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Serendipity.

Arts, sciences : le temps de l’hybridation.

Guillermo Kuitca, « Untitled », 2010.

Il se passe quelque chose…

Il est devenu banal, pour un chercheur en sciences sociales, d’assister à des colloques où les arts sont présents, non seulement sous forme d’un spectacle de clôture ou d’une ponctuation mineure au déroulement des échanges, mais par une implication directe de l’art et de ceux qui le font dans la substance même de l’événement. Inversement, de plus en plus d’artistes se réclament directement ou s’inspirent ouvertement de travaux de sciences sociales. Il faudrait pouvoir documenter ce constat avec des données quantitatives, qui permettraient d’identifier des points d’inflexion : quand ce phénomène naît-il ? Jusqu’à quel point s’accélère-t-il ? Faute d’une telle étude, dont les indicateurs ne sont pas si faciles à identifier, nous nous contenterons ici de considérer comme acquise l’existence de telles interactions, de constater qu’elles se situent dans un Zeitgeist de la scène intellectuelle contemporaine et de tenter d’en comprendre le sens.

Notre point de vue est que, au-delà d’une apparente accélération récente, le problème posé n’est pas simplement conjoncturel, mais contemporain. Il est le signe que les temps sont mûrs pour une transformation profonde, allant jusqu’à une remise en cause des séparations tranchées à l’intérieur des régimes de vérité et des régimes esthétiques d’une part, et entre ces deux familles de réalités culturelles, d’autre part. Il concerne une interrogation nouvelle sur la cohabitation et l’interaction entre deux univers, celui de la science et celui de l’art, dont la place, dans les institutions et les pratiques sociales, s’est incontestablement trouvée confortée et dont le dialogue est assumé ou même désiré par moult protagonistes, mais dont l’explicitation de ce qui les rapproche et de ce qui les distingue n’a pas été jusqu’ici développée, encore moins formalisée.

La thèse que nous défendons dans cet article est que, à partir du moment où on identifie précisément les ressemblances et les différences entre sciences et arts, on peut plus efficacement interpréter les rencontres existantes et imaginer un programme pour les convergences à venir.

Un long malentendu.

Le concept d’art, comme nous l’entendons aujourd’hui, est à peine moins récent et tout aussi situé que celui de science. Cela n’a pas grand sens de parler d’art à propos des gravures rupestres du Paléolithique, pas plus que de science à propos de l’astronomie des Mayas – même si dans les deux cas, on peut percevoir une certaine filiation avec l’esthétique ou la recherche contemporaines. On pourrait même discuter pour savoir si le théâtre grec – même si les textes d’Eschyle ou d’Aristophane peuvent être joués aujourd’hui – ou si l’alchimie arabe – considérée comme très novatrice – peuvent être classés dans l’une de ces catégories. La science et l’art sont le résultat d’un processus, uniquement européen et postmédiéval au départ, de séparation de ce qui, auparavant, était mélangé ou combiné, même si on peut trouver des résonances dans d’autres univers culturels – comme le monde arabo-persan de l’époque des califats ou celui de la Chine des premières dynasties.

L’émergence des arts et des sciences comme activités propres, c’est-à-dire possédant une spécificité à la fois identifiable et exclusive d’autres activités, commence en Europe pendant la Renaissance pour s’achever en Occident au cours du 19e ou même du 20e siècle. Cette émergence s’est accompagnée de la création d’institutions (académies, salons, congrès, musées, universités réorientées, ateliers, laboratoires…) et de l’apparition d’une nouvelle sociologie avec notamment la figure, d’ailleurs changeante, du chercheur et de l’artiste. Bien que l’art et la science relèvent en principe de la société civile, c’est-à-dire du libre choix d’individus et de collectifs de s’adonner à une activité, évaluée ensuite par des institutions elles-mêmes indépendantes des autres pouvoirs, les États ont joué un rôle multiforme extrêmement actif de financement, d’incitation, d’établissement de normes, d’évaluation et de gouvernance, dans les arts comme dans les sciences. Les uns comme les autres apparaissent donc comme le résultat du double mouvement de division du travail et de montée en puissance des États. On peut donc aisément repérer des domaines de la vie sociale étiquetés « sciences » et « arts ». Autre chose est de pouvoir dire ce qui s’y passe.

Il n’est évidemment nullement question de hiérarchiser les apports entre l’Europe et le reste du Monde. Ce qu’il faut noter, cependant, c’est que les arts et les sciences, telles que nous les connaissons maintenant presque partout dans le Monde, sont le résultat d’un triple processus. C’est d’abord la séparation pratique des autres activités et l’exigence de cette séparation pour définir une légitimité, ensuite l’institutionnalisation par l’argent, la norme et la reconnaissance des producteurs et des productions et enfin, et c’est essentiel, l’installation d’une stabilité temporelle des arts, des sciences et des disciplines qui les composent, permettant d’assurer une intégration si puissante qu’elle facilite non seulement un dialogue avec des objets issus d’autres périodes mais même avec les apports de sociétés d’avant ou d’ailleurs, où ce dispositif n’existait pas. Au moment où les systèmes « sciences » et « arts » se mettent progressivement en place, à partir de la Renaissance, les productions européennes ne disposaient d’aucune supériorité significative et n’étaient pas toujours plus dynamiques que celles des autres continents. Le processus de séparation vis-à-vis des autres activités a permis la comparabilité interne à chaque corpus disciplinaire et a favorisé une mise en histoire des sciences et des arts. Il en est résulté la possibilité d’une posture critique à l’égard de l’existant et la mise sur le même plan de la « tradition » (comme dans la musique européenne à forte contrainte conventionnelle des 16e-17e siècles), de l’« innovation » (comme celles qui, de Bach à Brahms, se sont faites au sein de la musique tonale) et de la « révolution » (comme avec l’école de Vienne au début du 20e siècle). La « science chinoise » ou la « science arabe » se sont progressivement trouvées marginalisées non seulement pendant les périodes où leurs lieux de production étaient devenus périphériques, mais aussi parce que les cadres sociaux dans lesquels elles avaient été productives ne permettaient pas aussi bien qu’en Europe la capitalisation dynamique des savoirs. C’est en étant finalement accueillies, par la petite porte, que la médecine chinoise ou la cartographie arabe ont, bien tardivement, pu « passer les tests » de la science occidentale, alors même qu’elles avaient eu pendant longtemps une grande « avance » sur elle.

Le paradoxe commun aux arts et aux sciences est que, d’un côté, c’est bien une singularité européenne puis occidentale qui a été imposée aux autres sous la forme de ces règles rigides mais que, d’un autre côté, ces contraintes ont fini par fonctionner comme règles du jeu somme toute assez aisées à s’approprier. Ainsi, la musique produite par des Africains en Afrique ou, ailleurs, par des artistes d’origine africaine a, dans des registres divers, pris une place considérable dans la création musicale contemporaine, alors que la matrice culturelle se composait de pratiques et de statuts peu compatibles avec les trois caractéristiques mentionnées plus haut. Pour leur part, les artistes et chercheurs japonais, puis chinois, ont pris pied dans la science et l’art sans avoir l’impression de renier leur identité. Dans la Chine d’aujourd’hui, la science et l’art « chinois » ont clairement été relégués au second plan par la science et l’art tout court.

Plus récemment, la démocratisation relative de la culture et l’esthétisation ainsi que la rationalisation du monde qui en découlent ont fait des arts et des sciences des cas particuliers d’univers bien plus larges, mais dont ils restent le cœur légitime. Arts et sciences proprement dit ne se sont l’un et l’autre jamais aussi bien portés, non seulement grâce au soutien des institutions, mais aussi parce que le public leur reconnaît une position éminente. Malgré les annonces récurrentes de la « fin de l’art » ou de l’épuisement inéluctable de la capacité des sciences à produire de nouvelles connaissances, rien ne laisse penser qu’un retour en arrière soit possible à cet égard.

Par ailleurs, comme dans les sciences, et pour la même raison d’une institutionnalisation puissante et intrusive, la fragmentation des arts en différentes disciplines étanches est la règle.

Dans ce contexte, un long malentendu s’est installé jusqu’à aujourd’hui sur ce qui est censé distinguer les sciences de l’art et en faire deux univers séparés. On a longtemps assigné les arts à l’« intuition » et à l’imagination, alors que la science relèverait de la maîtrise des abstractions et de la raison. Pourtant, les processus qu’on peut, sur le modèle de l’art, appeler créatifs sont extrêmement présents dans la science. On peut pourtant affirmer que, en général, la relation inductif/déductif ne diffère pas fondamentalement entre arts et sciences. Cependant, une bonne part du problème provient de la confusion entre le couple affectif/cognitif, d’un côté, et subjectif/objectif, de l’autre. On verra plus loin que, si l’on disjoint ces couples, les choses deviennent beaucoup plus claires.

De fait, à partir du 17e siècle européen, on a eu tendance à nommer « cartésienne » l’approche consistant à associer l’imagination à l’art et la raison, vue comme son contraire, à la science, qui possèderait, quant à elle, le monopole de la cognition. En fait, Descartes accorde une grande importance à l’imagination, mais la place, avec l’émotion, dans un ensemble qui regroupe l’art et les « passions » de la vie subjective (Van Wymeersch 1996). Dans cette perspective, l’imagination – la « folle du logis », selon Pascal – s’oppose terme à terme à la raison. Inversement, Baruch de Spinoza ou David Hume ont plaidé pour une réunification de ces deux mondes, et c’est seulement lorsque l’on a commencé à voir les limites de la dichotomie cartésienne que ces approches ont suscité l’intérêt. Aujourd’hui, on sait, en effet, à quel point l’imagination théorique joue un rôle essentiel dans la dynamique des sciences. L’imagination, comme ensemble de réalités non perçues par les sens ou, plus généralement, comme capacité à produire des univers idéels sans contreparties concrètes, se situe au cœur de la démarche hypothético-déductive, puisque c’est elle qui constitue le moteur de la construction d’hypothèses que l’on cherche ensuite à vérifier empiriquement. Or ce n’est pas là un phénomène contingent : l’imagination est décisive dans la science, pour les raisons qu’Immanuel Kant a identifiées dans sa Critique de la raison pure : il n’existe pas de connexion simple entre le réel et les représentations qu’on peut s’en faire, car ces deux réalités appartiennent à deux registres distincts. La construction de l’une en relation à l’autre suppose des opérateurs intellectuels, et l’imagination en est clairement l’un d’entre eux. Celle-ci peut être lue, à l’instar d’autres ressources intellectuelles, comme un lubrifiant permettant de gérer au mieux les inévitables frottements entre empirie et théorie.

L’enquête « Qu’est-ce que chercher ? », menée en 2010 par la revue EspacesTemps.net sur un campus européen comprenant une université généraliste, une école d’art et une école polytechnique, montrait (Lévy, 2013b) que, dans l’auto-analyse qu’en font les chercheurs, et ce indépendamment de leur spécialité, la pensée libre, la conversation sans objet, la rêverie, et en général les logiques sérendipiennes, qui laissent une grande place à la surprise, au hasard, au décentrement et à la déprogrammation, jouent un rôle central dans la découverte et dans la construction théorique. Au milieu du 20e siècle, Charles Wright Mills (2015) évoque l’imaginaire sociologique (« sociological imagination ») comme une ressource permettant au chercheur, sur des situations qu’il n’a pas lui-même vécues, de changer de perspective et de prendre en compte les contextes dans l’analyse d’une situation. L’ouvrage précurseur de Robert Nisbet, Sociology as an Art Form (1976), reprenant une idée déjà exprimée par l’auteur en 1962, insistait déjà fortement sur l’importance de l’imagination dans le travail scientifique. Il insistait sur l’intérêt d’aller au-delà d’une approche paresseuse et de chercher sérieusement les correspondances entre les deux modalités d’action :

« The artist’s interest in form or style is the scientist’s interest in structure or type. But artist and scientist alike are primarily concerned with the illumination of reality, with, in sum, the exploration of the unknown and, far from least, the interpretation of physical and human worlds » (Nisbet 1976, p. 10).

Symétriquement, la représentation de l’action de l’artiste comme recevant la grâce d’une « inspiration » céleste et la traduisant pour la rendre accessible aux humains était tellement similaire (et partiellement rivale) à celle de la révélation religieuse, expérimentée par Moïse, Jésus ou Mahomet, qu’elle a fini par devenir indéfendable dans une perspective séculière de l’action humaine. Cela ne veut pas dire qu’elle ait disparu. On peut constater que, dans ce domaine comme dans d’autres, lorsque la transcendance cesse d’être tenable, elle est parfois remplacée par l’immanence, cette métaphysique modeste qui permet de faire « remonter » les vapeurs de l’irréductible et de l’indicible de ce qui semble son contraire : la perception, les sensations, les sentiments. Dans cet esprit est apparu un usage nouveau du mot « sensible », qui englobe dans une même catégorie les affects individuels et les œuvres d’art. Celles-ci naîtraient d’une mystérieuse percolation des sensations et des sentiments et s’apparenteraient aux processus psychiques les moins conscients, par contraste avec le monde non sensible, celui de la raison conceptuelle. Cette « sensibilité » est devenue une des figures de survie et même de résistance des dichotomies cartésiennes. En fait, écrire un roman, peindre un tableau, composer un morceau ou réaliser un film supposent un grand nombre d’actions successives et coordonnées, s’appuyant sur un projet complexe. Créer une œuvre d’art implique aussi d’articuler le déductif (une idée forte qui s’écarte de l’existant) et l’inductif (des étonnements, des tâtonnements, des ajustements, des bricolages).

Nos découpages souffrent donc de l’inachèvement du processus de déconstruction/reconstruction de la place respective des sciences, des arts et de leurs relations dans un cadre intellectuel capable de situer, de manière encore plus générale, les productions culturelles les unes par rapport aux autres.

Explorations et comparaisons.

C’est dans cette ambiance, confuse sur le plan théorique, que l’on peut pourtant observer des rencontres de plus en plus nombreuses, plus ou moins approfondies et plus ou moins productives, entre arts et sciences, et plus particulièrement sciences sociales.

La plus évidente est celle des sciences de l’art. On peut y inclure, outre les approches de l’« art comme phénomène sociétal », les différentes approches de l’activité esthétique comme dimension du psychisme. Les travaux de philosophes ont souvent fait œuvre pionnière en la matière, montrant qu’il était possible de proposer un discours sur l’art qui ne soit ni une paraphrase, ni une révérence.

Comme élément de la vie sociale, l’art devient un objet d’étude logique et les chercheurs en viennent à l’observer et à l’interpréter. Ce n’est pourtant pas si simple, car les institutions artistiques ont aussi engendré leur propre domaine à visée scientifique, qui reprend les divisions disciplinaires : l’« histoire de l’art » est, par exemple, une excroissance du monde des arts plastiques. Cette segmentation s’est légitimée par une maîtrise technique qui a été d’une certaine manière validée par une retenue symétrique de chercheurs en sciences sociales, qui hésitent à s’aventurer sur un terrain où leur légitimité risque d’être contestée. En conséquence, les recherches menées par les historiens et les sociologues des arts évitent souvent d’entrer de plain-pied dans l’analyse de l’action esthétique, ce qui aboutit à des études où l’art est traité, selon la démarche explicitement proposée par Pierre Bourdieu (1992), comme un « champ » parmi d’autres, l’innovation esthétique ne constituant que le matériau d’autre chose. Cette démarche est d’ailleurs similaire à celle, appliquée aux sciences, de Bruno Latour (1989), qui a pris utilement en compte la composante sociologique ou politique de l’histoire des sciences, mais en ignorant ce qui se joue en matière de connaissance. Pourtant, l’existence confirmée et la consistance remarquable même de l’activité « arts » comme réalité sociale distincte d’autres réalités montre que l’on perd beaucoup à considérer les œuvres seulement comme des sources d’informations ou des projets de distinctions sociales.

Ainsi, peut-on faire de l’histoire de la musique sans entrer dans l’histoire propre de l’invention musicale ? Mais, inversement, peut-on faire une histoire de la musique déconnectée de l’histoire tout court ? Faute de répondre à ces questions, les sciences des arts resteront clivées entre une vision enclavée, appelée parfois la « critique » (au sens des recensions journalistiques des œuvres) et une approche qui vide les productions esthétiques de leur spécificité.

La deuxième démarche est comparative. Elle consiste à comparer les arts et les sciences du point de vue de leurs configurations sociales, qui dans les deux cas gagnent à être décrites en identifiant les acteurs, qui ne sont pas seulement les « émetteurs » d’œuvres ou de théories. Développant une approche interactionniste, Howard Becker (1988) a parlé à juste raison des « mondes de l’art ». Cela tient pour une part à l’activité elle-même. Le poids des disciplines est, effectivement, au moins aussi lourd dans les arts que dans les sciences. La technicité des pratiques et les traditions corporatives ont conduit à des univers séparés. Cependant, les projets interdisciplinaires, de plus en plus nombreux, montrent que les passages de frontières ne posent pas de problèmes insurmontables. Deux autres logiques, interdépendantes, expliquent ce morcellement : la relation à l’argent et l’équilibre art savant/art populaire.

L’immense majorité des écrivains publiés ne tirent pratiquement aucun revenu de leur production et exercent par ailleurs un emploi plus rémunérateur. Même disposant d’une notoriété significative, les metteurs en scène de théâtre, les compositeurs de musique et les chorégraphes sont dans l’ensemble mal rémunérés, tandis que la plus grande partie de leurs interprètes sont des salariés modestes, souvent précaires. Dans les arts plastiques, qui font l’objet de placements financiers parfois considérables, le contraste est spectaculaire entre ceux qui réussissent à se faire une place et les autres. Une situation comparable se rencontre dans le cinéma et les variétés, où quelques stars éclipsent la masse de ceux qui peinent à survivre dans le métier.

Par ailleurs, au cours de l’histoire, les disciplines artistiques ont différencié leurs positionnements culturels tout comme les disciplines scientifiques. La littérature montre des pôles savant et populaire bien distincts, mais avec un certain continuum entre les « romans de gare » ou « de genre » et les productions les plus originales. C’est aussi le cas du théâtre où le « boulevard » et les « avant-gardes » diffèrent sur de nombreux aspects, mais non sans ménager quelques zones grises, moins faciles à classer. Plus radicalement, le cinéma est, de manière écrasante depuis l’invention du parlant, un art destiné à de larges audiences, les « films d’auteurs » ou le « cinéma d’art et d’essai » étant confinés à la marginalité et contraints à un certain mimétisme vis-à-vis du main stream, ne serait-ce que pour accéder au public. Ce sont ici les « genres » qui dominent et qui prédéterminent une grande part du contenu du film. Le cinéma est une industrie où il faut plaire à des spectateurs qui espèrent que l’on dépense des sommes considérables pour fabriquer un film qui ne rentabilisera que si la diffusion est massive : cette rétroaction définit un modèle économique et culturel qui freine la connexion avec les autres arts. Dans le cas de la musique, au contraire, la scission est consommée entre le vaste domaine des variétés et la musique contemporaine qui, depuis l’école de Vienne et la mondialisation de son matériel sonore, se sépare aussi de la « musique classique européenne ». Quelques objets intermédiaires flottants, produits par hybridation (comme les musiques électro-acoustiques) ou par création de niches (comme le jazz et les « musiques du Monde », issues de sociétés où la distinction entre le savant et le populaire est moins présente), parviennent à exister. On trouve une situation comparable en danse, où la « danse de salon » et la danse de variété (souvent liée à une scène musicale homologue) entretiennent peu de rapports avec la danse contemporaine, qui s’est créée au cours du 20e siècle par une révolution au sein de la « danse classique » occidentale.

Si on tente de comparer terme à terme cette configuration à celle des sciences, on est frappé de leur ressemblance. En sciences, la spécificité des disciplines a aussi à voir avec la combinaison complexe entre logiques internes du domaine, avec ses techniques et son histoire culturelle propre, et les attentes de la société, ces deux éléments contribuant à fabriquer un type de chercheur économiquement et sociologiquement situé, mais aussi un type de production qui n’est pas strictement équivalent d’une discipline à l’autre. On rencontre, comme dans les arts, les différences de financements entre le public et le privé et entre les usages sociaux des travaux scientifiques : le grand public attend des astrophysiciens la description de paysages fantastiques propres à faire rêver mais, des chercheurs en biotech, des traitements médicaux immédiatement efficaces. De manière similaire, la place respective des sociologues et des économistes se situe sur des versants différents de nombreuses lignes de clivage qui portent sur le registre des énoncés attendus, les techniques employées, le genre de métiers pratiqués, le rapport à l’argent ou le type d’utilité sociale.

On discerne aussi une résonance, dans les arts, à l’opposition entre recherches fondamentales et appliquées, qui existe dans les sciences. Les « technologues » ou les ingénieurs « esthétiques » sont ceux qui synthétisent dans une action non artistique des logiques esthétiques qu’ils vont chercher ailleurs ou qu’ils contribuent, dans leur activité propre, à faire évoluer. Le plus remarquable est que ces mondes de l’architecture, du design et des « arts décoratifs » relèvent aussi, pour la plupart, des sciences appliquées. On peut aussi noter la forte présence des mathématiques (qu’on peut, dans ce cas, traiter comme un monde à part) comme outil multiforme dans les arts et dans les sciences et ce, depuis encore plus longtemps que l’émergence distincte de ces trois domaines. En outre, il existe, dans les deux cas, une vaste « périphérie », très consistante (éducation, journalisme ou gestion des entreprises dans l’univers des sciences sociales ; artisanat et métiers de la mode dans les arts), qui entretient des rapports plus ou moins assumée avec les « centres » scientifiques ou artistiques. Howard Becker (2007) distingue les « fabricants » des « usagers », chacun des groupes ayant un pouvoir de représentation social tout à fait comparable à ce qui se passe entre « théoriciens » et « vulgarisateurs » dans le domaine des sciences. Dans les deux mondes, on rencontre à la fois des amateurs et des professionnels, avec des frontières mouvantes et des interactions variées entre les deux groupes.

Enfin, dans les deux cas, les barrières disciplinaires restent lourdes et tenaces et donnent lieu à des imaginaires hiérarchisés dans lesquels son propre domaine est vu comme l’art ou la science par excellence, tandis que tous les autres sont perçus comme secondaires. Ainsi, les arts plastiques sont souvent définis comme l’« art », tandis que les sciences de la nature seraient tout simplement « la science ». En arts comme en sciences, les praticiens ont du mal, au-delà des discours et d’initiatives prometteuses mais qui restent lacunaires, à pratiquer une véritable interdisciplinarité, même dans les espaces intellectuels proches. Dans le corps médian des sciences sociales (anthropologie, sociologie, science politique, géographie, histoire), où les problèmes d’intercompréhension sont faibles et les concepts communs nombreux, les collaborations d’une discipline à l’autre demeurent faibles, sans doute pour des raisons à rechercher dans les dimensions sociologique et politique de la division du travail (Wallerstein 1995). Dans le cinéma à visée esthétique, les univers des « cinéastes » et des « vidéastes » restent séparés même si, techniquement, la distinction a perdu son sens, tandis que les « films de plasticiens » continuent à être montrés dans des dispositifs spécifiques, indépendamment des différences propres, pourtant de moins en moins visibles.

Passerelles.

De ces deux premières séries de réflexions, on peut conclure qu’il y a des parallélismes stimulants et qu’il y a matière à rencontre. La troisième dimension à considérer est celle des rencontres directes.

Notons d’abord que le regard des arts sur le monde a changé depuis que les sciences existent et inversement. Le 20e siècle marque une mutation à cet égard. À la fois parce qu’il y a des choses qu’on ne peut plus faire (Balzac, Flaubert ou Zola pratiquant de la « proto-science sociale ») et parce que l’interaction avec un univers culturel différent mais proche change par l’explicitation simultanée du « D’où je viens » et du « Vers quoi je me tourne ». Il existe en pratique, plus que jamais, une multitude de trade-off zones entre arts et sciences, au sens où chacun peut s’estimer légitime à y intervenir, à partir de son point de vue d’artiste et de chercheur, sans avoir l’impression de franchir une barrière de légitimité. C’est particulièrement net dans le domaine des productions écrites se situant aux frontières entre sciences sociales, journalisme et littérature – ou dans les trois univers à la fois –, avec de nombreux textes difficiles à classer.

Il existe ainsi un ensemble d’idées et d’œuvres appartenant clairement au monde des arts et qui sont également abordables comme des apports à la recherche scientifique. Ainsi en est-il des techniques de réflexivité développées au cinéma par Dziga Vertov, puis relancées dans le cinéma européen des années 1960, ou au théâtre depuis Bertolt Brecht, et qui ont servi de socle à une grande partie du théâtre contemporain. Ces techniques, telles que la rupture discursive qui permet la « distanciation » (le Verfremdungseffekt de Brecht) du spectateur vis-à-vis de ce qu’on lui présente, se situent explicitement dans un cadre épistémologique que, sans toujours l’énoncer ou même y être fidèles, les chercheurs sont tous censés adopter : celui de viser l’augmentation de la lucidité du récepteur en donnant le maximum d’outils permettant la reconstruction du travail présenté, et même sa réfutation.

Dans un autre registre, des écrivains comme Italo Calvino ou Georges Perec ont produit des œuvres, comme Les villes invisibles (1974) ou Espèces d’espaces (1974), qui auraient (et ont effectivement) tout à fait leur place dans une bibliographie scientifique en géographie ou en urbanisme. Dans Les villes invisibles, Calvino isole dans chaque « fiche » consacrée à une ville imaginaire une caractéristique, poussée à sa limite, qui permet de développer sous une multitude d’angles un concept d’urbanité qui court dans l’ensemble du texte. Cette démarche est très comparable à celle de la recherche expérimentale, d’autant que Perec comme Calvino se sont affranchis des contraintes narratives : leurs livres ne sont pas des récits mais évoquent plutôt, dans un cas, le style de l’essai et, dans l’autre, un hybride entre un rapport de recherche et une série de notes personnelles non chronologiques. Howard Becker (2007, p. 262-293) repère ces deux auteurs comme de remarquables passeurs de frontières.

La catégorie de l’essai dans son ensemble mérite attention, car elle permet un certain affranchissement des règles classiques de l’exposition scientifique et facilite synthèses et conjectures. Toute l’œuvre d’Erving Goffman, dont l’apport est justement reconnu, se situe dans un univers qui reconnaît simultanément les exigences de la recherche et l’utilité, pas seulement communicationnelle, mais aussi directement cognitive, d’une expression fluide et ouverte. Dans le même sens, les dernières décennies ont été marquées par un approfondissement de la réflexion sur la dimension fictionnelle du travail scientifique, notamment en histoire (Ricœur 1983) (Rancière 1992) (Prost 1996). Les relations entre écriture romanesque et historiographie se retrouvent dans le même goût pour l’homologie narrative entre temporalité du référent et temporalité de l’énonciation. Dit plus simplement, les écrivains et les historiens recourent volontiers à la technique du récit. On peut mentionner les films réalisés par Jean Rouch, qui interpénètrent les techniques de l’anthropologie visuelle et les conventions narratives du cinéma de fiction pour expérimenter et théoriser dans le cadre de son travail d’ethnologue. Plus analytiquement, les langages de la partie la plus réflexive du cinéma de fiction peuvent être considérés comme une ressource pour la réalisation de films scientifiques (Lévy 2013a). On peut citer aussi les tentatives de Bruno Latour de recourir au langage théâtral pour traiter, en chercheur, les controverses scientifiques et politiques.

Si l’on franchit la « frontière » qui sépare officiellement sciences et arts, on constate – et c’est une réalité peu contestée – que, depuis longtemps, des œuvres d’art apportent des connaissances de qualité sur la vie sociale. De fait, pour comparer les relations amoureuses d’aujourd’hui à celles d’autres sociétés, la sociologue Eva Illouz (2012) n’hésite pas à utiliser les romans anglais du 19e siècle non seulement comme une source d’informations mais même comme un rapport d’enquête sur les relations interpersonnelles dans la société de référence. Jane Austen et Edith Wharton se trouvent sur le même registre bibliographique que des universitaires historiens du mariage ou sociologues de la séduction. Cependant, depuis Charles Dickens, Honoré de Balzac ou Émile Zola, quelque chose a changé. Entretemps, les sciences sociales se sont consacrées à un lent travail de description et d’exploration des mondes sociaux et elles ont construit des théories sur lesquelles les chercheurs argumentent et discutent. L’apport propre des arts s’est déplacé vers son « avantage comparatif », c’est-à-dire vers ce que les sciences ont le plus de mal à faire : ce qu’on appelle fiction, et qui consiste en des inventions plus libres, moins soumises à validation empirique immédiate, mais qui les rapprochent, paradoxalement, d’une dimension essentielle de la recherche scientifique, celle de l’expérimentation, dans laquelle les sciences sociales se sentent moins à l’aise que d’autres sciences.

Grâce à cette liberté, associée à une forte cohérence, Les Bienveillantes (Jonathan Littell, 2006), Le fils de Saul (Lázló Nemes, 2015) ou même La vita è bella (Roberto Benigni, 1997) ont porté des regards nouveaux sur les camps d’extermination, un terrain pourtant déjà profondément labouré par les historiens du nazisme. Cependant, l’un des apports majeurs de connaissance sur les camps a été offert par des écrivains (en particulier Robert Antelme, Charlotte Delbo, Imre Kertész, Primo Levi, Jorge Semprún) qui ont fait bien plus que témoigner mais, en travaillant en profondeur leur expérience, ont ouvert des horizons épistémologiques et théoriques inédits. Être sans destin de Kertész peut être présenté comme une contribution exceptionnelle à la connaissance du phénomène « individu » dans les sociétés contemporaines, au même titre que La société des individus de Norbert Elias (1939-1987) ou que La transformation de l’intimité d’Anthony Giddens (1992). Cela paraît presque invraisemblable, puisque ce livre a été écrit par Kertész dans des conditions où l’individu qu’il était lui-même était écrasé par des forces monstrueuses, mais c’est justement parce qu’il « bénéficiait » d’un contexte expérimental poussé à une double limite extrême (celle de sa séquence de vie à Auschwitz et celle de l’expérience subjective de cette séquence) qu’il a pu construire ces énoncés profondément novateurs, qui font de la virtualité d’« être sans destin » une caractéristique fondamentale de l’individualité, même quand toute actualisation se révèle impossible.

Plus récemment, l’utilisation de la très longue durée cinématographique offerte par le format des séries audiovisuelles a abouti à la naissance d’objets quasi-documentaires, avec des productions emblématiques telles que Heimat (Edgar Reitz, 1985-2013), The Wire (Sur écoute) (David Simon et Ed Burns, 2002-2008) ou Baron Noir (Éric Benzekri, Jean-Baptiste Delafon, Ziad Doueiri et Thomas Finkielkraut, 2016-2018).

Le locative media art est aussi un bon exemple de domaine esthétique fortement relié aux sciences sociales de l’espace et aux technologies de la géolocalisation. On pourrait encore s’intéresser à un personnage comme Jaime Serra[1], « infographe », qui se situe en ce sens dans le sillage de Charles-Joseph Minard (1781-1870) et d’Edward Tufte (1983), mais qui va plus loin que ses prédécesseurs en associant à un très haut niveau d’exigence deux types de combinaisons singulières : entre les arts plastiques et la communication visuelle, d’une part, entre auto-analyse biographique et sciences sociales, d’autre part.

Dans le même esprit, on peut citer le parcours de Douglas Harper, à la fois photographe reconnu comme artiste et sociologue du visuel qui, tout en se situant dans la vaste lignée de la photographe documentaire à forte composante esthétique, propose simultanément et, pourrait-on dire, du même mouvement, des démarches méthodologiques utilisant la photographie dans une perspective appartenant clairement à l’univers des sciences sociales.

Presque la même chose, mais pas tout à fait, mais presque…

La notion de musique spectrale, dont Hugues Dufourt a inventé le terme en tant que chercheur et qu’il pratique comme compositeur, peut être lue comme une extension de l’instant musical en durée. La notion de lieu réticulaire que développe le géographe du numérique Boris Beaude consiste dans l’idée qu’un lieu (c’est-à-dire un espace sans distance interne pertinente) peut être vu comme une aire, réseau ou territoire, qui aurait été comprimée jusqu’à un point-limite. Ces deux approches disent des choses comparables à propos de temps et d’espace et, bien que l’un soit plutôt artiste et l’autre chercheur, ils se posent des questions qu’il n’est peut-être pas si difficile d’exprimer dans le même langage. On peut être tenté par la métaphore d’un Janus bifrons ou des deux versants d’une même montagne.

Ce genre d’exemple permet d’imaginer ce que pourrait être une hybridation du travail de la science et de celui des arts. Dans tous ces cas, plutôt que d’opposition terme à terme, on a tout intérêt à raisonner en termes de gradients : on trouve de la science plus ou moins « artialisée » et de l’art plus ou moins « scientisé », sans que cette spécificité rende forcément les productions obtenues étrangères à leur biotope d’origine.

Quand la rencontre peut se faire à petite doses et sans préparation sérieuse, le risque pourrait être alors de créer de nouveaux malentendus. D’un côté, que les chercheurs voient l’art comme un « supplément d’âme » agréable mais extérieur, leur permettant le temps d’une pause récréative dans un colloque, en négligeant tout ce qu’il y a de commun dans les démarches et du coup, en confortant ce qu’il y a de moins créatif dans leur activité. Vu du côté des artistes, le danger serait que ceux-ci ne doivent assimiler, de la science, que ce qui est le moins innovant et le plus figé et doivent s’y résoudre comme un point de passage obligé, notamment pour des raisons institutionnelles (par exemple : soutenir une thèse pour obtenir un poste de professeur d’art), accepter les tendances actuelles à la standardisation de l’évaluation scientifique pour mieux conclure que l’art, c’est vraiment autre chose…

Le pire des deux mondes est possible : art corrompu, science conformiste. On peut seulement objecter que ces mondes existent et que, si on veut s’y confiner, nul besoin d’aller chercher chez le voisin des justifications.

Au-delà de l’échange d’expériences réciproques, on peut s’interroger sur la possibilité de construire un cadre commun. Cela suppose une problématisation claire. Les lignes qui suivent visent à avancer dans cette direction.

Arts et sciences comme productions culturelles à dominante cognitive.

À ce stade du raisonnement, une définition de l’art et de la science (ou plus précisément de l’esthétique et de la scientificité) s’impose. Remarquons d’entrée que de telles définitions ne sont pas courantes. Ainsi, si l’on regarde la définition d’art dans l’article « Art » de Wikipédia en français (c’est encore plus vague dans la notice anglaise), on constate que ce qui est dit de l’art s’appliquerait parfaitement, non seulement à la science, mais à toute activité culturelle… au point que l’art est présenté comme le contraire de « la Nature ». Dans diverses versions, en différentes langues, de cette même encyclopédie, l’art est renvoyé à l’esthétique, l’esthétique à la beauté et la beauté se perd dans un brouillard définitionnel, dans lequel on saisit un renvoi… à l’esthétique et à l’art. Dans la définition de la science (en anglais comme en français), c’est nettement plus précis sur la méthode (observations vérifiables, raisonnements rigoureux) mais cette fois, on ne définit pas une non-science à laquelle la science s’opposerait, ce qui serait pourtant nécessaire puisque la science est présentée comme une des activités visant à la connaissance, ce qui suppose qu’elle n’est pas la seule.

Face à ce mélange inextricable de tautologies et d’opacité, nous adoptons quant à nous un choix différent, caractérisé par une recherche de cohérence maximale de la définition. Il s’agit d’une double arborescence (présentée ici sous forme de tableau, voir figure 1) des productions culturelles, dont arts et sciences sont des composantes définies en compréhension. Cela signifie que, si l’on suit cette approche générative, on disposera d’un socle solide sur lequel pourront s’ajouter des conséquences, des corrélats, des développements qui seront des déploiements des notions, et non une possible remise en cause des principes initiaux.

Dans cet esprit, on peut poser l’hypothèse selon laquelle les arts et les sciences appartiennent au monde de la connaissance. Comme le montre le tableau (figure 1), ils se distinguent par le caractère subjectif plutôt qu’objectif des logiques de leur construction, mais se rapprochent par le fait qu’ils relèvent du cognitif et non de l’affectif. En pratique, les règles de production et de communication des énoncés scientifiques visent à une indépendance de ces énoncés, tant vis-à-vis de l’émetteur que du récepteur, tandis que dans les arts, la subjectivité de l’un et de l’autre est acceptée et bienvenue comme partie intégrante de la production cognitive.

Ce n’est pas une idée nouvelle. En 1972, Gunther Stent écrivait : « Both the arts and sciences are activities that endeavor to discover and communicate truths about the world » (p. 89). Ce biologiste et philosophe des sciences ne s’est pas contenté de généralités plaisantes. Il a pris le temps d’explorer des situations productives concrètes en art et en science, il a dialogué avec le musicologue Leonard Meyer, qui contestait l’importance des ressemblances entre les deux domaines. Stent a ainsi montré que la différence entre « découverte » et « création » était faible et que l’unicité, célébrée pour l’œuvre d’art, se retrouvait tout à fait dans la singularité du processus de recherche, à condition bien sûr que la démarche comparative soit rigoureuse. Ce n’est pas l’objet d’art qui est unique (c’est un cas particulier dans la peinture classique, qui ne se retrouve nulle part ailleurs), mais la création, l’invention de quelque chose d’inédit, et les sciences et les arts sont très similaires à cet égard. De même, la relation entre singularité du producteur d’art ou de science et créativité se retrouve dans les deux univers. Il y a certes du collectif et de l’institution partout, il y a des équipes, il y a des référents culturels et des patrimoines accumulés sur de longues durées, mais il n’empêche que le rôle de la personnalité du chercheur n’est jamais négligeable dans l’avènement de l’original.

Figure 1. Un classement des productions culturelles contemporaines.

Cette ressemblance (même colonne) et cette dissemblance (deux lignes différentes) présentent un cadre initial à partir duquel on peut réfléchir à des rencontres, certaines déjà effectives, d’autres à inventer, entre sciences et arts. En présentant les choses ainsi, il ne s’agit pas seulement de reconnaître une contribution cognitive aux arts en plus de leur contenu esthétique, mais de considérer cette esthétique comme fondamentalement cognitive. Cette manière de voir se détourne des oppositions qui ont marqué le 19e et le 20e siècles entre « l’art pour l’art » et l’art « réaliste » (et qui ne sont d’ailleurs pas sans similarité avec l’opposition entre recherche « fondamentale » et recherche « appliquée »). Ces distinctions traduisent surtout la difficulté de leurs utilisateurs à comprendre ou à admettre la contribution spécifique des artistes. Les traces de l’ontologie métaphysique, qui plaçait le beau dans un monde extérieur à la société, et notamment à son historicité et à sa géographicité, subsistent. Beaucoup de commentateurs, parfois savants, continuent de croire à une exception esthétique qui placerait les arts en dehors des logiques de fonctionnement ou d’évolution ordinaires. La première chose à faire pour que la science sociale puisse rencontrer l’art consiste, d’un même mouvement, à situer et à spécifier l’action esthétique.

Ce tableau ne présente cependant qu’un aspect, topologique, de la relation entre productions culturelles. En fait, chaque case doit être vue comme un point de vue sur toutes les autres. Malgré tout le mouvement, lancé en Occident, de séparation des genres culturels, les interactions sont incontestables et il ne sert à rien de les nier. Du coup, chaque couple reliant une case à une autre fait sens et mérite attention. Plus tôt dans ce texte ont été évoquées les relations entre ce qu’il y a de plus affectif et subjectif et les productions cognitives, tant esthétiques que scientifiques. Les affects constituent un arrière-plan qui ne peut être ignoré à cet égard car, en offrant des motivations, des expériences, des sensations, des imaginaires, il permet des décalages utilisables ailleurs et il constitue une des « forces productives » de la science et de l’art. De même, la relation à la case affectif-objectif contenant l’éthique, le droit et le politique, impacte les mondes cognitifs. L’art engagé, le « social turn » des artistes que signale Claire Bishop (2006) sont une réalité ancienne, de même que les travaux de chercheurs affirmant clairement ou exprimant de fait une orientation idéologique propre. Cela peut apporter des ressources supplémentaires, mais aussi écraser la dimension cognitive sur une autre. La tentative la plus aboutie pour combiner, d’un bout à l’autre de la démarche, science et idéologie, fut celle du marxisme, et on peut douter, avec le recul, que ce choix ait été convaincant, sur les deux versants. Toute la question est de savoir si les sciences et les arts conservent une autonomie suffisante pour que leur raison d’être puisse subsister et même prospérer.

Ce qu’on peut conclure de ces remarques, en tout cas, c’est que, face aux autres productions culturelles, sciences et arts se trouvent dans une situation assez similaire.

Ressemblances et dissemblances : là où on ne les attend pas.

On peut alors essayer, plus précisément, d’identifier ressemblances et différences. C’est ce que donnent les tableaux suivants (figures 2 et 3).

La principale ressemblance, si forte que les mêmes termes s’imposent dans les deux domaines, c’est l’historicité. Arts et sciences appartiennent tous deux à des temporalités typiquement humaines, qui se caractérisent par la production d’inédit et la cumulativité partielle de ces productions. Il n’y a pas plus de Beau que de Vrai en soi, planant sur le monde des humains ou cachés quelque part et attendant d’être dévoilés. Il y a des processus d’esthétisation et de rationalisation, qui sont les produits des autres dimensions de l’historicité mais qui, à leur tour, contribuent à changer le monde social. Ni le beau ni le vrai ne viennent de nulle part et ne peuvent être considérés, à aucun moment de leur genèse, comme arbitraires, car ils sont toujours tenus par une interaction de l’artiste ou du chercheur avec une multiplicité de « contre-pouvoirs » actifs dans la société. Inversement, les beautés et les vérités installées peuvent toujours être remises en cause et le confort d’une conformité à une beauté « naturelle » ou à une vérité « de bon sens » peut être contesté. Cela signifie que l’idée de beauté ou de vérité ne contient pas de contenu positif prédéterminé. Il est toujours possible de dire : « Je vais vous démontrer/donner à voir quelque chose que je tiens pour vrai/beau en dépit de la tradition ou de la convention ».

L’une des conséquences de cette dynamique en tension entre acteurs sociaux (socialité) et environnements (sociétalité) est que l’émergence du premier de ces deux pôles, dans l’Europe des 15e-19e siècles, qui a permis la naissance de la figure du chercheur et de l’artiste, a fortement à voir avec l’émergence de l’individu comme acteur. Cela se manifeste notamment par la valorisation d’une construction esthétique propre du réel – face à l’idée que le sacré ou la nature suffiraient à engendrer le beau – et par l’impératif de « désenchantement » rationnel, qui, là aussi, donne des marges d’autonomie par rapport à la métaphysique ou à un soi-disant ordre naturel des choses.

Si l’idée de « progrès » en arts reste davantage combattue qu’elle ne l’est dans les sciences, c’est pour partie en raison d’un malentendu. Il s’agit plutôt de contester la valeur intrinsèque de la nouveauté, à l’aulne de laquelle tout projet esthétique serait évalué. La nouveauté s’oppose ici à la novation (« innovation », « création »), qui n’exige pas forcément de rupture directe avec l’existant, mais bien un décalage, une nouvelle manière de poser les problèmes, une nouvelle méthode d’approche ou une nouvelle technique. Artistes et chercheurs inventent souvent en se référant aux principes, non complètement réalisés, de leurs prédécesseurs. Les grandes recompositions de la physique (Copernic, Newton, Einstein) visent à chaque fois à reprendre un problème jugé mal construit et à en donner une solution plus « élégante ». C’est exactement ce que propose les musiciens de l’école de Vienne : prendre au sérieux les dispositions à l’innovation présentes dans la musique européenne des 18e-19e siècles, mais éliminer l’élément (la tonalité) de blocage qui entravait son développement. Il n’y a donc pas plus d’art que de science sans « état de l’art ». Même si les oppositions sont souvent plus complexes et enchevêtrées qu’il n’y paraît, on retrouve logiquement, dans les sciences comme dans les arts, la tension entre une continuité à faible capacité de novation (« science normale », arts « bourgeois ») et une discontinuité disruptive (« science révolutionnaire », révolutions esthétiques). L’idée que l’art pourrait s’abstraire, du côté des producteurs comme des consommateurs, d’une historicité de la culture et que sa circulation se fonderait sur des dispositions naturelles des acteurs concernés ne résiste pas un instant aux travaux de sociologie ou d’histoire des arts, fortement consensuels sur ce point.

Figure 2. Ressemblances.

On peut en tirer l’idée que sciences et arts possèdent des référents proches, même si la relation de signification (plus que le langage) diffère. Même dans les arts les moins figuratifs, il y a toujours un extérieur, un monde hors de l’art qu’il faut nécessairement inviter dans la conversation entre l’artiste et le récepteur de l’œuvre. Les auteurs de travaux scientifiques sont autant des auteurs et des individus-acteurs influencés par les autres aspects de leur personnalité (par exemple l’idéologie ou l’« intérêt ») mais, en explicitant systématiquement leurs hypothèses et leurs méthodes, ils sont en mesure d’atteindre une réelle autonomie de leur projet de connaissance. De leur côté, grâce aux libertés qu’ils peuvent prendre par rapport à l’explicite et au réplicable, les artistes peuvent plus facilement déceler des signaux faibles qui risqueraient de passer au travers d’une méthodologie trop construite. Il y a là une vraie différence qu’Umberto Eco (1965) a explorée de manière systématique : la polysémie et l’ouverture des interprétations constituent une ressource productive essentielle pour les arts, tandis qu’elle semble, par principe, devoir être bannie du travail scientifique. Semble, car, même volontaire et systématique, cette exclusion reste partielle dans les sciences. D’une part, l’idéologie ou la subjectivité du chercheur se cache dans une multitude de recoins, d’autre part, plus généralement, les productions scientifiques qui vont le plus loin dans l’usage de la logique formelle, qui excluent le tiers », ne constituent pas, loin s’en faut, l’essentiel des énoncés, y compris dans les sciences de la nature en particulier dans les moins formalisées d’entre elles (biologie, sciences de la Terre et bien sûr sciences du social). Michael Lynch (1991) a montré que les objets graphiques à langage spatial (ceux qui relèvent de ce qu’on appelle aujourd’hui « visualisation » des idées ou des données) sont le résultat d’un imaginaire complexe qui implique des considérations esthétiques et différents types d’attitudes réflexives. Ainsi, la polysémie s’insinue-t-elle dans les schémas et les diagrammes, qui sont pourtant conçus pour pallier aux faiblesses formelles de la langue. La différence reste présente et forte, mais mérite d’être pensée dans un continuum plus que dans une rupture topologique simple.

Figure 3. Différences.

Chercheurs et artistes produisent des outils d’interprétation qui, appropriés par leurs consommateurs, peuvent leur donner davantage de prise idéelle ou matérielle sur le monde, ce qu’on appelle connaissance.

Ni l’art ni la science ne sont des restitutions perceptives du réel, pas plus que des émissions étrangères au monde extérieur. Dans les arts comme dans les sciences, ce n’est pas un entre-deux, mais un autre chose, ni une sagesse pratique, ni une métaphysique. L’expression de Gaston Bachelard (1934), « La science simplifie le réel et complique la raison », s’applique assez facilement à l’art (en remplaçant peut-être raison par « pensée »), tandis que la formule de Paul Klee (dans sa Schöpferische Konfession), « L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible », pourrait avoir été conçue pour la science. Pour rendre compte du travail scientifique, on pourrait généraliser le « visible » au « perceptible », mais cet élargissement s’appliquerait tout autant aux arts. Arts et sciences se complètent dans la production de connaissance. Ce qui pour un romancier s’appelle trame, intrigue, fiction, devient problématique, modèle, théorie pour le chercheur. Dans la construction esthétique du réel, les arts ont l’avantage de pouvoir travailler de manière plus fluide sur les mondes vraisemblables ou imaginaires, et ils peuvent aller plus loin et/ou plus rapidement que les sciences en matière d’expérimentation, de simulation, de stylisation des réalités approchées. Cela leur permet de saisir et de traiter plus facilement les signaux faibles des réalités émergentes et d’inclure ces virtualités dans des expérimentations vraisemblables. Inversement, les sciences ont pour elles la force des règles de contrôle qui les forcent à traiter la tension empirie/théorie de la manière la plus rigoureuse possible. Elles peuvent ainsi plus aisément solidifier les conjectures en énoncés.

Dans les deux cas, le travail permet de passer de la complication à la complexité, de réduire le foisonnement et l’indéchiffrabilité du réel. Des deux côtés, la réflexivité sans limite. La créativité vient du décalage, du déplacement de la marge (Dogan et Pahre 1991). L’ouverture aux altérités cognitives conduit à aller chercher des inspirations dans le plus proche du lointain et dans le plus lointain du proche, ce qui signifie notamment parler aux artistes quand on est chercheur, et aux chercheurs quand on est artiste.

Un programme fort.

Comment tirer parti de ce constat qui donne aux chercheurs comme aux artistes des pistes prometteuses et de lourdes responsabilités ? Nous esquissons un programme de travail ambitieux, qui vise un objectif commun et qui peut s’organiser en actions très différentes les unes des autres, à la fois par l’ampleur des dispositifs à mettre en place et par la méthode utilisée.

1. Explicitations réciproques.

En reprenant la démarche élémentaire la philosophie analytique : « What exactly do you mean by… ? » et en l’appliquant symétriquement, on peut chercher à traduire dans son langage les énoncés des autres. C’est un travail difficile, parfois vain. C’est en tout cas un moment ingrat à certains égards : lever des malentendus implique souvent de remonter très en amont des approches des uns et des autres et de faire émerger des a priori qui étaient restés implicites. Si elle réussit, l’expérience permet de pouvoir utiliser les travaux d’un artiste avec les objectifs d’un chercheur, et inversement. C’est un domaine dans lequel les philosophes disposés à entrer avec chercheurs et artistes dans une logique horizontale peuvent trouver un nouveau champ d’expérience, pour stimuler la circulation et l’altération des significations d’un domaine à l’autre. Ils peuvent ainsi accélérer les vitesses de collision sur le synchrotron du « cercle herméneutique ».

2. Interfaces de mutualisation réflexive.

On peut construire des dispositifs de rencontre de type sang/oxygène dans les poumons, entre des manières de travailler initialement distinctes mais qui se rejoignent par leur souci de réflexivité. Plusieurs modalités de mutualisation de l’auto-analyse sont possibles : dans le processus de connaissance, dans les langages, dans les méthodes, dans la communication vers l’extérieur. Concrètement, cela pourrait donner lieu à des échanges d’expériences qui pourraient déboucher sur l’identification de pratiques transposables dans d’autres domaines.

3. Invention d’hybrides.

La production de nouvelles réalités, que chercheurs ou artistes seuls n’auraient pas pu obtenir, suppose un long travail collaboratif sur des questions repérées au départ comme connexes ou convergentes et qui sont perçues par les uns et les autres comme difficiles, voire impossibles à traiter. Cela demande des efforts de métabolisation complexes, mais sans doute pas plus pénibles que lorsqu’il s’agit de franchir les frontières entre disciplines, entre écoles de pensée, à l’intérieur des arts ou des sciences. On peut aussi penser à des projets définis ensemble : que se passerait-t-il si l’on demandait à un groupe constitué de chercheurs et d’artistes d’aborder en commun une question commune ? Quel genre d’objets, hybrides ou inouïs, produirait-on ? Accepter ce genre de défi ouvre sur un champ d’expérience encore plus vaste : et si chercheurs et artistes s’épaulaient mutuellement pour définir un régime cognitif nouveau et englobant, qui intègrerait, critiquerait et dépasserait les modes de validation sociale dominants dans chacun des domaines ? L’objectif : avancer ensemble sur un problème qui apparaît en l’état insoluble, tant dans le monde de la recherche que dans celui de l’art, pour tenter de le résoudre et de proposer une réponse inédite.

Un nouveau régime cognitif?

Peut-on imaginer un mode de validation commun des sciences et des arts ? Cela paraît téméraire, et même dangereux si cela aboutissait à affaiblir chacune des familles – artistique et scientifique – d’encouragement, d’évaluation et de valorisation. La démarche à suivre est sans doute moins englobante que mitoyenne. Elle consiste à créer un « tuilage » (overlapping) entre dispositifs et entre institutions, de manière à ce que ce qui comble les vides soit mis en valeur. Le paysage peut s’en trouver modifié : au bout du processus, il existerait un monde commun utilisable par l’ensemble des acteurs concernés, mais il se serait construit de proche en proche, sans que quiconque ait dû renoncer à quoi que ce soit. Entre l’expression de purs jugements personnels (comme dans les « critiques » des œuvres que l’on trouve dans les médias grand public) et le peer review standardisé des revues scientifiques, on peut imaginer et espérer que d’autres méthodes existent et que, à les faire advenir, tout le monde y gagnera.

Endnotes:
  1. Jaime Serra: http://jaimeserra-archivos.blogspot.fr

Abstract

Relationships between arts and sciences have been experiencing a long lasting misunderstanding. This situation notably derived from an underestimation of the role imagination plays in sciences and reflexivity in arts. If we accept the idea that sciences and arts both contribute, each in their own way, to the cognitive dimension of cultural productions, then we can more easily make visible many similarities and some differences between those two realms. As a result, a programme of interactions, translations, and hybridizations could be proposed. They would aim at giving rise to new methodologies and at finding fresh angles to address not-easy-to-tackle questions or issues.

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Notes

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Serendipity.

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