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Résumé | Bibliographie | Notes

Sérendipité.

Travail, famille et éducation.

Les répercussions de la crise financière de 1997 en Corée du Sud.

Je remercie l’Institute for Social Development and Policy Research (사회발전연구소) de l’université nationale de Séoul (faculté des sciences sociales – 사회과학대학) qui m’a accueilli durant plusieurs mois en 2003 et 2004. J’ai ainsi pu accéder à la plupart des supports documentaires qui illustrent ici mon propos. Je remercie également le Kedi (한국교육개발원) de m’avoir donné accès à ses ressources bibliographiques ainsi qu’à ses publications.

Le terme de crise est ambivalent. Entourée d’un halo d’incertitudes, toute crise soulève bien des interrogations : quelles sont les causes ou les raisons d’une crise ? Quelles en sont les conséquences ? Sont-elles identifiables de manière objective, ou ne reflètent-elles qu’une lutte de conflits d’intérêts ?

La crise, sitôt qu’elle se donne à penser, l’est dans un contexte d’adaptation à la modernité. Soit qu’elle présente une rupture avec un ordre préexistant, a priori davantage équilibré ; soit qu’elle marque un passage plus ou moins normé qui tend irrémédiablement vers une évolution, positive ou négative. Issu du grec krisis (κρίσις), le terme de crise désigne à la fois comme un fait inscrit dans un processus, et une représentation. κρίσις s’inscrit profondément dans l’action : action de distinguer, de choisir, de séparer et/ou de décider (Bailly, 1997, p. 1187). La crise évoque donc l’idée d’un « avant » laissant présager d’un équilibre (des relations sociales notamment) qui se trouve soudainement bouleversé. Cette définition illustre que l’acte de décider renvoie pour partie à l’origine médicale du terme κρίσις ; la crise est alors la phase aiguë d’une maladie, moment critique où la maladie peut basculer d’un côté (positif, guérison) comme de l’autre (négatif, aggravation). Ce moment décisif, qu’il soit changement soudain, accident ou encore intensification, présente la crise comme une maladie dont les représentations symptomatiques amènent au diagnostic : la crise se manifeste par « l’éclatement, les comportements anomiques, la démoralisation, le retrait, l’apathie ou au contraire la révolte conte une organisation périmée, sclérosée, incapable de répondre aux besoins de la société moderne » (Touraine, 1973, p. 311). Or d’une part, l’issue à la crise comme à la maladie, au-delà de la souffrance engendrée, peut être positive (rémission, guérison) ; d’autre part, l’action liée à la crise et qui vise à lui répondre s’inscrit dans le présent immédiat et dans le futur, tout en trouvant aussi des éléments d’explication dans le passé. La crise semble difficile à prévoir de par son caractère endogène, tout en présentant des signes, des récurrences caractéristiques, une structure finalement ancienne. Derrière une situation définie en termes de crise, il y a donc bien des complexités, façonnées à la fois par la diversité des représentations, la pluralité des relations sociales, un continuum temporel entre histoire et avenir.

La crise sociale comprend diverses formes localisées, en se manifestant sur un territoire spécifique et dans un cadre socio-culturel particulier. Elle est bien souvent impulsée par une crise économique, mais ce n’est pas toujours le cas ; ainsi, des États africains en voie de développement ont connu une crise économique après une crise sociale latente se faisant aiguë suite à des mesures prises — les Programmes d’ajustement structurel (Pas) — par le Fonds monétaire international (Fmi) au début des années 1990, par exemple. Les pays dits modernes, du Nord, semblent quant à eux en proie à des crises sociales générées par des difficultés économiques, qui présentent un caractère plutôt cyclique, peut-être la marque d’une rupture continuelle.

Cette contribution vise à rendre compte des changements qui sont intervenus dans la structure de la société sud-coréenne et dans les comportements sociaux dès les années 1998 et 1999. Des institutions fondamentales, des valeurs jusqu’alors essentielles ont été affectées, s’emmêlant et s’entraînant les unes les autres. Dans quelles mesures des piliers socio-culturels de la Corée du Sud se sont-ils vus transformés suite à la crise financière qui a touché l’Asie en 1997 ? Comment le travail, la famille et l’éducation[1][1], trois clés caractéristiques de la société sud-coréenne et fondamentalement reliées, ont fait face à cette période de crise, et en quoi s’en sont-elles trouvées modifiées ?

La crise économique sud-coréenne de 1997.

Dans son rapport annuel de 1997, le Fonds Monétaire International a émis des jugements positifs à l’égard de plusieurs pays asiatiques : les « tigres et dragons » — ainsi sont désignés les pays asiatiques ayant connu un formidable développement économique au début des années 1990[2][2] — semblent voués à poursuivre leur irrésistible ascension ; s’agissant de la Corée du Sud, « les administrateurs ont félicité les autorités des résultats enviables de leur politique de finances publiques »[3][3]. En juillet 1997, tout bascule : la Thaïlande, la Malaisie, les Philippines ou encore l’Indonésie connaissent tour à tour un contexte économique difficile. En novembre, au bord de la cessation de paiement, la Corée du Sud, nonobstant la fierté tirée de son ascension fulgurante, doit appeler à son secours le Fmi. À l’issue d’épisodes historiques douloureux qui se conclurent dans les temps modernes par la colonisation japonaise (1910-1945), une division nationale imposée par les puissances mondiales (1945), une guerre fratricide (1950-1953), le sud de la péninsule coréenne est plongé dans le dénuement. La nation se sentait alors humiliée, frustrée, avec un vif désir de revanche sur ses voisins qui convoitaient régulièrement sa position géostratégique, enjeu de situations de conflits, de rapports de forces et de pouvoirs (invasions, sujétions). Ce sentiment, le han (한), a sans doute conduit le pays au « miracle économique » — qui n’a rien de miraculeux sinon d’avoir rassemblé toute la force, la volonté mais aussi la rancœur de chaque citoyen en un immense mouvement collectif mené de main de fer[4][4]. La Corée du Sud s’est alors (re)construite, pour partie sur des valeurs héritées du confucianisme, dans un contexte qui lui est spécifique, et autour de consensus politiques. Nous soulignons ici le rôle majeur de l’éducation et de la compétition dans le développement du pays. Le confucianisme prônait l’éducation pour tous ainsi que l’accès à un statut social privilégié par voie de concours d’État. Signe de réussite sociale, l’éducation est devenue, au gré des instabilités auxquelles la péninsule coréenne a été confrontée, un capital symbolique de choix : quoiqu’il arrive, investir dans l’éducation de son enfant constitue le meilleur placement pour assurer l’avenir de la famille.

En 1996, la Corée du Sud rejoint l’Organisation de coopération et de développement économiques (Ocde) ; aussi, lorsqu’elle en appelle moins d’un an après à l’aide du Fmi, surmontant sa fierté, l’inquiétude est à son paroxysme et la crise économique enfle. Séoul prend alors des engagements chiffrés vis-à-vis de l’inflation, du chômage, de la croissance. Il prend également des mesures drastiques visant notamment à la transparence des chaebols[5][5], accusés d’être responsables de la crise économique de 1997. Ayant grandi sous une politique particulièrement protectionniste, ces familles d’industriels visaient davantage à diversifier leurs activités qu’à produire du profit. En s’engageant dans des investissements excessifs et une croissance externe financée par de généreuses donations américaines et des emprunts, espérant implicitement le partage des risques par le gouvernement, la rentabilité a diminué et a conduit ces groupes à la faillite.

De 1997 à 1999, la Corée du Sud doit faire face à une crise économique qui s’articule avec une crise sociale profonde. Déjà, au début de l’année 1997, le pays est en proie à une crise politique et sociale. À un peu moins d’un an de nouvelles élections démocratiques et alors que la Corée du Sud vient de rejoindre l’Ocde, une série de mesures, jugées comme une régression sociale, sont prises par le gouvernement de Kim Young-Sam le 26 décembre 1996 au matin, en l’absence de l’opposition. Une nouvelle loi sur le travail facilite les licenciements, assouplit la flexibilité et les horaires de travail, et autorise les entreprises, en cas de conflit social, à remplacer les salariés grévistes par des intérimaires ; la création de nouveaux syndicats est prohibée jusqu’à l’horizon 2000. En réponse à ce train de mesures politiques, grèves et manifestations de rue se succèdent alors à Séoul et dans les grandes villes industrielles ; le secteur de l’automobile, les chantiers navals, le transport en sont affectés, de même que quelques services publics.

Il est important de préciser que la démocratisation, initiée en 1987, s’était traduite par une recrudescence des revendications ouvrières, longtemps étouffées par les régimes autoritaires se perpétuant depuis la création de la République de Corée (1948). De fortes augmentations de salaire furent alors obtenues en quelques années (de l’ordre de 15 % par an en moyenne)[6][6], et elles entamèrent la compétitivité des industries exportatrices dont les coûts salariaux étaient désormais plus élevés que ceux de voisins de l’Asie du Sud-est. De fait, en 1996, le déficit du commerce extérieur s’était considérablement creusé. Par ailleurs, la volonté du gouvernement à insérer le pays dans l’économie mondiale inscrivit l’économie sud-coréenne dans une phase d’adaptation plutôt délicate. L’adhésion du pays à l’Ocde l’obligea à lever certaines barrières tarifaires, engendrant des pertes d’emplois. Or cette toute jeune démocratie faisait son apprentissage des nouvelles libertés : les Sud-Coréens s’opposèrent à un gouvernement qui renouait progressivement avec les méthodes autoritaires de ses prédécesseurs — syndicalistes emprisonnés, pouvoirs de l’Agence pour la planification de la sécurité nationale[7][7] accrus. C’est dans ce contexte qu’advint la crise de 1997.

Crise économique, crise sociale.

Appelée « crise du Fmi », la crise financière qui éprouve la Corée du Sud en 1997 a plusieurs conséquences sur la société : des licenciements en masse, la réduction des revenus des ménages, et la dépréciation de la valeur d’actifs[8][8], tout particulièrement dans l’immobilier. La combinaison de ces évènements précipite une crise sociale à la fois généralisée et profonde. Après plus de quatre décennies de croissance rapide et soutenue, après avoir obtenu des augmentations parfois significatives de leurs salaires, la plupart des Sud-Coréens souffrent, en 1998, d’une perte substantielle, voire complète, de leurs revenus. Selon le Korea National Statistical Office (Knso), le revenu mensuel moyen d’un ménage d’ouvriers urbains décline de 14 % entre le troisième trimestre 1997 et le troisième trimestre 1998 ; en tenant compte de l’inflation, la réduction du revenu est de l’ordre de 20 %. Une enquête a révélé qu’un peu moins d’une année après l’intervention du Fmi, 90 % des ménages ont connu des réductions de leurs revenus, 89 % ont été confrontés à la réduction du pouvoir d’achat, et 78 % ont vu la valeur de leurs actifs dépréciée[9][9]. En outre, la structure des salaires est altérée : les revenus de ceux qui ont conservé leur travail se sont trouvés inégalement affectés, selon les secteurs économiques. Les ouvriers sont les plus touchés par la crise, amplifiant l’écart des revenus de manière plus sensible encore ; l’inégalité s’est introduite jusque dans le différentiel d’âge et de niveau de formation, atteignant les ouvriers les plus jeunes, et les moins instruits. L’inégalité se creuse, de nombreuses familles — les plus vulnérables — sont entraînées en dessous du seuil de pauvreté.

Après avoir connu un quasi-plein-emploi (taux de chômage de 2,5 %), la Corée du Sud doit donc faire face à une armée grandissante de personnes sans emploi. Le taux de chômage s’est accru bien au-delà des estimations du gouvernement ; le Ministère du Travail présente un taux de chômage proche de 2 millions de personnes en février 1999, soit 9 % de la population active (un taux qui retombe à 7,2 % en avril 1999). Mais ce chiffre sous-estime la situation réelle, puisque les statistiques officielles comptent également les personnes travaillant seulement à temps partiel ou les employés obligés de rester chez eux ; ainsi, en incluant ces groupes, sans doute le chômage dépasse-t-il les 12 % de la population en âge de travailler. Pourtant, d’un point de vue occidental, et même français, un taux de chômage de 7 à 9 % ne saurait être considéré comme élevé en période de récession économique. Ce n’est donc pas tant le chiffre qui est ici important, mais le contexte socio-culturel dans lequel il s’intègre : l’emploi était, jusqu’à l’avènement de la crise de 1997, très fort, la croissance importante, et brusquement le chômage se met à augmenter considérablement. Or le lieu de travail est davantage qu’un lieu où l’on gagne un revenu. En Corée du Sud, il constitue un espace où se déroule la plupart des activités sociales des salariés, masculins notamment. En forçant à peine le trait concernant le partage des rôles socio-genrés, nous pouvons dire que l’homme est une personne de l’extérieur : il sort du foyer pour gagner un revenu et entretenir sa famille ; la femme est plutôt une personne de l’intérieur, qui tient « son » foyer et s’occupe de l’éducation des enfants. Mais ce qui lie l’individu (masculin en l’occurrence) à son travail n’est pas tant l’exercice d’une activité rémunérée, mais bien plutôt la socialisation périphérique que celle-ci permet : sortir, boire et manger avec ses collègues le soir, s’adonner à des loisirs avec eux le week-end, etc. Ces pratiques collectivistes sont empiriquement présentées comme faisant intrinsèquement partie d’une certaine culture « coréenne ». Elles stimulent les sociabilités, et elles constituent d’importantes connexions qui sous-tendent les réseaux sociaux, formels ou informels. Ces relations interpersonnelles permettent en outre l’expression du caractère émotionnel des Sud-Coréens — le jeong (정) — qui implique des relations affectives et chaleureuses avec les autres.

D’ailleurs, le terme employé pour désigner l’Homme en coréen est ingan (인간), qui signifie littéralement « entre les hommes » ; cette dimension et cette construction relationnelles sont très importantes dans une vie humaine dont le processus consiste à nouer des relations interpersonnelles diversifiées. La réussite ou l’échec en la matière détermine le succès ou l’insuccès d’une vie humaine, car la personne est jugée par ses semblables selon un critère unique et essentiel : la qualité des relations entretenues avec autrui, un art appris dans le cadre de la famille, archétype de tous les réseaux de connexions, et qui va se développer et s’élargir de lien en lien. Pour les Sud-Coréens, trois types de liens et réseaux essentiels participent de ces relations : les liens du sang (famille/patrilinéarité), du sol (terre natale/région), et de l’école (lycée ou université fréquentée). Ces liens définissent la personne elle-même. C’est par ces réseaux que les personnes obtiennent des informations primordiales, rencontrent des partenaires (activités professionnelles, loisirs, vie privée, etc.), accèdent à un emploi. De fait, en perdant leur emploi, les hommes ont aussi perdu leurs liens sociaux. Les sans-emploi souffrent alors d’un stress sévère résultant d’une incapacité à accomplir leurs responsabilités vis-à-vis de leur famille et parentèle, de la perte de confiance et d’estime de soi, de déception, et d’une autorité de plus en plus refusée en tant que chef de famille. Les journaux racontent les histoires désormais banales d’anciens « cols blancs » qui s’habillent et partent vers un lieu de travail inexistant afin de ne pas perdre la face devant leur famille et leurs amis. Des facteurs qui peuvent expliquer pourquoi les Sud-Coréens ont un niveau si bas de « tolérance sociale envers le chômage »[10][10].

Dans une société où le jugement de l’autre conditionne sa conduite, se présenter de manière respectable est aussi important que réussir professionnellement ; « sauver la face » (chaemyeon, 체면) passe aussi par soigner l’image de soi que l’on donne à voir en public. En lien avec diverses influences endogènes et exogènes, le matérialisme s’est fait parure de l’apparence[11][11] en Corée du Sud. Il est la preuve d’un ancrage résolument moderne de l’individu dans sa société, permis par sa réussite (professionnelle, sociale), le dos tourné à un passé douloureux et révolu[12][12]. Les Sud-Coréens vouent un véritable culte à l’argent et les pratiques de thésaurisation sont nombreuses. Le triomphe de l’économie est partout, non seulement dans le monde de l’entreprise, mais aussi à l’université, à l’église, etc. Cette volonté de vouloir toujours plus se double d’un optimisme démesuré, nourri dès le plus jeune âge (et notamment à l’école) : « vouloir, c’est pouvoir ». Cet esprit de réussite a formidablement fonctionné pendant la période de reconstruction et de développement du pays ; il a animé et alimente encore la course à la mondialisation. « Vite vite !! » « ppalli ppalli !! » (빨리빨리!!) entend-on partout et constamment, au travail comme à la maison, dans la rue ou au restaurant[13][13]. Dans cette croissance rapide, et galvanisée par le régime autoritaire de Park Chung-Hee (1963-1979), les Sud-Coréens semblent avoir perdu la vertu de la patience ; elle tend au risque, à l’accident, mais la société semble bien s’adapter aux nouvelles technologies d’information et de communication. Conséquemment, pris dans la vitesse et faisant preuve d’un optimisme à toute épreuve, les Sud-Coréens ont tendance à mobiliser tous les moyens, à la fois légitimes et illégitimes, pour atteindre leur objectif — réussite scolaire, réussite sociale, bonheur matériel, etc. Le réseau et l’informel ont une place privilégiée, et la considération morale de leurs actions est souvent reléguée au second plan. Conformément à une double norme, les actes et les discours ne se correspondent pas nécessairement, l’opportunisme est une vertu, l’hypocrisie n’est pas un vice ; en outre, l’affect prend le pas sur le rationnel dans l’action, la communication non verbale et paraverbale est privilégiée[14][14], de sorte que ses propres intérêts sont dévoilés de manière à ce que la face soit sauvée. Or, lorsque le travail vient à manquer, tout cet enchevêtrement s’effondre, le réseau tend à disparaître et l’individu avec lui. Le contexte socio-culturel que nous venons de dépeindre à grands traits ne permet donc pas de tempérer les inégalités sociales qui se creusent ; la détresse psychologique dans laquelle des familles sont immergées a fait naître une perspective particulièrement négative envers le système politique et le système social ; l’accession à la présidence de l’opposant Kim Dae-Jung en février 1998 n’en modifie pas la donne. Échaudés par des années de corruption, les Sud-Coréens sont convaincus que seuls les nantis auront à gagner de la crise, que l’honnêteté et l’obéissance à la loi ne font plus recette pour s’en sortir. Le gouvernement s’inquiète de troubles sociaux latents si des mesures appropriées ne sont pas prises dans un avenir proche ; la population se sent flouée, il lui semble que les dirigeants d’entreprise n’ont pas fait acte de contrition et n’ont participé que de loin à la souffrance collective. De facto, entre frustration et pessimisme, le crime pour motif économique explose en 1998. Le Korea Institute of Criminal Justice Policy de Corée du Sud rapporte une hausse de 19 % des crimes ayant trait à l’argent, tels que le vol, la fraude ou encore le détournement entre 1997 et 1998[15][15].

Les répercussions de la crise sur la famille.

La crise économique, en se répercutant sur l’emploi et le revenu, a de fait touché une institution sociale fondamentale en Corée du Sud : la famille. Celle-ci trouve son origine dans le confucianisme et c’est autour du père que l’ensemble des membres de la famille se mobilise pour atteindre le but de la famille[16][16], à savoir la réussite sociale et le bonheur matériel. La famille constitue la référence principale de l’identité personnelle : les Sud-Coréens se définissent essentiellement par rapport à elle (en tant que fils/fille de, père/mère de, etc.). À la fois refuge ultime et institution-providence dont l’intérêt commande toute réflexion ou action, l’environnement familial est primordial. Son importance fondamentale est à lier à la piété filiale (hyo, 효). La considération pour la famille, et l’investissement en son sein sont tels qu’ils peuvent expliquer que la sécurité sociale, la donation, le mécénat, ou encore les activités volontaires dans les associations, les syndicats ou les partis politiques ne soient pas bien développés. La famille est d’ailleurs un archétype des évolutions sociales en Corée du Sud : bien comprendre le fonctionnement de la vie familiale en Corée du Sud, c’est concevoir plus facilement la vie sociale. Se référer aux relations familiales, c’est découvrir le sens d’une relation sociale que l’on peut qualifier de communautarisme. Toujours en écho aux préceptes confucéens, nous pouvons observer l’extension de la logique familiale à l’école, à l’entreprise, et jusqu’au sein de la sphère de l’État.

La crise de 1997 engendre des bouleversements à l’intérieur même de la sphère familiale. Selon les statistiques de la Seoul Family Court, au cours des neuf premiers mois de 1998, le nombre de divorces a augmenté de 34 % par rapport à la même période, l’année précédente[17][17]. Le nombre d’enfants dans les orphelinats s’est accru[18][18], et même des enfants issus de « familles très normales, de parents qui font de leur mieux pour donner à leurs enfants une bonne vie — des parents hautement diplômés y ont été placés »[19][19]. Découlant de tous ces évènements, de nouvelles terminologies apparaissent alors que de nombreuses familles optent pour une séparation stratégique afin de faire face à la crise économique : « Imf isan gajok » (이산 족, familles séparées à cause du Fmi) ou encore « les orphelins du Fmi ». La violence s’est amplifiée dans les familles et est produite par des chefs de familles qui, ayant perdu leur autorité patriarcale en raison du chômage et, en proie au stress et à la frustration, y recourent pour s’imposer[20][20]. Le nombre de suicides a également doublé au cours de l’année 1998, parmi lesquels des meurtres-suicides familiaux par empoisonnement, ou encore le père tuant les membres de sa famille avant d’attenter lui-même à sa vie[21][21]. Cependant, l’atmosphère de crise familiale revêt quelques aspects positifs. Alors que les hommes passaient bien plus de temps au travail ou avec leurs collègues de travail, la crise les amène à partager davantage de temps avec leur famille, chez eux. Les personnes sans emploi disposent tout simplement de davantage de temps, et ceux qui conservent leur travail réapprennent à apprécier, au vu des circonstances, la valeur de la famille. Il est indéniable que les difficultés économiques ont tendu les relations au sein de la famille, en particulier parmi les couches sociales les plus durement touchées par la pauvreté et/ou le chômage. Et s’il est vrai que l’évolution de la nature et de la qualité des rapports intra-familiaux est liée à ce qu’elles étaient avant la crise, l’on peut considérer que ceux-ci ce sont améliorés et que la crise a induit l’instauration de relations plus respectueuses au sein du couple.

Le « familisme » (gajok ju-ui, 가족 주의) très fort[22][22] s’est avéré être une ressource essentielle pour faire face à la crise en Corée du Sud. En dépit des moyens mis en œuvre par l’État dès la fin des années 1980, puis pendant la crise, pour fournir un ensemble de programmes sociaux plus complets, la population active est insuffisamment concernée ou couverte par les aides de l’État, et lorsqu’elle l’est, elle en exprime son insatisfaction. Ainsi, des mesures visant à financer un programme gouvernemental de protection sociale élargi sont ouvertement critiquées, car elles portent préjudice aux populations les plus en difficultés, accélérant et aggravant leur situation, par l’augmentation de taxes indirectes notamment — comme la hausse de la taxe sur le carburant. En outre, les médias rapportent de nombreux incidents de fraudes et de détournements de fonds du budget alloué au chômage de la part des fonctionnaires et d’assistants sociaux. Encore une fois, il est difficile pour la population de faire confiance au gouvernement ; elle est confortée dans son sentiment selon lequel elle ne peut que se débrouiller seule.

Lorsque la dictature militaire de Chun Doo-Hwan prend fin en 1987, l’État n’est pas le seul à prendre des mesures sociales vis-à-vis de la population : certaines grandes entreprises proposent des bénéfices en nature à leurs employés (en dehors des responsabilités légales de l’entreprise), et notamment de puissants chaebols, symbolisant eux-mêmes la figure familiale et paternaliste. Elles ont été en effet fondées et sont contrôlées par de grandes familles. Il s’agit alors d’une alternative contrainte face aux pressions et menaces des organisations syndicales ; logement, frais de scolarité des enfants, protection médicale, assurance-vie, garde des enfants, facilités pour les loisirs et les vacances, et même la possibilité d’obtenir un diplôme. Les employés plus nantis ont, pendant la crise, continué à jouir de ces avantages ; alors que les premiers à souffrir de la crise (ouvriers, manœuvres, employés à temps partiel) et les licenciés n’ont pas trouvé secours en ces rétributions. Ainsi que le rapporte l’Asian Wall Street Journal, la montée inexorable du chômage « indique l’angoisse profonde d’un peuple dont le filet de protection sociale [sahoe anjeonmang, 사회안전망] repose en fait principalement sur des économies personnelles et la charité d’amis »[23][23].

Pour la majorité des Sud-Coréens en proie à la crise, ce sont les membres de la famille qui apportent en premier lieu leur soutien, par divers arrangements familiaux (prêt d’argent, partage du logement, revenu d’appoint, permutation des rôles[24][24], se porter caution bancaire, etc.). Ce répit leur a permis de faire face à la situation et d’envisager une issue ; ce fut aussi l’occasion de resserrer les liens. Alors que la famille a été ébranlée par la crise, c’est aussi elle qui, paradoxalement, a offert les ressources les plus assurées. Mais les efforts consentis à l’entraide ont été limités dans le temps pour s’atténuer progressivement : le dénuement matériel commence à se propager. Les personnes les plus indigentes sont touchées — personnes âgées, jeunes, enfants, handicapés habitants les quartiers défavorisés, celles dont la survie dépendait jusqu’alors (en l’absence de parents ou d’assistance de la part de l’État) de la générosité de familles ou de proches, effectuant de menus travaux qui leur permettait d’accéder à un revenu et de conserver à la fois leur estime de soi et une certaine autonomie. Les jeunes actifs (nouveaux diplômés du lycée ou de l’université) doivent trouver des alternatives pour faire face à la situation, par exemple en intégrant l’armée pour y accomplir leur service militaire (26 mois), ou en poursuivant des études supérieures[25][25].

L’éducation affectée par la crise.

En étant aussi étroitement liée à la réussite sociale, l’éducation en Corée du Sud a généré une vigilance toute particulière au sein des familles. Depuis la fondation de la République de Corée (ou Corée du Sud), les parents investissent massivement dans l’éducation de leurs enfants. L’objectif est de réussir le concours d’entrée dans l’une des meilleures universités sud-coréennes et accéder au Sky[26][26]. Ce qui importe, c’est le produit « diplôme » conféré par l’université, et dont la valeur du nom institutionnel saura ouvrir les portes de l’emploi. Entrer dans l’une des meilleures universités est gage d’un bon emploi, d’un bon salaire, d’un bon mariage en offrant l’assurance de pouvoir subvenir aux besoins de sa famille, de ses parents. L’éducation a pour ainsi dire une valeur d’actif en tant que patrimoine immatériel contrôlé par une entreprise familiale qui en attend des avantages économiques futurs — à savoir la prise en charge de sa vieillesse.

Les coûts, considérables, sont à la fois directs (cours particuliers et cours dans des institutions spécialisées notamment) et indirects (location d’une chambre ou d’un appartement pour toute la famille dans les districts de la capitale offrant les meilleurs établissements d’enseignement secondaire, transport, cadeaux aux enseignants et autres honoraires informels, etc.). Cet investissement constitue un capital symbolique (Bourdieu, 1994, p. 161), englobant à la fois les dimensions du capital économique, du capital scolaire, du capital culturel, du capital social. Mais les efforts et sacrifices que les parents concèdent à l’éducation apparaissent davantage comme un moyen de niveler les inégalités que produit, individuellement, chacun de ces capitaux ; autrement dit, dans la compétition qu’augure cette « fièvre de l’éducation »[27][27], l’inégalité ne se situe pas tant dans l’accès à l’éducation et à ses nombreux dispositifs satellites que dans le degré d’abnégation des parents.

En Corée du Sud, parallèlement au système scolaire public considéré comme peu performant (classes surchargées, pédagogie parfois dépassée), le système privé s’est massivement développé et imposé comme un passage quasi obligé pour les élèves. Avant, mais surtout après une journée d’école ordinaire, ils fréquentent des instituts spécialisés appelés hakwons (학원) où ils suivent, en somme, une deuxième scolarité. Une économie semi-souterraine s’est ainsi développée, car si les hakwons sont plutôt réglementés, les cours privés, plus chers que les cours en hakwon, ne le sont pas ; par ailleurs, les liens entre le système scolaire « classique » et ce système privé restent tacitement étroits. Selon la législation, les enseignants du système public ne doivent pas être en relation avec les instituts privés. Mais dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, on prend ses aises avec les lois. Ainsi, un enseignant de lycée peut lui-même encourager les parents à inscrire leur enfant dans tel ou tel hakwon en les faisant culpabiliser sur sa réussite. D’autant qu’il est communément admis que les notes ne dépendent pas tant du travail fourni par l’élève en classe que de la fréquentation d’un hakwon. Puisque les enseignants sont très favorables aux hakwons, comment les parents ne le seraient-ils pas ?

La crise économique de 1997 affecte aussi bien les dépenses faites dans l’enseignement privé que la valeur donnée aux bénéfices de l’éducation. Car même si les frais d’inscription, à tous les niveaux de scolarité, sont gelés tels qu’ils se chiffraient avant l’avènement de la crise, les revenus souffrent : licenciement, chômage, réduction de salaire, inflation, déflation d’actifs. Ces phénomènes se répercutent provisoirement sur les coûts concédés à l’enseignement privé, mais également sur le crédit accordé à ce secteur par l’opinion publique : la baisse des revenus ne cadre alors plus avec les attentes légitimées par des investissements conséquents dans l’enseignement privé. Les conditions du marché du travail brouillent toutefois de telles observations sur le coût et les bénéfices de l’éducation. Effectivement, en cette période spécifique où les possibilités de trouver un travail sont réduites, il est plus attrayant pour les nouveaux diplômés de poursuivre leurs études plus avant plutôt que d’entrer sur le marché de l’emploi. Les difficultés sur le marché de l’emploi imposent donc de manière implicite, voire involontaire, l’avancement dans l’enseignement supérieur (vers une sur-éducation), comme une alternative au sous-emploi. Ces manifestations ont des implications contradictoires, et des effets opposés. Les effets liés aux aléas des revenus sont négatifs au niveau de l’enseignement élémentaire ; ils sont en revanche positifs dans l’enseignement supérieur (ou enseignement tertiaire). Le Handbook of Educational Statistics[28][28] a dressé un portrait statistique de la structure et de l’état de l’éducation en Corée du Sud à cette époque par le biais de divers indicateurs. Sur la période 1997 et 1998, les données tendent à indiquer des taux bruts de scolarisation et de promotion scolaire en légère baisse dans les jardins d’enfants, l’école primaire et le collège dès le début de la crise, et ces mêmes taux à la hausse au-delà du lycée. La baisse de la fréquentation des établissements scolaires ne peut bien sûr pas être directement imputée aux aléas du marché de l’emploi : puisque le travail est interdit aux jeunes de moins de 15 ans en Corée du Sud, ils n’intègrent pas le lycée sous prétexte que les conditions du marché du travail leur sont défavorables. Ce sont donc bien des effets de revenus réduits, voire supprimés, qui en sont à l’origine. Le Ministère de l’Éducation relève par ailleurs que le nombre moyen d’élèves renvoyés ou absents dans les écoles primaires a brusquement augmenté de près de 7 fois ; en particulier, les élèves absents ou renvoyés pour des motifs autres que l’état de santé ont été 5,6 fois plus nombreux qu’avant la crise. La plupart d’entre eux se sont retirés du milieu scolaire pour des raisons liées à la famille (séparations des parents, pauvreté par exemple)[29][29]. Le déclin significatif du taux brut d’inscription dans les jardins d’enfants peut s’expliquer d’une part par le fait que des parents ont considéré qu’investir dans l’enseignement dès le jardin d’enfants est, au vu de la période de crise traversée, un luxe inutile ; d’autre part, le chômage a touché massivement les femmes (minoritaires sur le marché du travail), diminuant la demande d’inscription dans les jardins d’enfants.

En revanche, les effets du marché du travail sur l’investissement dans l’enseignement privé dominent ceux du revenu au niveau du lycée et de l’enseignement supérieur ; ainsi, le taux brut de scolarisation a augmenté de 5,5 % en un an, entre 1997 et 1998. Parallèlement, la tranche des 15-19 ans, suivie des 20-29 ans a connu les pertes d’emploi les plus significatives dès le début de la crise[30][30]. La réduction des revenus affecte principalement l’enseignement privé ; celle-ci n’a pas eu d’effets uniformes selon les divers niveaux scolaires, ni au sein des diverses catégories de revenus. Les réductions des coûts dans le domaine de l’enseignement privé ont été relativement plus importantes pour les élèves du lycée — mais soulignons que s’il s’agit là d’un niveau demandeur alors que le concours d’entrée à l’université approche, les efforts financiers consentis par les parents sont également notoires dès le plus jeune âge : l’apprentissage précoce, notamment en langues, est un créneau surinvesti. Cette baisse reflète donc la structure duelle du système éducatif sud-coréen qui, non pas dans la forme d’un conflit, mais plutôt celle d’une duplicité, exige davantage de cours privés, comme palliatif à un enseignement public déficient. En écho aux difficultés financières liées à la crise économique de 1997, la catégorie de revenus la plus modeste a réduit ses dépenses de 39,2 % sur les cours privés, tandis que la catégorie de revenus la plus élevée les réduisait de 12,7 % seulement (cf. Carrausse, 2010).

Étant donné la cohabitation de deux univers éducatifs parallèles, l’un public, l’autre privé, et la nécessité socialement admise de recourir aux cours particuliers pour atteindre le projet familial qui est d’intégrer l’une des meilleures universités du pays, il est évident que des diminutions involontaires et inégales dans l’enseignement privé impliquent des préjudices pour un développement humain équitable. En Corée du Sud, la méritocratie est affichée comme étant un succès de la mobilité sociale : elle s’échafaude dans l’ombre de l’enseignement, dans les salles de hakwons, des activités scolaires et des activités à but éducatif privées ; partant, elle sous-tend au contraire une inégalité liée aux classes sociales des familles. La méritocratie constitue donc une chimère : une étude que nous avons menée en 2004 a montré une forte corrélation entre l’entrée à l’université nationale de Séoul, et le niveau de formation des parents ainsi que la profession du père[31][31]. Le statut socio-économique conditionne donc l’accès à l’université la plus convoitée, celle-ci produisant les élites de la nation.

L’éducation en crise.

Une longue prospérité économique quasi continue, initiée par la reconstruction du sud de la péninsule coréenne, a intrinsèquement entremêlé économie et enseignement (enseignement secondaire et enseignement supérieur notamment). Contrairement à ce que l’on peut penser, une telle symbiose n’a pas pâti de la crise. Certes, une souffrance saisissante et pragmatique en découle, comme nous l’avons vu, entre licenciements massifs, baisse des revenus des ménages, dépréciation de la valeur d’actifs ; mais d’autres formes de violences, plus sourdes, davantage profondes, conduisent progressivement à des changements sociaux significatifs. Ces violences n’ont pas uniquement des aspects négatifs au sein des institutions touchées et que nous avons ici observées, à savoir le travail, la famille et l’éducation. La crise a conduit à une prise de conscience de la société des valeurs qui la façonnent.

Au sein de l’institution familiale, les liens se resserrent ou au contraire éclatent pour libérer du poids de la tradition les couples ; les femmes gagnent du terrain en autonomie et en indépendance, participent elles aussi à l’économie du ménage, poursuivent des études, non plus pour un projet matrimonial, mais dans l’objectif de développer une carrière professionnelle[32][32]. En outre, la perception de l’éducation a changé pour l’ensemble de la famille. Pour les parents, l’enseignement supérieur prévaut comme gage de réussite professionnelle et financière. La corrélation positive entre le niveau d’enseignement et la compensation économique est un phénomène universel, mais des études ont montré que l’impact de l’éducation est devenu un facteur déterminant quant à la réussite de la transition vers le marché du travail en temps de crise économique ; Choi et Kim (2003) soulignent qu’après la crise de 1997, la différence des revenus entre diplômés du secondaire et diplômés du supérieur s’est accrue de 21 % en 1997 à 38 % en 2000, ces derniers s’adaptant plus facilement à la nouvelle structure du marché du travail. Par ailleurs, suite à la crise du Fmi, le rapport entre la cohérence des parcours universitaires et les offres du marché du travail est devenu beaucoup plus solide ; il n’est plus uniquement lié à la valeur du nom de l’institution diplômante, bien que celle-ci reste particulièrement prégnante, aujourd’hui encore.

En outre, le succès scolaire demeure redevable de la situation socio-économique de l’étudiant. Ainsi, l’explosion de popularité dès le début des années 2000 des lycées spécialisés est représentative de cette logique : la tendance à recourir aux enseignements privés, à grands frais, s’accentue. Ces lycées, spécialisés dans un domaine, ont été convoités par les parents dès lors qu’ils montrèrent des résultats remarquables au concours d’entrée à l’université (suneung, 수능) ; ils fonctionnent aujourd’hui comme des « prépas » et se focalisent exclusivement sur le suneung. Tel un cercle vicieux, ce phénomène a entraîné une surenchère dans l’enseignement privé : en participant à de nombreux programmes spéciaux proposés par des hakwons, l’élève se rend compétitif pour intégrer l’une de ces écoles spécialisées ; de facto, le curriculum des lycées classiques s’est vu encore davantage dévalorisé, impuissant à se légitimer, et ces derniers ont perdu encore plus d’intérêt aux yeux des parents dont la confiance émoussée s’épanche sur les relations des divers acteurs (entre parents et enseignants, entre enseignants et élèves). Plus encore, le fossé se creuse davantage entre les différentes classes sociales. Les parents sont persuadés que plus ils investissent dans l’enseignement privé, plus leurs enfants seront susceptibles d’intégrer avec succès l’une des meilleures universités du pays. L’enjeu est de taille et s’incarne dans les choix de scolarisation qui sont réalisés, parfois au-delà des moyens financiers des parents : les programmes éducatifs et les enseignants les plus efficaces, les instituts les plus compétents, etc. Cette recherche d’opportunités pour « survivre » dans cette compétition vers l’excellence diplômée, crée un marché de l’éducation particulièrement prolixe. Ainsi, en marge des hakwons traditionnels, se sont créés des yuhakwons (유학원), instituts spécialisés dans l’organisation et la gestion de séjours scolaires à l’étranger (visa, inscription scolaire, hébergement et autres aspects des études à l’étranger). Le séjour d’études, la scolarisation à l’étranger sont de réels atouts. La profession nomade de certains parents permet à leurs enfants d’être scolarisés dans un pays anglophone, de s’imprégner de cette langue et de cette culture ; dans le cas contraire, certaines mères n’hésitent pas à y accompagner leurs enfants pendant que les pères restent en Corée du Sud pour travailler et financer cette mobilité qui peut s’étendre dans le temps. Parler anglais devient un outil essentiel sur le marché du travail et profite à l’économie du pays ; le président Lee Myung-Bak a ainsi souhaité, lors de sa prise de fonction (25 février 2008), que l’enseignement de l’anglais, en anglais, soit rapidement intégré au curriculum secondaire, une réforme qui fit polémique alors que le Ministère de l’Éducation souhaite réduire le fardeau familial des dépenses dans l’enseignement privé, puisqu’elle risque d’accroître la prolifération des hakwons, exacerber les disparités de niveau des élèves, et creuser l’écart entre ceux qui ont les moyens d’avoir des cours particuliers, et les autres.

Les jeunes considèrent quant à eux que l’éducation n’est pas la seule et unique voie de réussite professionnelle et financière ; d’autres modèles les attirent. Les années 1990 initient le phénomène hallyu, la « vague coréenne »[33][33] : la culture populaire sud-coréenne s’exporte avec succès en Asie puis vers les pays occidentaux. La marchandisation de l’industrie des arts, de la culture et du spectacle attire les jeunes ; les vedettes de la télévision, du cinéma, de la chanson font miroiter d’autres possibilités pour gagner de l’argent, et accéder à la notoriété. Le créneau du sport est lui aussi fortement médiatisé[34][34].

Force est de constater que, parallèlement, l’intérêt, voire l’enthousiasme des élèves pour l’apprentissage à l’école a notoirement baissé ; des observations soulignent des manques d’attention, d’investissement dans les activités de classe, de respect aux enseignants, mais également une baisse de discipline en classe, et moins d’enthousiasme pour aller à l’école. Ce changement négatif est souvent désigné par l’expression anglaise school collapse. Les enseignants, relayés par les médias, ont souligné des modalités symptomatiques d’une crise généralisée : renvoi, absentéisme, cours perturbés. Ils éprouvent des difficultés à mener leur classe et à accomplir leur travail correctement. Pourtant, au début des années 1990, les classes étaient surchargées (une cinquantaine d’élèves par classe), mais elles se déroulaient dans le calme pour diverses raisons, parmi lesquelles : héritage confucianiste (respect des enseignants), usage de violences par l’enseignant ou encore passivité implicite des élèves. Au-delà de la maturation de la société, le discrédit que les parents ont jeté sur la qualité du système scolaire est à l’origine de ce phénomène part l’inscription de leurs enfants dans des hakwons et cours particuliers privés[35][35].

Pour les jeunes, aujourd’hui, aller à l’école est souvent associé à être avec ses amis et obtenir un diplôme scolaire. La crise de l’école se décline différemment selon la société étudiée, et l’on voit apparaître une spécificité coréenne. Si au Japon cette crise correspond davantage à des problèmes de discipline des élèves, elle fait apparaître aux États-Unis l’échec du rôle de l’école à créer de l’égalité sociale et à « produire » des élèves accomplis ; si elle pouvait partager une « crise de transmissions des connaissances institutionnellement légitimes » (Caillé, 2006, p. 5) comme en France, aucune de ces manifestations n’explique toutefois la crise sud-coréenne qui est surtout marquée par la perte d’intérêt à l’apprentissage en classe dans le système scolaire ordinaire. Les résultats obtenus à l’évaluation internationale Pisa/Ocde[36][36] demeurent toutefois exemplaires. Pourquoi ce désintérêt et cette crise de l’école sud-coréenne ? Généralement en avance sur le programme par les cours qu’ils suivent en dehors de l’école, les élèves n’apprennent plus en classe, s’ennuient, récupèrent des veillées d’études ou discutent avec leurs camarades, etc. Plus rien ne motive leur enthousiasme en classe. En fait, les élèves s’investissent ailleurs, là où les parents eux-mêmes investissent. Car la motivation des élèves se lie traditionnellement à des finalités externes : récompenses ou punitions des parents, compliments des enseignants, mépris ou admiration des pairs et des membres des communautés ou réseaux qu’ils fréquentent (une surveillance et une pression sociales qui participent de la compétition par le jugement), admission à l’université, etc. Comme leurs parents, ils se reposent entièrement sur l’enseignement privé en hakwon, mais ils sont désœuvrés à l’école. De plus, la pédagogie est peu attractive (lecture monotone, manuels scolaires peu attrayants, mémorisation par cœur), et les interactions entre enseignants et élèves quasi absentes : l’apprentissage est imposé. Les politiques éducatives ont pris la mesure de cette crise de l’éducation, et préconisent davantage de créativité et d’autonomie pour les élèves, une meilleure formation pour les enseignants visant à augmenter la motivation et l’intérêt de l’élève pour l’école. Mais on touche là du doigt un dilemme où toutes les dimensions de la société coréenne sont en jeu. Personne ne sait comment commencer une réforme, car tout est imbriqué : à la fois la psychologie des parents, et cette certitude des mères de famille de devoir investir tout leur temps et tout l’argent pour faire de leur enfant un brillant élève, jusqu’à ce système de collaboration entre enseignants d’établissements publics et enseignants en hakwon.

La crise financière advenue en Corée du Sud en 1997 s’est propagée dans les sphères du travail, de la famille et de l’éducation conformément au lien intrinsèque qui les unit, selon une « socio-histoire » culturelle spécifique. Des transformations se sont ainsi engagées. Devant faire face à la crise, la société sud-coréenne s’est saisie d’actions-réponses en forte continuité avec le consensus familial et social qui régit son environnement quotidien.

Le cas de l’éducation est à cet égard édifiant : l’impact des bouleversements économiques et sociaux sur les familles a ébranlé leur statut social, déjà fragilisé par les douloureux épisodes d’instabilités que la nation a traversés au fil de son histoire. L’éducation constitue un capital fortement investi par les familles ; l’entrée dans une institution universitaire prestigieuse assure aux jeunes un accès à l’emploi et contribue à leur élévation sociale. Bien plus qu’une simple « fiction nécessaire » (Dubet, 2004) caractéristique des pays occidentaux, dont la France, la méritocratie ne relève pas du seul domaine des représentations, mais participe de mécanismes sociaux bien réels en Corée du Sud. En dépit des transformations récentes ayant conduit à une crise de l’école, l’éducation continue à cristalliser de forts enjeux sociaux et s’affirme toujours comme un gage de l’avenir de la famille. En Corée du Sud, l’éducation, à travers la valorisation de la méritocratie, apparaît alors comme un élément constitutif du façonnement de la personnalité, et plus encore, un facteur justificatif du progrès et du développement auxquels aspirent les Sud-Coréens.

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Résumé

La crise financière asiatique de 1997 a profondément affecté la Corée du Sud. L’organisation de la société, ses institutions et ses valeurs attestent de changements immédiats mais également durables, négatifs comme positifs. Le travail, la famille et l’éducation ont notamment connu des transformations significatives. Afin de bien comprendre la nature de ces transformations, nous soulignons les spécificités socioculturelles sud-coréennes de ces domaines, ainsi que leurs articulations mutuelles. L’éducation retient ici tout spécialement notre attention, puisqu’elle concentre nombre d’enjeux familiaux et sociaux. Intégrer l’une des meilleures universités du pays constitue le projet de toute une vie, garantissant le maintien ou l’accès à un statut social élevé. La frénésie et les difficultés qui caractérisent le paysage éducatif actuel en Corée du Sud procèdent de l’évolution de la société, entre histoire, culture, modernité et crise de l’éducation.

Bibliographie

Anatole Bailly, Dictionnaire grec – français, Paris, Hachette, 1997.

Pierre Bourdieu, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris, Seuil, 199.

Alain Caillé, Présentation de « Penser la crise de l’école. Perspectives anti-utilitaristes », Revue du Mauss, second semestre 2006, n°26, pp. 5-40, 2006.

Séverine Carrausse, Les sociabilités étudiantes, Thèse de Doctorat, Paris, Ehess, 2010, 2 volumes.

Choi Ba-Ul, Kim Seong-Hwan, 경제위기와 소득불평등: 1997이후를 중심으로 (Crise économique et inégalité de revenu : après 1997), 4th Conference of Korea Labor and Income Panel Study (Klips), Séoul, février 2003, 22 pages [consulté le 14 mars 2009].

François Dubet, L’école des chances. Qu’est-ce qu’une école juste, Paris, Seuil, 2004.

Michael J Seth, Education fever. Society, politics, and the pursuit of schooling in South Korea, Honolulu, University of Hawaï Press, 2002.

Alain Touraine, Production de la société, Paris, Seuil, 1973.

Notes

[1] Le concept d’éducation est ici pris dans son acception large de formation et de développement d’un être humain.

[2] Les « tigres » sont les États asiatiques dits « nouveaux pays exportateurs » : Thaïlande, Malaisie, Indonésie et Vietnam. Les « dragons » sont les « nouveaux pays industrialisés » d’Asie : Taïwan, Singapour, Hong-Kong et la Corée du Sud.

[3] Rapport annuel du Conseil d’administration pour l’exercice clos le 30 avril 1997, Washington, consultable sur le site du FMI (dernière consultation en septembre 2009), p. 61.

[4] Le succès du programme de développement communautaire rural sud-coréen (Saemaul Undong, 새마을운동), impulsé en 1970 par un gouvernement autoritaire, en a été un processus manifeste ; il s’est d’ailleurs progressivement diffusé vers les villes et le secteur industriel. Si sa réussite dépend pour partie d’une modernisation technique en lien à la connaissance de leur patrimoine — immatériel ou matériel, il est surtout le résultat d’un effort collectif des acteurs, peut-être davantage coercitif que consenti.

[5] Un chaebol (재벌) est un grand conglomérat, un groupe très diversifié et contrôlé par sa famille fondatrice.

[6] Les sacrifices consentis par les Sud-Coréens pour participer à la reconstruction et au redressement économique de leur nation légitimèrent une attente de leur part, alors que l’objectif national était atteint et qu’un vent démocratique soufflait au sud de la péninsule coréenne.

[7] L’Agence pour la planification de la sécurité nationale (Ansp) correspond aux services secrets sud-coréens ; en 1999, elle est rebaptisée Service national de renseignement (Nis).

[8] Un actif est un élément identifiable du patrimoine (matériel ou immatériel) ayant une valeur économique positive pour l’entité, c’est-à-dire un élément générant une ressource que l’entité contrôle du fait d’événements passés, et dont elle attend des avantages économiques futurs.

[9] Quotidien sud-coréen Hankyoreh (한겨레), 16 octobre 1998.

[10] Quotidien économique sud-coréen Hanguk Kyeongje Sinmun (한국경제신문사), 3 décembre 1998.

[11] Pour les hommes, l’apparence se caractérise par l’argent et les objets qu’ils possèdent. Les (jeunes) femmes mettent davantage en valeur leur corps, en ayant recours à divers artifices (mode, produits de beauté et maquillage, chirurgie esthétique…).

[12] À cet égard, la crise de 1997 a entraîné une crise des valeurs sur bien des aspects culturels et religieux de la société coréenne. Mais les traditions et les croyances résistent. Si, par exemple les Sud-Coréens font couramment usages des rituels (kut, 굿) et offrandes chamaniques pour toute entreprise, qu’elle soit d’ordre privée (réussite scolaire, achat d’une voiture, acquisition d’un logement, etc.) ou professionnelle, ils le font souvent avec discrétion, car ces pratiques sont méprisées par l’opinion publique qui les perçoit comme d’archaïques et vulgaires superstitions dans un pays qui se veut moderne.

Les esprits sont en Corée du Sud très présents dans le quotidien, et les chamanes (mudang, 무당), très souvent des femmes, permettent à l’humanité de venir à leur rencontre par leur intermédiaire. Les pratiques chamanistes sont variées, et les types de kuts toujours très vivaces. Vêtue d’un hanbok (한복, vêtement traditionnel coréen), la mudang chante, danse, gratifie les esprits d’offrandes, leur demandant d’intercéder dans le destin de ce monde. Ces kuts reposent essentiellement sur l’argent (liquidités pour la mudang et pour les offrandes), à se demander si les esprits ne sont pas devenus eux aussi matérialistes et capitalistes ; peut-être cette forme de commerce constitue-t-elle un lien entre tradition et modernité ?

[13] Le repas de midi, en semaine, est généralement vécu comme purement alimentaire ; il ne doit pas faire perdre de temps. Le repas du soir joue davantage son rôle de support de sociabilités familiales et amicales — auquel cas il se fait plutôt à l’extérieur du foyer. Le pique-nique familial du week-end est quant à lui une institution.

[14] La communication par nunchi (눈치) permet aux interlocuteurs de détecter le non-dit de l’interlocuteur, ou de ce qu’il exprime en plus. Le nunchi signifie littéralement « mesure par l’œil », il permet de percevoir ce qui est dit hors les mots.

[15] Quotidien sud-coréen Joongang Ilbo (중앙일보), 5 novembre 1998 et 3 janvier 1999.

[16] La famille repose sur une parenté patrilinéaire et une structure patriarcale. Inscrit dans cette tradition, le hojuje (호주제) est le système d’enregistrement de l’état civil qui inscrit la famille sous l’autorité unique du père de famille (ou, s’il vient à décéder, de son descendant mâle le plus proche). Des groupes féministes en ont fait le symbole de l’inégalité de genre en Corée du Sud. En 2005, le hojuje a été déclaré non constitutionnel et aboli — une évolution de l’institution familiale à lier avec la crise de 1997.

[17] Joongang Ilbo (중 앙일보), 9 novembre 1998. La crise a ainsi permis à des couples de mettre un terme à un mariage arrangé ou précipité par les pressions familiale et sociale. Ces pressions restent d’actualité ; mais si les jeunes disposent de davantage de liberté dans l’évolution de leur vie amoureuse, le déclic et l’instauration d’une relation amoureuse nécessite souvent des subterfuges, tant dans les modes de rencontres entre les deux sexes que dans les modalités permettant l’épanouissement d’une liaison. Sur la question des sociabilités amicales et amoureuses, voir Carrausse, 2010.

[18] L’adoption internationale demeure en Corée du Sud un phénomène important, en dépit de la richesse du pays.

[19] New York Times, 2 novembre 1998.

[20] Quotidien sud-coréen Kyunghyang (경향), 13 octobre 1998.

[21] Quotidien sud-coréen Kyunghyang (경향), 19 novembre 1998.

[22] Nous entendons le terme « familisme » comme une éthique familiale, dans ses dimensions à la fois idéologiques et matérielles. Il désigne une solidarité forte entre les membres de la famille et de la parenté, dans son fonctionnement et dans ses responsabilités. Cette notion caractérise ce que nous avons décrit précédemment comme la centralité de la sphère familiale dans la vie sociale et quotidienne en Corée du Sud.

[23] Asian Wall Street Journal, 18 mai 1998.

[24] Si le modèle de l’homme pourvoyeur principal de revenu, et de la femme responsable des soins des dépendants (enfants, parents âgés notamment) n’a pas connu une réelle révolution, il a toutefois été éprouvé lors de la crise, et a permis une prise de conscience qui a amené une évolution certaine dans les relations au sein de l’institution familiale.

[25] Quotidien économique sud-coréen Hanguk Kyeongje Sinmun (한국경제신문사), 13 octobre 1998 ; hebdomadaire sud-coréen Sisa Journal (시사저널), 19 novembre 1998.

[26] L’acronyme Sky désigne les universités qui sont au pinacle de l’enseignement supérieur en Corée du Sud : S pour l’université nationale de Séoul, K pour l’université Korea, Y pour l’université Yonsei.

[27] Nous reprenons ici le titre d’un ouvrage de Michael J. Seth (2002).

[28] Ministry of Education (Moe — jusqu’en 2001) et Korea Educational Development Institute (Kedi), Handbook of Educational Statistics, 1998.

Ministry of Education, Science and Technology (Mest — depuis 2008) et Korea Educational Development Institute (Kedi), Brief Statistics on Korean Education, 2008.

[29] Ministry of Education (Moe), Ministry of Education & Human Resources Development (Moe & Hrd — 2001 à 2008), Educational Statistics Yearbook, diverses publications.

[30] National Statistical Office (Nso), Monthly Review on Employment trend, mai 1997 et mai 1998. De 13 à 18 % des salariés de 15-19 ans et de 20-29 ans ont perdu leur emploi.

[31] Notre travail de recherche doctorale étudie les sociabilités étudiantes autour d’une dynamique comparative entre trois sites universitaires en France, au Portugal et en Corée du Sud. Cette analyse aborde divers aspects de la vie étudiante, tels que le rapport aux études et au travail salarié, le logement, les loisirs, etc., et met en exergue les différentes sociabilités qui se développent ainsi que l’évolution d’un processus identitaire (via les mouvements étudiants notamment). Un long travail de terrain (2002-2003) et une enquête par questionnaire (2004, auprès de 450 étudiants) ont été conduits à l’université nationale de Séoul. Voir Carrausse, 2010. Concernant notre échantillon, 64,92 % des pères et 48,63 % des mères ont un niveau universitaire équivalent au minimum à la licence (graduation). Près de la moitié des pères sont cadres, chefs d’entreprise ou exercent une profession intellectuelle supérieure (48,20 %), et près d’un quart sont employés (23,10 %).

[32] La famille étant décisive dans la vie d’une personne, il est aisé de comprendre les enjeux qui entouraient sa perpétuation, et la pression à la fois familiale et sociale qui s’exerçait génération après génération. Garçons et filles étaient pareillement poussés vers des études supérieures brillantes, les uns pour y être diplômés et trouver un bon travail, les autres pour rencontrer sur le campus de bons partis et cœurs à prendre, sans pour autant négliger l’acquisition d’une bonne culture universitaire, valorisante vis-à-vis du partenaire et de sa famille, utile pour encadrer l’éducation de futurs enfants.

L’évolution économique de la Corée du Sud a permis l’entrée des femmes sur le marché du travail, au point que le célibat des femmes, jusqu’alors inconcevable, est devenu plus fréquent pour des femmes soucieuses de réussite professionnelle et d’épanouissement personnel. Notons également qu’aucune étudiante interrogée au cours de notre recherche n’a envisagé de se marier et d’avoir des enfants à la fin de ses études. Le mariage est de moins en moins considéré comme une fin en soi.

[33] La « vague coréenne » (hallyu, 한류) a progressivement atteint les côtes de ses proches voisins avant de conquérir l’engouement de l’Asie puis de l’Occident. La culture de masse sud-coréenne a connu un effet de mode à travers les films (quoique encore sous l’effet de la censure au début des années 1990), les feuilletons radiophoniques et les chansons (korean pop ou K-pop), les séries télévisées ou dramas ; ces mini-séries mélodramatiques sud-coréennes ont tout particulièrement contribué à propager l’image du pays bien au-delà de la péninsule en diffusant une certaine conception de la relation humaine urbaine alliant modernité et valeurs confucianistes, et mise en scène de manière réaliste et attirante. Les jeunes sud-coréens assistent à une sorte de mondialisation de leur propre culture et de leurs artistes, et considèrent cette option bien plus attrayante que la pression à la fois familiale et sociale induite par l’enseignement secondaire.

[34] La co-organisation avec le Japon de la coupe du monde de football, en 2002, offrit un tremplin aux carrières sportives. Cet évènement fut en outre propice au tourisme et à la promotion d’une image ultra-moderne, très « branchée » de la Corée du Sud, différente et surtout plus moderne que celle qui avait été donnée à voir à l’occasion des Jeux Olympiques d’été organisés à Séoul en 1988. Mais entretemps, la férule du pouvoir et la censure s’étaient inclinés.

[35] Seuls 14,2 % des étudiants que nous avons interrogés mentionnent ne jamais avoir eu recours à des cours privés ; on peut aussi envisager que parmi ces étudiants, certains aient bénéficié d’opportunités éducatives équivalentes, en ayant été scolarisés à l’étranger par exemple. Ce faible chiffre rejoint toutefois l’idée selon laquelle une grosse proportion des revenus est investie dans l’enseignement privé.

[36] Pisa est l’acronyme du « Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves », lancé par l’Ocde dans les années 1990. Celui-ci constitue un corpus d’enquêtes internationales sur l’enseignement unique visant à mesurer les compétences et qualifications des jeunes de 15 ans, alors que la scolarité obligatoire touche à sa fin. Chaque enquête Pisa évalue la littératie en lecture, mathématiques et sciences en termes de compétences générales, c’est-à-dire la façon dont les élèves appliquent aux défis de la vie quotidienne les connaissances et les compétences qu’ils ont acquises à l’école. Parmi les pays de l’Ocde, le rang de la Corée du Sud se situe entre 1 et 4 ; les résultats de l’enquête Pisa 2006 peuvent être consultés sur le site internet de l’OCDE (dernière consultation en octobre 2009).

Auteurs

Partenariat

Sérendipité.

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