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Serendipity.

L’architecture et le monde urbain auront-ils leur encyclopédie ?

Image1Internet est un instrument redoutable ! S’il offre à tout un chacun de pouvoir disposer très rapidement et avec peu de moyens d’une visibilité sur l’espace virtuel – monter un site et le soumettre à quelques puissants robots est en effet désormais une affaire de quelques minutes – il fait souvent oublier sa réversibilité : l’épreuve de la continuité. Sur ce plan, dans la lutte impitoyable, la disqualification est l’affaire d’un instant, d’un seul coup d’œil : tout site incapable de faire preuve d’évolutivité et de dynamisme tant sur le contenu que sur le design voit sa crédibilité durablement affectée et la visibilité se transformer en indice d’inaction, d’autant plus que ses objectifs affichés pouvaient apparaître ambitieux.

Observons ainsi comment la recherche architecturale et urbaine parvient à composer avec cette logique, en examinant plus particulièrement quelques-unes de ses réalisations qui visent à répondre à la dissémination de ses ressources documentaires, lexicales, mais aussi événementielles, bref, à mettre en œuvre plus ou moins explicitement une encyclopédie de la ville et du monde urbain.

La tâche d’un tel projet n’est pas évidente et se situe au moins à trois niveaux : 1) fédérer de manière dynamique informations, activités et chercheurs ; 2) définir des thèmes ciblés assez spécifiques pour ne pas risquer la dilution et suffisamment génériques pour être mobilisateurs ; 3) engager des technologies efficaces c’est-à-dire à la fois à même de s’intégrer rapidement dans une activité de production de connaissance, et suffisamment souples pour être réajustables dans le temps (maniabilité / flexibilité). On peut sans doute ajouter à cela un critère de traduction, d’internationalisation, une ouverture plurilinguistique.

Commençons donc notre parcours par Muleta[1] qui se présente comme une « véritable encyclopédie européenne de l’urbanisme et de l’habitat », fondée sur une interaction entre le monde professionnel et le champ scientifique. Le site, esthétiquement très sobre et dont le temps de réponse est très rapide, offre une vaste base de données lexicale d’un grand nombre de termes d’urbanisme et d’architecture ayant trait tant au champ urbain (métropolisation, périurbanisation, banlieue…) qu’à ses procédures (Scot, Dva, Plan Local d’Urbanisme…), le tout dans sept langues (français, anglais, hongrois, espagnol, italien, roumain, allemand). Chacun des termes renvoie, lorsque l’équivalence approximative existe, à sa correspondance dans les autres langues, et se voit accompagné d’un petit fichier audio au format .wav permettant de disposer de sa phonétique. Le caractère multimédia ne va d’ailleurs pas tellement plus loin : pas de carte, nul schéma, aucune vidéo – sinon occasionnellement par l’intermédiaire de quelques liens externes – ne viennent compléter ce qui ressort alors davantage du registre du dictionnaire plutôt que de l’Encyclopédie.

Sans entrer de plain-pied dans le contenu des définitions et de la discussion que celles-ci pourraient susciter (on peut penser par exemple au terme de « périurbanisation », réduit à sa dimension la plus fonctionnelle dans sa traduction française), dont les auteurs sont des institutions (Greater London Authority, Centre de Documentation de l’Urbanisme, Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Ile-de-France), on regrette alors le caractère, au moins en apparence, extrêmement statique de Muleta. Aucune date de mise à jour indiquée ou programmée, aucune possibilité d’échange ou de débat sur une définition, de proposition ou suggestion d’ajouts ; cette Encyclopédie, malgré sa richesse linguistique et sa souplesse d’usage apparaît bien peu évolutive. On déplorera aussi l’absence de bibliographie même succincte, de lexique alphabétique, l’astuce peu satisfaisante permettant de contourner ce manque étant d’entrer une lettre de l’alphabet dans la recherche…

Insatisfaits, nous poursuivrons, rapidement, par le projet d’Encyclopédie Critique de la Ville[2]. Voilà un bel objectif tout à fait stimulant qui, fédérant des écoles d’architecture et des laboratoires de géographie urbaine français, se propose de « contribuer à refonder une sorte de Traité sur l’urbain », de « toucher, par de grandes approches thématiques, la quasi-totalité du champ urbain » comme le souligne son introduction. Huit entrées thématiques y sont présentées mais… comme antichambre d’une publication matérielle (version papier ou Cd-Rom), démarche dont on peut précisément s’étonner, du fait qu’elle concerne des réalités urbaines en fortes mutations. En fait, l’apport d’internet à ce projet affiché depuis plus d’un an se réduit à une forme des plus réduites, celle d’un forum virtuel sur la ville, sur lequel on sent depuis quelques mois flotter un air de vacances voire…de faillite. Le « Forum Ville Monde [3]» se limite en effet actuellement à un forum phpbb ancienne version (deux structures techniques se partagent en effet la plus grande part du marché des forums, phpBB et vBulletin, régulièrement victime de failles) dont de malicieux hackers n’ont pas mis bien longtemps à exploiter l’une des failles pour le neutraliser aux couleurs du Pakistan. Sa bibliographie paraît aussi bien hâtive, elle interpelle notamment sur un « Lévy, J., Lussault, M., Vocabulaire de géographie et de l’espace des socités » (sic). Regard caustique ? Certes, mais n’est-ce pas une erreur de taille que de laisser des pages ainsi accessibles, bien préjudiciable pour l’image des laboratoires qu’elle représente ? Quoi qu’il en soit, discuter de la ville et produire du savoir sur celle-ci dans ces conditions paraît bien en tout cas bien incertain…

Déplaçons-nous donc vers un laboratoire virtuel de la métropolisation, Metrolab[4] dont le lancement officiel vient d’être réalisé même si le site était déjà largement actif depuis quelques mois. Le projet est vaste puisque qu’avec « la métropolisation » et « les dynamiques territoriales » qu’il souhaite aborder, on doit bien pouvoir toucher à l’ensemble du champ urbain. Trois grandes fonctions y sont proposées : documentaire, informative et de production interactive. La partie informative qui présente toutes les nouveautés en termes de publications, d’événements scientifiques, de lancement de programme, est accessible à tout public ; les deux autres requièrent le simple enregistrement d’un compte personnel. L’espace documentaire inclut un nombre important de documents pour le moment principalement francophones, ayant trait pour une grande part à la politique de la ville en France, continuellement mis à jour. On y découvrira assurément rien de bien inédit mais, atout considérable, la possibilité de retrouver centralisés sur un même site un ensemble de documents éparpillés sur internet (rapports de recherche, mémoire de maîtrise, thèse de doctorat, recensions d’ouvrages, texte de communication etc.). Un moteur de recherche – un peu lent – permet ainsi d’explorer une base de données d’articles de revue, d’ouvrages. Sur le plan du dynamisme, les mises à jour régulières sont une réussite et prouvent la continuité de la démarche.

La critique peut néanmoins se faire très nette sur le volet logiciel pour lequel la technologie se révèle parfois assez peu performante, voire contre-productive. D’abord, la division du site en trois parties étroites est assez malcommode, aucune structure de navigation rapide n’est à la disposition du visiteur quelle que soit la résolution choisie. Le fait de cliquer sur « plus d’information » est bien incitatif et ralentit fortement le rythme de navigation puisqu’en accédant à la page attendue on perd du même coup toute la hiérarchie objet.

Par ailleurs, on est peu convaincu par la partie de production interactive (« espace de travail »). Certes, celle-ci offre la possibilité de développer des groupes de recherche virtuels sur des thèmes, pour la préparation de colloques, éventuellement à des étudiants de préparer un exposé etc. Mais la solution logicielle retenue est terriblement lourde et malcommode : le logiciel QuickPlace exige une installation d’un logiciel sur son propre ordinateur, alors que des technologies « Open source » (logiciels libres de droits) de gestion des espaces de travail telles que PHPProjekt[5] ou le couple Plone[6] / Zope[7] offrent toutes ces fonctionnalités, de manière nettement plus simple et légère. Cette question technique n’est ni anodine ni une forme pédanterie, car elle grève nettement la crédibilité des espaces virtuels de travail.

Enfin, on pourrait aussi imaginer que le site fasse preuve d’une plus grande souplesse, en laissant par exemple n’importe quel visiteur proposer une information en « pré-publication » que la direction scientifique n’aurait plus qu’à valider ou à abandonner, à l’exemple de ce que proposent les sites utilisant les fonctionnalités des principaux Cms (Content Management System, nous reviendrons dans le cadre d’un autre article sur cette technologie de « site assisté ») plutôt que de passer par les méandres de l’espace personnel. Mais, les futures mises à jour du site apporteront certainement des améliorations en ce sens !

Terminons donc du côté de l’architecture par un autre projet toujours aussi ambitieux : l’Europe des Archives Architecturales[8] (Architecture Archives Europe, aae). On est là en présence d’une centralisation d’archives en matière d’architecture, principale raison d’être d’un site qui n’est, étonnamment, que bilingue (français / anglais) alors que l’Italie, la Hollande, la Finlande, l’Allemagne, la Belgique, la France et l’Angleterre participent au projet, aae constituant également un instrument de diffusion d’un certain nombre de normes architecturales. La déception est ici très grande : le contenu du site est extrêmement superficiel et se limite tout au moins pour le moment à une page de 97 liens vers des archives d’architecture…

Passer d’une logique de représentation à une autre de production mutualisée.

Le vrai problème posé par chacun de ces sites, au-delà de leur dimension technique, de leur activité plus ou moins forte, est qu’ils représentent des actes de manifestation institutionnelle indéniables ; c’est peut-être là d’ailleurs que réside le plus grand point d’achoppement. Si les objectifs affichés sont importants, parfois même démesurés, ils sont d’abord et avant tout l’indice d’une présence sur le web jugée indispensable par des institutions, mais qui résiste mal à l’épreuve de la continuité. Trois orientations générales ou pistes de réflexion peuvent à partir de là être dégagées : l’ouverture d’un travail collaboratif, l’élargissement linguistique et la mutualisation des savoirs.

Tout d’abord, ces sites se contentent de traduire trait pour trait le fonctionnement concret des institutions, notamment en entretenant une fermeture par rapport à toute possibilité d’un travail collaboratif avec des visiteurs. Pris dans des logiques de validations, la production cumulative et interactive de savoirs, sans forcément opter pour le modèle Wikipedia et les problèmes de scientificité que celui-ci pose, est à ce jour inexistante.

Puis, l’élargissement linguistique reste un grand absent. Même dans le cas de Muleta, on a nettement plus affaire à des cloisonnements emboîtés qu’à un véritable travail de traduction qui éclaire sur les ressemblances ou les différences entre les champs problématiques, les notions ou les thèmes abordés quant au monde urbain, suivant les contextes culturels.

Enfin, se pose surtout la question de la construction de communautés d’intérêt liées aux espaces virtuels de production de savoirs. En ce sens, on assiste une fois encore à la reproduction d’un modèle substantialiste et non « connexionniste », c’est-à-dire fondé sur la détention et la possession de savoirs, plus que sur une possible dextérité d’usage et d’articulation de ceux-ci. C’est très net dans le cas de l’Encyclopédie critique de la ville qui, comme par crainte de perdre une aura liée à l’initiative et la direction du projet, adopte tout compte fait une posture fixiste en se retranchant sur des logiques de laboratoires, alors même qu’elle aurait tout à gagner d’une position de leadership en la matière.

Dépasser ces résistances, cette frilosité à « franchir le pas » paraît bien indispensable pour qu’alors, oui, la ville et l’architecture puissent avoir leur encyclopédie, virtuelle. Cela reste en tout cas un formidable défi.

Photographie : Ville de trois millions d’habitants, conçue par Le Corbusier en 1922. Cette maquette a été présentée dans le cadre de l’exposition « À la recherche de la cité idéale » à la Saline d’Arc-et-Senans. Elle est issue d’un compte-rendu qu’en a réalisé l’Ecole d’Architecture et de Design Athenaeum de Lausanne[9].[10]

Endnotes:
  1. Muleta: http://www.muleta.org/
  2. Encyclopédie Critique de la Ville: http://forumville.paris-malaquais.archi.fr/
  3. Forum Ville Monde : http://forumville.paris-malaquais.archi.fr/phpBB2/
  4. Metrolab: http://www.metrolabnet/
  5. PHPProjekt: http://www.phprojekt.com/
  6. Plone: http://plone.org/
  7. Zope: http://www.zope.org/
  8. Europe des Archives Architecturales: http://www.architecturearchives.net/
  9. d’un compte-rendu qu’en a réalisé l’Ecole d’Architecture et de Design Athenaeum de Lausanne: http://www.athenaeum.ch/corbu3m1.htm
  10. .: http://www.athenaeum.ch/corbu3m1.htm

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Internet est un instrument redoutable ! S’il offre à tout un chacun de pouvoir disposer très rapidement et avec peu de moyens d’une visibilité sur l’espace virtuel – monter un site et le soumettre à quelques puissants robots est en effet désormais une affaire de quelques minutes – il fait souvent oublier sa réversibilité : ...

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