de l’École de Lund (Torsten Hägerstrand 1960), la chronogéographie (Don N. Parkes et Nigel J. Thrift 1980), l’organisation spatio-temporelle dans la géo-visualisation et la géomatique (Colette Cauvin et Luc Gwiadzdzinski, Alain Guez), selon Jean-Yves Boulin, Pierre Dommergues et Francis Godard dans La nouvelle aire du temps (2002).

[6] Le montage comme méthode épistémologique est mis en pratique dans Véronique Mauron, Le signe incarné. Ombres et reflets dans l’art contemporain (2001).

[7] Pour en savoir plus sur l’œuvre d’Opicinus de Canistris, se reporter au texte de Muriel Laharie (2010) : « Les cartes anthropomorphes d’Opicinus de Canistris (1337) » in Bresc, Henri et Emmanuelle Tixier du Mesnil (éds.). Géographes et voyageurs au Moyen Âge, p. 67-89. Paris : Presses Universitaires de Paris Ouest.

[8] Voir à ce sujet l’ouvrage d’Yves Lavandier, La dramaturgie : l’art du récit (2014).

[9] Pour en savoir davantage sur le sujet, se référer à l’ouvrage de Barbara Glowczewski, Rêves en colères. Alliances aborigènes dans le Nord-Ouest australien (2004).

[10] On considère ici le concept de « distentio » développé par Saint Augustin dans ses Confessions pour signifier le temps, compris dans le sens de son étymologie latine, à savoir d’une « extension », d’un « déploiement ».

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